Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No:

2016-05-05(E)

 

DATE :

9 janvier 2017

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. Gontran Junior Lamontagne, expert en sinistre

Membre

Mme Valérie Mastrocola, B.A.A., PAA, expert en sinistre

Membre

 

 

Me KARINE LIZOTTE, ès qualités de syndic adjoint de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

ROBIN OUELLET, expert en sinistre

Partie intimée

 

 

DÉCISION INTERLOCUTOIRE

 

 

ORDONNANCE DE NON DIVULGATION, DE NON PUBLICATION ET DE NON DIFFUSION DE TOUT RENSEIGNEMENT OU INFORMATION PERMETTANT D’IDENTIFIER L’ASSURÉ ET/OU SA MÈRE, LE TOUT SUIVANT L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS

 

 

[1]       Le 22 novembre 2016, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition d’une demande en rejet d’un rapport d’expert ;

 

[2]       À cette occasion, la partie plaignante était représentée par Me Olivier Charbonneau et, de son côté, l’intimé était représenté par Me Maxime-Arnaud Keable ;

 

 

I.          Les procédures

 

[3]       L’intimé fait l’objet d’une plainte comportant quatre (4) chefs d’accusation se lisant comme suit :

 

1.   Le ou vers le 14 avril 2014, dans le cadre de l’exécution d’un mandat confié par l’assureur La Capitale assurances générales inc. concernant une réclamation pour vol aux termes du contrat d’assurance habitation no 43415871-002, a fait défaut d’exercer ses activités avec professionnalisme, de s’identifier clairement et d’identifier son mandant, en se présentant à C.B., la mère de l’assuré C.B., en déclarant travailler avec l’Autorité des marchés financiers et en collaboration avec la police, ce qui était à la fois faux, trompeur, susceptible d’induire en erreur et malhonnête, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 16, 17, 58(1) et 58(5) du Code de déontologie des experts en sinistre;

 

2.   Le ou vers le 14 avril 2014, dans le cadre de l’exécution d’un mandat confié par l’assureur La Capitale assurances générales inc. concernant une réclamation pour vol aux termes du contrat d’assurance habitation no 43415871-002, a fait défaut d’exercer ses activités avec professionnalisme, de s’identifier clairement et d’identifier son mandant, en se présentant à l’assuré C.B. en déclarant travailler avec l’Autorité des marchés financiers et en collaboration avec la police, ce qui était à la fois faux, trompeur, susceptible d’induire en erreur et malhonnête, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 16, 17, 58(1) et 58(5) du Code de déontologie des experts en sinistre;

 

3.   Le ou vers le 14 avril 2014, dans le cadre de l’exécution d’un mandat confié par l’assureur La Capitale assurances générales inc. concernant une réclamation pour vol aux termes du contrat d’assurance habitation no 43415871-002, a fait défaut d’exercer ses activités avec professionnalisme, honnêteté, équité, objectivité, discrétion et modération lors d’une rencontre avec l’assuré C.B., notamment en :

 

       Accusant l’assuré d’être un menteur à plusieurs reprises ;

       Faisant des déclarations contenant des jugements de valeur concernant l’assuré au sujet de l’aide sociale, du travail non déclaré (« au noir »), de la consommation d’alcool et de drogue et de ses antécédents criminels ;

       En lui posant des questions non pertinentes concernant sa consommation d’alcool et de drogue et les circonstances précises de sa relation intime et de sa rupture avec son ex-conjointe ;

       Insistant pour que l’assuré le tutoie et utilise son prénom et en faisant de même en s’adressant à l’assuré ;

le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 15 et 27 du Code de déontologie des experts en sinistre ;

 

4.   Le ou vers le 14 avril 2014, dans le cadre de l’exécution d’un mandat confié par l’assureur La Capitale assurances générales inc. concernant une réclamation pour vol aux termes du contrat d’assurance habitation no 43415871-002, a fait défaut d’exercer ses activités avec professionnalisme, honnêteté, équité, objectivité, discrétion et modération lors d’une rencontre avec l’assuré C.B. en le menaçant de faire des recommandations défavorables à l’assureur, de remettre son dossier à la police et de transmettre à « l’aide sociale » les renseignements qu’il venait d’obtenir de l’assuré concernant le travail non déclaré (« au noir »), incitant l’assuré à se désister de sa réclamation, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 15 et 27 du Code de déontologie des experts en sinistre ;

 

[4]       Dans le cadre de sa défense, l’intimé a fait préparer un rapport d’expertise par M. John Galianos, expert reconnu en matière de polygraphie et enquêteur d’expérience ;

