Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

2016-12-01 (C)

 

 

DATE :

14 juillet 2017

 

 

LE COMITÉ :

Me Daniel M. Fabien, avocat

Président

M. Philippe Jones, courtier en assurance

de dommages

Membre

M. François Vallerand, C. d’A.Ass., courtier en

assurance de dommages

Membre

 

 

 

Me MARIE-JOSÉE BELHUMEUR, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

 

Partie plaignante

 

c.

GUYLAINE PHANEUF, courtier en assurance de dommages (4A)

 

Partie intimée

 

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

 

 

 

[1]       Le 30 mai 2017, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages (« le Comité ») est réuni pour instruire la plainte logée contre l’intimée Guylaine Phaneuf dans le présent dossier.

 

[2]       Me Marie-Josée Belhumeur se représente elle-même et elle est accompagnée de Me Nicolas Veilleux. Quant à l’intimée, elle est présente et représentée par Me Audrey Pinard et Me Mélanie Morin.

 

[3]       Dès le début de l’audition, nous sommes informés qu’une entente est intervenue entre les parties et que l’intimée plaide coupable à la plainte déposée au dossier qui comporte 5 chefs d’accusation.

 

[4]       De plus, Me Belhumeur remet à chacun des membres du Comité un document intitulé « Suggestion commune sur sanction ». Ce document est dûment signé par Me Belhumeur, les procureurs de madame Phaneuf de même que l’intimée.

 

 

I.          Le plaidoyer de culpabilité de l’intimée

 

 

[5]       L’intimée plaide coupable aux chefs d’accusation suivants, à savoir :

 

« 1. À St-Hyacinthe, le ou vers le 22 août 2004, l’intimée a contrefait la signature de son client M. L. sur une lettre de gratitude pour ses services professionnels, contrevenant ainsi à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) et aux articles 9, 15 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r.5);

 

2. À St-Hyacinthe, le ou vers le 1er septembre 2004, l’intimée a contrefait la signature           de son client G. P. sur une lettre de gratitude pour ses services professionnels, contrevenant ainsi à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D 9.2) et aux articles 9, 15 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r.5);

 

3.   À St-Hyacinthe, le ou vers le 1er juin 2009, l’intimée a contrefait la signature de son

client J. B. sur une proposition d’assurance, contrevenant ainsi à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) et aux articles 9, 15 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r.5);

 

4.  À St-Hyacinthe, le ou vers le 22 mars 2012, l’intimée a contrefait la signature de son  

client D. F. sur un document confirmant une modification au contrat de l’assuré, contrevenant ainsi à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D 9.2) et aux articles 9, 15 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r.5);

 

5. À St-Hyacinthe, entre les ou vers les 18 juin et 27 septembre 2012, l’intimée a fait défaut d’exécuter le mandat que lui avait confié l’assurée M. L., soit d’obtenir une protection d’assurance automobile, alors qu’elle a négligé de procéder à l’émission du contrat d’assurance, demandé en juin 2012 et finalement émis en novembre 2012 rétroactivement au mois de septembre 2012, contrevenant ainsi à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D 9.2) et aux articles 26 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r.5). » 

 

[6]       Questionnée par le vice-président du Comité, l’intimée a reconnu les faits mentionnés aux chefs susdits et a plaidé coupable à chacun de ceux-ci.  

 

[7]       Séance tenante, le Comité a donc pris acte du plaidoyer de culpabilité de l’intimée et déclaré celle-ci coupable des infractions reprochées.

 

[8]       Sur les chefs 1 et 2, l’intimée est trouvée coupable d’avoir enfreint l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

 

[9]       Cet article stipule ce qui suit :

 

 

« Art. 16. Un représentant est tenu d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients.

 

Il doit agir avec compétence et professionnalisme. »

 

[10]    Quant aux chefs 3, 4 et 5, l’intimée est coupable d’avoir contrevenu à l’article 37 (1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages. Cette disposition prévoit :

 

« Art. 37. Constitue un manquement à la déontologie, le fait pour le représentant en assurance de dommages d’agir à l’encontre de l’honneur et de la dignité de la profession, notamment :

 

              1o d’exercer ses activités de façon malhonnête ou négligente; »

 

[11]    Considérant ce qui précède, un arrêt conditionnel des procédures est ordonné sur les autres dispositions législatives et règlementaires alléguées au soutien des chefs d’accusation susdits.

