Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

2017-03-03 (E)

 

 

DATE :

18 septembre 2017

 

 

LE COMITÉ :

Me Daniel M. Fabien, avocat

Vice-président

M. Pierre David, expert en sinistre

Membre

M. Yvan Roy, FPAA, expert en sinistre

Membre

 

 

 

SYLVIE POIRIER, ès qualités de syndic ad hoc de la Chambre de l’assurance de dommages

 

Partie plaignante

 

c.

NELSON MARTINEAU, inactif et sans mode d’exercice (autrefois expert en sinistre)

 

Partie intimée

 

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION RECTIFIÉE

 

 

 

[1]       Le 9 juin 2017, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages (« le Comité ») se réunit pour disposer de la plainte logée contre l’intimé Nelson Martineau dans le présent dossier.

 

[2]       Me Sylvie Poirier est présente et l’intimé se représente seul.

 

[3]       Dès le début de l’audition, Me Poirier avise le Comité que l’intimé a déjà enregistré un plaidoyer de culpabilité écrit en date du 24 avril 2017.

 

[4]       Me Poirier nous informe également que M. Martineau est en accord avec sa suggestion de sanction. Cependant, Me Poirier exprime l’avis qu’il ne s’agit pas d’une recommandation commune sur sanction au motif que l’intimé n’est pas assisté d’un avocat.

 

[5]       Le Comité partage l’avis de la partie plaignante et considère qu’il ne peut s’agir d’une recommandation commune en l’espèce.

 

[6]       M. Martineau nous confirme qu’effectivement, il plaide coupable.

 

I.          La plainte et le plaidoyer de culpabilité

 

[7]       Dans sa plainte du 24 mars 2017, Me Poirier reproche ce qui suit à l’intimé, à savoir :

 

          « 1. À Victoriaville, le ou vers le 1er mai 2013, l’intimé n’a pas agi avec professionnalisme lors d’une visite à la résidence des assurés Y.T. et C.L. suite au sinistre rapporté par ceux-ci, en ne recueillant pas toute l’information nécessaire à l’enquête du sinistre et au traitement de la réclamation, notamment en omettant de recueillir la déclaration des assurés, de prendre des photos des lieux où les dommages ont été constatés et de noter ses observations et la teneur de ses échanges avec la ou les personne(s) rencontrée(s) sur les lieux, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 10, 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistres (RLRQ c. D-9.2, r. 4);

 

          2. À Victoriaville, le ou vers le 29 avril 2013 et par la suite, l’intimé a négligé ses devoirs professionnels en matière de tenue de dossier, suite à l’avis d’un sinistre à la propriété des assurés Y.T. et C.L., en ce qu’il :

 

a. N’a ouvert aucun dossier pour y consigner l’information pertinente à l’enquête du sinistre et au règlement de la réclamation;

b. N’a laissé aucune note de sa visite sur les lieux du sinistre;

c. N’a laissé aucune note de l’existence d’un conflit opposant les intérêts de plusieurs assurés relativement à ce sinistre et des démarches effectuées à cet égard;

d. N’a laissé aucune note de ses conversations téléphoniques et échanges avec les divers intervenants concernés;

e. N’a laissé aucune note de la conclusion de son enquête sur le sinistre et de la prise de décision du refus d’indemniser;

 

          le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, les articles 10 et 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistres (RLRQ c. D-9.2, r. 4), et les articles 12 et 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome (RLRQ c. D-9.2, r. 2);

 

          3. À Victoriaville, le ou vers le 1er mai 2013 et le ou vers le 17 mai 2013, l’intimé n’a pas agi avec professionnalisme en informant les assurés Y.T. et C.L. du refus de leur réclamation pour motif d’exclusion, sans avoir véritablement enquêté sur la cause exacte du sinistre, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 10, 27 et 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistres (RLRQ c. D-9.2, r. 4).1. »

 

 

[8]       Considérant les représentations des parties, le Comité a pris acte du plaidoyer de culpabilité de l’intimé et ce dernier fut déclaré coupable des trois (3) infractions reprochées dans la plainte amendée.

