Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

2017-05-02 (C)

 

 

DATE :

20 décembre 2017

 

 

LE COMITÉ :

Me Daniel M. Fabien, avocat

Vice-président

M. Philippe Jones, courtier en assurance de

dommages

Membre

Mme Marie-Eve Racine, courtier en assurance de dommages

Membre

 

 

 

ME MARIE-JOSÉE BELHUMEUR, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

 

Partie plaignante

 

c.

ISABELLE DELORME, courtier en assurance de dommages des particuliers (4B)  

 

Partie intimée

 

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

 

ORDONNANCE DE NON-DIVULGATION, NON-PUBLICATION

ET NON-DIFFUSION DE TOUS LES RENSEIGNEMENTS PERSONNELS

PERMETTANT D’IDENTIFIER LES ASSURÉS MENTIONNÉS AUX

PIÈCES DÉPOSÉES EN PREUVE EN VERTU DE L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS.

 

 

 

[1]       Le 25 octobre 2017, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages (« le Comité ») se réunit pour disposer de la plainte logée contre l’intimée Isabelle Delorme dans le présent dossier.

 

[2]       Me Marie-Josée Belhumeur est présente et représentée par Me Julie Piché.

 

[3]       Quant à l’intimée, elle est présente et se représente dorénavant seule. En effet, son avocat, Me Éric Lemay, a transmis une lettre datée du 17 octobre 2017 à Me Piché dans laquelle il informe cette dernière que Mme Delorme plaidera coupable et se représentera seule lors de l’audition du présent dossier.

 

[4]       De plus, dans cette lettre, Me Lemay mentionne que sa cliente « accepte qu’une recommandation soit faite selon le contenu du courriel du 6 octobre dernier de Me St-Georges » et que sa « cliente se représentera seule pour les fins de la sanction. »

 

[5]       Dès le début de l’audition, Mme Delorme nous confirme qu’elle entend toujours enregistrer un plaidoyer de culpabilité sur chacun des chefs de la plainte du 18 mai 2017.

 

 

I.          La plainte et le plaidoyer de culpabilité

 

[6]       Dans sa plainte, Me Belhumeur reproche ce qui suit à l’intimée, à savoir :

 

 

          « 1. À Trois-Rivières, le ou vers le 5 novembre 2015, l’Intimée a agi avec négligence dans le suivi du dossier de son assuré M.D., en ne prenant pas soin de consulter les notes au dossier avant de transmettre ses coordonnées bancaires au nouvel assureur Pafco Compagnie d’assurance, contrevenant ainsi aux articles 9 et 37 (1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r.5);

 

          2. À Trois-Rivières, le ou vers le 25 novembre 2015, l’Intimée a fait défaut de respecter le secret des renseignements personnels de son assuré M.D., en transmettant au nouvel assureur Pafco Compagnie d’assurance ses coordonnées bancaires pour le paiement de la prime de sa police d’assurance automobile no 5 58 418076, alors qu’il n’avait pas consenti à payer selon cette méthode de paiement puisqu’il avait déjà acquitté la prime en un seul versement, contrevenant ainsi à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) et à l’article 23 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r.5) ; 

         

          3. À Trois-Rivières, les ou vers les 5 janvier 2016  et 28 janvier 2016, à l’occasion d’une conversation téléphonique avec son assuré M.D. qui se demandait comment ses coordonnées bancaires avaient été transmises au nouvel assureur Pafco Compagnie d’assurance, l’Intimée a fait défaut d’agir avec transparence en négligeant ou refusant de lui indiquer que c’est elle qui avait procédé à leur transmission,  contrevenant ainsi à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) ainsi qu’aux articles 25 et 37 (1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r.5). »

 

[7]          Le Comité prend acte du plaidoyer de culpabilité de l’intimée et déclare cette dernière coupable des trois (3) infractions reprochées dans la plainte.

 

[8]       Sur le chef 1, précisons que l’intimée a été uniquement négligente. Elle est en conséquence déclarée coupable d’avoir enfreint l’article 37 (1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.  

 

[9]       Quant aux chefs 2 et 3, l’intimée a manqué à son devoir de professionnalisme. Elle est donc reconnue coupable d’avoir contrevenu à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers qui prévoit :

 

            « Art. 16. Un représentant est tenu d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients.

