Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No:

2019-01-01(C)

 

DATE :

22 juillet 2019

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. Michaël Léveillée, courtier en assurance de dommages

Membre

M. Jacques D’Aragon, C.d’A.Ass., courtier en assurance de dommages

Membre

 

 

Me MARIE-JOSÉE BELHUMEUR, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

MAUDE-ELENE BRUNELLE, courtier en assurance de dommages (inactive)

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

 

 

[1]       Le 12 avril 2019 et le 28 mai 2019, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2019-01-01(C) ;

 

[2]       Le syndic se représentait seul, par contre, l’intimée a fait défaut de se présenter lors de l’audition du 28 mai 2019, mais elle fut présente le 12 avril 2019 ;

 

 

I.          La plainte

 

[3]       L’intimée fait l’objet d’une plainte comportant un seul chef d’accusation, soit :

 

1.   Depuis novembre 2018 jusqu’à ce jour, a entravé directement ou indirectement le travail du syndic de la Chambre de l’assurance de dommages en faisant défaut de répondre à ses demandes dans le cadre d’une enquête, en contravention avec l’article 342 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D‑9.2) et les articles 34 et 35 du Code de déontologie des représentants en assurances de dommages (RLRQ, c. D‑9.2, r.5);

 

[4]       Au moment de l’audition du 12 avril 2019, l’intimée a enregistré un plaidoyer de culpabilité à l’encontre de la plainte ;

[5]       En conséquence, celle-ci fut déclarée coupable, séance tenante, des infractions reprochées au chef 1 de la plainte ;

[6]       Cela dit, les pièces P-1 à P-9 furent déposées de consentement pour équivaloir à témoignage[1] ;

[7]       Les parties ont alors convenu de reporter les représentations sur sanction à une date ultérieure ;

[8]       Finalement, l’intimée s’est engagée à faire parvenir au syndic les renseignements et documents visés par le chef 1 de la plainte au plus tard le 30 avril 2019 ;

[9]       En pratique, ces documents furent remis entre les mains du syndic le 24 avril 2019 ;

 

II.         Preuve sur sanction

 

[10]    Vu l’absence de l’intimée au moment de l’audition sur sanction du 28 mai 2019, le Comité n’a pas pu bénéficier de la version de l’intimée ;

[11]    En conséquence, seule la partie plaignante a procédé à un court résumé des faits à l’origine de la présente plainte ;

[12]    Essentiellement, cette preuve (P-1 à P-9) démontre que, malgré plusieurs demandes écrites et verbales, l’intimée a refusé et/ou négligé de faire parvenir au syndic sa réponse au questionnaire qui lui fut adressé par ce dernier ;

[13]    Ce faisant, l’intimée a fait entrave au travail du syndic en l’empêchant de compléter son enquête ;

[14]    Cela dit, il convient maintenant de déterminer la sanction appropriée au cas de l’intimée ;

 

III.        Représentations sur sanction

 

[15]    Le syndic suggère d’imposer à l’intimée une période de radiation de 30 jours ;

[16]    À cet égard, elle souligne certains facteurs aggravants, tel que :

      La mise en péril de la protection du public ;

      Le niveau de gravité de l’infraction ;

      Le caractère répétitif et la durée des infractions ;

[17]    Quant aux circonstances atténuantes, elle reconnaît que l’intimée devrait bénéficier de certaines d’entre elles, notamment les suivantes :

      L’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité dès la première occasion ;

      L’absence d’antécédents disciplinaires ;

      Le faible risque de récidive puisque l’intimée n’a pas l’intention de revenir à la pratique ;

      Le fait que les documents ont finalement été transmis au Bureau du syndic ;

[18]    À l’appui de ses prétentions, le syndic dépose une série de décisions, soit :

      ChAD c. Boudreault, 2008 CanLII 76863 (QC CDCHAD) ;

      ChAD c. Mayer et Guertin, 2010 CanLII 39766 (QC CDCHAD) ;

      ChAD c. Gignac, 2014 CanLII 76158 (QC CDCHAD) ;

      Lebel c. Riendeau, 2017 CanLII 11683 (QC OACIQ) ;

      Riendeau c. Deschamps, 2018 QCCQ 5664 ;

