Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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 COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No:

2016-10-01(C)

 

DATE :

13 juin 2017

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. François Vallerand, C.d’A.Ass., courtier en assurance de dommages

Membre

M. Marc-Henri Germain. C.d’A.A., A.V.A., courtier en assurance de dommages

Membre

 

 

Me KARINE LIZOTTE, ès qualités de syndic adjoint de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

WANDA LAROSE, inactive et sans mode d’exercice

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

 

 

[1]       Le 26 avril 2017, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2016-10-01(C) ;

 

[2]       Le syndic adjoint était alors représenté par Me Julien Poirier-Falardeau et, de son côté, l’intimée était représentée par Me Élyse Durocher;

 

 

I.          La plainte

 

[3]       L’intimée fait l’objet d’une plainte amendée comportant cinq (5) chefs d’accusation, soit :

 

1.   Vers les mois de décembre 2015 et janvier 2016, n’a pas sauvegardé son indépendance professionnelle et s’est placée en situation de conflit d’intérêts en empruntant de son client R.H. une somme d’environ 17 000 $, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 10, 19, 37(1) et 37(5) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages ;

 

2.   Depuis les mois de décembre 2015 et janvier 2016, a agi à l’encontre de l’honneur et de la dignité de la profession de représentant en assurance de dommages en omettant de rembourser, selon les termes convenus, la somme de 5 840 $ remise par son client R.H., laquelle somme faisait partie d’un prêt de 17 000 $ consenti à l’intimée par ce client, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et l’article 37 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

 

3.   Vers le mois de décembre 2015, n’a pas sauvegardé son indépendance professionnelle et s’est placée en situation de conflit d’intérêts en sollicitant de son client R.A. un prêt d’environ 15 000 $, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 10, 19, 37(1) et 37(5) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

 

4.   Vers le mois de décembre 2015, n’a pas sauvegardé son indépendance professionnelle et s’est placée en situation de conflit d’intérêts en sollicitant de ses clients J.S. et J.H. un prêt d’environ 25 000 $, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 10, 19, 37(1) et 37(5) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

 

5.   Vers le mois d’août 2013, n’a pas sauvegardé son indépendance professionnelle et s’est placée en situation de conflit d’intérêts en sollicitant de son client K.G. un prêt d’environ 15 000 $, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 10, 19, 37(1) et 37(5) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

 

6.   (retrait)

 

 

[4]       Suite au retrait du chef 6, l’intimée a enregistré un plaidoyer de culpabilité à l’encontre des chefs 1 à 5 de la plainte amendée ;

[5]       Les parties ont alors procédé aux représentations sur sanction;

 

II.         Les faits

 

[6]       Les faits à l’origine de la présente plainte sont relativement simples ;

[7]       Il s’agit de la triste histoire d’une veuve éplorée qui, suite au décès de son mari, s’est fait détrousser de tous ses avoirs ;

[8]       En 2013, après la mort de son mari survenue en 2009, l’intimée s’est mise à la recherche d’un compagnon ;

[9]       C’est ainsi qu’elle s’est mise à fréquenter plusieurs sites internet afin d’y dénicher un future conjoint ;

[10]    Elle fut alors victime d’une arnaque par un homme qui se présentait comme un citoyen d’Angleterre voyageant fréquemment à travers le monde ;

[11]    De fil en aiguille, celui-ci, grâce à ses talents de manipulateur et de fraudeur, a réussi à soutirer de l’intimée plusieurs sommes d’argent et a fini par engloutir la totalité des actifs de celle-ci, soit environ 425 000 $ ;

[12]    Cette tragédie s’est soldée par la déconfiture financière de l’intimée dont la maison a fait l’objet d’une reprise de possession par sa banque ;

[13]    En désespoir de cause, l’intimée a demandé et obtenu d’un de ses clients un prêt de 17 000 $ (chef 1) en plus de solliciter l’aide financière de plusieurs autres clients (chefs 3 à 5) alors qu’elle était en défaut de rembourser son premier client (chef 2) ;

[14]    Cette série de déboires financiers a entraîné la faillite de l’intimée ainsi que son congédiement par son ancien cabinet au moment de la découverte de ses manquements déontologiques ;

[15]    C’est à la lumière de ce drame humain que le Comité devra déterminer la sanction juste et raisonnable au cas particulier de l’intimée ;

 

III.        Recommandations communes

 

[16]    Les parties, d’un commun accord, suggèrent d’imposer à l’intimée les sanctions suivantes :

      Une année de radiation sur chacun des chefs, à être purgée de façon concurrente, à la date de la remise en vigueur de son certificat ;

      Une amende de 3 000 $ par chef pour un total de 15 000 $ mais réduit, suivant le principe de la globalité des sanctions, à un montant de 2 500 $ ;

[17]    Cette suggestion commune repose sur les facteurs aggravants suivants :

