Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No:

2018-02-02(A)

 

DATE :

20 août 2018

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. Dominic Roy, FPAA, agent en assurance de dommages

Membre

Mme Sultana Chichester, agent en assurance de dommages

Membre

 

 

Me MARIE-JOSÉE BELHUMEUR, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

ÉRIC LEMELIN, agent en assurance de dommages

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

 

 

ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION, DE NON-DIFFUSION ET DE NON-DIVULGATION DU NOM DES ASSURÉS ET DE TOUT RENSEIGNEMENT OU DOCUMENT PERMETTANT DE LES IDENTIFIER, LE TOUT SUIVANT L’ARTICLE 142 DU CODE DES  PROFESSIONS (RLRQ, c. C-26)

 

 

[1]       Le 6 juin 2018, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2018-02-02(A) ;

 

[2]       Le syndic était alors représenté par Me Claude G. Leduc et, de son côté, l’intimé se défendait seul ;

 

 

I.          La plainte

 

[3]          L’intimé fait l’objet d’une plainte amendée comportant 2 chefs d’accusation, soit :

         

1.      Entre janvier 2013 et mars 2017, dans les cas des assurés J.L.C., M.-P.É., M.-J.M., R.P. et I.T., a négligé ses devoirs professionnels reliés à l’exercice de ses activités en n’ayant pas une tenue de dossier à laquelle on est en droit de s’attendre de la part d’un représentant  en assurance de dommages en ne notant pas au dossier des assurés notamment les rencontres, les communications téléphoniques, les conseils donnés, les décisions prises et les instructions reçues, le tout en contravention avec les articles 16 et 85 à 88 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, les articles 12 à 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome;

 

2.      Durant le mois de mars 2017, de façon générale et en particulier dans les cas des assurées M.-P.É., M.-J.M., R.P. et I.T., a manqué à ses obligations professionnelles en permettant que ses clients, au moment d’acheter un véhicule, obtiennent un contrat d’assurance automobile en interagissant uniquement avec le représentant d’un concessionnaire de véhicules usagés et sans jamais être conseillés par un représentant en assurance de dommages, faisant en sorte :

 

a.      Qu’il a exercé ses activités de représentant en assurance de dommages avec des personnes qui ne sont pas autorisées à exercer de telles activités, soit des représentants de concessionnaires de véhicules usagés, le tout en contravention avec l’article 37(12) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

 

b.      Qu’il a omis de recueillir personnellement les renseignements nécessaires lui permettant d’identifier les besoins des assurés, le tout en contravention avec l’article 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 37(1) et 37(3) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

 

c.      Qu’il a omis de décrire aux assurés le produit d’assurance proposé et de leur préciser la nature de la garantie offerte, le tout en contravention avec l’article 28 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 37(1) et 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

 

d.      Qu’il a omis d’obtenir le consentement des assurés avant de permettre la consultation de leur dossier de crédit, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et l’article 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.

 

 

[4]       D’entrée de jeu, l’intimé enregistra un plaidoyer de culpabilité ;

 

[5]       Après avoir pris acte de celui-ci, le Comité invita les parties à procéder à l’audition sur sanction ;

 

[6]       Essentiellement, les parties ont présenté une recommandation commune, tel que ci-après relaté ;

 

 

II.         Recommandations communes

 

[7]       Brièvement résumé, les parties suggèrent, de façon conjointe, d’imposer à l’intimé les sanctions suivantes :

          Chef 1 :               une amende de 2 500 $

          Chef 2a) :           une amende de 5 000 $

          Chef 2b) :           une amende de 3 500 $

          Chef 2c) :            une amende de 4 000 $

          Chef 2d) :           une amende de 3 000 $

[8]       De plus, compte tenu que le montant total des amendes s’élève à la somme de 18 000 $, les parties suggèrent de réduire celui-ci  à une somme globale de 12 000 $, plus les déboursés ;

[9]       Cette somme (12 000 $) sera payable en 48 versements mensuels, égaux et consécutifs ;

[10]    Dans l’établissement des sanctions appropriées, les parties ont pris en considération les facteurs suivants :

a)        Facteurs atténuants :

      Plaidoyer de culpabilité ;

      Absence d’antécédents disciplinaires ;

      Bonne collaboration à l’enquête du syndic ;

 

b)        Facteurs aggravants :

      La nature et la gravité objective importante des infractions visées au chef 2 ;

      Les infractions visées au chef 2 sont au cœur de la profession et mettent en péril la protection du public ;

      Le caractère répété des infractions aux chefs 1 et 2. En ce qui concerne les infractions visées au chef 2, des infractions similaires étaient commises dans la très grande majorité des dossiers qui étaient référés à l’intimé par des concessionnaires automobile, ce qui représente près d’une centaine d’assurés par année ;

[11]    Les parties ajoutent que les représentations communes présentées au Comité de discipline sont justes et raisonnable, qu’elles tiennent compte de l’autorité des précédents, de la parité des sanctions et de l’exemplarité positive et qu’elles remplissent les objectifs visés par les sanctions en droit disciplinaire ;

