Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No:

2019-11-04(C)

 

DATE :

Le 28 août 2020

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

Mme Nathalie Boyer, C.d’A. Ass., A.I.B., courtier en assurance de dommages

Membre

M. Serge Meloche, courtier en assurance de dommages

Membre

 

 

Me MARIE-JOSÉE BELHUMEUR, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

MAUDE-ÉLÈNE BRUNELLE, courtier en assurance de dommages (4A) inactif et sans mode d’exercice

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

 

 

ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION, DE NON-DIFFUSION ET DE NON-DIVULGATION DE TOUT RENSEIGNEMENT OU INFORMATION PERMETTANT D’IDENTIFIER LES ASSURÉS MENTIONNÉS À LA PLAINTE, LE TOUT SUIVANT L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS

 

 

[1]       Le 20 mai 2020, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait par visioconférence pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2019-11-04(C) ;

 

[2]       La syndic était alors représentée par Me Jean-François Noiseux et, de son côté, l’intimée était absente et non représentée ;

 

 

I.          La plainte

 

[3]       L’intimée fait l’objet d’une plainte comportant cinq (5) chefs d’accusation, soit :

 

         

          Assuré D.R.

1.   Entre les ou vers les 5 février et 22 mai 2018, dans le cadre du renouvellement du contrat d’assurance automobile nº F44-1877 émis par Intact Compagnie d’assurance, a exercé ses activités de manière négligente et/ou a omis de donner suite aux instructions de l’assuré D.R. de ne pas renouveler ledit contrat d’assurance, en contravention avec les articles 26 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.5);

Assurés I.H. et R.S.

2.   Le ou vers le 6 mai 2016, dans le cadre du renouvellement du contrat d’assurance habitation nº R80-2841 émis par Intact Compagnie d’assurance, a exercé ses activités de manière négligente et/ou a omis de prendre les moyens requis pour que la garantie offerte réponde aux besoins des assurés I.H. et R.S., notamment n’offrant pas auxdits assurés l’avenant « Débordement ou fuite de mazout », soit le formulaire 453, alors que le mode de chauffage principal de la résidence assurée était à l’huile, en contravention avec l’article 39 de la Loi sur la distribution de produits et de services financiers (RLRQ c. D-9.2) et les articles 37(1) et 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.5);

Assurée C.B.

3.   Le ou vers le 13 novembre 2017, a exercé ses activités de manière négligente et/ou a omis de donner suite aux instructions de l’assurée C.B., en résiliant le contrat d’assurance habitation de la résidence principale nº R83-7824 émis par Intact Compagnie d’assurance au lieu du contrat d’assurance habitation du chalet nº R60‑1756 émis par Intact Compagnie d’assurance, en contravention avec les articles 26 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.5);

Assuré S.R.

4.   Le ou vers le 26 février 2018, dans le cadre de la souscription du contrat d’assurance automobile nº 558578926 émis par Pafco, compagnie d’assurance, a fait à l’assureur une déclaration fausse, trompeuse ou susceptible de l’induire en erreur, en déclarant que l’assuré S.R. avait un lien familial avec la conductrice principale S.L., alors qu’elle savait ou devait savoir que ce n’était pas le cas, en contravention avec les articles 29 et 37(7) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2);

Assuré M.D.L.

5.   Entre les ou vers les 23 mars et 27 avril 2018, a fait défaut d’exécuter le mandat que lui avait confié l’assuré M.D.L., soit d’obtenir une protection d’assurance pour un véhicule automobile 2011 Dodge RAM, en négligeant de procéder à l’émission du contrat d’assurance automobile nº 021101871 auprès de L’Unique assurances générales inc. requis le jour même, causant ainsi un découvert d’assurance, en contravention avec les articles 26 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.5).