          Il doit agir avec compétence et professionnalisme. »

 

[10]     Un arrêt conditionnel des procédures est ordonné sur les autres dispositions règlementaires alléguées au soutien de chacun des chefs d’accusation de la plainte.

 

 

II.         Preuve sur sanction de part et d’autre

 

 

[11]    Le syndic dépose avec le consentement de Mme Delorme les pièces P-1 à P-8.

 

[12]    À la demande de Me Piché, le Comité rend une ordonnance de non-divulgation, non-publication et non-diffusion des renseignements personnels contenus aux pièces et permettant d’identifier les assurés suivant l’article 144 du Code des professions.

 

[13]    Fait important, malgré la pièce P-1, l’intimée n’aurait plus sa certification depuis environ trois semaines.

 

[14]    Selon la preuve, un délai d’environ trois mois s’est écoulé avant que M.D. puisse se faire rembourser les sommes perçues en trop dans son compte de banque.

 

[15]     Questionnée par le vice-président du Comité sur la preuve qu’elle entend administrer, l’intimée est invitée à témoigner. Dûment assermentée, Mme Delorme nous relate essentiellement ce qui suit :

 

      M.D. était un assuré devant bénéficier d’une assurance sous-standard et il était un client particulier et difficile;

 

      M.D. lui avait déjà fait des menaces de mort au téléphone;

 

      Notamment, M.D. lui avait dit qu’il l’attendrait le soir, à l’extérieur de son bureau, lorsqu’elle termine sa journée de travail;

 

      Quant aux chefs 1 et 2, elle nous explique qu’une erreur peut arriver, ce qui est important, c’est de rembourser promptement le client;

 

      Lorsque M.D. est passé au bureau pour payer sa prime au complet, elle ne l’a pas su;

 

      Elle a voulu rembourser le client de sa « propre poche » mais le département de la comptabilité de son cabinet refusait de lui permettre de procéder ainsi;

 

      Elle était surchargée de travail, ne voulait plus faire de dossier sous-standard et ne voulait pas non plus s’occuper du client M.D.;

 

      Elle a avisé son patron, M. Luc Fortin, qu’elle ne voulait plus gérer et traiter les dossiers de M.D.;

 

      Or, malgré ce qui précède, son employeur ne l’écoutait pas et elle devait donc continuer à servir M.D. et ce, même si elle avait peur de lui;

 

      Elle a tout fait pour que M.D. soit remboursé promptement mais le dossier bloquait chez Pafco.

 

[16]    Plus tard au cours de l’instruction du dossier, le Comité procède à l’écoute de deux conversations téléphoniques (P-8) enregistrées entre M.D. et l’intimée. L’une de ces conversations a lieu le 5 janvier 2016 et l’autre le 28 janvier 2016.

 

[17]    Il ressort de ces entretiens que M.D. est contrarié par le fait qu’un prélèvement a été effectué dans son compte alors qu’il avait payé la prime au complet.

 

[18]    Plus particulièrement, le 5 janvier 2016, M.D. avise l’intimée qu’il ne veut pas que « personne joue dans son compte » et ne comprend pas comment il se fait qu’un prélèvement bancaire a été autorisé.

 

[19]    M.D. hausse le ton et dit qu’il veut voir l’intimée en personne pour « lui détruire ses notes dans la face. »

 

[20]    Lorsque l’intimée mentionne à M.D. qu’il est en partie responsable de la problématique puisqu’il n’a pas communiqué avec son cabinet suite à la réception d’une cédule de prélèvement bancaire, M.D. se met alors à crier.

 

[21]    Fait important, les conversations au cours desquelles M.D. aurait menacé l’intimée de mort ne font pas partie de la preuve de la partie plaignante.

 

III.        Recommandations sur sanction

 

 

[22]    Me Piché recherche l’imposition des sanctions suivantes à l’encontre de l’intimée, à savoir :

 

      Chef no 1 : une réprimande;

 

      Chef no 2 : une amende de 4 000 $;

 

      Chef no 3 : une amende de 2 000 $;

 

      Accorder à l’intimée un délai de 3 mois pour payer les amendes, frais et déboursés du dossier.

 

[23]    La partie plaignante requiert donc l’imposition d’amendes totalisant la somme de 6 000 $ plus le paiement des frais et déboursés de l’instance. 

 

[24]    Quant à l’intimée, elle veut juste en finir avec toute cette affaire.

