Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No:

2019-07-01(C)

 

DATE :

17 février 2020

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. Bernard Jutras, C.d’A.A., courtier en assurance de dommages

Membre

Mme Maryse Pelletier, C.d’A.A., courtier en assurance de dommages

Membre

 

 

Me MARIE-JOSÉE BELHUMEUR, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

ALAIN SÉVIGNY, courtier en assurance de dommages

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR SANCTION

 

 

[1]       Le 16 décembre 2019, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition sur sanction dans le dossier 2019‑07‑01(C) ;

 

[2]       Le syndic était alors représenté par Me Jean-François Noiseux et, de son côté, l’intimé se représentait seul ;

 

[3]       Le 17 octobre 2019, l’intimé fut reconnu coupable[1] des infractions suivantes :

 

1.   D’avoir été négligeant en omettant de communiquer avec l’assurée H.C. pour l’informer des démarches requises suite à l’annulation de ses polices d’assurance-habitation et d’assurance-automobile (chef 1) ;

2.   d’avoir eu une tenue de dossier négligente en omettant d’y noter les communications téléphoniques, les conseils donnés, les décisions prises et les instructions reçues (chef 8).

[4]       Cela dit, les parties ont alors procédé aux représentations sur sanction ;

 

I.          Preuve sur sanction

 

[5]       L’intimé n’étant pas représenté par avocat, le Comité a alors choisi de jouer un rôle plus actif afin de se conformer à son devoir d’assistance[2] ;

 

[6]       C’est ainsi que l’intimé fut invité à témoigner afin de lui permettre d’établir certaines circonstances atténuantes ;

 

[7]       Cette preuve testimoniale a permis d’établir les faits suivants :

 

         L’intimé est âgé de 57 ans ;

 

         Il est père d’un jeune enfant de 19 mois ;

 

         Il est dans le domaine de l’assurance depuis environ 40 ans ;

 

         Son revenu annuel est de l’ordre de 30 000$

 

         Depuis la date des évènements, il a modifié ses méthodes de travail ;

 

         Il utilise un nouveau logiciel (Power broker) pour la gestion de ses dossiers-clients ;

 

         Finalement, il a amélioré sa tenue de dossier en notant toutes ses communications et ses interventions.

 

[8]       Suite à ce court témoignage, les parties ont présenté leurs arguments quant aux sanctions devant être imposées à l’intimé ;

II.         Représentations sur sanction

 

A)        Par le syndic

 

[9]       Me Noiseux demande au nom du syndic, d’imposer à l’intimé les sanctions suivantes :

Chef 1:        Une amende de 2 500$ ;

Chef 8:        Une amende de 2 000$.

[10]    De plus, le syndic suggère d’imposer à l’intimé l’obligation de suivre un cours de formation continue portant sur la conformité et la relation-client (AFC-06573) ;


[11]    Évidemment, tous les déboursés du dossier devraient être à la charge de l’intimé ;

[12]    Parmi les facteurs aggravants, Me Noiseux identifie les suivants :

  • La gravité objective des infractions ;
  • Le fait que ceux-ci se situent au cœur de l’exercice de la profession ;
  • L’expérience de l’intimé (40 ans) ;
  • Le découvert d’assurance tant pour l’automobile que pour l’habitation de la cliente ;
  • La durée des infractions, la cliente ayant été à découvert durant plusieurs mois ;

[13]    Quant aux circonstances atténuantes, le procureur du syndic reconnait que l’intimé doit bénéficier des facteurs suivants :

  • Dès le début du dossier, il a reconnu les faits générateurs des infractions déontologiques ;
  • Il n’a tiré aucun bénéfice personnel des infractions ;
  • La cliente n’a pas subi de préjudice, malgré la négligence de l’intimé ;
  • Il a formulé des regrets et surtout, il a modifié ses méthodes de travail.

[14]    Quant à l’amende de 2 500$ requise pour le chef no. 1 (découvert d’assurance), la partie poursuivante prend appui sur les précédents :

  • Chambre de l’assurance de dommages c. Verret, 2019 CanLII 47053 (QC CDCHAD) ;
  • Chambre de l’assurance de dommages c. Daoust, 2017 CanLII 3855 (QC CDCHAD) ;
  • Chambre de l’assurance de dommages c. Vaval, 2016 CanLII 66957 (QC CDCHAD) ;
  • Chambre de l’assurance de dommages c. Latreille, 2016 CanLII 4233 (QC CDCHAD).