[12]    Les décisions suivantes ont été soumises afin d’appuyer les recommandations :

      CHAD c. Higgins, 2016 CanLII 87219 (QC CDCHAD) ;

      CHAD c. Ricard, 2018 CanLII 48591 (QC CDCHAD) ;

      CHAD c. Tardif, 2010 CanLII 66016 (QC CDCHAD) ;

      CHAD c. Fetherston, 2010 CanLII 50826 (QC CDCHAD) ;

      CHAD c. Sinigagliese, 2016 CanLII 10284 (QC CDCHAD) ;

      CHAD c. Minkoff, 2013 CanLII 66172 (QC CDCHAD) ;

      CHAD c. Domon, 2016 CanLII 74877 (QC CDCHAD) ;

      CHAD c. Picard, 2015 CanLII 51891 (QC CDCHAD) ;

      CHAD c. César-Mathieu, 2017 CanLII 45019 (QC CDCHAD) ;

[13]    C’est à la lumière de ces facteurs que le Comité devra apprécier la justesse des recommandations communes ;

 

III.        Analyse et décision

 

[14]    Malgré le fait que l’intimé n’a pu bénéficier des services d’un procureur afin de négocier les sanctions suggérées par les parties, le Comité considère que celles-ci sont justes et raisonnables et qu’elles reflètent adéquatement les faits particuliers du présent dossier, pour les motifs ci-après énumérés ;

[15]    Tel que le soulignait, à plusieurs reprises, le Tribunal des professions[1] :

« Lorsque deux parties formulent une suggestion commune, elles doivent avoir une expectative raisonnable que cette dernière sera respectée. Pour cette raison, une suggestion commune formulée par deux avocats d’expérience devrait être respectée. [2] (Nos soulignements)

 

[16]    La Cour suprême rappelait ce principe fondamental dans l’arrêt R. c. Anthony-Cook[3] comme suit :

[25]    Le fait, pour les avocats du ministère public et de la défense, de convenir d’une recommandation conjointe relative à la peine en échange d’un plaidoyer de culpabilité constitue une pratique acceptée et tout à fait souhaitable. Les ententes de cette nature sont monnaie courante, et elles sont essentielles au bon fonctionnement de notre système de justice pénale et de notre système de justice en général. Habituellement, de telles ententes n’ont rien d’exceptionnel, et les juges du procès les acceptent d’emblée. À l’occasion cependant, une recommandation conjointe peut sembler trop clémente, ou peut‑être trop sévère, et le juge du procès n’est pas tenu de l’accepter (Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, sous‑al. 606(1.1)b)(iii)). Dans de tels cas, les juges ont besoin d’un critère pour apprécier le caractère acceptable de la recommandation conjointe. La question se pose alors : quel critère appliquer? (Nos soulignements)

 

[17]    D’autre part, la Cour suprême soulignait que seul le critère de l’intérêt public doit guider un tribunal lorsqu’il analyse le bien-fondé d’une recommandation commune :

[29]    Le troisième critère, appelé communément le critère de l’« intérêt public », a été élaboré dans un rapport ontarien intitulé Report of the Attorney General’s Advisory Committee on Charge Screening, Disclosure, and Resolution Discussions (1993), (le « rapport du comité Martin »)[2]. Selon ce critère, le juge du procès [traduction] « ne devrait écarter une recommandation conjointe que si la peine proposée est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou si elle n’est pas par ailleurs dans l’intérêt public » (p. 327 (italiques omis)). Un certain nombre de cours d’appel provinciales ont aussi adopté ce critère (voir, par exemple, R. c. Dorsey, (1999), 1999 CanLII 3759 (ON CA), 123 O.A.C. 342, par. 11; R. c. Druken, 2006 NLCA 67 (CanLII), 261 Nfld. & P.E.IR 271, par. 29; R. c. Nome, 2002 BCCA 468 (CanLII), 172 B.C.A.C. 183, par. 13‑14). L’appelant appuie ce critère, en raison principalement du fait qu’il prévoit [traduction] « un seuil élevé et vise à inspirer, chez l’accusé qui a renoncé à son droit à un procès, la confiance que la recommandation conjointe qu’il a obtenue en retour d’un plaidoyer de culpabilité sera respectée par le juge chargé de la détermination de la peine » (R. c. Cerasuolo (2001), 2001 CanLII 24172 (ON CA), 151 C.C.C. (3d) 445 (C.A. Ont.), par. 8). (Nos soulignements)

(…)

[31]    Après avoir examiné les diverses possibilités, je crois que le critère de l’intérêt public, tel qu’il est développé dans les présents motifs, est celui qui s’impose. Il est plus rigoureux que les autres critères proposés et il reflète le mieux les nombreux avantages que les recommandations conjointes apportent au système de justice pénale ainsi que le besoin correspondant d’un degré de certitude élevé que ces recommandations seront acceptées. De plus, il diffère des critères de « justesse » employés par les juges du procès et les cours d’appel dans les audiences classiques en matière de détermination de la peine et, en ce sens, il aide les juges du procès à se concentrer sur les considérations particulières qui s’appliquent lors de l’appréciation du caractère acceptable d’une recommandation conjointe. Dans la mesure où l’arrêt Douglas prescrit le contraire, j’estime avec égards qu’il est mal fondé et qu’il ne devrait pas être suivi.