      Barreau du Québec c. Van Rensselaer, 2006 CanLII 53426 (QC CDBQ) ;

[19]    Cette jurisprudence démontre, à son avis, qu’une période de radiation de 30 jours s’inscrit parfaitement dans la fourchette des sanctions habituellement imposées pour ce type d’infraction ;

[20]    Pour l’ensemble de ces motifs, le syndic demande au Comité d’imposer à l’intimée une période de radiation de 30 jours ;

[21]    Enfin, vu que l’intimée est actuellement inactive, le syndic suggère de rendre exécutoire cette radiation uniquement à compter de la remise en vigueur du certificat de l’intimée ;


IV.       Analyse et décision

 

A)   Le plaidoyer de culpabilité

[22]    Suivant la jurisprudence[2], un plaidoyer de culpabilité équivaut à une reconnaissance que les faits reprochés constituent une faute déontologique ;

[23]    D’ailleurs, dans l’affaire Castiglia c. Frégeau[3], la Cour du Québec écrivait :

[28]        Le Syndic a raison de soutenir que Frégeau, ayant plaidé coupable à l’audition sur culpabilité, il ne peut remettre en question ce plaidoyer qui constitue une admission des principaux faits allégués dans la plainte. À cet égard, le Syndic réfère le Tribunal à l’arrêt de principe de la Cour d’appel de Lefebvre c. La Reine, où la Cour d’appel conclut qu’un plaidoyer de culpabilité consiste à admettre l’ensemble des éléments de l’infraction et que sa peine doit être évaluée à partir de ce fondement.

[29]        Ce même principe a été reconnu par le Tribunal des professions dans Pivin c. Inhalothérapeutes, où le Tribunal confirme qu’un plaidoyer en droit disciplinaire, est la reconnaissance par le professionnel des faits qui lui sont reprochés et du fait qu’ils constituent une faute déontologique. (Nos soulignements)

 

[24]    Dans l’arrêt Duquette c. Gauthier[4], la Cour d’appel va même plus loin en déclarant que :

[20]    Le Tribunal est conscient que la décision sur une demande de retrait de plaidoyer procède du pouvoir discrétionnaire du Comité et qu'il s'agit d'une question de droit. Le plaidoyer de culpabilité emporte en soi un aveu que l'accusé a commis le crime imputé, de même qu'un consentement à ce qu'une déclaration de culpabilité soit inscrite sans autre forme de procès. (Nos soulignements)

 

[25]    D’autre part, dans l’affaire Boudreau c. Avocats[5], le Tribunal des professions a reconnu qu’il s’agissait d’un facteur atténuant dont le Comité devait tenir compte :

[25]    Cela dit, d'autres reproches formulés méritent plus d'attention. Selon l'appelant, le Conseil a ignoré les conséquences atténuantes pouvant découler du plaidoyer de culpabilité, surtout lorsqu'il est enregistré, comme ici, à la première occasion. En reconnaissant sa culpabilité, l'appelant admet avoir commis des actes répréhensibles qui constituent une faute déontologique. Ce faisant, l'appelant a permis d'éviter l'instruction de la plainte disciplinaire, imposant notamment à son ex‑cliente les embûches d'un témoignage. L'appelant a raison de reprocher au Conseil d'avoir occulté ce facteur atténuant. (Nos soulignements)

 

[26]    Cela dit, le Comité verra à considérer le plaidoyer de culpabilité à titre de facteur atténuant au moment de déterminer la sanction appropriée au cas de l’intimée ;

 

B)       L’infraction d’entrave

 

[27]    Plusieurs dispositions de la Loi[6] et du Code de déontologie[7] obligent les courtiers en assurance de dommages à répondre aux demandes de renseignements formulées par le syndic et/ou ses enquêteurs ;

[28]    À cet égard, il y a lieu de citer l’article 342 LDPSF, lequel édicte :

 

342. Nul ne peut entraver le travail d’un enquêteur, notamment en l’induisant en erreur.

 

[29]    De façon plus précise, le Code de déontologie[8] impose des obligations spécifiques aux représentants en assurance de dommages :

34. Le représentant en assurance de dommages doit répondre dans les plus brefs délais à toute correspondance provenant du syndic, du cosyndic ou d’un adjoint du syndic dans l’exercice des fonctions qui leur sont dévolues par la Loi ou ses règlements d’application.

