Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

2018-10-03(A)

 

 

 

DATE :

 16 juillet 2019

 

 

LE COMITÉ :

Me Daniel M. Fabien, avocat

Vice-président

Mme Mireille Gauthier, PAA, agent en assurance de dommages

Membre

Mme Marjolaine Beaulieu, agent en assurance de dommages

Membre

 

 

ME MARIE-JOSÉE BELHUMEUR, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

 

Partie plaignante

c.

 

 

CARL BENJAMIN, courtier en assurance de dommages des entreprises (4C)

 

 

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

 

 

[1]          Les 20 et 21 mars 2019, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages (le « Comité ») se réunit en la ville de Québec afin de procéder à l’instruction de la plainte contre l’intimé Carl Benjamin dans le présent dossier.

[2]          La partie plaignante est présente et représentée par Me Sylvie Poirier.

[3]          L’intimé est également présent et il assure lui-même sa défense.

 

I.          Le plainte modifiée contre l’intimé

 

[4]          La plainte déposée contre l’intimé en date du 5 octobre 2018 lui reprochait ce qui suit, à savoir :

          « 1. À Québec, vers décembre 2016, à l’occasion du renouvellement du contrat d’assurance des entreprises no 0129082.7 émis par La Federated, Compagnie d’assurance du Canada, pour le terme 2016-2017, a fait défaut d’agir en conseiller consciencieux, en omettant d’ajouter C.G.J. inc. comme assurée désignée audit contrat et de souscrire un nouveau contrat d’assurance des entreprises distinct au nom de l’assurée C.G.J. (2015) inc., en contravention avec les articles 37(1) et 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.5); »

 

[5]          Séance tenante, et sans objection de la part de M. Benjamin, à la demande du syndic, la plainte est modifiée afin qu’elle se lise dorénavant comme suit :

 

          « 1. À Québec, vers décembre 2016, à l’occasion du renouvellement du contrat d’assurance des entreprises no 0129082.7 émis par La Federated, Compagnie d’assurance du Canada, pour le terme 2016-2017, a fait défaut d’agir en conseiller consciencieux, en omettant (…) de souscrire un nouveau contrat d’assurance des entreprises distinct au nom de l’assurée C.G.J. (2015) inc., en contravention avec les articles 37(1) et 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.5); »

 

[6]          Le syndic reproche à l’intimé d’avoir enfreint les articles 37(1o) et 37(6o) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, lesquels se lisent comme suit :

 

                     « Art. 37. Constitue un manquement à la déontologie, le fait pour le représentant en assurance de dommages d’agir à l’encontre de l’honneur et de la dignité de la profession, notamment:

 

1°  d’exercer ses activités de façon malhonnête ou négligente;

 

(…)

 

de faire défaut d’agir en conseiller consciencieux en omettant d’éclairer les clients sur leurs droits et obligations et en ne leur donnant pas tous les renseignements nécessaires ou utiles; »

 

 

 

 

II.         Le contexte

 

[7]          En tout temps pertinent, Construction Gaston Jacques inc. (« C.G.J. inc. ») est assurée par l’entremise de La Federated, Compagnie d’assurance du Canada, suivant les termes d’une police d’assurance responsabilité civile des entreprises no. 0129082.7 (« la police d’assurance »).

[8]          Cette société par actions est détenue par M. Gaston Jacques.

[9]          C.G.J. inc. opère une entreprise qui construit des immeubles et qui détient également aussi des immeubles qu’elle met en vente auprès du public.

[10]       À son décès, M. Jacques lègue l’entreprise de construction d’immeubles exploitée par C.G.J. inc. à son fils Stéphane et les immeubles détenus par celle-ci à ses autres enfants.

[11]       Afin d’isoler l’entreprise de construction des autres biens immeubles appartenant à C.G.J. inc., au mois de mai 2015, Stéphane Jacques constitue une nouvelle société par actions, dénommée Construction Gaston Jacques (2015) inc. (ci-après « 2015 inc. »).

[12]       Suite à la constitution de 2015 inc., une représentante de celle-ci communique avec la Federated afin d’obtenir de l’assurance pour cette nouvelle entité.

[13]       Or, dès ce moment, il se produit plusieurs erreurs, dont le retrait de C.G.J. inc. de la police d’assurance et son remplacement par 2015 inc.

[14]       En effet, le 29 septembre 2015, M. François Paquet, gestionnaire de compte pour La Federated, croit erronément que C.G.J. inc. a changé son nom ou sa dénomination sociale pour 2015 inc., ce qui n’était pas le cas puisque 2015 inc. est une entité légale complètement distincte de C.G.J. inc.

