Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No:

2020-08-13(C)

 

DATE :

Le 3 juin 2021

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. Jacques D’Aragon, courtier en assurance de dommages

Membre

Mme Anne-Marie Hurteau, courtier en assurance de dommages

Membre

 

 

Me MARIE-JOSÉE BELHUMEUR, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

ALAIN JASMIN, courtier en assurance de dommages (inactif et sans mode d’exercice)

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

 

 

ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION, DE NON-DIVULGATION ET

DE NON-DIFFUSION DE TOUS RENSEIGNEMENTS PERSONNELS CONCERNANT LES ASSURÉS MENTIONNÉS À LA PLAINTE

ET DANS LES PIÈCES DOCUMENTAIRES, LE TOUT SUIVANT

L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS

 

 

[1]       Le 27 avril 2021, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2020-08-13(C) ;

 

[2]       Le syndic était alors représenté par Me Mathieu Cardinal et, de son côté, l’intimé se représentait seul ;

 

I.          La plainte

 

[3]       L’intimé fait l’objet d’une plainte amendée comportant les chefs d’accusation suivants :

 

1.   Entre les ou vers les 10 et 21 décembre 2018, l’Intimé a fait émettre environ huit (8) contrats d’assurance auprès de l’assureur Intact Compagnie d’assurance qu’il a fait résilier avant le paiement de la première prime dans le but d’augmenter le seuil de performance du cabinet Renaud & Fils Assurances inc. pour l’année 2018 et de toucher une prime au rendement, notamment :

a.   Le ou vers le 10 décembre 2018, l’Intimé a fait émettre le contrat d’assurance habitation no M29-9430 au nom de M.B.-R. pour la période du 6 décembre 2018 au 6 décembre 2019 qu’il a fait résilier le ou vers le 14 janvier 2019 rétroactivement au 6 décembre 2018;

b.   Le ou vers le 12 décembre 2018, l’Intimé a fait émettre le contrat d’assurance automobile no J37-2919 au nom d’A.B. pour la période du 15 décembre 2018 au 15 décembre 2019 qu’il a fait résilier le ou vers le 14 janvier 2019 rétroactivement au 15 décembre 2018;

c.   Le ou vers le 20 décembre 2018, l’Intimé a fait émettre le contrat d’assurance automobile no J36-8272 au nom d’A.Q. pour la période du 20 décembre 2018 au 20 décembre 2019 qu’il a fait résilier le ou vers le 14 janvier 2019 rétroactivement au 20 décembre 2018;

d.   Le ou vers le 20 décembre 2018, l’Intimé a fait émettre le contrat d’assurance habitation no M30-3178 au nom d’A.L. pour la période du 22 décembre 2018 au 22 décembre 2019 qu’il a fait résilier le ou vers le 14 janvier 2019 rétroactivement au 22 décembre 2018;

e.   Le ou vers le 20 décembre 2018, l’Intimé a fait émettre le contrat d’assurance automobile no J37-7008 au nom de J.B. pour la période du 23 décembre 2018 au 23 décembre 2019 qu’il a fait résilier le ou vers le 14 janvier 2019 rétroactivement au 23 décembre 2018;

f.    Le ou vers le 21 décembre 2018, l’Intimé a fait émettre le contrat d’assurance automobile no J35-1572 au nom de S.J. pour la période du 18 décembre 2018 au 18 décembre 2019 qu’il a fait résilier le ou vers le 14 janvier 2019 rétroactivement au 18 décembre 2018;

g.   Le ou vers le 21 décembre 2018, l’Intimé a fait émettre le contrat d’assurance habitation no M30-3523 au nom d’A.R. pour la période du 21 décembre 2018 au 21 décembre 2019 qu’il a fait résilier le ou vers le 21 janvier 2019 rétroactivement au 21 décembre 2018;

h.   (retrait) ;

i.    (retrait) ;

j.    Le ou vers le 21 décembre 2018, l’Intimé a fait émettre le contrat d’assurance habitation no M30-3546 au nom de V.L. pour la période du 26 décembre 2018 au 26 décembre 2019 qu’il a fait résilier le ou vers le 17 janvier 2019 rétroactivement au 26 décembre 2018;

     en contravention avec les articles 15, 27, 37(1) et 37(7) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.5);

2.   (retrait).

