Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No:

2021-01-01(E)

 

DATE :

Le 20 mai 2021

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. Benoit Loyer, PAA, expert en sinistre

Membre

Mme Lise Martin, PAA, expert en sinistre

Membre

 

 

Me MARIE-JOSÉE BELHUMEUR, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

MARIE-ÈVE LABRIE, expert en sinistre (inactif et sans mode d’exercice)

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

 

 

ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION, DE NON-DIVULGATION, DE NON-DIFFUSION ET DE NON-ACCESSIBILITÉ DES PIÈCES P-4 À P-12 ET CE, JUSQU’AU JUGEMENT FINAL SUR TOUTES PROCÉDURES CRIMINELLES ENTREPRISES CONTRE L’INTIMÉE

 

 

[1]       Le 11 mai 2021, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2021-01-01(E) ;

 

[2]       Le syndic était alors représenté par Me Sylvie Poirier et, de son côté, l’intimée était représentée par Me Carolyne Mathieu ;

 

I.          La plainte

 

[3]       L’intimée fait l’objet d’une plainte comportant quatre (4) chefs d’accusation, soit :

 

1.   Au cours de la période de 2014 à 2020, à l’occasion du traitement de réclamations en assurance responsabilité de type « administrateurs et dirigeants » et  « erreurs et omissions », a exercé ses activités de façon malhonnête, en créant des intervenants fictifs dans le système d’Intact Compagnie d’assurance, soit de faux fournisseurs de services pour une centaine de dossiers de réclamation, en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 48, 58(1), 58(5) et 58(6) du Code de déontologie des experts en sinistre;

 

2.   Au cours de la période de septembre 2014 à juin 2017, à l’occasion du traitement de réclamations en assurance responsabilité de type « administrateurs et dirigeants » et « erreurs et omissions », a exercé ses activités de façon malhonnête, en confectionnant, à six (6) reprises, de fausses factures aux noms de fournisseurs fictifs, au soutien de demandes d’émission de paiements auprès d’Intact Compagnie d’assurance, pour des services n’ayant pas véritablement été rendus, en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 48, 58(1), 58(5) et 58(6) du Code de déontologie des experts en sinistre;

 

3.   Au cours de la période de février 2014 à septembre 2020, à l’occasion du traitement de réclamations en assurance responsabilité de type « administrateurs et dirigeants » et « erreurs et omissions », a exercé ses activités de façon malhonnête, en faisant émettre par Intact Compagnie d’assurance, à cent quatre-vingt-cinq (185) reprises, des chèques totalisant environ 248 737,33 $, en paiement à des fournisseurs fictifs dans une centaine de dossiers de réclamation, pour des services n’ayant pas véritablement été rendus, en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et des articles 48, 58(1), 58(5) et 58(6) du Code de déontologie des experts en sinistre;

 

4.   Au cours de la période de février 2014 à septembre 2020, a exercé ses activités de façon malhonnête, en détournant et s’appropriant frauduleusement, à cent quatre-vingt-cinq (185) reprises des fonds totalisant environ 248 737,33 $, en déposant à un compte bancaire personnel dont elle était co-titulaire et/ou auquel elle avait un accès, des chèques émis par Intact Compagnie d’assurance aux noms de fournisseurs fictifs, en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 58(1), 58(5), 58(6) et 58(16) du Code de déontologie des experts en sinistre.

 

[4]       L’intimée ayant enregistré un plaidoyer de culpabilité, les parties ont alors procédé aux représentations sur sanction, sujet toutefois à l’émission d’une ordonnance de non-publication ;

 

II.         L’ordonnance de non-publication

 

[5]       À la demande des parties, le Comité a émis une ordonnance de non-publication, de non-divulgation, de non-diffusion et de non-accessibilité des pièces P-4 à P-12 ;

 

[6]       De l’avis du Comité, cette ordonnance est nécessaire afin d’assurer à l’intimée la protection constitutionnelle contre l’auto-incrimination et afin de maintenir l’équité des procédures criminelles intentées contre celle-ci[1] ;

 

III.       Les faits

 

[7]       Brièvement résumée, la preuve a permis d’établir que l’intimée avait mis sur pied un stratagème lui permettant de détourner des sommes importantes au détriment de son employeur ;

 

[8]       À la base, l’intimée, après avoir créé divers intervenants fictifs dans le système d’Intact Compagnie d’assurance, soit de faux fournisseurs de services (chef 1), faisait émettre des chèques en paiement à ces faux fournisseurs dans une centaine de dossiers de réclamations (chef 3) ;

 

[9]       De plus, dans le cadre de ce système, l’intimée a fabriqué six (6) fausses factures au nom de ces prétendus fournisseurs (chef 2) ;

 

