Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No:

2019-05-01(E)

 

DATE :

Le 18 février 2020

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. Yvan Roy, FPAA, expert en sinistre

Membre

Mme Martine Carrier, FPAA, expert en sinistre

Membre

 

 

Me MARIE-JOSÉE BELHUMEUR, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

PIERRE GEMME, expert en sinistre

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

 

 

ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION DE NON-DIFFUSION ET

DE NON-ACCESSIBILITÉ DU NOM DES ASSURÉS

ET DE TOUTE INFORMATION PERMETTANT DE LES IDENTIFIER

(Art. 142 du Code des professions)

 

 

[1]       Le 9 décembre 2019, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2019-05-01(E) ;

 

[2]       Me Claude G. Leduc agissait pour le syndic et, de son côté, l’intimé assurait seul sa défense ;

 

I.          La plainte

 

[3]       L’intimé fait l’objet d’une plainte modifiée comportant plusieurs infractions, laquelle se lit comme suit :

 

1.      Le ou vers le 23 août 2017, alors qu’il offre ses services d’expert en sinistre et fait signer aux assurés A.M. et P.L. un contrat à cet effet, n’a pas agi avec intégrité et a fait des représentations fausses, trompeuses ou susceptibles d’induire en erreur, notamment en prétendant être en mesure d’obtenir au profit des assurés un règlement de 40 000 $ à 50 000 $ plus élevé que ce que l’assureur offrira et/ou qu’un autre ou que tout autre expert en sinistre pourrait obtenir, en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, les articles 15, 16, 20, 25, 58(1), 58(5) et 58(13) du Code de déontologie des experts en sinistre et l’article 14(2) du Règlement sur l’exercice des activités des représentants ;

2.      (…)

3.      Entre les ou vers les 23 août 2017 et 4 janvier 2018, dans le cadre de la réclamation des assurés A.M. et P.L., à la suite d’un sinistre survenu le 22 août 2017, a exercé ses activités de manière négligente, en ne donnant pas suite aux demandes des assurés, en ne les conseillant pas adéquatement, en retenant les services de l’entrepreneur Immo Excellence inc sans leur consentement et/ou s’assurer d’avoir clairement déterminé le rôle et les responsabilités de celle-ci, de même que les travaux qui seraient réalisés par elle ou par d’autres, en ne prenant pas charge de leur réclamation, en omettant de les facturer malgré la perception d’honoraires et en les tenant dans l’ignorance des discussions et échanges qu’il a eus, notamment avec les représentants d’Intact Compagnie d’assurance et de Banque TD, en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 10, 20, 21, 27, 33, 34 et 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistre ;

4.      Entre les ou vers les 23 août et 1er novembre 2017, dans le cadre de la réclamation des assurés A.M. et P.L., à la suite d’un sinistre survenu le 22 août 2017, n’a pas soumis auxdits assurés les offres de règlement soumises par Intact Compagnie d’assurance, en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 10, 19, 33, 34 et 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistre ;

5.      (… inclus à # 4) ;

6.      (… inclus à # 3) ;

7.      En novembre 2017, dans le cadre de la réclamation des assurés A.M. et P.L., à la suite d’un sinistre survenu le 22 août 2017, a fait à la Banque TD et/ou à son représentant une représentation fausse, trompeuse ou susceptible d’induire en erreur, en déclarant que les travaux à la propriété desdits assurés sont « … effectués 60 000 $ + /- ajouté électricien 8 437,86 $... », en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 10, 16, 20, 58(1) et 58(5) du Code de déontologie des experts en sinistre ;

8.      En décembre 2017, dans le cadre de la réclamation des assurés A.M. et P.L., à la suite d’un sinistre survenu le 22 août 2017, a fait à la Banque TD et/ou à son représentant une représentation fausse, trompeuse ou susceptible d’induire en erreur, en déclarant que les travaux à la propriété desdits assurés sont « … complété à 90 %... », en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 10, 16, 20, 58(1) et 58(5) du Code de déontologie des experts en sinistre ;

9.      En novembre 2017, alors qu’Intact Compagnie d’assurance émet en règlement de la réclamation des assurés A.M. et P.L. pour un sinistre survenu le 22 août 2017, un chèque d’indemnité de 98 000 $, a remis à Immo Excellence inc. une somme de 75 000 $ sans s’assurer de protéger les intérêts des assurés, en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 10, 20, 21 et 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistre ;

10.    Entre les ou vers les 23 août 2017 et 4 janvier 2018, a négligé ses devoirs professionnels reliés à l’exercice de ses activités, en n’ayant pas une tenue de dossier à laquelle on est en droit de s’attendre de la part d’un expert en sinistre, en ne notant pas au dossier notamment les rencontres, les communications téléphoniques, les renseignements donnés, les décisions prises et les instructions reçues, en contravention avec les articles 16 et 85 à 88 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, les articles 10 et 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistre, et les articles 12 et 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome.