[15]    Pour le chef no. 8 (tenue de dossier), le syndic nous réfère aux jugements suivants :

  • Chambre de l’assurance de dommages c. Larivière, 2018 CanLII 122743 (QC CDCHAD) ;
  • Chambre de l’assurance de dommages c. Gagnon, 2017 CanLII 30960 (QC CDCHAD) ;
  • Chambre de l’assurance de dommages c. Gouin, 2016 CanLII 53909 (QC CDCHAD).

[16]    Finalement, le syndic conclut au caractère juste et raisonnable des sanctions suggérées et demande, en conséquence, au Comité, d’entériner sa suggestion ;

B)       Par l’intimé

 

[17]    De son côté, l’intimé na pas vraiment suggéré de sanction, mais s’est plutôt limité à rappeler au Comité qu’il a pris les moyens nécessaires pour éviter la répétition des gestes reprochés ;

III.        Analyse et decision

 

A)        Motifs d’ordre général

 

[18]    Les sanctions suggérées par le syndic s’inscrivent dans la fourchette des peines habituellement imposées pour ce type d’infraction, tel que démontré par la jurisprudence produite à l’audition ;

[19]    Elles ont également l’avantage de tenir compte de l’ensemble des circonstances aggravantes et atténuantes, propres au dossier de l’intimé ;

[20]    Par contre, de l’avis du Comité, celles-ci ne prennent pas en ligne de compte le principe de la globalité des sanctions ;

B)       Le principe de la globalité

 

[21]    Ainsi, chaque sanction prise individuellement tient compte d’une part, de la gravité objective de l’infraction reprochée et d’autre part, des circonstances atténuantes dont l’intimé doit bénéficier ;

[22]    Cependant, lorsqu’envisagé sous l’angle de la globalité et surtout, si l’on considère la situation financière et familiale de l’intimé, alors celles-ci deviennent accablantes et même punitives[3] ;

[23]    Cela dit, avec égard pour l’opinion contraire[4], le principe de la globalité est encore d’actualité lorsqu’il s’agit de décider de la sanction devant être imposée à un intimé en matière disciplinaire ;

[24]    D’ailleurs, dans un arrêt récent[5], le Tribunal des professions concluait que l’omission de tenir compte du principe de la globalité constitue une erreur de principe[6] pour les motifs suivants :

[205]    Pour le Tribunal, cette omission constitue une erreur de principe. En effet, la Cour d’appel a rappelé encore récemment l’importance de considérer le principe de la totalité des peines en droit criminel. Voici comment elle s’exprime dans l’affaire Desjardins[57] :  

[33]        Dans le but d’éviter cette distorsion et ces effets non voulus, la peine juste et appropriée pour chaque chef d’accusation devrait être déterminée selon les objectifs et principes applicables à la détermination des peines et le caractère concurrent ou consécutif de chacune de ces peines par rapport aux autres peines infligées devrait être prononcé, le tout sans égard à la peine totale qui peut en résulter.

[34]        Ce n’est qu’une fois que ce travail est effectué que le principe de la totalité des peines devrait être considéré. Si, en application de ce principe, le tribunal estime que la peine totale devrait être réduite, il est alors préférable, dans la mesure du possible, de rendre les peines en cause concurrentes afin d’atteindre ce but. Si la méthode des peines concurrentes ne peut donner une peine totale juste et appropriée, le tribunal peut alors réduire une ou plusieurs des peines sur certains chefs afin d’atteindre la peine totale appropriée.

[35]        La détermination de la peine doit demeurer un exercice transparent et, à cette fin, le tribunal doit indiquer lesquelles des peines autrement consécutives sont devenues concurrentes à cause du principe de la totalité des peines ou, le cas échéant, lesquelles des peines identifiées ont été réduites à cette fin.

[36]        Si un certain flottement jurisprudentiel existait quant à la méthode appropriée pour déterminer la peine totale lors d’infractions multiples menant à des peines consécutives, il semble maintenant acquis que la méthode décrite ci-dessus (la méthode de la « peine totale ») est celle qui doit être privilégiée.