[10]    Ce subterfuge a permis à l’intimée de faire émettre frauduleusement 185 chèques (chef 3) et de s’approprier divers montants pour une somme globale de plus de 248 000 $ (chef 4) ;

 

[11]    La preuve a également établi que l’intimée regrette ses faits et gestes et qu’elle est suivie actuellement par un psychothérapeute afin de reprendre sa vie en main ;

 

[12]    C’est à la lumière de ces faits que le Comité devra examiner la recommandation commune formulée par les parties ;

 

IV.      Recommandations communes

 

[13]    Me Poirier, en collaboration avec sa consœur, Me Mathieu, suggère d’imposer à l’intimée les sanctions suivantes :

 

Chef 1 :            une radiation de cinq (5) ans

Chef 2 :            une radiation de cinq (5) ans

Chef 3 :            une radiation permanente

Chef 4 :            une radiation permanente

[14]    Une ordonnance de remboursement devra également être émise en faveur d’Intact Compagnie d’assurance pour un montant de 248 737,33 $ ;

 

[15]    À cet égard, l’intimée s’engage à s’acquitter de sa dette en huit versements de 30 000 $ ;

 

[16]    Le premier versement sera d’ailleurs payé le jour même de l’audition et les autres, à tous les six (6) mois, pour un total de 240 000 $, et le dernier versement sera de 8 737,33 $, pour un grand total de 248 737,33 $ ;

 

[17]    À cela s’ajoute la publication, aux frais de l’intimée, d’un avis de radiation et le paiement de tous les déboursés et frais du dossier ;

 

[18]    Pour établir cette suggestion commune, les parties ont tenu compte des facteurs aggravants suivants :

 

    La gravité objective élevée des infractions ;

    Le caractère répétitif des infractions ;

    Le fait que les infractions ont été commises sur une très longue période de temps (2014 à 2020) ;

    La préméditation dont l’intimée a dû faire preuve pour mettre en œuvre un tel stratagème frauduleux ;

    Le bénéfice personnel dont elle a tiré de ses agissements frauduleux ;

    L’importance des sommes détournées (chef 4) ;

    La fabrication et l’usage de faux (chefs 1, 2 et 3) ;

    L’atteinte à l’image de la profession ;

    La mise en péril de la protection du public ;

    L’abus de confiance envers son employeur ;

    L’expérience pratique de l’intimée (plus de 20 ans) ;

[19]    Pour les circonstances atténuantes, Me Poirier souligne au Comité les éléments suivants :

 

    Le plaidoyer de culpabilité de l’intimée ;

    L’absence d’antécédents disciplinaires ;

    Sa bonne collaboration à l’enquête du syndic ;

    Ses aveux lors de l’enquête de son employeur ;

    Sa volonté et son engagement à rembourser les sommes détournées ;

    Le versement d’une première somme de 30 000 $ le jour de l’audition ;

[20]    Finalement, ces recommandations communes prennent appui sur les précédents jurisprudentiels suivants :

 

    ChAD c. Al Gass Dabo, 2020 CanLII 31793 (QC CDCHAD) ;

    ChAD c. Gibeault, 2005 CanLII 57457 (QC CDCHAD) ;

    ChAD c. Hallé, 2012 CanLII 50496 (QC CDCHAD) ;

    ChAD c. Lévesque, 2020 CanLII 55835 (QC CDCHAD) ;

    ChAD c. Plouffe, 2005 CanLII 57474 (QC CDCHAD) ;

    ChAD c. Tremblay, 2017 CanLII 84809 (QC CDCHAD) ;

    CSF c. Alder Jacob, 2017 QCCDCSF 45 (CanLII) ;

    CSF c. Fortier, 2017 CanLII 38069 (QC CDCSF) ;

    CSF c. Fortin, 2020 QCCDCSF 23 (CanLII) ;

    CSF c. Ndalamba, 2017 QCCDCSF 90 (CanLII) ;

    CSF c. Bernard, 2017 QCCDCSF 47 (CanLII) ;

[21]    Cela dit, elle demande, de façon conjointe avec la défense, d’imposer les sanctions suggérées, lesquelles sont appropriées au cas de l’intimée ;

 

V.        Analyse et décision

 

[22]    Suivant une jurisprudence bien établie, lorsque les parties présentent une recommandation commune sur sanction, le Comité est tenu de l’accepter, à moins que celle-ci soit contraire à l’intérêt public ou qu’elle soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice[2] ;

 

[23]    De plus, selon le Tribunal des professions, « la suggestion commune issue d’une négociation rigoureuse dispose d’une force persuasive certaine » [3] ;

 

[24]    Bref, les ententes communes constituent « un rouage utile et parfois nécessaire à une saine administration de la justice disciplinaire » [4] ;