[4]       D’autre part, vu l’absence de l’intimée, malgré une convocation en bonne et due forme, la syndic fut autorisée à procéder par défaut, le tout conformément au deuxième alinéa de l’article 144 du Code des professions (R.L.R.Q., c. C-26) ;

 


II.         Preuve de la partie plaignante

 

[5]       Comme seul et unique témoin, le Comité a entendu Me Pascal Paquette-Dorion, avocat et enquêteur au Bureau du syndic de la ChAD ;

 

[6]       Ce dernier a déposé, sans opposition vu l’absence de l’intimée, les pièces P-1 à P-31 ;

 

[7]       Le témoignage de l’enquêteur, ainsi que cette preuve documentaire, ont permis d’établir les faits suivants :

 

      L’intimée a omis de donner suite aux instructions de l’assuré D.R. (P-1 à P-5) de ne pas renouveler son contrat d’assurance-automobile (chef 1) ;

 

      Pour deux (2) autres assurés (I.H. et R.S.), l’intimée n’a pas offert l’avenant « débordement ou fuite de mazout » (P-6 à P-9), omettant ainsi de prendre les moyens requis pour que la garantie offerte réponde à leurs besoins (chef 2) ;

 

      Dans un autre cas (C.B.), l’intimée a résilié la police d’assurance de la résidence principale au lieu de celle du chalet de l’assuré malgré les instructions reçues (P-10 à P-14), faisant preuve, encore une fois, de négligence (chef 3) ;

 

      Dans un autre dossier (assuré S.R.), l’intimée a fait à l’assureur une fausse déclaration (P-15 à P-25) en déclarant que l’assuré S.R. avait un lien familial avec la conductrice principale alors qu’elle savait que ce n’était pas le cas (chef 4) ;

 

      Enfin, dans le dossier de l’assuré M.D.L., l’intimée a fait défaut d’obtenir une protection d’assurance-automobile (P-26 à P-30), causant ainsi un découvert d’assurance (chef 5) ;

 

[8]       C’est à la lumière de cette preuve non contredite que le Comité devra décider de la culpabilité ou de l’innocence de l’intimée ;

 

III.        Analyse et décision

 

A)        Règles de preuve

 

[9]       Dans un premier temps, le Comité tient à souligner qu’en raison des pouvoirs d’enquête conférés à la syndic et à ses adjoints, la preuve recueillie par ceux-ci, tel qu’en l’espèce, est admissible en preuve sans qu’il soit nécessaire d’assigner et de faire entendre tous et chacun des intervenants au dossier ;


[10]    Le dépôt de cette preuve constitue une preuve prima facie que les infractions ont été commises et constitue une exception à la règle interdisant le ouï-dire ;

[11]    Ainsi, à défaut d’être contredite, cette preuve est suffisante pour entraîner la condamnation de l’intimée ;

[12]    À cet égard, le Comité s’appuie, par analogie, sur l’affaire CSST c. Couvreur Toitures Mont-Rose Québec Ltée[1] :

[11]   Dans le dossier sous étude, l’avocat de l’appelante soutient que l’information et/ou les déclarations des employés de l’appelante soumises à M. Trudel, inspecteur à la CSST, sont des déclarations soumises à la règle des confessions et ne pouvaient être admises en preuve par le premier juge à moins que la poursuite n’ait établi à sa satisfaction que la déclaration ou l’information a été faite librement et de façon volontaire.

[12]   Sur cette question, le Tribunal est d’avis, dans un premier temps, que la preuve qui a été administrée devant le premier juge référait à des renseignements nominatifs transmis par certains employés de l’appelante et ne revêtait pas le caractère d’une déclaration par laquelle les représentants de l’appelante auraient pu reconnaître la responsabilité de leur mandant. Dans les circonstances, le Tribunal est d’avis que les dispositions habituelles concernant la règle des confessions n’ont pas d’application en l’espèce.

[13]   Subsidiairement, le Tribunal est également d’avis, en matière d’infraction réglementaire, que l’on ne saurait astreindre un organisme réglementaire et quasi judiciaire comme la CSST aux règles des confessions habituelles, à moins d’abus et de circonstances exceptionnelles.

[] 

[17]   Ainsi, il est essentiel selon le Tribunal d’examiner les objectifs poursuivis par la Loi sur la santé et la sécurité du travail pour apprécier le caractère raisonnable des conclusions du premier juge.

[18]   En effet, la Loi a comme objectif d’éliminer à la source les dangers potentiels pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs.

[19]   La Loi prévoit également certaines obligations pour assurer le respect de l’objectif de la Loi.