[4]       D’entrée de jeu, l’intimé a enregistré un plaidoyer de culpabilité à l’encontre de la plainte modifiée ;

 

 

II.         Les faits

 

[5]       Le 22 août 2017, un immeuble à logement (4plex) fut lourdement endommagé suite une micro-rafale ;

 

[6]       Dès le lendemain du sinistre, l’intimé faisait signer aux assurés un contrat par lequel il offrait ses services d’expert en sinistre en prétendant être en mesure de leur obtenir un règlement de 40 000 $ à 50 000 $ plus élevé que ce que l’assureur pourrait leur offrir (chef 1) ;

[7]       L’intimé a commis plusieurs fautes déontologiques au cours de l’exécution de son mandat ;

[8]       C’est ainsi qu’il a retenu les services d’un entrepreneur sans le consentement des assurés et les a tenus dans l’ignorance des discussions et échanges qu’il avait avec les représentants de l’assureur (chef 3) ;

[9]       De plus, il n’a pas informé les assurés du montant des offres de règlement reçues de l’assureur et il a même accepté une offre de règlement sans leur consentement (chef 4) ;

[10]    L’intimé a également fait plusieurs fausses déclarations à l’institution financière des assurés quant à la valeur des travaux (chef 7) et quant à l’état d’avancement de ceux-ci (chef 8) ;

[11]    Mais il y a plus, ce dernier a remis à l’entrepreneur une somme de 75 000 $ reçue à même un chèque d’indemnité de 98 000 $, sans s’assurer de protéger les intérêts de ses clients (chef 9) ;

[12]    De plus, l’enquête a également permis d’établir que la tenue de dossier de l’intimé était déficiente et présentait plusieurs lacunes (chef 10) ;

[13]    Finalement, les assurés ont entamé des poursuites civiles en vue de récupérer les montants qu’ils avaient perdus, lesquelles poursuites ont été réglées hors cour ;

 

 

III.        Recommandations communes

 

[14]    Me Leduc, en accord avec l’intimé, suggère d’imposer à ce dernier les sanctions suivantes :

Chef 1 :                     une réprimande

Chef 3 :                     une amende de 5 000 $

Chefs 4, 7, 8 et 9 :   une amende de 4 000 $ sur chaque chef d’accusation

Chef 10 :                   une amende de 2 000 $

[15]    Le total de ces amendes représente un montant de 23 000 $ et les parties suggèrent d’appliquer le principe de la globalité et de réduire les amendes à une somme globale de 15 000 $ ;

[16]    Enfin, Me Leduc suggère de recommander au Conseil d’administration de la ChAD d’imposer à l’intimé l’obligation de suivre le cours de formation continue suivant :

      AFC-08593 : En avant-plan ma responsabilité d’expert en sinistre

[17]    De plus, l’intimé se verra condamné au paiement de tous les déboursés du dossier ;

[18]    Selon Me Leduc, les sanctions suggérées tiennent compte des précédents jurisprudentiels en semblable matière, soit :

      ChAD c. Girard, 2018 CanLII 73078 (QC CDCHAD) ;

      ChAD c. Fequet, 2019 CanLII 104542 (QC CDCHAD) ;

[19]    Les parties ont également considéré les facteurs aggravants suivants :

      Le sérieux et la gravité des infractions ;

      Le fait que celles-ci sont au cœur même de l’exercice de la profession ;

      La mise en péril de la protection du public ;

[20]    Elles ont également pris en considération les facteurs atténuants suivants :

      Le plaidoyer de culpabilité de l’intimé ;

      Son absence d’antécédents disciplinaires ;

      Sa bonne collaboration à l’enquête du syndic et au processus disciplinaire ;

      Le fait qu’il a admis sa responsabilité dès le début de l’enquête ;

[21]    De plus, l’intimé a modifié ses pratiques professionnelles et maintenant, il prend soin de confirmer, par courriel, à ses clients chacune de ses interventions ;

[22]    Finalement, l’intimé, de son côté, demande au Comité de lui accorder un délai de 24 mois pour acquitter le montant des amendes et des déboursés ;

IV.       Analyse et décision

 

[23]    Tel que le soulignait le Tribunal des professions dans l’affaire Ungureanu[1], « lorsque deux parties formulent une suggestion commune, elles doivent avoir une expectative raisonnable que cette dernière sera respectée. » [2] ;

[24]    Ce principe fut réitéré dernièrement par le Tribunal des professions dans l’affaire Génier[3] :