[4]       Suite à la modification de la plainte, l’intimé a enregistré un plaidoyer de culpabilité à l’encontre des infractions reprochées à la plainte amendée ;

[5]       En conséquence, les parties ont procédé aux représentations sur sanction ;

II.         Preuve sur sanction

 

[6]       Dans un premier temps, le syndic a déposé, de consentement, et ce pour équivaloir à témoignage[1] les pièces P-1 à P-46 ainsi qu’un résumé des faits sous la cote P-47 ;

[7]       À cet égard, il convient de reproduire certains passages du résumé des faits (P‑47) :

      Au moment des faits pertinents, M. Jasmin était coactionnaire du cabinet Renaud & Fils inc. ;

      En décembre 2018, M. Jasmin constate qu’à défaut de faire émettre un certain nombre de contrats d’assurance auprès d’Intact Compagnie d’assurance avant la fin de l’année civile, le cabinet Renaud & Fils inc. ne recevra pas le boni de performance annuel calculé à environ 21 000 $ ;

      Du 10 au 21 décembre 2018, M. Jasmin a fait émettre huit (8) contrats d’assurance habitation ou d’assurance automobile auprès d’Intact Compagnie d’assurance visant à artificiellement gonfler le nombre de contrats émis au cours de l’année 2018 pour obtenir le boni de performance en question ;

      Du 14 au 21 janvier 2019, M. Jasmin fait résilier les huit (8) contrats d’assurance en question ;

      Le 5 juin 2019, après avoir remarqué un nombre anormalement élevé de contrats d’assurance émis en décembre 2018 et résiliés en 2019, des représentants d’Intact Compagnie d’assurance rencontrent M. François Bellefeuille, l’associé de M. Jasmin, et le confrontent à la situation ;

      Le 10 juillet 2019, un représentant d’Intact Compagnie d’assurance exige de M. Bellefeuille la rupture des liens d’affaires avec M. Jasmin ;

      Le 25 juillet 2019, M. Bellefeuille dénonce à l’Autorité des marchés financiers la conduite de M. Jasmin et demande son détachement des cabinets Bellefeuille Assurances inc. et Renaud & Fils inc.

[8]       De plus, l’intimé a mentionné au Comité qu’il n’avait pas renouvelé son certificat et qu’il n’avait pas l’intention de revenir à la pratique et qu’il considérait avoir quitté à tout jamais le domaine de l’assurance ;

[9]       Enfin, l’intimé a souligné que les clients ont pu s’assurer auprès d’autres assureurs et, en conséquence, il n’y a pas eu de découvert d’assurance ;

[10]    C’est à la lumière de ces faits que le Comité examinera le bien-fondé de la suggestion commune formulée par les parties ;

III.       Recommandations communes

 

[11]    Me Cardinal a fait part au Comité des recommandations communes dont ont convenu les parties ;

 

[12]    Essentiellement, les parties suggèrent, d’un commun accord, d’imposer sur chacun des chefs une radiation temporaire de six (6) mois, ainsi qu’une amende de 2 000 $ par chef[2] ;

 

[13]    Par contre, en application du principe de la globalité des sanctions, les parties proposent de réduire le montant des amendes (16 000 $) à la somme globale de 2 000 $ ;

 

[14]    D’autre part, vu que l’intimé n’a pas renouvelé son certificat, la publication de l’avis de radiation temporaire et l’entrée en vigueur des périodes de radiation ne se feront qu’en cas de remise en vigueur du certificat de l’intimé[3] ;

 

[15]    Enfin, l’intimé demande au Comité de lui accorder un délai de paiement de cinq (5) mois pour lui permettre d’acquitter le montant de l’amende et des déboursés ;

 

