Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No:

2018-03-01(C)

 

DATE :

3 octobre 2018

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. François Vallerand, C.d’A.Ass., courtier en assurance de dommages

Membre

Mme Marie-Ève Racine, courtier en assurance de dommages

Membre

 

 

Me MARIE-JOSÉE BELHUMEUR, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

HUGO GINGRAS, courtier en assurance de dommages (4A)

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

 

 

[1]       Le 27 août 2018, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2018-03-01(C) ;

 

[2]       Le syndic était alors représenté par Me Claude G. Leduc, et, de son côté, l’intimé était représenté par Me Marc Lemaire, lequel participait à l’audience par le biais d’une conférence téléphonique ;

 

 

I.          La plainte

 

[3]       L’intimé fait l’objet d’une plainte amendée comportant trois (3) chefs d’accusation, soit :

 

1.   Concernant le contrat d’assurance-habitation no P14481078PAP émis par Aviva Canada au nom des assurés désignés J.P. et N.G., a exercé ses activités de façon négligente et/ou a fait défaut d’agir en conseiller consciencieux et/ou a fait défaut de recueillir personnellement les renseignements nécessaires lui permettant d’identifier les besoins des assurés afin de leur proposer le produit d’assurance qui leur convient le mieux, en ce que ;

 

a)   Le ou vers le 31 octobre 2012, lors de la souscription du contrat d’assurance, a ajouté au contrat l’assurée désignée N.G. alors qu’elle n’était pas propriétaire de l’immeuble assuré et sans poser aucune question à cet égard;

 

b)   Entre les ou vers les 11 décembre 2014 et 31 octobre 2016, a omis, notamment lors des renouvellements, de s’assurer que les garanties correspondaient aux besoins des assurés et n’a posé aucune question à N.G., alors qu’il savait qu’elle avait fait l’acquisition d’une autre propriété et qu’elle avait souscrit pour cette propriété un contrat d’assurance « propriétaire occupant »;

le tout en contravention avec les articles 27 et 39 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 37(1) et 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

2.   Le ou vers le 31 octobre 2016, lors de la souscription du nouveau contrat d’assurance habitation n° ME34489 pour l’assuré J.P. émis par l’intermédiaire de Morin, Elliott Associés ltée, a exercé ses activités de façon négligente et/ou a fait défaut d’agir en conseiller consciencieux et/ou a fait défaut de rendre compte de l’exécution de son mandat, en omettant d’informer N.G. qu’elle ne serait plus assurée désignée sur le nouveau contrat d’assurance et des effets pouvant en résulter pour elle, le tout en contravention avec les articles 25, 37(1), 37(4) et 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

 

3.   (retrait) ;

 

4.   De 2012 à 2016, a négligé ses devoirs professionnels reliés à l’exercice de ses activités en n’ayant pas une tenue de dossier que l’on est en droit de s’attendre de la part d’un représentant en assurance de dommages, en ne notant pas au dossier notamment les communications téléphoniques, les conseils et les explications donnés, les décisions prises et les instructions reçues, le tout en contravention avec les articles 85 à 88 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, les articles 2, 9 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, et les articles 12 et 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome.

 

[4]       Le Comité, à la demande des parties, a autorisé le retrait du chef 3 de la plainte ;

[5]       Ce faisant, l’intimé a enregistré un plaidoyer de culpabilité à l’encontre de la plainte amendée ;

[6]       L’intimé fut donc déclaré coupable, séance tenante, des chefs 1, 2 et 4 de la plainte amendée ;

[7]       Les parties ont alors procédé à la présentation de leurs recommandations communes ;

 

II.         Les faits

 

[8]       Essentiellement, la preuve démontre que l’intimé :

 

      A fait défaut de recueillir personnellement les renseignements nécessaires pour lui permettre d’identifier les besoins de ses clients (chef 1) ;

      A omis d’informer sa cliente qu’elle ne serait plus assurée sur le nouveau contrat d’assurance de son ex-conjoint (chef 2) ;

      N’a pas tenu ses dossiers suivant les règles prescrites (chef 4) ;

[9]       La preuve a également permis d’établir que la cliente (N.G.) avait subi de nombreux troubles et inconvénients en raison de la négligence de l’intimé[1] ;