 

II.         Preuve sur sanction

 

 

[12]    Les parties déposent de consentement les pièces documentaires P-1, P-2, P-3, P-4, P-5, P-7 et P-9.

 

[13]    En faisait référence à ces pièces documentaires, Me Belhumeur nous brosse un tableau des circonstances entourant chacune des infractions.

 

[14]    Par la suite, l’intimée témoigne pour sa défense.

 

[15]    Elle nous dit qu’elle pratique la profession depuis 1987. Elle œuvre principalement en assurance des entreprises.

 

[16]    Elle a toujours pratiqué pour le cabinet Assurances Morin et Associés inc. et ce n’est que depuis récemment qu’elle exerce la profession pour le compte du cabinet Assurances Alain Tourigny inc.

 

[17]     Elle se spécialise en assurance des entreprises et agricole. Elle s’occupe aussi des besoins de ses clients commerciaux en assurance des particuliers.

 

[18]    Quant aux lettres de gratitude décrites aux chefs 1 et 2, elle croyait sincèrement qu’elle pouvait signer pour le client dans la mesure où ce dernier lui donnait une autorisation verbale pour ce faire.

 

[19]    Il en va de même pour le chef 4, puisqu’elle avait également obtenu l’autorisation du client de signer en son nom.

 

[20]    Relativement à l’infraction décrite au chef 5, elle nous explique que durant cette période elle souffrait d’épuisement professionnel.

 

[21]    Aujourd’hui, elle travaille avec un système informatique qui lui permet d’assurer un suivi plus serré de ses dossiers.  

 

[22]    Madame Phaneuf termine son témoignage en mentionnant qu’elle a bien collaboré à l’enquête du syndic.

 

 

 

III.        Recommandations communes sur sanction

 

 

[23]    Me Belhumeur déclare au Comité que les parties se sont entendues sur les sanctions suivantes, à savoir :

 

       Chef no 1 : une réprimande;

 

       Chef no 2 : une réprimande;

 

       Chef no 3 : une radiation temporaire d’un (1) mois;

 

       Chef no 4 : une radiation temporaire d’un (1) mois;

 

       Chef no 5 : une radiation temporaire d’un (1) mois et une amende de 2 000 $;

 

       Accorder un délai de 30 jours à l’intimée pour payer l’amende;

 

       Ordonner que les périodes de radiation soient purgées concurremment entre elles;

 

       Ordonner la publication d’un avis de radiation, aux frais de l’intimée, dans un journal local où l’intimée a son domicile professionnel ou à tout autre endroit où elle exerce ou pourrait exercer la profession;

 

       Condamner l’intimée aux débours, incluant les frais de publication.

 

 

[24]    Me Belhumeur nous explique pour quelles raisons les parties nous recommandent d’imposer les sanctions ci-haut décrites.

 

[25]    Il précise que les infractions décrites aux chefs 3, 4 et 5 sont particulièrement graves. Elles se situent au cœur de la profession de courtier en assurance de dommages et mettent en péril la protection du public.

 

[26]    Quant aux facteurs atténuants dont doit bénéficier l’intimé, Me Belhumeur souligne :

 

       l’absence d’antécédent disciplinaire ;

 

       son plaidoyer de culpabilité à la première occasion ;

 

       l’absence d’intention malhonnête;

 

       un risque de récidive inexistant.

 

 

[27]    Afin d’appuyer la recommandation commune, le syndic nous réfère aux précédents jurisprudentiels suivants :

 

         Chambre de la sécurité financière c. Rouillard, 2017 CanLII 5549 (QC CDCSF)

 

         ChAD c. Rigas, 2016 CanLII 53907 (QC CDCHAD)

 

         ChAD c. Paquin, 2016 CanLII 72924 (QC CDCHAD)

 

[28]    Me Pinard nous confirme que la sanction suggérée est juste et appropriée dans les circonstances.  

