Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No:

2017-11-01(C)

 

DATE :

29 mai 2018

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

Mme Chantal Yelle, B.A.A.

Membre

M. Mathieu Gagnon, C.d’A.Ass., FPAA, CRM

Membre

 

 

Me MARIE-JOSÉE BELHUMEUR, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

HICHEM ABDELOUAHEB CHOUITER, courtier en assurance de dommages des particuliers (4B)

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

 

 

ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION, DE NON-DIFFUSION ET DE

NON-DIVULGATION DU NOM DES ASSURÉS ET DE TOUT RENSEIGNEMENT

OU INFORMATION PERMETTANT DE LES IDENTIFIER, LE TOUT CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS

 

 

[1]       Le 18 avril 2018, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2017-11-01(C) ;

 

[2]       La syndic était alors représentée par Me François Montfils et, de son côté, l’intimé agissait seul ;

 

 

I.          La plainte

 

[3]       L’intimé fait l’objet d’une plainte comportant un seul chef d’accusation, soit :

 

1.   Dans la Ville de Montréal, le ou vers le 20 juin 2017, l’intimé a fait défaut de respecter le secret des renseignements personnels de S.M. en transmettant copie de son contrat d’assurance à un tiers sans le consentement de S.M., contrevenant ainsi à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) et aux articles 23 et 24 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r.5) ;

 

[4]       L’intimé ayant plaidé coupable, par écrit, celui-ci fut déclaré coupable, séance tenante, de l’infraction reprochée ;

 

 

II.         Preuve

 

[5]       Les faits à l’origine du présent dossier sont relativement simples ;

[6]       Au mois de juin 2017, l’intimé reçoit un appel d’un inconnu lui demandant si un contrat d’assurance est en vigueur pour un certain immeuble ;

[7]       L’inconnu prétend être un comptable et avoir besoin de façon rapide de cette information ;

[8]       L’intimé lui confirme verbalement l’existence de cette couverture d’assurance et lui envoie même une copie du contrat d’assurance ;

[9]       Mal lui en prit, puisqu’à vrai dire, il s’agissait d’un simple locataire de l’immeuble, propriété de l’assuré ;

[10]    En l’espèce, l’assuré, à titre de propriétaire de l’immeuble, avait présenté contre son locataire une demande d’expulsion auprès de la Régie du logement ;

[11]    Le propriétaire prétendait devant la Régie qu’il n’était pas capable d’assurer son immeuble en raison des agissements de ce locataire ;

[12]    Cela dit, l’intimé a insisté pour dire qu’il s’était fait piéger par cette personne ;

[13]    D’ailleurs, celui-ci avait le numéro de la police d’assurance et le nom du propriétaire ;

[14]    Devant ces faits, l’intimé a cru sincèrement qu’il s’agissait d’un représentant autorisé de l’assuré ;

[15]    Enfin, l’intimé insiste pour dire qu’il n’a jamais eu d’intention malveillante et qu’il croyait simplement rendre service à l’assuré ;

[16]    Il y a lieu de souligner qu’à la suite de ces événements, l’intimé a perdu son emploi ;

 


III.        Recommandations communes

 

[17]    Les parties suggèrent, de manière conjointe, d’imposer à l’intimé une amende de 2 500 $, plus les déboursés du dossier ;

[18]    Il est également convenu que l’intimé devra bénéficier d’un délai de paiement de 12 mois ;

[19]    Suivant les parties, ces recommandations tiennent compte des facteurs objectifs suivants :

      La protection du public ;

      La gravité objective des infractions qui se situent au cœur de l’exercice de l’activité d’un représentant, soit de respecter le secret de tous renseignements personnels et de ne rien divulguer, sauf si la loi le permet ;

      L’exemplarité ;

      La dissuasion;

[20]    De plus, elles tiennent compte des facteurs subjectifs suivants :

      L’absence d’antécédent disciplinaire ;

      Le plaidoyer de culpabilité de l’intimé ;

 

[21]    Enfin, les décisions suivantes sont soumises pour appuyer les recommandations communes :

 

      ChAD c. Bédard, 2012 CanLII 43780 (QC CDCHAD) ;

      ChAD c. Laperrière, 2016 CanLII 53908 (QC CDCHAD) ;

      ChAD c. Lapointe, 2013 CanLII 28168 (QC CDCHAD) ;

      ChAD c. Duchamps, 2009 CanLII 29545 (QC CDCHAD) ;

 

[22]    Pour conclure, les parties plaident que les représentations communes présentées au Comité de discipline sont justes et raisonnable, qu’elles tiennent compte de l’autorité des précédents, de la parité des sanctions, de la globalité de la peine et de l’exemplarité positive et, finalement, qu’elles remplissent les objectifs visés par les sanctions en droit disciplinaire ;


IV.       Analyse et décision

 

[23]    Tel que le soulignait, à plusieurs reprises, le Tribunal des professions[1] :