      La mise en péril de la protection du public ;

      La gravité objective des infractions ;

      Le conflit d’intérêts dans lequel l’intimée s’est placée par son comportement ;

      La nécessité de donner un caractère exemplaire à la sanction ainsi qu’un caractère dissuasif ;

[18]    Parmi les facteurs atténuants, les parties ont identifié les circonstances suivantes :

      Le plaidoyer de culpabilité de l’intimée ;

      L’âge de l’intimée ;

      Son absence d’antécédents disciplinaires après une carrière de plus de 30 ans ;

      Le contexte très particulier dans lequel les infractions ont été commises ;

      Le fait que l’intimée ait été victime d’une fraude par internet ;

      La perte de son emploi ;

      Son absence d’intention malhonnête ;

      Ses sincères remords et repentir, tel qu’exprimés lors de l’audition ;

[19]    À ces différents facteurs atténuants s’ajoute le fait que l’intimée a été dans l’obligation de déclarer faillite en plus d’avoir de sérieux problèmes de santé, tant psychologiques que physiques, suite à ces événements ;

[20]    Le procureur de la partie plaignante a produit certaines décisions à l’appui de la recommandation commune, soit :

      C.S.F. c. L’Heureux, 2012 CanLII 97212 (QC CDCSF) ;

      CHAD c. Ayotte, 2007 CanLII 72587 (QC CDCHAD) ;

[21]    Cela dit, les deux (2) procureurs demandent au Comité d’entériner les sanctions suggérées ;

 

IV.       Analyse et décision

 

[22]    Dans un premier temps, le Comité tient à souligner que le présent dossier constitue un cas d’espèce pour lequel le principe de l’individualisation de la sanction prend toute sa signification et son importance ;

[23]    Le drame humain vécu par l’intimée constitue un ensemble de circonstances atténuantes qui surpasse de beaucoup les facteurs aggravants que l’on peut opposer à l’intimée ;

[24]    D’ailleurs, de l’avis du Comité, le cas de l’intimée constitue un cas unique dans les annales du Comité, à l’exception peut-être des affaires Ayotte[1], Lorusso[2] et Lévesque [3] ;

[25]    À cela s’ajoute le fait que la sanction disciplinaire n’a pas pour objectif de punir le professionnel[4] mais vise plutôt à assurer la protection du public[5] ;

[26]    Dans les circonstances et vu les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Anthony-Cook[6], la recommandation commune des parties sera entérinée ;

[27]    Par contre, au-delà de ces considérations, certaines précisions s’imposent quant à divers aspects du dossier ;

 

      La faillite de l’intimée

[28]    Suivant l’arrêt Dugas[7], les amendes imposées par un comité de discipline ne sont pas sujettes à l’exception prévue par l’article 178(1) de la Loi sur la faillite, par conséquent, l’intimée aurait pu théoriquement être libérée de cette dette n’eut été le fait que sa faillite, intervenue le 8 novembre 2016, est antérieure à la présente décision sur sanction ;

[29]    En conséquence, les amendes imposées à l’intimée étant postérieures à sa faillite, cette dernière ne sera pas libérée de son obligation de les payer[8] ;

 

      Ordonnance de remboursement

[30]    Actuellement, l’intimée est en défaut de rembourser son cabinet d’une somme de 5 840 $ représentant le montant que son cabinet a dû rembourser à son ancien client (R.H.), vu le défaut de l’intimée d’y pourvoir (chef 2) ;

[31]    Le Comité considère que vu la situation financière de l’intimée, il serait contre-indiqué de prononcer une ordonnance de remboursement qui mettrait à néant les chances de réhabilitation de l’intimée[9] ;

[32]    Qui plus est, il sera toujours loisible pour l’ancien cabinet de l’intimée de déposer une réclamation prouvable dans le cadre du dossier de faillite de cette dernière ;

[33]    Pour ces motifs, le Comité n’émettra pas d’ordonnance de remboursement, conformément à la recommandation commune formulée par les parties ;

 

      Conditions et modalités de la sanction

[34]    L’article 158, ainsi que le quatrième alinéa de l’article 156 du Code des professions (R.L.R.Q., c. C-26), permet au Comité de discipline de fixer des conditions et modalités aux sanctions qu’il impose ;

[35]    D’ailleurs, la jurisprudence[10] reconnaît que le Comité de discipline possède une très large discrétion pour établir « les conditions et les modalités » de la sanction, à l’exception du fait qu’une période de radiation ne peut jamais être rétroactive ;

[36]    En se fondant sur ce pouvoir, certains comités ont même décrété des suspensions inconditionnelles, de sorte que les périodes de suspensions ne furent jamais purgées[11] ;

[37]    D’autres comités ont suspendu de façon inconditionnelle le paiement de certaines amendes[12] ;