[20]   Pour s’assurer de l’application de la Loi, le législateur a octroyé à l’inspecteur désigné, un large pouvoir d’enquête qui se distingue des pouvoirs d’enquête des agents de la paix ou des forces policières en ce que l’objectif premier de l’enquêteur de la CSST est de s’assurer du respect de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, en permettant à ce dernier d’émettre des ordonnances sur-le-champ pour protéger la vie et la sécurité des ouvriers.

[21]   Son rôle administratif est dominant, et ce n’est que de façon accessoire que l’inspecteur de la CSST émettra un constat d’infraction alors que son premier devoir sera rempli, soit l’application de la Loi. En conséquence, le Tribunal est d’avis que l’inspecteur de la CSST n’est pas une personne en autorité au sens de la Loi et l’information ou déclaration qui lui est communiquée par les employés sur les lieux est admissible en preuve.

[22]    À cet égard, le Tribunal retient des enseignements de la Cour suprême dans les arrêts Hodgson et R. c. Jarvis.

[23]   En conclusion, le Tribunal est d’avis que toutes les informations colligées par M. Trudel, inspecteur à la CSST, de même que l’information nominative qu’il a recueillie lors de ses entretiens avec les six employés sur les lieux sont des faits ou des déclarations admissibles en preuve et que le premier juge s’est bien dirigé en faits et en droit pour conclure à la culpabilité de l’appelante en raison de cette preuve circonstancielle, mais dont la fiabilité n’a pas été mise en doute. (Nos soulignements)

 

[13]    Cela dit, le Comité tient à souligner que les notes consignées au dossier du cabinet ou des assureurs font preuve de leur contenu à moins d’une preuve contraire[2];

[14]    De plus, il y a lieu de souligner qu’en matière disciplinaire, la règle interdisant le ouï-dire comporte plusieurs assouplissements, tel que le rappelait la Cour du Québec dans l’affaire Alipoor c. Pinet[3] :

[102]      Dans l'arrêt Syndicat des travailleurs de l’information du Journal de Montréal c. Le Journal de Montréal, une division du Groupe Québécor inc., la Cour d'appel se prononce sur l'admissibilité de la preuve par ouï-dire devant un tribunal administratif en ces termes :

54.   La jurisprudence et les auteurs semblent également être d'avis que la même règle s'applique au ouï-dire: il ne sera sanctionné, par contrôle judiciaire, que dans la mesure où son admissibilité contrevient aux exigences de la règle de justice naturelle. Dans une décision maintes fois citées (Restaurants et Motels Inter-Cité Inc. c. Vassart, [1981] C.S. 1052, à la p. 1054) l'honorable Maurice Lagacé, analysant la doctrine et la jurisprudence pertinentes, s'exprime de la façon suivante:

C’est donc dire que si la procédure suivie par le commissaire intimé doit être appréciée en des principes voulant que les Tribunaux administratifs, tout en étant liés par les principes de justice naturelle, ne sont par ailleurs pas liés par les règles de procédure, de preuve, en cours devant les Tribunaux judiciaires, ceci explique d'ailleurs pourquoi la preuve par ouï-dire a été considérée admissible devant les Tribunaux administratifs lorsque les principes de justice naturelle n'avaient pas été violés.

S.A. De Smith, "Judicial review of Administrative Action" :

A tribunal may be entitled to base its decision on hearsay, written depositions or medical reports. In these circumstances a person aggrieved will normally be unable to insist on oral testimony of the original source of the information, provided that he has had a genuine opportunity to controvert that information.

[...]

En bref, s'il fallait résumer, il peut arriver en certains cas que l'admission d'une preuve par ouï-dire puisse créer un déni de justice, mais tout dépend des circonstances. Il a été décidé à plusieurs reprises que la procédure des Tribunaux administratifs diffère de celle des Tribunaux de droit commun en ce qu'ils peuvent fort bien s'accommoder d'une preuve de ouï-dire en autant qu'on ne prend pas par surprise la partie à laquelle on oppose une telle preuve et qu'au surplus on donne à cette dernière toute la latitude nécessaire pour se faire entendre et contredire si elle le désire une telle preuve. (pp. 1055-56)

[103]      Dans la cause Montréal (Ville de) c. Beaudry, la Cour supérieure traite de l'admissibilité de la preuve par ouï-dire devant un tribunal administratif en ces termes :

58.   Or, dans cette appréciation globale de la preuve, l'arbitre est souverain, tout en se trouvant au centre même de sa compétence15. En matière de preuve par ouï-dire, la jurisprudence reconnaît de surcroît qu'il n'est pas soumis aux mêmes exigences qu'un tribunal de droit commun. Il est maître de sa procédure. Il peut même parfois accepter une telle preuve dans la mesure où il respecte les principes de justice naturelle16.