« Lorsque deux parties formulent une suggestion commune, elles doivent avoir une expectative raisonnable que cette dernière sera respectée. Pour cette raison, une suggestion commune formulée par deux avocats d’expérience devrait être respectée. » [2]

 

[24]    La Cour suprême réitérait ce principe fondamental dans l’arrêt R. c. Anthony-Cook[3] comme suit :

[25]    Le fait, pour les avocats du ministère public et de la défense, de convenir d’une recommandation conjointe relative à la peine en échange d’un plaidoyer de culpabilité constitue une pratique acceptée et tout à fait souhaitable. Les ententes de cette nature sont monnaie courante, et elles sont essentielles au bon fonctionnement de notre système de justice pénale et de notre système de justice en général. Habituellement, de telles ententes n’ont rien d’exceptionnel, et les juges du procès les acceptent d’emblée. À l’occasion cependant, une recommandation conjointe peut sembler trop clémente, ou peut‑être trop sévère, et le juge du procès n’est pas tenu de l’accepter (Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, sous‑al. 606(1.1)b)(iii)). Dans de tels cas, les juges ont besoin d’un critère pour apprécier le caractère acceptable de la recommandation conjointe. La question se pose alors : quel critère appliquer? (Nos soulignements)

 

[25]    D’autre part, la Cour suprême soulignait que seul le critère de l’intérêt public doit guider un tribunal lorsqu’il analyse le bien-fondé d’une recommandation commune :

[29]    Le troisième critère, appelé communément le critère de l’« intérêt public », a été élaboré dans un rapport ontarien intitulé Report of the Attorney General’s Advisory Committee on Charge Screening, Disclosure, and Resolution Discussions (1993), (le « rapport du comité Martin »)[2]. Selon ce critère, le juge du procès [traduction] « ne devrait écarter une recommandation conjointe que si la peine proposée est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou si elle n’est pas par ailleurs dans l’intérêt public » (p. 327 (italiques omis)). Un certain nombre de cours d’appel provinciales ont aussi adopté ce critère (voir, par exemple, R. c. Dorsey, (1999), 1999 CanLII 3759 (ON CA), 123 O.A.C. 342, par. 11; R. c. Druken, 2006 NLCA 67 (CanLII), 261 Nfld. & P.E.IR 271, par. 29; R. c. Nome, 2002 BCCA 468 (CanLII), 172 B.C.A.C. 183, par. 13‑14). L’appelant appuie ce critère, en raison principalement du fait qu’il prévoit [traduction] « un seuil élevé et vise à inspirer, chez l’accusé qui a renoncé à son droit à un procès, la confiance que la recommandation conjointe qu’il a obtenue en retour d’un plaidoyer de culpabilité sera respectée par le juge chargé de la détermination de la peine » (R. c. Cerasuolo (2001), 2001 CanLII 24172 (ON CA), 151 C.C.C. (3d) 445 (C.A. Ont.), par. 8). (Nos soulignements)

(…)

[31]    Après avoir examiné les diverses possibilités, je crois que le critère de l’intérêt public, tel qu’il est développé dans les présents motifs, est celui qui s’impose. Il est plus rigoureux que les autres critères proposés et il reflète le mieux les nombreux avantages que les recommandations conjointes apportent au système de justice pénale ainsi que le besoin correspondant d’un degré de certitude élevé que ces recommandations seront acceptées. De plus, il diffère des critères de « justesse » employés par les juges du procès et les cours d’appel dans les audiences classiques en matière de détermination de la peine et, en ce sens, il aide les juges du procès à se concentrer sur les considérations particulières qui s’appliquent lors de l’appréciation du caractère acceptable d’une recommandation conjointe. Dans la mesure où l’arrêt Douglas prescrit le contraire, j’estime avec égards qu’il est mal fondé et qu’il ne devrait pas être suivi.

[32]    Selon le critère de l’intérêt public, un juge du procès ne devrait pas écarter une recommandation conjointe relative à la peine, à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit par ailleurs contraire à l’intérêt public. Mais que signifie ce seuil? Deux arrêts de la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador sont utiles à cet égard. (Nos soulignements)

 

[26]    Enfin, la Cour suprême insiste sur les bénéfices associés au plaidoyer de culpabilité suivi d’une recommandation commune :

[35]     Les plaidoyers de culpabilité consentis en échange de recommandations conjointes relatives à la peine constituent une [traduction] « partie appropriée et nécessaire de l’administration de la justice criminelle » (rapport du comité Martin, p. 290). Lorsque les ententes sur le plaidoyer sont « menées correctement, [elles] sont bénéfiques non seulement pour les accusés, mais aussi pour les victimes, les témoins, les avocats et l’administration de la justice en général » (rapport du comité Martin, p. 281 (italiques omis)).