 

[25]    Elle est d’avis également que son procureur n’a pas suffisamment mis l’accent sur les menaces de mort de M.D. et sur son comportement harcelant. L’intimée nous dit que selon Me Lemay, ces derniers faits n’avaient pas de pertinence dans le présent dossier.

 

[26]    En rétrospective, l’intimée regrette de ne pas avoir porté plainte à la police contre M.D.

 

    

 

IV.       Analyse et décision

 

[27]    Pour les motifs ci-après exposés, le Comité est d’opinion que la sanction juste et appropriée dans les circonstances du présent dossier est l’imposition d’une réprimande sur chacun des chefs de la plainte.

 

[28]    À nos yeux, l’intimée doit bénéficier des nombreux facteurs atténuants suivants, à savoir :

 

        la collaboration de l’intimée avec le syndic;

        son plaidoyer de culpabilité à la première occasion;

        l’absence d’antécédent disciplinaire de l’intimée;

        le fait qu’il s’agit d’un acte isolé;

        la bonne foi de l’intimée.

 

 

[29]    De plus, toute cette affaire découle beaucoup plus d’une erreur administrative du cabinet que d’une faute déontologique commise par l’intimée. En effet, suivant la preuve, l’intimée n’aurait pas été mise au courant que M.D. s’était rendu au cabinet afin de payer la prime au complet.

 

[30]    Toutefois, il y a beaucoup plus.

 

[31]    Suivant le témoignage de l’intimée, M.D. l’avait déjà menacé à plusieurs reprises dans le passé. Précisons que nous n’avons aucun doute sur la véracité de cette affirmation de l’intimée à qui nous accordons une grande crédibilité.

 

[32]    L’intimée réside dans une petite communauté. Elle ne bénéficie pas de l’anonymat que pourrait lui assurer la vie dans une grande métropole.  Dans un tel contexte, l’intimée a de bonnes raisons de croire que M.D. peut facilement la trouver et mettre ses menaces à exécution.

 

[33]    De plus, il est bien connu que les assureurs sous-standard couvrent des assurés qui possèdent des antécédents criminels[1].

 

[34]    L’intimée transige avec un assuré qui a probablement des antécédents criminels et qui la menace de mort. Est-ce que dans un tel contexte la qualité du travail de l’intimée peut être affaiblie? Poser la question, c’est y répondre!

 

[35]    D’autre part, il est manifeste que l’intimée a manqué de soutien de la part de son employeur. Ce dernier n’aurait jamais dû permettre que l’intimée continue de servir un client qui la menace. 

 

[36]    M.D. a porté plainte environ 3 mois après les faits parce qu’il n’avait toujours pas été remboursé par le cabinet. Inutile de dire que ce délai est complètement déraisonnable. Par contre, il ne peut être imputé à l’intimée.

 

[37]    À nos yeux, ce délai découle uniquement de l’incompétence du cabinet qui aurait pu facilement rembourser M.D. dans un délai d’au plus quelques jours.

 

[38]    À ce sujet, il convient de citer le passage suivant de la Cour d'appel dans l'affaire Courchesne[2]:

« [83]   L'appelant reproche ensuite au juge de la Cour du Québec d'avoir fait une analyse erronée des précédents en matière de sanction. Le reproche est mal fondé. La détermination de la peine, que ce soit en matière disciplinaire ou en matière pénale, est un exercice délicat, le principe fondamental demeurant celui d'infliger une peine proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du contrevenant. L'analyse des précédents permet au décideur de s'assurer que la sanction qu'il apprête à infliger au délinquant est en harmonie avec celles infligées à d'autres contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. Mais l'analyse des précédents n'est pas sans embûche, chaque cas étant différent de l'autre. En l'espèce, à la lecture de la décision du comité de discipline et du jugement dont appel, il me semble que le reproche formulé par l'appelant est sans fondement. »

          (nos soulignements)

[39]    Cela étant dit, rappelons que le droit disciplinaire n’exige pas qu’un courtier en assurance de dommages soit l’incarnation de la perfection[3].

[40]    Bien plus, nous devons tenir compte de toutes les circonstances avant d’imposer une sanction.

[41]    Il faut aussi que la sanction colle aux faits du dossier puisque chaque cas est un cas d’espèce[4].

[42]     Ici, les fautes commises par l’intimée résultent vraisemblablement d’un comportement complètement inadmissible de M.D.