(Soulignements du Comité)

[206]    De même, il est aussi possible de déterminer une peine globale pour ensuite la répartir entre les différentes infractions, comme le suggère la Cour d’appel dans l’affaire Guerrero [58] :

[55]        Malgré cette souplesse apparente et relative, l’approche à privilégier en présence d’infractions multiples, surtout lorsque les parties ne s’entendent pas et que les accusations émanent d’événements distincts, est de fixer les peines pour chacune des infractions, de décider si elles doivent être concurrentes ou consécutives et enfin, dans ce dernier cas, de déterminer si le tout enfreint les règles de la totalité (art. 718.2c) C.cr.) et de la proportionnalité (art. 718.1 C.cr.). Des ajustements sont alors possibles pour obtenir la peine appropriée dans un cas donné. Certes, le juge peut d’abord déterminer la peine globale pour ensuite la répartir entre les différentes infractions. À la limite, l’exercice est le même, bien que la première approche, en s’attardant à chaque infraction individuellement, semble permettre une meilleure corrélation entre, d’une part, la peine et, d’autre part, le crime et le criminel. 

[207]    Reste maintenant à décider si cette erreur a un impact sur les sanctions imposées.

[208]    Les amendes, les périodes de radiation temporaire et la suspension de l’exercice professionnel de l’appelant dans trois domaines spécifiques constituent, pour le Tribunal, un fardeau accablant pour l’appelant[59]. En effet, le cumul de ces sanctions apparaît démesuré. Au surplus, il confère aux sanctions un caractère punitif, ce qui n’est pas l’objectif du droit disciplinaire[60].

(Soulignements du Comité)

C)       Conclusion

 

[25]    Pour ces motifs, les sanctions suggérées par le syndic seront entérinées, mais elles seront réduites à une somme globale de 2 000$ ;

[26]    De plus, tel que suggéré par le syndic, le Comité recommande au Conseil d’administration de la Chambre de l’assurance de dommages d’imposer à l’intimé le cours de formation continue numéro AFC-06573 afin de donner à la sanction un volet éducatif propre à assurer, pour l’avenir, une meilleure protection du public ;

[27]    Enfin, vu la situation financière et familiale de l’intimé, un délai de paiement de douze (12) mois lui sera accordé pour acquitter le montant des amendes et des déboursés ;

[28]    De plus, le montant des déboursés sera limité à 75%, vu que l’intimé a été acquitté de deux (2) chefs sur huit (8), soit 25% des infractions reprochées ;

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

IMPOSE à l’intimé les sanctions suivantes :

Chef 1 :            une amende de 2 500$ ;

RECOMMANDE au Conseil d’administration de la Chambre de l’assurance de dommages d’imposer à l’intimé, l’obligation de suivre et de réussir, dans un délai de douze (12) mois, le cours suivant :

AFC-06573 « La conformité et la relation-clients : comment éviter les problèmes »


DÉCLARE que ledit cours ne donnera pas droit à des unités de formation continue (UFC), le tout conformément au deuxième alinéa de l’article 10 du Règlement sur la formation continue de la Chambre de l’assurance de dommages (R.L.R.Q. c. D-9.2, R. 12.1)

Chefs 8 : une amende de 2 000$ ;

RÉDUIT le montant total des amendes susdites à la somme globale de 2 000$, le tout suivant le principe de la globalité des sanctions ;

CONDAMNE l’intimé au paiement de 75% des déboursés du dossier ;

PERMET à l’intimé d’acquitter le montant des amendes et des déboursés en douze (12) versement mensuels, égaux et consécutifs, débutant le premier jour du mois suivant la signification de la présente décision ;

DÉCLARE qu’à défaut de respecter l’un ou l’autre des versements ci-haut mentionnés, l’intimé perdra le bénéfice du terme et alors le solde de sa dette deviendra dû et exigible, sans autre avis, ni délai.

 

 

___________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

 

___________________________________

M. Bernard Jutras, C.d’A.A., courtier en assurance de dommages

Membre        

 

___________________________________

Mme Maryse Pelletier, C.d’A.A., courtier en assurance de dommages

Membre

 

Me Jean-François Noiseux

Procureur de la partie plaignante

 

M. Alain Sévigny (se représentant seul)

Partie intimée

 

Date d’audience : 16 décembre 2019

 



[1] Chambre de l'assurance de dommages c. Sévigny, 2019 CanLII 112815 (QC CDCHAD) ;

[2] Attara c. Dentistes (Ordre professionnel des), 2019 QCTP 123 (CanlII) ;

[3] Brochu c. Médecins, 2002 QCTP 2, par. 62 et 65

[4] S. TISSERAND, « Existe-t-il vraiment une amende minimale en droit disciplinaire » S.F.P.B.Q., Développement récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire (2019), Vol. 458, p. 357-433, Éditions Yvon Blais, 2019 ;

[5] Duguay c. Dentistes (Ordre professionnel des), 2019 QCTP 31 ;

[6] Ibid, par. 205 ;

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