[10]    C’est à la lumière de ces faits que le Comité devra examiner la recommandation commune formulée par les parties ;

 

III.        Argumentation

 

[11]    Le procureur du syndic suggère, de façon conjointe avec l’avocat de l’intimé, d’imposer à ce dernier les sanctions suivantes :

          Chef 1 :             une amende de 3 500 $

          Chef 2 :             une amende de 2 500 $

          Chef 4 :             une amende de 2 000 $

          Pour un total de 8 000 $

[12]    Quant aux déboursés, ceux-ci seront limités à un montant maximum de 100 $ ;

[13]    Dans l’établissement des sanctions appropriées, les parties ont pris en compte les facteurs suivants :

c)         Facteurs atténuants :

      Plaidoyer de culpabilité ;

      Bonne collaboration à l’enquête du syndic ;

      Très faible risque de récidive, l’intimé ayant décidé d’abandonner la pratique du courtage d’assurances ;

d)        Facteurs aggravants :

      La nature et la gravité objective des infractions ;

      Infractions au cœur de la profession ;

[14]    Les parties soumettent que les représentations communes présentées au Comité de discipline sont justes et raisonnables, qu’elles tiennent compte de l’autorité des précédents, de la parité des sanctions et de l’exemplarité positive et qu’elles remplissent les objectifs visés par les sanctions en droit disciplinaire ;

[15]    Les décisions suivantes ont été soumises afin d’appuyer les recommandations :

      Chambre de l’assurance de dommages c. Bourassa, 2017 CanLII 30970 (QC CDCHAD) ;

      Chambre de l’assurance de dommages c. Clemente, 2018 CanLII 2056 (QC CDCHAD) ;

      Chambre de l’assurance de dommages c. Girard (Chambre de l’assurance de dommages c. Tellier), 2018 CanLII 2136 (QC CDCHAD) ;

      Chambre de l’assurance de dommages c. Trépanier, 2018 CanLII 38255 (QC CDCHAD) ;

      R. c. Anthony-Cook, [2016] 2 SCR 204, 2016 SCC 43 ;

[16]    Cela dit, le Comité a entériné, séance tenante, les sanctions suggérées par les parties pour les motifs ci-après exposés ;

 

IV.       Analyse et décision

 

[17]    Tel que le soulignait, à plusieurs reprises, le Tribunal des professions[2] :

« Lorsque deux parties formulent une suggestion commune, elles doivent avoir une expectative raisonnable que cette dernière sera respectée.»[3] 

 

[18]    La Cour suprême réitérait ce principe fondamental dans l’arrêt R. c. Anthony-Cook[4] comme suit :

[25]    Le fait, pour les avocats du ministère public et de la défense, de convenir d’une recommandation conjointe relative à la peine en échange d’un plaidoyer de culpabilité constitue une pratique acceptée et tout à fait souhaitable. Les ententes de cette nature sont monnaie courante, et elles sont essentielles au bon fonctionnement de notre système de justice pénale et de notre système de justice en général. Habituellement, de telles ententes n’ont rien d’exceptionnel, et les juges du procès les acceptent d’emblée. À l’occasion cependant, une recommandation conjointe peut sembler trop clémente, ou peut‑être trop sévère, et le juge du procès n’est pas tenu de l’accepter (Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, sous‑al. 606(1.1)b)(iii)). Dans de tels cas, les juges ont besoin d’un critère pour apprécier le caractère acceptable de la recommandation conjointe. La question se pose alors : quel critère appliquer? (Nos soulignements)

 

[19]    D’autre part, la Cour suprême soulignait que seul le critère de l’intérêt public doit guider un tribunal lorsqu’il analyse le bien-fondé d’une recommandation commune :

