Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

Chambre de l’assurance de dommages

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No:

2016-01-02(E)

 

DATE :

5 juillet 2017

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

Mme Paule Émond, LL. B., expert en sinistre

Membre

Mme Élaine Savard, LL. B. FPAA, expert en sinistre

Membre

 

 

Me KARINE LIZOTTE, ès qualités de syndic adjoint de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

CLAUDE BERNARD, expert en sinistre (5A)

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR SANCTION

 

 

 

[1]       Le 4 avril 2017, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition sur sanction de la plainte numéro 2016-01-02(E) ;

 

[2]       Le syndic adjoint était alors représenté par Me Claude G. Leduc et, de son côté, l’intimé se représentait seul ;

 

[3]       Le 22 novembre 2016, l’intimé a été reconnu coupable[1] des infractions suivantes :

 

 

1.   Le ou vers le mois de mars 2011, a exigé dans le « Mandat d’expertise en règlement de sinistres » qu’il a fait signer à sa cliente, G. L., des intérêts à un taux déraisonnable de 18% plus le taux préférentiel des banques, soit un taux supérieur à celui de 6% fixé conformément à l’article 28 de la Loi sur le ministère du Revenu (L.R.Q., c. M-31), devenue la Loi sur l'administration fiscale (LRQ c. A-6.002), le tout en contravention avec l’article 42 du Code de déontologie des experts en sinistre;

2.   (retrait) ;

3.   Entre les ou vers les mois de mai 2011 et février 2012, a fait défaut d’agir avec professionnalisme et/ou n’a pas eu une conduite empreinte d’objectivité, de modération et de dignité en retardant le règlement de la réclamation de son ancienne cliente, G. L., le tout en contravention avec l’article 15 du Code de déontologie des experts en sinistre;

4.   Entre les ou vers les mois de mars et mai 2011, concernant la cliente G. L., a agi avec négligence en n’ayant pas une tenue de dossier que l’on est en droit de s’attendre de la part d’un expert en règlement de sinistres, en n’indiquant pas dans sa feuille de travail suffisamment de détails quant au travail qu’il a effectué notamment au sujet des listes de contenu et de l’administration du dossier, le tout en contravention avec l’article 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome (RLRQ c D-9.2, r 2);.           

 

I.          Preuve sur sanction

 

[4]       Comme premier témoin, l’intimé a fait témoigner sa conjointe, Mme France Gaston, laquelle est actionnaire de l’entreprise de l’intimé ;

[5]       Son témoignage a principalement servi à contester de nouveau le bien-fondé des chefs d’accusation ;

[6]       Or, tel que le Tribunal des professions[2] l’a décidé à de nombreuses reprises, l’audition sur sanction ne doit pas servir à remettre en doute la décision sur culpabilité ;

[7]       Ainsi, suivant son interprétation des faits, l’entière responsabilité de la présente situation doit être attribuée à la cliente (G.L.) et à son avocat qui refusaient de payer le compte de l’intimé ainsi qu’à l’assureur et à son expert qui retardaient le règlement de la réclamation ;

[8]       Bref, à son humble avis, son conjoint n’a commis aucune faute ;

[9]       Quant à la tenue de dossier, celle-ci mentionne qu’elle prend soin d’ajouter beaucoup plus de détails et, par conséquent, la situation a été régularisée ;

[10]    Finalement, le mandat que l’intimé fait signer à ses clients a également été amélioré et, d’ailleurs, une copie de ce nouveau modèle fut déposée à l’appui de ses dires ;

[11]    Comme deuxième témoin, le Comité a entendu l’intimé, Claude Bernard ;

[12]    À l’instar de sa conjointe, celui-ci a principalement blâmé la cliente et son avocat ainsi que l’expert de l’assureur pour expliquer la situation ;

[13]    Quant aux circonstances atténuantes, il mentionne être sans un sou et être âgé de 77 ans ;

[14]    De plus, il précise qu’en plus de 50 ans de carrière, il n’a jamais fait l’objet d’une plainte disciplinaire ;

[15]    En conséquence, il considère qu’une réprimande sur chacun des chefs est amplement suffisant comme sanction ;

 

II.         Représentations sur sanction

A)        Par le syndic adjoint

[16]    Me Leduc suggère, au nom du syndic adjoint, d’imposer à l’intimé les sanctions suivantes :

          Chef 1 :       une amende de 4 000 $

          Chef 3 :       une amende de 4 000 $

          Chef 4 :       une amende de 3 000 $

          Total :           11 000 $

[17]    De plus, afin de donner un volet éducatif à la sanction et dans le but d’assurer la protection du public, Me Leduc suggère de recommander au conseil d’administration de la CHAD d’imposer à l’intimé les formations suivantes :

      AFC-08593 :           « En avant-plan : ma responsabilité d’expert »

      AFC-07998 :           « Notes aux dossiers pour les experts en sinistres »