[36]     Les personnes accusées tirent un avantage à plaider coupable en échange d’une recommandation conjointe relative à la peine (voir D. Layton et M. Proulx, Ethics and Criminal Law (2e éd. 2015), p. 436). L’avantage le plus évident est le fait que le ministère public accepte de recommander une peine que l’accusé est disposé à accepter. Cette recommandation est susceptible d’être plus clémente que ce à quoi l’accusé pourrait s’attendre à l’issue d’un procès ou d’une audience de détermination de la peine contestée. Les personnes accusées qui plaident coupables rapidement sont en mesure de minimiser le stress et les frais liés aux procès. De plus, pour ceux qui éprouvent des remords sincères, un plaidoyer de culpabilité offre une occasion de commencer à reconnaître leurs torts. Pour de nombreux accusés, il est crucial de favoriser au plus haut point la certitude quant au résultat — et une recommandation conjointe, même si elle n’est pas inviolable, offre à cet égard une assurance considérable. (Nos soulignements)

 

[27]    De plus, la Cour suprême rappelle l’importance de respecter la recommandation commune et, encore plus, lorsqu’elle est le résultat d’une négociation intervenue entre deux procureurs d’expérience [4] :

[44]    Enfin, je fais remarquer qu’un seuil élevé pour écarter des recommandations conjointes est non seulement nécessaire, mais également approprié, afin que l’on retire tous les avantages des recommandations conjointes. Les avocats du ministère public et de la défense sont bien placés pour en arriver à une recommandation conjointe qui reflète tant les intérêts du public que ceux de l’accusé (rapport du comité Martin, p. 287). En principe, ils connaîtront très bien la situation du contrevenant et les circonstances de l’infraction, ainsi que les forces et les faiblesses de leurs positions respectives. Le ministère public est chargé de représenter l’intérêt de la collectivité à faire en sorte que justice soit rendue (R. c. Power, 1994 CanLII 126 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 601, p. 616). On exige de l’avocat de la défense qu’il agisse dans l’intérêt supérieur de l’accusé, et il doit notamment s’assurer que le plaidoyer de celui‑ci soit donné de façon volontaire et éclairée (voir, par exemple, Law Society of British Columbia, Code of Professional Conduct for British Columbia(en ligne), règle 5.1‑8). Et les deux avocats sont tenus, sur le plan professionnel et éthique, de ne pas induire le tribunal en erreur (ibid., règle 2.1‑2(c)). Bref, ils sont entièrement capables d’arriver à des règlements équitables et conformes à l’intérêt public (rapport du comité Martin, p. 287). (Nos soulignements)

 

[28]    Cela dit, la recommandation commune formulée par les parties reflète adéquatement les circonstances particulières du présent dossier ;

[29]    De plus, elle tient compte, d’une part, de la gravité objective des infractions et, d’autre part, des facteurs atténuants tels que le plaidoyer de culpabilité de l’intimé et son absence d’antécédents disciplinaires ;

[30]    Enfin, celle-ci s’inscrit parfaitement dans la fourchette des sanctions habituellement imposées pour ce genre d’infraction même si celles-ci ne constituent que des lignes directrices et non des règles absolues[5] ;

[31]    Pour l’ensemble de ces motifs, la recommandation commune des parties sera entérinée par le Comité, sans réserve.

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé ;

DÉCLARE l’intimé coupable du chef 1 de la plainte, plus particulièrement comme suit :

Chef 1 :    pour avoir contrevenu à l’article 24 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r.5) ;

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’égard des autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien du chef 1 ;

IMPOSE à l’intimé la sanction suivante :

Chef 1 :    une amende de 2 500 $

CONDAMNE l’intimé au paiement de tous les déboursés ;

ACCORDE à l’intimé un délai de 12 mois pour acquitter le montant de l’amende et les déboursés, calculé à compter de la date de signification de la présente décision ;

PRONONCE une ordonnance de non-publication, de non-diffusion et de non-divulgation du nom des assurés et de tout renseignement ou information permettant de les identifier, le tout suivant l’article 142 du Code des professions ;

 

 

____________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

 

____________________________________

Mme Chantal Yelle, B.A.A.

Membre        

 

____________________________________

M. Mathieu Gagnon, C.d’A.Ass., FPAA, CRM

Membre

 


 

Me François Montfils

Procureur de la partie plaignante

 

M. Hichem Abdelouaheb Chouiter (personnellement)

Partie intimée

 

Date d’audience : 18 avril 2018

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1]    Infirmières et infirmiers auxiliaires c. Ungureanu, 2014 QCTP 20 (CanLII);

     Chan c. Médecins, 2014 QCTP 5 (CanLII);

     Gauthier c. Médecins, 2013 QCTP 89 (CanLII);

[2]    Infirmières et infirmiers auxiliaires c. Ungureanu, op. cit., note 2, par. 21;

[3]    2016 CSC 43 (CanLII);

[4]    Au moment des négociations, l’intimé était représenté par avocat;

[5]    Infirmières et Infirmiers c. Khiar, 2017 QCTP 98 (CanLII), par. 30 à 32;

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