[29]    Le troisième critère, appelé communément le critère de l’« intérêt public », a été élaboré dans un rapport ontarien intitulé Report of the Attorney General’s Advisory Committee on Charge Screening, Disclosure, and Resolution Discussions (1993), (le « rapport du comité Martin »)[2]. Selon ce critère, le juge du procès [traduction] « ne devrait écarter une recommandation conjointe que si la peine proposée est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou si elle n’est pas par ailleurs dans l’intérêt public » (p. 327 (italiques omis)). Un certain nombre de cours d’appel provinciales ont aussi adopté ce critère (voir, par exemple, R. c. Dorsey, (1999), 1999 CanLII 3759 (ON CA), 123 O.A.C. 342, par. 11; R. c. Druken, 2006 NLCA 67 (CanLII), 261 Nfld. & P.E.IR 271, par. 29; R. c. Nome, 2002 BCCA 468 (CanLII), 172 B.C.A.C. 183, par. 13‑14). L’appelant appuie ce critère, en raison principalement du fait qu’il prévoit [traduction] « un seuil élevé et vise à inspirer, chez l’accusé qui a renoncé à son droit à un procès, la confiance que la recommandation conjointe qu’il a obtenue en retour d’un plaidoyer de culpabilité sera respectée par le juge chargé de la détermination de la peine » (R. c. Cerasuolo (2001), 2001 CanLII 24172 (ON CA), 151 C.C.C. (3d) 445 (C.A. Ont.), par. 8). (Nos soulignements)

(…)

[31]    Après avoir examiné les diverses possibilités, je crois que le critère de l’intérêt public, tel qu’il est développé dans les présents motifs, est celui qui s’impose. Il est plus rigoureux que les autres critères proposés et il reflète le mieux les nombreux avantages que les recommandations conjointes apportent au système de justice pénale ainsi que le besoin correspondant d’un degré de certitude élevé que ces recommandations seront acceptées. De plus, il diffère des critères de « justesse » employés par les juges du procès et les cours d’appel dans les audiences classiques en matière de détermination de la peine et, en ce sens, il aide les juges du procès à se concentrer sur les considérations particulières qui s’appliquent lors de l’appréciation du caractère acceptable d’une recommandation conjointe. Dans la mesure où l’arrêt Douglas prescrit le contraire, j’estime avec égards qu’il est mal fondé et qu’il ne devrait pas être suivi.

[32]    Selon le critère de l’intérêt public, un juge du procès ne devrait pas écarter une recommandation conjointe relative à la peine, à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit par ailleurs contraire à l’intérêt public. Mais que signifie ce seuil? Deux arrêts de la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador sont utiles à cet égard. (Nos soulignements)

 

[20]    Enfin, la Cour suprême insiste sur les bénéfices associés au plaidoyer de culpabilité suivi d’une recommandation commune :

[35]     Les plaidoyers de culpabilité consentis en échange de recommandations conjointes relatives à la peine constituent une [traduction] « partie appropriée et nécessaire de l’administration de la justice criminelle » (rapport du comité Martin, p. 290). Lorsque les ententes sur le plaidoyer sont « menées correctement, [elles] sont bénéfiques non seulement pour les accusés, mais aussi pour les victimes, les témoins, les avocats et l’administration de la justice en général » (rapport du comité Martin, p. 281 (italiques omis)).

[36]     Les personnes accusées tirent un avantage à plaider coupable en échange d’une recommandation conjointe relative à la peine (voir D. Layton et M. Proulx, Ethics and Criminal Law (2e éd. 2015), p. 436). L’avantage le plus évident est le fait que le ministère public accepte de recommander une peine que l’accusé est disposé à accepter. Cette recommandation est susceptible d’être plus clémente que ce à quoi l’accusé pourrait s’attendre à l’issue d’un procès ou d’une audience de détermination de la peine contestée. Les personnes accusées qui plaident coupables rapidement sont en mesure de minimiser le stress et les frais liés aux procès. De plus, pour ceux qui éprouvent des remords sincères, un plaidoyer de culpabilité offre une occasion de commencer à reconnaître leurs torts. Pour de nombreux accusés, il est crucial de favoriser au plus haut point la certitude quant au résultat — et une recommandation conjointe, même si elle n’est pas inviolable, offre à cet égard une assurance considérable. (Nos soulignements)

 

[21]    De plus, la Cour suprême rappelle l’importance de respecter la recommandation commune et, encore plus, lorsqu’elle est le résultat d’une négociation intervenue entre deux procureurs d’expérience :