[16]    Mais il y a plus, cette proposition conjointe est fondée sur l’analyse des facteurs aggravants et atténuants propres au dossier de l’intimé ;

 

[17]    Parmi les facteurs aggravants, les parties ont identifié les suivants :

 

      La gravité objective des infractions reprochées ;

      Le manque d’intégrité sous-jacent à la commission des infractions ;

      L’avantage personnel que l’intimé a pu en retirer, ainsi que son cabinet ;

      La multiplicité des infractions ;

[18]    Pour les facteurs atténuants, les parties ont considéré les éléments suivants :

 

      Le plaidoyer de culpabilité de l’intimé ;

      Son absence d’antécédents disciplinaires ;

      L’admission de sa faute à son associé et à l’assureur ;

      La période de temps réduite durant laquelle les infractions ont été commises ;

      L’abandon de la pratique par l’intimé ;

      Le faible risque de récidive ;

[19]    De plus, suivant les parties, les sanctions suggérées sont conformes à la jurisprudence suivante :

 

      ChAD c. Caron, 2010 CanLII 61299 ;

      ChAD c. Renaud, 2010 CanLII 14182 ;

      ChAD c. Lorusso, 2008 CanLII 60800 ;

      ChAD c. Houle, 2017 CanLII 90569 ;

[20]    Cela dit, les parties demandent au Comité d’entériner leurs recommandations communes ;

 

IV.      Analyse et décision

 

[21]    Suivant une jurisprudence bien établie, lorsque les parties présentent une recommandation commune sur sanction, le Comité est tenu de l’accepter, à moins que celle-ci soit contraire à l’intérêt public ou qu’elle soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice[4] ;

 

[22]    De plus, selon le Tribunal des professions, « la suggestion commune issue d’une négociation rigoureuse dispose d’une force persuasive certaine » [5] ;

 

[23]    Bref, les ententes communes constituent « un rouage utile et parfois nécessaire à une saine administration de la justice disciplinaire » [6] ;

 

[24]    Cela dit, la Cour d’appel, dans l’arrêt Binet[7], reprenant alors l’opinion émise par la Cour d’appel d’Alberta dans l’affaire Belakziz[8], précisait qu’il n’appartient pas au juge de déterminer la sanction qui pourrait être imposée pour ensuite la comparer avec celle proposée par les parties ;

 

[25]    Dans le même ordre d’idées, le Comité n’a pas à s’interroger sur la sévérité ou la clémence de la sanction, il ne s’agit pas d’un élément déterminant face à une recommandation commune formulée par les parties[9] ;

 

[26]    Dans les circonstances, en considérant les enseignements des tribunaux supérieurs et en tenant compte des facteurs objectifs et subjectifs, à la fois aggravants et atténuants, et plus particulièrement des représentations des parties, le Comité n’a aucune hésitation à entériner la recommandation commune ;

 

[27]    Cela dit, de l’avis du Comité, les sanctions suggérées sont justes et raisonnables et, surtout, appropriées au présent dossier ;

 

[28]    Finalement, elles assurent la protection du public sans punir outre mesure l’intimé ;

 

[29]    Par contre, concernant l’application du principe de la globalité des sanctions, le Comité ne peut passer sous silence un jugement récent de la Cour du Québec, soit l’affaire Pluviose[10] ;

 

[30]    En l’espèce, le juge Choquette suggère, au moment de la pondération des amendes, en raison du principe de la globalité, de débuter par l’imposition d’une amende sur le premier chef suivi d’une réprimande sur les autres chefs[11] ;

[31]    En conséquence, le Comité imposera sur le chef 1a) une amende de 2 000 $ et une radiation temporaire de six (6) mois tel que proposé par les parties ;

[32]    Par contre, pour les autres chefs, la sanction sera limitée à une radiation temporaire de six (6) mois ;

[33]    Évidemment, il n’est pas nécessaire d’imposer une réprimande sur chacun de ces chefs puisque ceux-ci sont déjà sanctionnés par l’imposition d’une période de radiation de six (6) mois, à être purgée de façon concurrente ;