[15]       M. Paquet prépare donc un formulaire de modification de police[1] qu’il transmet à M. Marco Tassi du département de la souscription dans lequel il requiert les modifications suivantes à la police d’assurance de C.G.J. inc., à savoir :

«       - Changer le nom de l’assuré pour : Construction Gaston Jacques (2015) inc.

-       (…)

-       Changer le nom du propriétaire : Stéphane Jacques, homme, 100 %

-       Ajouter assuré supplémentaire (BP100.7) sur les bâtiments 3-1, 4-1, 4-2 et 5-1

- nom : Construction Gaston Jacques inc.

- adresse : 1-2750 route Lagueux, Lévis, Qc, G6J 1A3

- intérêt : Bâtiment, perte de loyer, responsabilité, bris de machine »

 

[16]       Malgré le contenu du formulaire qui précède, C.G.J. inc. est retirée de la police d’assurance et n’y figure plus à titre d’assurée désignée.

[17]       Le 9 décembre 2016, lors d’une rencontre de révision annuelle de la police d’assurance, l’intimé, alors agent en assurance de dommages des entreprises pour le compte de La Federated, apprend que C.G.J. inc. pourrait faire l’objet d’une réclamation. Il fait donc signer un formulaire de modification de police à la représentante de C.G.J. inc. par lequel il rajoute C.G.J. inc. comme assurée désignée à la police d’assurance.

[18]       Le 28 décembre 2016, suite à la réception d’une réclamation par C.G.J. inc., l’intimé Carl Benjamin, transmet le courriel suivant à Dario Forgues, directeur du développement des affaires à La Federated, avec copie à François Paquet :

 

         « Je vais envoyer le message suivant aux réclamations.Nous avons reçu une poursuite pour une entité enlever (sic) d’un compte. L’entité étant toujours active. Laissé (sic) moi savoir si vous désirez que j’y ajoute quoi que ce soit. François, est-ce que le client avait signé la modification? :

 

         Bonjour,

 

         Faisant suite à la demande concernant Construction Gaston Jacques, mon gestionnaire de compte avait enlever (sic) cette entité au compte (voir document ci-joint). De mon côté, lors du renouvellement cette année, j’ai demandé à ce que le nom revienne au dossier au niveau de CGL égalememnt.

 

         Nous assurions auparavant Construction Gaston Jacques inc., le père étant décédé, son fils a créé Construction Gaston Jacques 2015. Comme Construction Gaston Jacques inc. est toujours une compagnie existante, celle-ci aurait dû demeurer comme assuré (sic) au compte.

 

         ** Le document demandant la modification et la diminution de protection aurait dû être signé par le client, ce qui n’est pas le cas. »

 

 

[19]       Le 29 décembre 2016, l’intimé transmet le courriel suivant au souscripteur Marco Tassi dans lequel il demande le rajout avec effet rétroactif de C.G.J. inc. à la police d’assurance initiale, à savoir :

 

         « Bonjour,

 

         Nous avons reçu une mise en demeure concernant l’entité ci-haut mentionnée.

         Suivant un PAR signé reçu (en pièce jointe), la souscription a enlevée (sic) du compte

         l’entité assuré (sic). L’entité ainsi enlevé (sic) est toujours active et sous licence RBQ.

 

         La compagnie Gaston Jacques inc. était détenue par le père et le fils Stéphane Jacques.

 

         Suivant le décès du père, la famille a hérité des actions de Construction Gaston Jacques inc. qui détient des bâtiments assurés au compte et des terrains, ainsi que des obligations de garantie de maison neuve (APCHQ détient d’importante somme à cet effet en caution de l’assuré). La compagnie Gaston Jacques n’a jamais été dissoute et est demeurée sans protection en responsabilité civile pour les travaux faits dans le passé.

 

         Le fils Stéphane Jacques, a repris sa compagnie opérante sous le nom de Construction Gaston Jacques inc.

 

         Nous vous demandons d’annuler la demande faite, et ce, rétroactivement, pour que le nom de Construction Gaston Jacques apparaissent (sic) comme assuré (sic) additionnel en responsabilité civile. »

 

 

[20]       La pièce C-6[2] confirme effectivement que l’assurée C.G.J. inc. a été rajoutée à la police d’assurance au mois de décembre 2016 suite à la demande de l’intimé.

[21]       Le 24 avril 2017, l’intimé quitte ses fonctions d’agent en assurance de dommages des entreprises à La Federated[3].