 

[25]    Cela dit, la Cour d’appel, dans l’arrêt Binet[5], reprenant alors l’opinion émise par la Cour d’appel d’Alberta dans l’affaire Belakziz[6], précisait qu’il n’appartient pas au juge de déterminer la sanction qui pourrait être imposée pour ensuite la comparer avec celle proposée par les parties ;

 

[26]    Dans le même ordre d’idées, le Comité n’a pas à s’interroger sur la sévérité ou la clémence de la sanction, il ne s’agit pas d’un élément déterminant face à une recommandation commune formulée par les parties[7] ;

 

[27]    Dans les circonstances, en considérant les enseignements des tribunaux supérieurs et en tenant compte des facteurs objectifs et subjectifs, à la fois aggravants et atténuants, et plus particulièrement des représentations des parties, le Comité n’a aucune hésitation à entériner la recommandation commune ;

 

[28]    Cela dit, de l’avis du Comité, les sanctions suggérées sont justes et raisonnables et, surtout, appropriées au présent dossier.

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimée ;

DÉCLARE l’intimée coupable de toutes et chacune des infractions reprochées et plus particulièrement comme suit :

Chef 1:               pour avoir contrevenu à l’article 58(6) du Code de déontologie des experts en sinistre (RLRQ, c. D-9.2, r.4)

Chef 2:               pour avoir contrevenu à l’article 58(6) du Code de déontologie des experts en sinistre (RLRQ, c. D-9.2, r.4)

Chef 3:               pour avoir contrevenu à l’article 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistre (RLRQ, c. D-9.2, r.4)

Chef 4:               pour avoir contrevenu à l’article 58(16) du Code de déontologie des experts en sinistre (RLRQ, c. D-9.2, r.4)

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’encontre des autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien des chefs 1 à 4 de la plainte;

IMPOSE à l’intimée les sanctions suivantes :

Chef 1 :    une radiation temporaire de cinq (5) ans

Chef 2 :    une radiation temporaire de cinq (5) ans

Chef 3 :    une radiation permanente

Chef 4 :    une radiation permanente

PREND ACTE de l’engagement de l’intimée et ORDONNE à l’intimée de payer à Intact Compagnie d’assurance la somme de 248 737,33 $ en huit (8) versements de 30 000 $ et un (1) versement de 8 737,33$, le premier versement étant payable le jour de l’audition et les autres aux six (6) mois, aux dates suivantes :

      11 mai 2021 :                     30 000 $

      11 novembre 2021 :          30 000 $

      11 mai 2022 :                     30 000 $

      11 novembre 2022 :          30 000 $

      11 mai 2023 :                     30 000 $

      11 novembre 2023 :          30 000 $

      11 mai 2024 :                     30 000 $

      11 novembre 2024 :          30 000 $

      11 mai 2025 :                   8 737,33$

ORDONNE à la secrétaire du Comité de discipline de faire publier, aux frais de l’intimée, un avis de la présente décision, le tout conformément aux articles 156 et 180 du Code des professions (RLRQ, c. C-26) ;                   

CONDAMNE l’intimée au paiement de tous les déboursés incluant les frais de publication de l’avis de radiation temporaire et permanente.

 

 

 

___________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

 

___________________________________

M. Benoit Loyer, PAA, expert en sinistre

Membre        

 

___________________________________

Mme Lise Martin, PAA, expert en sinistre

Membre

 

 

Me Sylvie Poirier

Procureure de la partie plaignante

 

Me Carolyne Mathieu

Procureure de la partie intimée

 

Date d’audience : 11 mai 2021 (par visioconférence)

 

 



[1]    Barreau c. Lambert, 2016 QCCDBQ 20 (CanLII), par. 20;

     Médecins c. Claveau, 2017 CanLII 73282 (QC CDCM);

     Corriveau c. Barreau, 1999 QCTP 33 (CanLII);

     Bissonnette c. Médecins, 1996 CanLII 12187 (QC TP);

     ChAD c. Bédard, 2012 CanLII 12007 (QC CDCHAD), par. 7 et 8;

 

[2]    R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43 (CanLII), par. 5 et 32 ;             

[3]    Chan c. Médecins, 2014 QCTP 5 (CanLII), par. 42 ;      

[4]    Infirmières et infirmiers auxiliaires c. Ungureanu, 2014 QCTP 20 (CanLII), par. 21 ;          

[5]    R. c. Binet, 2019 QCCA 669 (CanLII), par. 19 et 20 ;   

[6]    R. c. Belakziz, 2018 ABCA 370 (CanLII), par. 17 et 18 ;                   

[7]    Notaires c. Génier, 2019 QCTP 79 (CanLII), pra. 27 ;  

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