[18]    À ces différentes sanctions, il suggère également que l’intimé soit condamné à l’entièreté des déboursés, lesquels s’élèvent actuellement à la somme de 1 702,30 $ ;

[19]    Me Leduc produit également, à l’appui de ses prétentions, une série d’autorités, soit :

      CHAD c. Goulet, 2012 CanLII 86181 (QC CDCHAD) ;

      CHAD c. Lévesque, 2013 CanLII 46531 (QC CDCHAD) ;

      CHAD c. Mayer, 2011 CanLII 43605 (QC CDCHAD) ;

      CHAD c. Soucy, 2013 CanLII 14894 (QC CDCHAD) ;

      CHAD c. Guertin, 2010 CanLII 9220 (QC CDCHAD) ;

      CHAD c. Morissette, 2014 CanLII 49262 (QC CDCHAD) ;

      CHAD c. Plourde, 2016 CanLII 87759 (QC CDCHAD) ;

      Despaties c. Ferreira, 2005 CanLII 57564 (QC CDBQ) ;

[20]    Quant aux circonstances aggravantes, il insiste sur les suivantes :

      La gravité objective des infractions ;

      Le manque d’introspection et d’autocritique de l’intimé, lequel continue de blâmer sa cliente et son avocat pour ses faits et gestes ;

      La mauvaise foi de l’intimé, lequel prétend encore ne pas avoir réclamé d’intérêts malgré les pièces documentaires P-2 (p. 9 et 271 à 273) et P-3 (p. 189 et 399) ;

      Le haut risque de récidive de l’intimé, vu son attitude intransigeante ;

[21]    Parmi les circonstances atténuantes, il souligne les suivantes :

      L’absence d’antécédents disciplinaires de l’intimé ;

      Sa bonne collaboration à l’enquête du syndic ;

[22]    Pour l’ensemble de ces motifs, il demande au Comité d’entériner les sanctions suggérées par la partie plaignante ;

 

B)       Par l’intimé

[23]    De son côté, l’intimé réitère qu’une simple réprimande sur chacun des chefs constitue une sanction juste et appropriée à son cas ;

 

III.      Analyse et décision 

[24]    Dans un premier temps, le Comité tient à souligner que la sanction disciplinaire n’a pas pour objectif de punir le professionnel, elle vise plutôt à assurer la protection du public[3] ;

[25]    Cela dit, chaque cas est un cas d’espèce[4] et, par conséquent, celle-ci doit être individualisée afin de répondre au cas particulier de l’intimé[5] ;

[26]    C’est ainsi que tout en reconnaissant le bien-fondé des précédents fournis par la partie plaignante, le Comité considère que ceux-ci ne doivent pas devenir des carcans[6] empêchant, par le fait même, le Comité d’imposer à l’intimé une sanction taillée sur mesure ;

[27]    Au-delà des considérations touchant à la protection du public, le Comité considère que le manque d’autocritique de l’intimé matérialisé par sa tendance à rejeter le blâme sur les autres, constitue la pierre d’assise sur laquelle devra reposer la sanction imposée à ce dernier ;

[28]    À cet égard, le Comité écarte d’emblée la recommandation du syndic adjoint visant à obliger l’intimé à suivre des cours de perfectionnement puisque, de l’avis du Comité, vu la très haute estime que l’intimé entretient envers ses capacités et ses méthodes de travail, il est peu probable que ces cours puissent atteindre leur objectif, soit une quelconque réhabilitation de l’intimé et un changement d’attitude de sa part ;

[29]    Cela étant établi, une sanction monétaire importante aura possiblement un plus grand effet dissuasif et servira mieux la protection du public, en espérant que l’intimé saura en tirer une leçon pour éviter la répétition de tels gestes ;

[30]    Dans le présent dossier, les circonstances aggravantes dépassent largement les circonstances atténuantes dont pourrait bénéficier l’intimé[7] ;

[31]    C’est en tenant compte de ces différents facteurs que le Comité devra imposer à l’intimé une sanction juste et appropriée à son cas ;

 

      Chef no. 1

[32]    Le chef 1 reproche à l’intimé d’avoir fait signer à sa cliente (G.L.) un mandat comportant un taux d’intérêt supérieur à la limite prévue par l’article 42 du Code de déontologie des experts en sinistre ;

[33]    En temps normal, une telle infraction aurait entraîné l’imposition d’une amende minimale de 2 000 $, laquelle constitue un montant suffisant pour empêcher toute forme de récidive et amener chez le contrevenant une prise de conscience de ses obligations déontologiques ;

[34]    Par contre, dans le cas particulier de l’intimé, vu son incapacité à reconnaître ses torts et son entêtement à vouloir nier les faits pourtant clairement démontrés, tant par le mandat[8] que par les autres pièces documentaires[9], le Comité considère qu’une amende de 5 000 $ pourrait être imposée à l’intimé ;