 

[29]    Sur les chefs 1, 2 et 3, selon l’avocate de l’intimée, il est manifeste que madame Phaneuf n’avait pas d’intention malhonnête puisqu’elle avait été préalablement autorisée par ses clients de signer en leur nom.

 

[30]    En plus du fait que l’intimée a souffert d’épuisement professionnel et qu’il n’y a pas eu de préjudice de causé aux assurés, à titre de facteurs atténuants additionnels, Me Pinard plaide que l’intimée :

 

       a bien collaboré au processus disciplinaire ;

 

       est de bonne foi ;

 

       a compris le message.

 

 

 

IV.       Analyse et décision

 

A)        Les recommandations communes

 

 

[31]    La jurisprudence a établi à maintes reprises l’importance qu’un comité de discipline doit accorder aux recommandations communes[1].

 

[32]    Plus récemment, la Cour suprême confirmait que les recommandations communes sont essentielles au bon fonctionnement de la justice[2].

 

[33]    Dans cet arrêt, la Cour suprême précise que le Comité doit faire preuve de retenue lorsque les procureurs des parties présentent une recommandation commune sur sanction.

 

[34]    Ci-après quelques extraits pertinents de cet arrêt important, à savoir :

 

 

« [40] En plus des nombreux avantages que les recommandations conjointes offrent aux participants dans le système de justice pénale, elles jouent un rôle vital en contribuant à l’administration de la justice en général. La perspective d’une recommandation conjointe qui comporte un degré de certitude élevé encourage les personnes accusées à enregistrer un plaidoyer de culpabilité. Et les plaidoyers de culpabilité font économiser au système de justice des ressources et un temps précieux qui peuvent être alloués à d’autres affaires. Il ne s’agit pas là d’un léger avantage. Dans la mesure où elles font éviter des procès, les recommandations conjointes relatives à la peine permettent à notre système de justice de fonctionner plus efficacement. Je dirais en fait qu’elles lui permettent de fonctionner. Sans elles, notre système de justice serait mis à genoux, et s’effondrerait finalement sous son propre poids.

 

[41] Cependant, comme je l’ai mentionné, la présentation de recommandations conjointes ne reste possible que si les parties sont très confiantes qu’elles seront acceptées. Si elles doutent trop, les parties peuvent plutôt choisir d’accepter les risques d’un procès ou d’une audience de détermination de la peine contestée. Si les recommandations conjointes en viennent à être considérées comme des solutions de rechange insuffisamment sûres, l’accusé en particulier hésitera à renoncer à un procès et à ses garanties concomitantes, notamment la faculté cruciale de mettre à l’épreuve la solidité de la preuve du ministère public.

 

[42] D’où l’importance, pour les juges du procès, de faire montre de retenue et de ne rejeter les recommandations conjointes que lorsque des personnes renseignées et raisonnables estimeraient que la peine proposée fait échec au bon fonctionnement du système de justice. Un seuil moins élevé que celui-ci jetterait trop d’incertitude sur l’efficacité des ententes de règlement. Le critère de l’intérêt public garantit que ces ententes de règlement jouissent d’un degré de certitude élevé. »

 

(nos soulignements)

 

[35]    Dans l’affaire Ungureanu[3] , le Tribunal des professions décrit lui aussi qu’elle est la fonction des recommandations communes en matière disciplinaire :

[21Les ententes entre les parties constituent en effet un rouage utile et parfois nécessaire à une saine administration de la justice. Lors de toute négociation, chaque partie fait des concessions dans le but d'en arriver à un règlement qui convienne aux deux. Elles se justifient par la réalisation d'un objectif final. Lorsque deux parties formulent une suggestion commune, elles doivent avoir une expectative raisonnable que cette dernière sera respectée. Pour cette raison, une suggestion commune formulée par deux avocats d'expérience devrait être respectée à moins qu'elle ne soit déraisonnable, inadéquate ou contraire à l'intérêt public ou de nature à déconsidérer l'administration de la justice.

(Nos soulignements)

 

B)       Décision

 

[36]    La recommandation commune formulée par les parties est entérinée par le Comité.