[34]    Cela dit, le Comité, dans le cadre de la présente décision, a également tenu compte du changement positif d’attitude de l’intimé, celui-ci étant passé d’un comportement de contestation[12] à un comportement de collaboration avec le système disciplinaire ;

[35]    De l’avis du Comité, cela démontre une prise de conscience chez l’intimé de ses obligations déontologiques.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

AUTORISE le retrait des chefs 1h), 1i) et 2 ;

PREND acte du plaidoyer de culpabilité de l’intimé sur la plainte amendée ;

DÉCLARE l’intimé coupable de toutes les infractions reprochées et plus particulièrement comme suit :

Chefs 1a, 1b), 1c),

1d), 1e), 1f), 1g) et 1j) :     pour avoir contrevenu à l’article 27 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r. 5);

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’égard des autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien des chefs 1a), 1b), 1c), 1d), 1e), 1f), 1g) et 1j) de la plainte amendée ;

IMPOSE à l’intimé les sanctions suivantes :

Chef 1a) :     une amende de 2 000 $ et une période de radiation de six (6) mois      

Chef 1b) :     une période de radiation de six (6) mois

Chef 1c) :     une période de radiation de six (6) mois

Chef 1d) :     une période de radiation de six (6) mois

Chef 1e) :     une période de radiation de six (6) mois

Chef 1f) :      une période de radiation de six (6) mois

Chef 1g) :     une période de radiation de six (6) mois

Chef 1j) :       une période de radiation de six (6) mois

DÉCLARE que les périodes de radiation temporaire imposées sur les chefs 1a), 1b), 1c), 1d), 1e), 1f), 1g) et 1j) seront purgées de façon concurrente et qu’elles ne seront exécutoires qu’à compter de la remise en vigueur du certificat de l’intimé ;

ORDONNE la publication, aux frais de l’intimé, d’un avis de radiation temporaire à compter de la remise en vigueur de son certificat ;

CONDAMNE l’intimé au paiement de tous les déboursés incluant, le cas échéant, les frais de publication de l’avis de radiation temporaire ;

ACCORDE à l’intimé un délai de paiement de cinq (5) mois pour acquitter le montant de l’amende et des déboursés ;

PERMET à l’intimé de s’acquitter de sa dette en cinq (5) versements mensuels, égaux et consécutifs débutant le 31e jour suivant la signification de la présente décision.

 

__________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

 

 

 

M. Jacques D’Aragon, courtier en assurance de dommages

Membre        

 

 

__________________________________

Mme Anne-Marie Hurteau, courtier en assurance de dommages

Membre

 

 

 

 

Me Mathieu Cardinal

Procureur de la partie plaignante

 

M. Alain Jasmin

Partie intimée (personnellement)

 

Date d’audience : 27 avril 2021

 



[1]    Laurin c. Gauvin, 2006 QCCQ 6115 (CanLII), par. 47;

[2]    Art. 376 L.D.P.S.F.;

[3]    Parent c. Technologistes médicaux, 2020 QCTP 29 (CanLII), par. 68;

[4]    R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43 (CanLII), par. 5 et 32 ;             

[5]    Chan c. Médecins, 2014 QCTP 5 (CanLII), par. 42 ;      

[6]    Infirmières et infirmiers auxiliaires c. Ungureanu, 2014 QCTP 20 (CanLII), par. 21 ;          

[7]    R. c. Binet, 2019 QCCA 669 (CanLII), par. 19 et 20 ;   

[8]    R. c. Belakziz, 2018 ABCA 370 (CanLII), par. 17 et 18 ;                   

[9]    Notaires c. Génier, 2019 QCTP 79 (CanLII), pra. 27 ;  

[10]   Gingras c. Pluviose, 2020 QCCQ 8495 (CanLII);

[11]   Ibid., par. 85;

[12]   ChAD c. Jasmin, 2021 CanLII 551 (QC CDCHAD);

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.