[38]    Cela étant établi, le Comité considère que, d’une part, les faits du présent dossier justifient l’imposition d’une amende mais que, d’autre part, la situation financière de l’intimée ne lui permet pas d’acquitter, à court ou à moyen terme, les amendes et les frais reliés au présent dossier ;

[39]    Dans les circonstances, le paiement des amendes et des déboursés, incluant les frais de publication de l’avis de radiation, sera suspendu jusqu’au moment où l’intimée redeviendra titulaire d’un permis de l’AMF ;

 

      Conclusion

[40]    Pour l’ensemble de ces motifs, la recommandation commune formulée par les parties sera entérinée par le Comité, à l’exception du fait que le paiement des amendes sera suspendu jusqu’à la date de remise en vigueur du certificat de l’intimée ;

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

AUTORISE le retrait du chef 6 ;

PREND acte du plaidoyer de culpabilité de l’intimée sur la plainte amendée;

DÉCLARE l’intimée coupable des chefs 1 à 5 et plus particulièrement comme suit :

Chef 1:     pour avoir contrevenu à l’article 10 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.5)

Chef 2:     pour avoir contrevenu à l’article 37 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.5)

 

Chef 3:     pour avoir contrevenu à l’article 10 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.5)

Chef 4:     pour avoir contrevenu à l’article 10 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.5)

Chef 5:     pour avoir contrevenu à l’article 10 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.5)

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’égard des autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien des chefs 1 à 5 de la plainte;

IMPOSE à l’intimée les sanctions suivantes :

Chef 1 :    une radiation temporaire d’une année et une amende de 3 000 $

Chef 2 :    une radiation temporaire d’une année et une amende de 3 000 $

Chef 3 :    une radiation temporaire d’une année et une amende de 3 000 $

Chef 4 :    une radiation temporaire d’une année et une amende de 3 000 $

Chef 5 :    une radiation temporaire d’une année et une amende de 3 000 $

 

DÉCLARE que les périodes de radiation temporaire imposées sur les chefs 1 à 5 seront purgées de façon concurrente et qu’elles ne deviendront exécutoires qu’à compter de la remise en vigueur du certificat de l’’intimée ;

ORDONNE à la secrétaire du Comité de discipline de faire publier, aux frais de l’intimée, un avis de la présente décision, à compter de la remise en vigueur du certificat de l’intimée ;

RÉDUIT le montant des amendes à la somme globale de 2 500 $ ;

CONDAMNE l’intimée au paiement de tous les déboursés incluant, le cas échéant, les frais de publication de l’avis de radiation ;

Conformément au 4e alinéa de l’article 156 du Code des professions (R.L.R.Q., c. C‑26), le Comité décrète que le paiement des amendes et des déboursés incluant, le cas échéant, les frais de publication de l’avis de radiation, sera assujetti aux conditions et modalités suivantes :

SUSPEND le paiement des amendes et des déboursés, incluant les frais de publication de l’avis de radiation, jusqu’à la date de remise en vigueur du certificat de l’intimée.

 

 

 

 

___________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

 

 

___________________________________

M. François Vallerand, C.d’A.Ass., courtier en assurance de dommages

Membre

 

 

___________________________________

M. Marc-Henri Germain. C.d’A.A., A.V.A., courtier en assurance de dommages Membre

 

Me Julien Poirier-Falardeau

Procureur de la partie plaignante

 

Me Élyse Durocher

Procureure de la partie intimée

 

Date d’audience : 26 avril 2017

 

 

 



[1]   CHAD c. Ayotte, 2007 CanLII 72587 (QC CDCHAD);

[2]   CHAD c. Lorusso, 2008 CanLII 60800 (QC CDCHAD);

[3]   CHAD c. Lévesque, 2013 CanLII 82449 (QC CDCHAD);

[4]   Thibault c. Da Costa, 2014 QCCA 2347 (CanLII);

[5]   Mailloux c. Deschênes, 2015 QCCA 1619 (CanLII);

[6]   R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43 (CanLII);

[7]   Québec (Chambre des notaires) c. Dugas, 2002 CanLII 41280 (QC CA);

[8]   Chambre de la sécurité financière c. Harton, 2008 QCCA 269 (CanLII), par. 55;

[9]   CHAD c. Desrochers, 2012 CanLII 89660 (QC CDCHAD);

[10]   O.I.I.Q. c. Labelle, 2005 CanLII 31276 (QC TP);

     Lambert c. Agronomes, 2012 QCTP 39 (CanLII);

[11]   Voir l’affaire Lévesque telle que rapportée au par. 16 de la décision OACIQ c. Tremblay, 2013 CanLII 77825 (QC OACIQ);

[12]   CHAD c. Domon, 2016 CanLII 74877 (QC CDCHAD), par. 30 à 37;

     OACIQ c. Samedi, 2017 CanLII 9414 (QC OACIQ);

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