 

[37]    Bref, elle n’est pas contraire à l’intérêt public et ne fait pas échec au bon fonctionnement de notre système de justice disciplinaire. De plus, lorsqu’une suggestion commune nous est soumise par des avocats d’expérience, notre marge de manœuvre est très limitée.

 

[38]     Précisons toutefois un fait qui nous apparait très important.

 

[39]    Nous sommes d’opinion que l’intimée n’a jamais agi de façon malhonnête. Elle a uniquement été négligente.

 

[40]    Tel qu’établi par la Cour d’appel dans l’arrêt Pigeon c. Daigneault[4], la sanction disciplinaire doit atteindre les objectifs suivants : 

 

         en premier lieu, la protection du public ;

 

         ensuite, la dissuasion du professionnel de récidiver; et

 

         l'exemplarité à l'égard des membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables;

 

         et finalement, le droit du professionnel visé d'exercer sa profession.

 

 

[41]    Or, la suggestion commune des parties tient compte de la gravité objective des infractions et, d’autre part, elle assure la protection du public sans punir outre mesure l’intimée.

 

[42]    L’intimée aura un délai de trente (30) jours pour acquitter l’amende de 2 000 $, délai qui sera calculé uniquement à compter du 31ième jour suivant la signification de la présente décision

 

[43]    Un avis de la présente décision ordonnant la suspension de l’intimé devra être publié dans un journal local où l’intimée exerce sa profession.

 

[44]    Quant aux frais, l’intimé devra assumer les frais et déboursés de l’instance, incluant les frais de publication d’un avis de la présente décision.

 

Par CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimée Guylaine Phaneuf sur les chefs nos 1, 2, 3, 4 et 5 de la plainte;

DÉCLARE l’intimée coupable des chefs nos 1 et 2 de la plainte pour avoir contrevenu à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers;

DÉCLARE l’intimée coupable des chefs nos 3, 4 et 5 de la plainte pour avoir contrevenu à l’article 37(1o) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages ;

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’égard de toutes les autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien des chefs d’accusation susdits;

Sur le chef n1 :

IMPOSE à l’intimée une réprimande;

Sur le chef n2 :

IMPOSE à l’intimée une réprimande;

Sur le chef n3 :

IMPOSE à l’intimée une radiation temporaire d’un (1) mois;

Sur le chef n4 :

IMPOSE à l’intimée une radiation temporaire d’un (1) mois;

Sur le chef n5 :

IMPOSE à l’intimée une radiation temporaire d’un (1) mois et le paiement d’une amende de 2 000 $;

DÉCLARE que les périodes de radiation temporaire imposées sur les chefs 3 à 5 seront purgées de façon concurrente entre elles pour une radiation temporaire totale d’un (1) mois;

ORDONNE la publication d’un avis de radiation temporaire, aux frais de l’intimée;

CONDAMNE l’intimé au paiement de tous les déboursés, y compris les frais de publication de l’avis de radiation;

ACCORDE à l’intimée un délai de trente (30) jours pour acquitter l’amende de 2 000 $, délai qui sera calculé uniquement à compter du 31ième jour suivant la signification de la présente décision.

 

 

 

 

 

 

 

 

____________________________________

Me Daniel M. Fabien, avocat

Vice-président du Comité de discipline

 

 

 

____________________________________

M. Philippe Jones, courtier en assurance de dommages 

Membre        

 

 

 

____________________________________

M. François Vallerand, C. d’A.Ass., courtier

en assurance de dommages

Membre

 

Me Marie-Josée Belhumeur

Partie plaignante

 

Me Audrey Pinard

Me Mélanie Morin

Procureurs de la partie intimée

 

 

Date d’audience : 30 mai 2017

 



[1]  Gauthier c. Médecins (Ordre professionnel des), 2013 CanLII 82189 (QC TP) et Chan c. Médecins (Ordre professionnel des), 2014 QCTP 5 (CanLII);

[2] R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43 QCTP 5 (CanLII);

[3]  Infirmières et Infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel de) c. Ungureanu, 2014 QCTP 20 (CanLII);

[4]  2003 CanLII 32934 (QC CA), aux paragraphes 38 et suivants;

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