 

[9]       Sur chacun des chefs, l’intimé est déclaré coupable d’avoir enfreint l’article 10 du Code de déontologie des experts en sinistre. Cet article stipule :

 

          « Art. 10. L’expert en sinistre ne doit pas négliger les devoirs professionnels reliés à l’exercice de ses activités ; il doit s’en acquitter avec intégrité. »

 

II.         Preuve sur sanction

 

 

[10]    Les parties déposent de consentement les pièces P-1 à P-20.

 

[11]    Il s’agit essentiellement des documents colligés au cours de l’enquête effectuée par madame Karine Hamilton du Bureau du syndic de la ChAD.

 

[12]    À l’aide des pièces, Me Poirier nous expose la trame factuelle.

 

[13]    Au mois d’avril 2013, M. Martineau est expert en sinistre et directeur de la succursale de la société mutuelle d’assurance générale Promutuel Bois-Francs sise à Victoriaville.

 

[14]    Fait important, l’intimé a décidé de quitter ses fonctions auprès de Promutuel. Sa dernière journée de travail est le vendredi 17 mai 2013.

 

[15]    Le 1er mai 2013, l’intimé se rend chez les assurés Y.T et C.L. Immédiatement, il considère qu’il s’agit d’un sinistre qui n’est pas couvert par la police puisqu’il est en mesure de constater que les dommages résultent fort probablement d’un mouvement du sol.

 

[16]    M. Martineau avise les assurés de ce qui précède et leur mentionne qu’ils ont possiblement un recours contre les voisins en raison de l’affaissement de leur terrain.

 

[17]    Il fera défaut de recueillir la déclaration des assurés, de prendre des photos des lieux et de noter ses observations et la teneur de ses échanges avec les assurés.

 

[18]    De retour à son bureau, il n’ouvre pas de dossier. Toutefois, le 17 mai 2013, avant son départ, il écrit aux assurés afin de les informer que le sinistre ne fait pas l’objet d’une garantie d’assurance.

 

[19]    Le 17 mai 2013 également, il transmet un courriel (P-3) à madame Christine Hubert, soit l’expert en sinistre qui remplacera l’intimé à titre de directrice de Promutuel Bois-Francs.

 

[20]    Dans ce courriel, l’intimé relate les faits importants relativement au dossier des assurés Y.T et C.L.  Il explique à madame Hubert que le dossier concerne deux autres assurés de Promutuel, soit la voisine propriétaire du terrain adjacent à celui des assurés Y.T. et C.L. et le constructeur de la propriété adjacente, Construction Angersnérale inc.

 

[21]    Il prévient madame Hubert que Promutuel est visiblement en conflit d’intérêts et qu’elle doit s’assurer de ne pas favoriser aucune des parties.

 

[22]    Il confie le dossier de la voisine à un expert en sinistre indépendant et le dossier qui concerne l’entrepreneur général à un expert en sinistre de Promutuel Coaticook-Sherbrooke. Ce courriel est également transmis aux experts en sinistre qui sont mandatés par l’intimé.

 

[23]    Bref, M. Martineau prend les mesures qui s’imposent afin de pallier au conflit d’intérêts. De plus, il fait le nécessaire pour la suite des choses en confiant l’affaire à d’autres experts en sinistre.

 

[24]    Le 25 avril 2014, Promutuel avisera les assurés Y.T et C.L. du non-renouvellement de leur contrat d’assurance habitation au motif d’une aggravation du risque constatée lors de l’inspection des lieux.

 

[25]    L’intimé veut nous faire part de certains faits additionnels. Il témoignera sous serment.