[22]      Le Conseil poursuit en citant des extraits de l’affaire Anthony-Cook et les décisions de notre tribunal dans Gauthier et Poirier, qui rappellent le critère à appliquer et l’importance pour les décideurs de « suivre » les recommandations communes vu leur importance à une saine administration de la justice. En particulier, le Conseil cite l’affaire Gauthier, dans laquelle notre tribunal écrivait ceci :

[25] La formulation des recommandations communes et d’une suggestion de sanction, sans être une panacée, constitue un rouage utile et parfois nécessaire à une saine administration de la justice. Pour reprendre les termes utilisés par la Cour d’appel dans l’affaire Dumont c. R, «il ne s’agit pas d’une règle formelle, mais plutôt d’une politique judiciaire nécessaire en vue d’encourager la négociation des plaidoyers de culpabilité». (Nos soulignements)

[25]    Cela dit, le Comité est d’avis que les sanctions suggérées ne sont pas susceptibles de déconsidérer l’administration de la justice et qu’elles ne sont pas contraires à l’intérêt public ;

[26]    Plus particulièrement, les sanctions suggérées par les parties, d’une part, reflètent adéquatement la gravité objective des infractions et, d’autre part, tiennent compte des facteurs atténuants propres au dossier de l’intimé ;

[27]    De l’avis du Comité, la protection du public est suffisamment assurée par celles-ci et l’intimé a fait preuve de remords et de repentir, diminuant ainsi d’autant le risque de récidive ;

[28]    Pour l’ensemble de ces motifs, les recommandations communes seront entérinées par le Comité.

 

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

ACCEPTE le dépôt d’une plainte modifiée ;

PREND acte du plaidoyer de culpabilité de l’intimé ;

DÉCLARE l’intimé coupable de toutes les infractions reprochées, plus particulièrement comme suit :

Chef 1:               pour avoir contrevenu à l’article 58(5) du Code de déontologie des experts en sinistre (RLRQ, c. D-9.2, r.4)

Chef 3 :              pour avoir contrevenu à l’article 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistre (RLRQ, c. D-9.2, r.4)

Chef 4 :              pour avoir contrevenu à l’article 34 du Code de déontologie des experts en sinistre (RLRQ, c. D-9.2, r.4)

Chef 7 :              pour avoir contrevenu à l’article 58(5) du Code de déontologie des experts en sinistre (RLRQ, c. D-9.2, r.4)

Chef 8 :              pour avoir contrevenu à l’article 58(5) du Code de déontologie des experts en sinistre (RLRQ, c. D-9.2, r.4)

Chef 9 :              pour avoir contrevenu à l’article 20 du Code de déontologie des experts en sinistre (RLRQ, c. D-9.2, r.4)

Chef 10 :            pour avoir contrevenu à l’article 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome (RLRQ, c. D-9.2, r.2) ;

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’égard de toutes les autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien desdits chefs d’accusation ;

IMPOSE à l’intimé les sanctions suivantes :

Chef 1 :              une réprimande

Chef 3 :              une amende de 5 000 $

Chef 4 :              une amende de 4 000 $

Chef 7 :              une amende de 4 000 $

Chef 8 :              une amende de 4 000 $

Chef 9 :              une amende de 4 000 $

Chef 10 :            une amende de 2 000 $

RÉDUIT le total des amendes (23 000 $) à une somme globale de 15 000 $ ;

 

RECOMMANDE au Conseil d’administration de la ChAD d’imposer à l’intimé l’obligation de suivre et de réussir le cours suivant :

      AFC-08593 : En avant-plan ma responsabilité d’expert en sinistre

CONDAMNE l’intimé au paiement de tous les déboursés ;

PERMET à l’intimé d’acquitter le total des amendes et des déboursés en 24 versements mensuels, égaux et consécutifs, débutant le 31e jour suivant la signification de la présente décision ;

DÉCLARE qu’advenant un défaut de paiement, toutes sommes dues deviendront alors exigibles, sans autre avis ni délai, et l’intimé perdra alors le bénéfice du terme et devra acquitter l’intégralité des sommes ;

PRONONCE une ordonnance de non-publication, de non-diffusion et de non-accessibilité du nom des assurés et de toute information permettant de les identifier (art. 142 du Code des professions).

 

 

 

____________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

 

____________________________________

M. Yvan Roy, FPAA, expert en sinistre

Membre        

 

____________________________________

Mme Martine Carrier, FPAA, expert en sinistre

Membre

Me Claude G. Leduc

Procureur de la partie plaignante

 

M. Pierre Gemme (personnellement)

Partie intimée

 

Date d’audience : 9 décembre 2019

 



[1]    Infirmières et infirmiers auxiliaires c. Ungureanu, 2014 QCTP 20 (CanLII) ;

[2]    Ibid., par. 21 ;

[3]    Notaire c. Génier, 2019 QCTP 79 (CanLII) ;

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