[104]      Dans l'affaire Avocats c. Corriveau, le Tribunal des professions écrit :

[14]      Les moyens de preuve prévus au Code civil du Québec (articles 2803 et suivants) sont compris dans les «moyens légaux» de l'article 143 du Code des professions:

«Or, comme le Tribunal l'a déjà écrit à plusieurs reprises, le droit disciplinaire est un droit autonome qui tient à la fois et du droit civil et du droit pénal. Les Comités de discipline ne sont certainement pas liés par les règles de preuve du droit civil ni les règles de preuve du droit pénal, et ils ont donc une certaine latitude: latitude beaucoup plus grande que celle des tribunaux réguliers quant aux moyens de preuve.

Que veut dire cependant « recourir à tous les moyens légaux »?

Le Tribunal croit qu'il n'est pas nécessaire à ce stade-ci de se prononcer sur l'interprétation de ces mots, mais ils sont suffisamment larges pour que les comités de discipline selon les cas particuliers puissent employer des moyens qui, tout en n'étant pas admis devant les tribunaux réguliers, ne seraient pas illégaux devant eux.» (Nos soulignements)

 

[15]    Pour ces motifs, le Comité conclut que la partie poursuivante s’est déchargée de son fardeau de preuve[4];

B)       Conclusion

 

[16]    Considérant la preuve administrée, laquelle est demeurée non contredite vu l’absence de l’intimée, le Comité n’a d’autre choix que de conclure que la syndic s’est déchargée de son fardeau de preuve ;

 

[17]    Pour ces motifs et, plus particulièrement, en raison du fait que chacun des éléments essentiels de chaque chef d’accusation a été démontré de façon prépondérante, l’intimée sera reconnue coupable des chefs 1 à 5 de la plainte.

 

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

DÉCLARE l’intimée coupable de toutes les infractions reprochées et plus particulièrement comme suit :

Chef 1:     pour avoir contrevenu à l’article 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.5)

Chef 2 :    pour avoir contrevenu à l’article 39 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (R.L.R.Q.), c. D-9.2)

Chef 3 :    pour avoir contrevenu à l’article 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.5)

Chef 4 :    pour avoir contrevenu à l’article 37(7) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.5)

Chef 5 :    pour avoir contrevenu à l’article 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.5)

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’égard des autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien des chefs 1 à 5 de la plainte ;

PRONONCE une ordonnance de non-publication, de non-diffusion et de non-divulgation de tout renseignement ou information permettant d’identifier les assurés mentionnés à la plainte, le tout suivant l’article 142 du Code des professions (R.L.R.Q., c. C-26) ;

DEMANDE à la secrétaire du Comité de discipline de convoquer les parties pour les représentations sur sanction ;

LE TOUT, frais à suivre.

 

 

 

 

 

___________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

 

___________________________________

Mme Nathalie Boyer, C.d’A. Ass., A.I.B., courtier en assurance de dommages

Membre        

 

___________________________________

M. Serge Meloche, courtier en assurance de dommages

Membre

 

Me Jean-François Noiseux

Procureur de la partie plaignante

 

Mme Maude-Élène Brunelle (absente)

Partie intimée

 

Date d’audience : 20 mai 2020 (par visioconférence)

 

 

 



[1]    2007 QCCS 6983 (CanLII), confirmé par 2008 QCCA 1032 (CanLII);

[2]    ChAD c. Lévesque, 2013 CanLII 4787 (QC CDCHAD);

[3]    2011 QCCQ 15421;

[4]    Bisson c. Lapointe, 2016 QCCA 1078 (CanLII);

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.