[44]    Enfin, je fais remarquer qu’un seuil élevé pour écarter des recommandations conjointes est non seulement nécessaire, mais également approprié, afin que l’on retire tous les avantages des recommandations conjointes. Les avocats du ministère public et de la défense sont bien placés pour en arriver à une recommandation conjointe qui reflète tant les intérêts du public que ceux de l’accusé (rapport du comité Martin, p. 287). En principe, ils connaîtront très bien la situation du contrevenant et les circonstances de l’infraction, ainsi que les forces et les faiblesses de leurs positions respectives. Le ministère public est chargé de représenter l’intérêt de la collectivité à faire en sorte que justice soit rendue (R. c. Power, 1994 CanLII 126 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 601, p. 616). On exige de l’avocat de la défense qu’il agisse dans l’intérêt supérieur de l’accusé, et il doit notamment s’assurer que le plaidoyer de celui‑ci soit donné de façon volontaire et éclairée (voir, par exemple, Law Society of British Columbia, Code of Professional Conduct for British Columbia(en ligne), règle 5.1‑8). Et les deux avocats sont tenus, sur le plan professionnel et éthique, de ne pas induire le tribunal en erreur (ibid., règle 2.1‑2(c)). Bref, ils sont entièrement capables d’arriver à des règlements équitables et conformes à l’intérêt public (rapport du comité Martin, p. 287). (Nos soulignements)

 

[22]    Cela dit, la recommandation commune formulée par les parties reflète adéquatement les circonstances particulières du présent dossier ;

[23]    De plus, elle tient compte, d’une part, de la gravité objective des infractions et, d’autre part, des facteurs atténuants tels que le plaidoyer de culpabilité de l’intimé et sa volonté d’abandonner la pratique du courtage d’assurances ;

[24]    Enfin, celle-ci s’inscrit parfaitement dans la fourchette des sanctions habituellement imposées pour ce genre d’infraction même si celles-ci ne constituent que des lignes directrices et non des règles absolues[5] ;

[25]    Pour l’ensemble de ces motifs, la recommandation commune des parties sera entérinée par le Comité, sans réserve.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

AUTORISE le dépôt d’une plainte amendée ;

PERMET le retrait du chef 3 ;

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé sur les chefs 1, 2 et 4 de la plainte amendée ;

DÉCLARE l’intimé coupable des chefs 1, 2 et 4 de la plainte amendée et plus particulièrement comme suit :

 

Chef 1 :         pour avoir contrevenu à l’article 27 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) ;

Chef 2 :         pour avoir contrevenu à l’article 37(4) du Code de déontologie des représentants en assurance (RLRQ, c. D-9.2, r.5)

Chef 4 :         pour avoir contrevenu à l’article 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome (RLRQ, c. D-9.2, r.2)     

 

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’encontre de toutes les autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien desdits chefs d’accusation ;

 

IMPOSE à l’intimé les sanctions suivantes :

 

Chef 1 :         une amende de 3 500 $

Chef 2 :         une amende de 2 500 $

Chef 4 :         une amende de 2 000 $

CONDAMNE l’intimé au paiement de tous les déboursés, pour un montant maximum de 100 $.

 

 

 

 

 

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Me Patrick de Niverville, avocat

Président

 

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M. François Vallerand, C.d’A.Ass., courtier en assurance de dommages

Membre        

 

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Mme Marie-Eve Racine, courtier en assurance de dommages

Membre

 

Me Claude G. Leduc

Procureur de la partie plaignante

 

Me Marc Lemaire (par conférence téléphonique

Procureur de la partie intimée

 

Date d’audience : 27 août 2018

 



[1]    Voir pièce P-2.8 (correspondance)

[2]    Infirmières et infirmiers auxiliaires c. Ungureanu, 2014 QCTP 20 (CanLII) ;

     Chan c. Médecins, 2014 QCTP 5 (CanLII) ;

     Gauthier c. Médecins, 2013 QCTP 89 (CanLII) ;

[3]    Infirmières et infirmiers auxiliaires c. Ungureanu, 2014 QCTP 20 (CanLII), op. cit., note 1, par. 21;

[4]    2016 CSC 43 (CanLII);

[5]    Infirmières et Infirmiers c. Khiar, 2017 QCTP 98 (CanLII), par. 30 à 32;

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