[22]       Le 25 avril 2017, Stéphane Jacques fait parvenir une nouvelle réclamation à l’intimé[4].

[23]       Le 30 août 2017, Mme Gaétane Jacques fait parvenir le courriel[5] suivant à M. Dario Forgues :

«  Bonjour Monsieur Forgues,

 

         Je suis la tante de Stéphane Jacques et, à titre d’avocate à la retraite, je l’aide dans ses dossiers relativement aux réclamations de la société Construction Gaston Jacques Inc.

        

         Comme la Federated est l’assureur de Construction Gaston Jacques depuis plusieurs années, l’obligation que vous avez envers votre assurée est de prendre fait et cause pour elle relativement aux réclamations.

 

         Stéphane m’a informée du fait que la Federated a malencontreusement et sans autorisation cancellé (sic) l’assurance de Construction Gaston Jacques Inc. alors que ça n’aurait jamais dû être fait. Selon mes informations, l’erreur s’est produite lorsque la Federated a désassuré la société Construction Gaston Jacques Inc. pour une certaine période, en transférant le tout sur la société Construction Gaston Jacques 2015 Inc., ce qui ne devait pas être fait, car ces 2 sociétés sont distinctes l’une de l’autre. Cette situation perdure depuis plusieurs mois et, c’est complètement inacceptable.

 

         Vous n’êtes pas sans savoir que cette erreur de la Federated cause énormément de problèmes et d’inconvénients à Stéphane.

 

         Je vous demande donc de voir à rectifier cette situation dans les plus brefs délais, à savoir que la société Construction Gaston Jacques a toujours été assurée par la Federated et qu’il n’y a jamais eu d’interruption de la couverture d’assurance dans cette société. J’aimerais également qu’un représentant de la Federated ou vous-même produisiez à Stéphane un document à cet effet et vous en remercie.

 

         De plus, je joins à la présente, les documents relatifs à une réclamation concernant l’immeuble 4140, des Rivières et dont vous devriez prendre fait et cause pour votre assurée, Construction Gaston Jacques Inc.

 

         Vous pouvez communiquer avec la soussignée pour toute information supplémentaire.

 

         Je vous remercie de prendre les dispositions nécessaires pour régler ce problème de désassurance, tel que vous l’avez déjà récemment mentionné à Stéphane.  En espérant que cette fois-ci, le problème soit vraiment résolu. »

 

        

 

[24]       Le contenu de ce courriel de Mme Jacques est étonnant puisqu’il est contredit par l’affirmation non équivoque de M. Kiers du mois de juin 2017, lorsqu’il écrit à la page 1 de la pièce C-6, que C.G.J. inc. a été rajoutée à la police d’assaurance suite à la demande de l’intimé.

[25]       Quant à la prime d’assurance payable par C.G.J. inc. et 2015 inc., la preuve révèle que celle-ci était divisée entre les assurées afin que celles-ci paient leur juste part.

[26]       Pour chacune des réclamations présentées, La Federated a pris fait et cause pour son assurée C.G.J. inc.

[27]       En décembre 2017, M. Frédéric Papillon de La Federated, procède à l’émission d’une police d’assurance distincte pour 2015 inc. Quant à C.G.J. inc., elle demeure assurée en vertu de sa police d’assurance originale.

[28]       Plus tard, La Federated décidera de ne pas renouveler la police d’assurance de C.G.J. inc.    

 

III.        Analyse et décision

 

 

[29]       Le chef 1 reproche à l’intimé d’avoir omis de souscrire, au mois de décembre 2016, une nouvelle police d’assurance distincte au nom de 2015 inc.

 

[30]       Ce faisant, l’intimé aurait agi de manière négligente, en contravention de l’article 37 (1o) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.

 

[31]       Selon le syndic, en omettant de souscrire, au mois de décembre 2016, une nouvelle police d’assurance distincte au nom de 2015 inc., l’intimé aurait également fait défaut d’agir en conseiller consciencieux, le tout contrairement à l’article 37 (6o) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.

 

[32]        Avec respect pour l’opinion contraire, le Comité ne partage pas les prétentions du syndic.

 

[33]       À ce sujet, qu’il nous soit permis de rappeler certains principes du droit disciplinaire :

 

         un professionnel ne commet pas nécessairement une faute déontologique s’il a une conduite qui s’écarte de la conduite souhaitable; il faut que sa conduite soit inacceptable[6];

 

         il en résulte que pour que le professionnel soit reconnu coupable, la preuve doit établir un écart significatif entre la norme de conduite généralement reconnue et la façon dont le professionnel a procédé[7];

 

         le fardeau de prouver la culpabilité du professionnel par prépondérance de preuve incombe à la partie plaignante[8].