[32]    Selon le critère de l’intérêt public, un juge du procès ne devrait pas écarter une recommandation conjointe relative à la peine, à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit par ailleurs contraire à l’intérêt public. Mais que signifie ce seuil? Deux arrêts de la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador sont utiles à cet égard. (Nos soulignements)

 

[18]    Enfin, la Cour suprême insiste sur les bénéfices associés au plaidoyer de culpabilité suivi d’une recommandation commune :

[35]     Les plaidoyers de culpabilité consentis en échange de recommandations conjointes relatives à la peine constituent une [traduction] « partie appropriée et nécessaire de l’administration de la justice criminelle » (rapport du comité Martin, p. 290). Lorsque les ententes sur le plaidoyer sont « menées correctement, [elles] sont bénéfiques non seulement pour les accusés, mais aussi pour les victimes, les témoins, les avocats et l’administration de la justice en général » (rapport du comité Martin, p. 281 (italiques omis)).

[36]     Les personnes accusées tirent un avantage à plaider coupable en échange d’une recommandation conjointe relative à la peine (voir D. Layton et M. Proulx, Ethics and Criminal Law (2e éd. 2015), p. 436). L’avantage le plus évident est le fait que le ministère public accepte de recommander une peine que l’accusé est disposé à accepter. Cette recommandation est susceptible d’être plus clémente que ce à quoi l’accusé pourrait s’attendre à l’issue d’un procès ou d’une audience de détermination de la peine contestée. Les personnes accusées qui plaident coupables rapidement sont en mesure de minimiser le stress et les frais liés aux procès. De plus, pour ceux qui éprouvent des remords sincères, un plaidoyer de culpabilité offre une occasion de commencer à reconnaître leurs torts. Pour de nombreux accusés, il est crucial de favoriser au plus haut point la certitude quant au résultat — et une recommandation conjointe, même si elle n’est pas inviolable, offre à cet égard une assurance considérable. (Nos soulignements)

 

[19]    Cela dit, les recommandations communes seront entérinées par le Comité puisqu’elles tiennent compte des facteurs objectifs et subjectifs et qu’elles sont appuyées sur des précédents jurisprudentiels pertinents.

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

PREND acte du plaidoyer de culpabilité de l’intimé ;

DÉCLARE l’intimé coupable des chefs 1 et 2 de la plainte amendée, plus particulièrement comme suit :

Chef 1:               pour avoir contrevenu à l’article 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome  (RLRQ, c. D-9.2, r.2)

Chef 2 :              pour avoir contrevenu à l’article 37(12) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r.5)

Chef 2b) :          pour avoir contrevenu à l’article 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D. 9.2)

Chef 2c) :          pour avoir contrevenu à l’article 28 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D. 9.2)

Chef 2d) :          pour avoir contrevenu à l’article 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r.5)

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’égard des autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien des chefs de la plainte;

IMPOSE à l’intimé les sanctions suivantes :

Chef 1:               une amende de 2 500 $

Chef 2a) :          une amende de 5 000 $       

Chef 2b) :          une amende de 3 500 $       

Chef 2c) :          une amende de 4 000 $

Chef 2d) :          une amende de 3 000 $

RÉDUIT le total des amendes (18 000 $) à une somme globale de 12 000 $ ;

PRONONCE une ordonnance de non-publication, de non-diffusion et de non-divulgation du nom des assurés et de tout renseignement ou document permettant de les identifier, le tout suivant l’article 142 du Code des professions (RLRQ, c. C-26) ;

CONDAMNE l’intimé au paiement de tous les déboursés ;

PERMET à l’intimé d’acquitter le montant des amendes et des déboursés en 48 versements mensuels, égaux et consécutifs, débutant le 31e jour suivant la signification de la présente décision ;

En cas de défaut, l’intimé perdra le bénéfice du terme et toutes les sommes seront alors dues et exigibles immédiatement.

 

 

 

 

 

___________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

 

 

___________________________________

M. Dominic Roy, FPAA, agent en assurance de dommages

Membre

                       

 

___________________________________

Mme Sultana-Chichester, agent en assurance de dommages

Membre

 

Me Claude G. Leduc

Procureur de la partie plaignante

 

M. Éric Lemelin (agissant personnellement)

Partie intimée

 

Date d’audience : 6 juin 2018

 

 

 



[1]   Infirmières et infirmiers auxiliaires c. Ungureanu, 2014 QCTP 20 (CanLII);

     Chan c. Médecins, 2014 QCTP 5 (CanLII);

     Gauthier c. Médecins, 2013 QCTP 89 (CanLII);

[2]   Infirmières et infirmiers auxiliaires c. Ungureanu, op. cit., note 2, par. 21;

[3]   2016 CSC 43 (CanLII);

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