34.1. Le représentant en assurance de dommages doit se présenter, dès qu’il en est requis, à toute rencontre à laquelle il est convoqué par le syndic, un adjoint du syndic ou un membre de leur personnel.

35. Le représentant en assurance de dommages ne doit pas entraver, directement ou indirectement, le travail de l’Autorité, de la Chambre, de l’un de ses comités, du syndic, du cosyndic, d’un adjoint du syndic de la Chambre ou d’un membre de leur personnel.

 

C)       L’obligation de collaborer

 

[30]    Toute forme d’entrave au travail du syndic cause un préjudice grave à la protection du public au point tel que le législateur a jugé opportun, en 2008, d’en faire un motif pour obtenir la radiation provisoire et immédiate de l’intimée[9] ;


[31]    Concernant l’importance de collaborer à l’enquête du syndic, il convient de citer certains extraits de l’arrêt Coutu c. Pharmaciens[10] :

[42]    Cette exigence s’inscrit dans la mission des ordres professionnels, dont la principale fonction est d’assurer la protection du public, entre autres, en contrôlant l’exercice de la profession par leurs membres.

[…]

[54]    En matière disciplinaire, où l’exercice d’une profession doit être vu comme un privilège, nier au syndic le pouvoir de contraindre le professionnel qui est l’objet d’une enquête de le rencontrer, aurait pour effet de permettre une brèche importante dans la finalité de la déontologie et de la discipline qui est la protection du public.

[55]    Le syndic a non seulement le pouvoir, mais, dans certains cas, il a le devoir de rencontrer le professionnel.  Même si celui-ci peut être contraint de témoigner devant le Comité de discipline (art. 147 C. prof.), il faut éviter que le syndic doive porter plainte pour connaître la version du professionnel.

[57]    Le Tribunal s’est déjà penché sur les pouvoirs du syndic d’un ordre professionnel.  Ainsi, dans Roy c. Médecins (Ordre professionnel des) le Tribunal écrit :

« Contrairement à l’accusé en droit pénal qui n’est jamais tenu de répondre aux questions de policiers et ne peut être contraint de témoigner à l’enquête préliminaire ou au procès, le professionnel a l’obligation de collaborer avec le syndic dans le cadre de son enquête (art. 122 du Code des professions), et il est un témoin contraignable devant le Comité de discipline (art. 149).  Le syndic a accès à ses dossiers et peut l’interroger relativement à l’objet de son enquête.  Il prend donc connaissance d’une bonne partie de la preuve grâce aux pouvoirs que lui confère le Code des professions.  Il peut également, lors de l’audition, forcer le professionnel à répondre à ses questions. […] »                                (Soulignement ajouté)

[58]    L’intimé a raison d’insister pour dire que ce n’est pas le professionnel qui doit définir les modalités de l’enquête d’un syndic.  Celui-ci doit demeurer libre de mener son enquête comme il l’entend.  S’il abuse ou s’il est négligent dans l’exercice de ce pouvoir, le professionnel ou d’autres intéressés ne sont pas privés de recours. (Nos soulignements)

 

[32]    Quant à la profession de courtier en assurance de dommages, il faut se référer à la décision Duclos[11] :

[15]    L’infraction consistant à entraver la syndic dans le cadre des fonctions qui lui sont dévolues par la loi constitue une infraction dont la gravité objective ne fait plus aucun doute puisque le pouvoir d’enquête du syndic constitue la pierre d’assise du système professionnel;

[16]    D’ailleurs, la gravité objective particulièrement élevée de ce genre d’infraction a été reconnue à de nombreuses reprises par le Tribunal des professions;

 

[33]    Il ressort de l’ensemble de cette jurisprudence, elle-même fondée sur les enseignements de la Cour suprême[12], que l’obligation de répondre aux demandes de renseignements est impérative et qu’elle ne souffre d’aucune exception ;

 

[34]    Mais il y a plus, la Cour d’appel, dans l’arrêt Coutu[13], déclarait 

[13]      Or, la conclusion du Tribunal qu'il y a eu entrave au sens de l'art. 114 C. prof. ne peut être qualifiée de déraisonnable puisque cette disposition énonce expressément comme exemple d'entrave le fait « de refuser de lui [syndic ou inspecteur] fournir un renseignement ». Il s'ensuit que le membre d'un ordre a l'obligation légale de collaborer avec un syndic qui enquête.