[35]    Toutefois, compte tenu que, suite à la décision sur culpabilité, l’intimé a modifié son mandat, le Comité considère que la protection du public sera suffisamment assurée par l’imposition d’une amende de 3 000 $ ;

 

      Chef no. 3

[36]    Le chef 3 concerne le manque de modération et d’objectivité dont l’intimé a fait preuve lors du règlement de la réclamation de son ancienne cliente ;

[37]    La preuve a démontré de façon claire, nette et précise que l’intimé avait fait preuve d’intransigeance et qu’il refusait systématiquement toute forme de compromis, retardant ainsi, à chaque fois, le règlement de la réclamation de l’assurée[10] ;

[38]    De l’avis du Comité, les faits et gestes de l’intimé ont porté atteinte à l’image de la profession en y donnant un caractère de lucre et de commercialité ;

[39]    Mais il y a plus, l’attitude vindicative de l’intimé uniquement motivé par sa soif de recouvrer ses honoraires, coûte que coûte, le tout au détriment de ses obligations déontologiques, nécessite l’imposition d’une sévère amende ;

[40]    En conséquence, l’intimé se verra imposer une amende de 5 000 $ sur le chef 3, soit la seule sanction qui, de l’avis du Comité, est susceptible d’éviter la répétition d’une tel comportement ;

[41]    Suivant l’arrêt Pigeon c. Daigneault[11], la dissuasion et l’exemplarité sont des objectifs qui s’ajoutent à l’objectif plus spécifique de la protection du public ;

[42]    De la même façon, la Cour suprême, dans l’affaire Cartaway Resource Corp. [12], rappelait que la dissuasion générale est un facteur pertinent, voire nécessaire, dans l’établissement d’une ordonnance de nature à la fois protectrice et préventive, la notion de dissuasion générale n’étant ni punitive, ni réparatrice[13] ;

[43]    Enfin, le Comité de discipline ne saurait trop insister sur un autre principe bien établi en jurisprudence suivant lequel :

« L’exercice d’une profession n’est pas un droit absolu mais un privilège accordé aux professionnels qui s’engagent à en respecter toutes les obligations prescrites par le législateur. » [14]

 

[44]    Pour l’ensemble de ces motifs, l’intimé sera sanctionné sur le chef 3 par une amende de 5 000 $ ;

 


      Chef no. 4

[45]    Le chef 4 concerne la mauvaise tenue de dossiers et notamment le manque de détails quant au travail effectué dans le dossier de sa cliente (G.L.) ;

[46]    Suivant le témoignage de l’intimé, la situation fut corrigée depuis les événements reprochés ;

[47]    Dans les circonstances, le Comité considère qu’une amende de 2 000 $ est suffisante pour assurer la protection du public ;

 

      Les déboursés

[48]    Suivant l’article 151 du Code des professions, le Comité possède un large pouvoir discrétionnaire relativement aux déboursés[15] ;

[49]    Dans les circonstances, vu le retrait du chef 2 et les frais reliés à celui-ci, le Comité limitera les déboursés à la somme de 1 500 $.

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

 

IMPOSE à l’intimé les sanctions suivantes:

 

Chef 1:   une amende de 3 000 $     

 

Chef 2:   une amende de 5 000 $

 

Chef 4:   une amende de 2 000 $

 

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés pour un maximum de 1 500 $;

ACCORDE à l’intimé un délai de 90 jours pour acquitter le montant des amendes et des déboursés, calculé à compter du 31e jour suivant la signification de la présente décision.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

____________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

 

____________________________________

Mme Paule Émond, LL. B., expert en sinistre

Membre

 

____________________________________

Mme Élaine Savard, LL. B., FPAA, expert en sinistre

Membre        

 

                       

 

 

Me Claude G. Leduc

Procureur de la partie plaignante

 

M. Claude Bernard (personnellement)

Partie intimée

 

Date d’audience : 4 avril 2017

 



[1]   2016 CanLII 87221 (QC CDCHAD);

[2]   St-Laurent c. Médecins, 1997 CanLII 17367 (QC TP);

[3]   Thibeault c. Da Costa, 2014 QCCA 2347 (CanLII);

[4]   Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QC CA);

[5]   R. c. Lacasse, 2015 CSC 64 (CanLII);

[6]   Ibid., par. 57;

[7]   Voir les paragraphes 20 et 21 de la présente décision;

[8]   P-2, p. 351;

[9]   P-3, p. 189 et 399;

[10]         Voir les par. 49 à 74 de la décision sur culpabilité, 2016 CanLII 87221 (QC CDCHAD);

[11]         Op. cit., note 4;

[12]         [2004] 1 R.C.S. 672;

[13]         Ibid, par. 60;

[14]         David c. Denturologistes, [2000] Q.C.T.P. 65, p. 10;

[15]         Acupuncteurs c. Jondeau, 2006 QCTP 86 (CanLII);

     Architectes c. D’Onofrio, 2017 QCTP 21 (CanLII);

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.