[43]    N’oublions pas que les fautes de l’intimée sont commises dans un contexte où elle est bien fondée de craindre pour sa sécurité et son intégrité physique.

 

[44]    Quant à la négociation de la sanction entre la partie plaignante et Me Lemay, nous sommes d’avis que nous ne sommes pas liés par une telle suggestion qui nous est présentée en l’absence du procureur de l’intimée.

 

[45]    Nous croyons que ce dernier devait comparaître devant nous afin de défendre sa position quant à la sanction à imposer, ce qu’il a omis de faire[5].

 

[46]    En l’absence de ce procureur, comment pouvons-nous retenir sa position qui ne tiendrait pas compte, selon l’intimée, des menaces de mort proférées par M.D. Bref, nous aurions eu plusieurs questions à ce sujet pour Me Lemay.

 

[47]    Vu ce qui précède, nous venons également à la conclusion qu’il ne s’agit pas d’une recommandation commune au sens de la jurisprudence.

 

[48]    Non seulement le procureur de l’intimée ne s’est pas présenté à l’audition afin de justifier la sanction mais nous croyons que l’imposition d’une amende totale de 6 000 $ dans les circonstances serait manifestement disproportionnée et punitive.

 

[49]    Faut-il rappeler que la sanction disciplinaire ne doit pas chercher à punir le professionnel mais doit plutôt corriger un comportement déviant sur le plan d’une pratique professionnelle[6].

 

[50]    En l’espèce, le comportement déviant de l’intimée résulte de circonstances exceptionnelles.

 

[51]    La sanction doit donc être juste, raisonnable et proportionnée à la responsabilité générale de l’intimée.

 

[52]    Or, nous sommes d’avis que dans les circonstances de la présente affaire, une réprimande sur chacun des chefs nos 1, 2 et 3, constitue une sanction juste et appropriée.

 

[53]    Bref, il s’agit d’une sanction qui colle aux faits du présent dossier.

 

[54]    Quant aux frais, l’intimée devra assumer les déboursés de l’instance et elle aura 90 jours pour les payer.

 

Par CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimée Isabelle Delorme à l’égard des chefs nos 1, 2 et 3 de la plainte du 18 mai 2017;

DÉCLARE l’intimée coupable du chef no 1 de la plainte pour avoir enfreint l’article 37 (1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

DÉCLARE l’intimée coupable des chefs nos 2 et 3 de la plainte pour avoir enfreint l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers;

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’égard de toutes les autres dispositions réglementaires alléguées au soutien des chefs d’accusation susdits;

Sur le chef no1 :

IMPOSE à l’intimée une réprimande;

Sur le chef no2 :

IMPOSE à l’intimée une réprimande;

Sur le chef no3 :

IMPOSE à l’intimée une réprimande;

CONDAMNE l’intimée à payer les frais et déboursés.

ACCORDE à l’intimée un délai de 90 jours pour acquitter le montant des frais et des déboursés, délai qui sera calculé uniquement à compter du 31ième jour suivant la signification de la présente décision.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

____________________________________

Me Daniel M. Fabien, avocat

Vice-président du Comité de discipline

 

 

 

____________________________________

M. Philippe Jones, courtier en assurance de dommages

Membre        

 

 

 

____________________________________

Mme Marie-Eve Racine, courtier en assurance de dommages

Membre

 

Me Julie Piché

Procureur de la partie plaignante

 

Mme Isabelle Delorme, présente et non représentée

Partie intimée

 

 

Date d’audience : 25 octobre 2017

 



[1] Paul c. Inter Groupe Assurances inc., 2006 QCCS 5011 (CanLII), aux paragraphes 153 et suivants;

[2] Courchesne c. Castiglia, 2009 QCCA 2303 (CanLII), demande d'autorisation d'appel à la Cour suprême rejetée, 2010 CanLII 20533 (CSC);

[3] Prud’homme c. Gilbert, 2012 QCCA 1544 (CanLII);

[4] 2003 CanLII 32934 (QC CA) aux paragraphes 37;

[5] R. c. AnthonyCook, [2016] 2 RCS 204, 2016 CSC 43 (CanLII), aux paragraphes 54 et 57. Voir également ChAD c. Lavoie, 2017 CanLII 66279 (QC CDCHAD), aux paragraphes 69 et suivants; 

[6] OACIQ c. Côté, 2016 CanLII 31158 (QC OACIQ), au paragraphe 54;

 

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