[14]      En l'espèce, l'intimé pouvait donc être considéré comme refusant de collaborer en choisissant de ne pas donner suite aux demandes répétées du syndic de le rencontrer.

[15]       En somme, le Tribunal semble avoir adopté une interprétation du mot « entrave » conforme à celle énoncée par la Cour suprême dans Moore c. La Reine, 1978 CanLII 160 (CSC), [1979] 1 R.C.S. 195, soit le défaut de donner suite à une obligation légale à la demande d'une personne en autorité pour la faire. (Nos soulignements)

 

[35]    Bref, il s’agit d’une infraction particulièrement grave qui mérite d’être fortement réprimée puisqu’elle porte directement atteinte à la protection du public ;

 

D)       La sanction appropriée

 

[36]    Après analyse de la jurisprudence et en tenant compte, d’une part, des facteurs aggravants et, d’autre part, des facteurs atténuants, le Comité considère que la sanction suggérée par le syndic est juste et raisonnable ;

[37]    De plus, cette sanction a l’avantage d’assurer adéquatement la protection du public sans punir outre mesure l’intimée ;

[38]    Pour ces motifs, l’intimée se verra imposer une période de radiation temporaire de 30 jours.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimée ;

DÉCLARE l’intimée, en date du 12 avril 2019, coupable de toutes et chacune des infractions reprochées au chef 1 et plus particulièrement comme suit :

Chef 1:               pour avoir contrevenu à l’article 34 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.5);

 

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’encontre de toutes les autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien du chef 1 de la plainte ;

IMPOSE à l’intimée, en date des présentes, la sanction suivante :

Chef 1 :    une radiation temporaire de 30 jours exécutoire à compter de la remise en vigueur du certificat de l’intimée ;

ORDONNE à la secrétaire du Comité de discipline de faire publier dans un journal circulant dans le lieu où l’intimée a son domicile professionnel, un avis de la présente décision, à la date de remise en vigueur du certificat de l’intimée ;  

CONDAMNE l’intimée au paiement de tous les déboursés, incluant, le cas échéant, les frais de publication de l’avis de radiation.

 

 

 

___________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

 

___________________________________

M. Michaël Léveillée, courtier en assurance de dommages

Membre        

 

___________________________________

M. Jacques D’Aragon, C.d’A.Ass., courtier en assurance de dommages

Membre

 


 

Me Marie-Josée Belhumeur (personnellement)

Partie plaignante

 

Mme Maude-Elene Brunelle (personnellement)

Partie intimée

 

Dates d’audience : 12 avril et 28 mai 2019

 

 

 



[1]    Laurin c. Chauvin, 2006 QCCQ 6115 (CanLII), par. 36 à 48);

[2]        Pivin c. Inhalothérapeutes2002 QCTP 32 (CanLII);

     Lemire c. Médecins, 2004 QCTP 59 (CanLII);

     Mercier c. Médecins, 2014 QCTP 12 (CanLII);

[3]        2014 QCCQ 849 (CanLII);

[4]        2007 QCCA 863 (CanLII);

[5]        2013 QCTP 22 (CanLII);

[6]        Loi sur la distribution des produits et services financiers (R.L.R.Q., c. D-9.2);

[7]        Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.5);

[8]        Ibid.;

[9]        Art. 130 . C.prof., tel qu’amendé par L.Q. 2008, c. 11, .100;

[10]      Coutu c. Pharmaciens (Ordre professionnel des), 2009 QCTP 17 (CanLII), confirmé par Chartrand c. Coutu, 2012 QCCA 2228 (CanLII) ;

[11]      CHAD c. Duclos, 2006 CanLII 53736 (QC CDCHAD);

[12]      Pharmascience c. Binet, 2006 CSC 48 (CanLII);

[13]   Chartrand c. Coutu, 2012 QCCA 2228 (CanLII);

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