 

 

[34]       Dans la présente affaire, l’intimé affirme qu’au mois de décembre 2016, il a fait ce qu’il devait faire dans les circonstances. Or, pour les motifs ci-après exposés, nous partageons l’avis de l’intimé.

 

[35]       Au mois de décembre 2016, C.G.J. inc. fait l’objet d’au moins une réclamation en responsabilité civile. En conséquence, l’intimé doit absolument s’assurer de rétablir rétroactivement la couverture d’assurance responsabilité de C.G.J. inc. afin que La Federated prenne faits et cause pour son assurée.

 

[36]       En fait, comme l’intimé nous l’a affirmé au cours de l’audition, au mois de décembre 2016, il doit éteindre un feu.

 

[37]       En effet, lors de la révision annuelle de la police d’assurance, l’intimé rencontre M. Stéphane Jacques. Ce dernier informe alors l’intimé d’une réclamation potentielle. Dans un tel contexte, nous croyons que l’intimé a fait preuve de prudence et de discernement en concentrant tous ses efforts sur l’obtention d’une garantie d’assurance responsabilité rétroactive pour son assurée C.G.J. inc. À notre avis, à ce moment, l’intimé a bien fait de privilégier la solution au problème de couverture de C.G.J.. inc.

 

[38]       Nous partageons également l’opinion de l’intimé qu’une police d’assurance distincte au nom de 2015 inc. pouvait être retardé à plus tard. À nos yeux, l’intimé a manifestement emprunté la bonne voie en réglant immédiatement le problème de couverture de C.G.J. inc.

 

[39]       Il en résulte que l’intimé n’avait pas à entamer les démarches pour l’obtention d’une police distincte au mois de décembre 2016. Il devait plutôt rémédier à l’erreur commise par M. Paquet et faire tout ce qu’il pouvait pour éviter un grave préjudice à C.G.J. inc.  

 

[40]       Quant à la question du préjudice qui aurait été subi tant par C.G.J. inc. et 2015 inc., la preuve administrée par le syndic à ce sujet n’est pas convaincante.

 

[41]       À notre avis, nous n’avons aucune preuve sérieuse d’un préjudice découlant spécifiquement du fait que la police d’assurance comportait deux assurées désignées.

 

[42]       Nous croyons fermement que les agissements de l’intimé ne constituent aucunement une faute déontologique[9].

 

[43]       Enfin, dans les circonstances qui prévalaient à l’époque, l’intimé a bien agi.

 

[44]       Pour tous ces motifs, l’intimé est en conséquence acquitté de toutes les infractions décrites à la plainte modifiée.

 

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

 

            ACQUITTE l’intimé Carl Benjamin de toutes et chacune des infractions visées       par la plainte amendée no. 2018-10-03 (A);

 

DÉCLARE que les déboursés seront à la charge du Bureau du syndic.

 

 

 

 

__________________________________

Me Daniel M. Fabien, avocat

Vice-président du Comité de discipline

 

 

 

__________________________________

Mme Mireille Gauthier, PAA, agent en assurance de dommages

Membre du Comité de discipline

 

 

 

__________________________________

Mme Marjolaine Beaulieu, agent en assurance de dommages

Membre du Comité de discipline

 

 

 

 

 

Me Sylvie Poirier

Procureur de la partie plaignante

 

M. Carl Benjamin

Partie intimée

 

Date d’audience :

Les 20 et 21 mars 2019

 



[1] Voir la pièce P-7;

[2] Voir la pièce C-6, à la page 1, où M. Al Kiers, directeur de La Federated à Mississauga en Ontario, confirme par courriel en date du 5 juin 2017 que l’assurée C.G.J. inc. a été rajoutée à la police d’assurance suite à la demande de l’intimé par formulaire de modification obtenu par ce dernier le 9 décembre 2016;

[3] Voir la pièce P-1;

[4] Voir la page 3 de la pièce P-29;

[5] Voir la pièce C-4, aux pages 1 et 2;

[6] Architectes c. Duval, 2003 QCTP 144 (CanLII);

[7] Malo c. Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, 2003 QCTP 132 (CanLII);

[8] Gonshor c. Dentistes, 2001 QCTP (CanLII).

[9] Prud’homme c. Gilbert, 2012 QCCA 1544 (CanLII), au paragraphe 33;

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