 

[26]    M. Martineau nous relate ce qui suit :

 

        à l’époque des faits reprochés, il exécutait principalement des fonctions de gestionnaire;

        il n’avait pas accès au type de fichier que l’on retrouve à la pièce P-2;

        lors de sa rencontre du 1er mai 2013 avec les assurés Y.T et C.L., il a compris que ceux-ci ne voulaient que des informations;

        il s’est surtout concentré sur le dossier de responsabilité civile qui concernait la voisine de Y.T et C.L.;

        il est d’avis qu’il s’agit d’un concours de circonstances lié à son état de santé et son départ du 17 mai 2013;

        il n’était pas familier avec le logiciel OGS (Outil de gestion de sinistres) et vu qu’il quittait ses fonctions, il n’avait pas suivi de formation à ce sujet;

        il nous parle de ses problèmes de santé, sa situation financière actuelle et de ses modestes revenus de retraite;

        il considère qu’il a bien collaboré au processus disciplinaire et il n’a pas l’intention de revenir travailler dans le domaine de l’assurance;

        l’enquête a été très longue et sa santé en a souffert.

 

[27]    Voilà l’essentiel de la preuve administrée de part et d’autre.

 

III.        Recommandations sur sanction de la partie plaignante

 

 

[28]    Me Poirier recherche l’imposition des sanctions suivantes à l’encontre de l’intimé, à savoir :

 

      Chef no 1 : une amende de 3 000 $;

 

      Chef no 2 : une amende de 3 500 $ et l’imposition d’un cours de formation si l’intimé devait revenir à la profession;

 

      Chef no 3 : une réprimande.

 

[29]    En vertu du principe de la globalité de la sanction, le total des amendes devrait être réduit à la somme de 3 500 $ compte tenu de la situation financière de l’intimé.

 

[30]    Quant aux facteurs atténuants, Me Poirier nous fait part des éléments suivants :

 

        la collaboration de l’intimé avec le syndic;

        son plaidoyer de culpabilité à la première occasion;

        l’absence d’antécédent disciplinaire de l’intimé;

        le fait qu’il s’agit d’un acte isolé;

        l’état de santé fragilisé de l’intimé;

        la longue carrière sans tache de l’intimé;

        la bonne foi de l’intimé;

        le fait que l’intimé est à la retraite et qu’il ne veut pas revenir dans le domaine de l’assurance;

        le stress subi par l’intimé au cours d’une enquête particulièrement longue.

 

[31]    À titre de facteurs aggravants, Me Poirier nous explique qu’il s’agit d’infractions qui se situent au cœur de la profession et qui sont de nature à ternir l’image de l’expert en sinistre. Ce type de comportement est d’autant plus grave puisque l’intimé était directeur de la succursale.

 

[32]    De plus, il aurait pu facilement monter un dossier sur support papier.

 

[33]    Le syndic ad hoc nous réfère à plusieurs décisions du Comité dont notamment l’affaire ChAD c. Goulet[1].

 

[34]    Quant à M. Martineau, il est en accord avec cette sanction mais souhaite obtenir un délai d’un an pour payer l’amende de 3 500 $ et ce, considérant sa situation financière.

 

[35]     Me Poirier n’a pas d’objection à cette demande de l’intimé.

    

 

IV.       Analyse et décision

 

 

[36]    Conformément à l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Pigeon c. Daigneault[2], la sanction doit atteindre les objectifs suivants :  la protection du public, la dissuasion du professionnel de récidiver, l'exemplarité à l'égard des membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables et finalement, le droit du professionnel visé d'exercer sa profession.

 

[37]    Faut-il rappeler également que la sanction disciplinaire ne doit pas punir le professionnel mais doit plutôt être juste, raisonnable et proportionnée aux infractions commises.

 

[38]    Or, nous sommes d’avis que dans les circonstances de la présente affaire une réprimande sur chacun des chefs nos 1 et 2 constitue une sanction juste et appropriée et ce, pour les motifs ci-après exposés.

 

[39]    Lorsque le Comité examine la nature des sanctions qu’il doit imposer, il doit tenir compte du contexte dans lequel l’infraction a été commise[3].

 

[40]    Or, nous trouvons que la sanction suggérée par la partie plaignante sur les chefs nos 1 et 2 ne tient pas suffisamment compte des nombreux facteurs atténuants qui sont en cause et particulièrement de l’état de santé fragilisé de l’intimé.

 

[41]    De plus, le témoignage de l’intimé nous permet de comprendre que les assurés Y.T. et C.L. ne voulaient qu’obtenir de l’information en date du 1er mai 2013. Il ne s’agissait donc pas d’une réclamation au sens strict du terme.

 

[42]    Mais il y a plus.

 

[43]    En rédigeant le courriel P-3, lequel est transmis à sa remplaçante madame Hubert et aux autres intervenants qu’il mandate le jour de son départ pour prendre la relève, nous sommes d’opinion que l’intimé a agi avec professionnalisme. En fait, il s’est assuré que l’affaire puisse être prise en charge malgré son départ et l’omission d’ouvrir un dossier. 

 

[44]    Dans un tel contexte, il nous apparait que les infractions commises par l’intimé et décrites aux chefs nos 1 et 2 sont des infractions beaucoup plus techniques qu’autre chose.

 

[45]    Par ailleurs, l’intimé n’a plus l’intention de travailler dans le domaine de l’assurance. Il est aujourd’hui à la retraite.

 

[46]    Il en résulte que pour l’avenir, la protection du public n’est pas en cause.

 

[47]    Nous avons vu l’intimé et entendu son témoignage. Nous croyons que l’objectif de dissuasion est déjà atteint. Relativement au risque de récidive, nous considérons qu’il est nul.    

 

[48]    Quant au chef no 3, le Comité est d’avis qu’une réprimande sur ce chef constitue une sanction juste et appropriée. C’est pourquoi il retiendra la suggestion de la partie plaignante sur ce chef et imposera une simple réprimande sur ce dernier chef.

 

[49]    Considérant ce qui précède, le Comité estime qu’une réprimande sur chacun des chefs est une sanction adéquate et appropriée puisqu’il s’agit d’une sanction qui colle aux faits du présent dossier.

 

[50]    En conclusion, rappelons qu’une réprimande constitue un antécédent qui demeurera au dossier[4] de l’intimé avec toutes les conséquences qui en résultent.

 

[51]    Quant aux frais, l’intimé devra assumer les déboursés de l’instance.

 

Par CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé Nelson Martineau à l’égard des chefs nos 1, 2 et 3 de la plainte du 24 mars 2017;

DÉCLARE l’intimé Nelson Martineau coupable des chefs nos 1, 2 et 3 de la plainte pour avoir contrevenu à l’article 10 du Code de déontologie des experts en sinistre;

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’égard de toutes les autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien des chefs d’accusation susdits;

Sur le chef no1 :

IMPOSE à l’intimé Nelson Martineau une réprimande;

Sur le chef no2 :

IMPOSE à l’intimé Nelson Martineau une réprimande;

Sur le chef no3 :

IMPOSE à l’intimé Nelson Martineau une réprimande;

CONDAMNE l’intimé Nelson Martineau à payer les déboursés.

 

 

 

 

 

 

 

 

____________________________________

Me Daniel M. Fabien, avocat

Vice-président du Comité de discipline

 

 

 

____________________________________

M. Pierre David, expert en sinistre

Membre        

 

 

 

____________________________________

M. Yvan Roy, FPAA, expert en sinistre

Membre

 

Me Sylvie Poirier

Partie plaignante

 

M. Nelson Martineau

Partie intimée

 

 

Date d’audience : 9 juin 2017

 



[1] 2012 CanLII 86181 (QC CDCHAD) ;

[2] 2003 CanLII 32934 (QC CA) aux paragraphes 38 et suivants;

[3] ChAD c. Cirrincione, 2011 CanLII 3350 (QC CDCHAD), au paragraphe 24;

[4] Lagacé c. Gingras, ès qualités (Arpenteurs-géo.), 2000 QCTP 50 (CanLII);

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