[5]       Essentiellement, ce rapport d’expertise vise à démontrer que l’intimé a agi de manière professionnelle et dans le respect des règles de l’art ;

[6]       D’autre part, un large pan du rapport d’expertise se penche sur la crédibilité de l’assuré C.B. pour finalement conclure au manque total de crédibilité de cette personne, notamment en raison de son passé criminel et de sa propension à mentir ;

[7]       Le syndic adjoint s’oppose au dépôt de ce rapport d’expertise et en demande le rejet aux motifs que :

a)  Il ne porte pas sur des questions scientifiques ou techniques qui dépassent l’expérience et les connaissances du Comité de discipline ;

b)  Il usurpe les fonctions du Comité de discipline en se prononçant sur la culpabilité de l’intimé et sur la crédibilité de l’assuré ;

c)  Il se fonde sur des sources n’ayant aucune valeur scientifique ou technique ;

d)  Sa rédaction et sa teneur font preuve de complaisance envers l’intimé et dénotent, par conséquent, la partialité de son auteur ;

[8]       De son côté, le procureur de l’intimé exige le maintien de ce rapport d’expertise et plaide pour son admissibilité en preuve ;

 

II.         L’argumentation

 

A)        Par le syndic adjoint

 

[9]       À l’appui de sa demande de rejet, Me Charbonneau a produit de volumineuses notes et autorités ;

[10]    Essentiellement, l’avocat du syndic adjoint plaide que l’expert usurpe les fonctions d’adjudication du Comité de discipline ;

[11]    Considérant que la jurisprudence[1] reconnaît que le législateur a voulu favoriser une justice disciplinaire par des pairs, lesquels sont mieux placés pour décider si l’intimé a enfreint une norme professionnelle, il est d’avis que l’expert de l’intimé tente de rendre jugement au lieu et place du Comité de discipline ;

[12]    D’ailleurs, les membres du Comité, en raison de leurs connaissances particulières, peuvent apprécier et juger de la preuve soumise par l’une ou l’autre des parties[2] ;


[13]    Dans tous les cas, il insiste sur le fait que le Comité de discipline n’est pas lié par la preuve d’expertise et qu’il lui appartient de décider de la commission d’actes dérogatoires :

      Stante c. Simard, 2013 QCCA 2074 (CanLII), par. 90 à 94 ;

      Huneault c. Notaires, 2005 QCTP 54 (CanLII), par. 100 et 101 ;

      Picard c. Lizotte, 2016 QCCQ 6133 (CanLII), par. 37 à 43 ;

[14]    D’autre part, il plaide que l’expertise n’est pas nécessaire puisqu’elle ne porte pas, à proprement dit, sur des questions scientifiques ou techniques :

      R. c. Mohan, [1994] 2 RCS 9, 1994 CanLII 80 (CSC), page 23 ;

      Roberge c. Roberge, 2016 QCCS 4317 (CanLII), par. 9 et 10 ;

      9223-0812 Québec inc. c. 9245-8678 Québec inc., 2015 QCCS 748 (CanLII), par. 12 et 13 ;

      Claveau c. Couture, 2009 QCCS 1747 (CanLII), par. 36 et 37 ;

      Parizeau c. Lafrance, 1999 CanLII 11181 (QCCS), pages 5 à 7 ;

[15]    Bref, il revient au Comité de discipline d’analyser la preuve et d’apprécier la crédibilité des témoins ;

[16]    Dans les circonstances, il considère que le rapport d’expert ne sera d’aucune utilité pour le Comité de discipline ;

[17]    À son avis, à toutes fins pratiques, l’expert « rend jugement » au lieu et place du Comité ;

[18]    Il conclut en soulignant que le témoin expert fait preuve de partialité puisque le rapport (R-1) favorise injustement l’intimé et usurpe le rôle des avocats et du tribunal :

      WBLI c. Abbott and Haliburton, [2015] 2 RCS 182, 2015 CSC 23 (CanLII), par. 2 et 10 ;

      Assurance mutuelle des fabriques de Montréal c. Pilon, 2012 QCCA 1681 (CanLII), par. 7 et 9 ;

[19]    À cela s’ajoute le fait que, suivant une analyse coût-bénéfice, cette expertise n’est pas nécessaire, ni proportionnée à la nature et à la complexité de l’affaire ;

[20]    Pour l’ensemble de ces motifs, il demande le rejet pur et simple de ce rapport d’expert (R-1) ;


B)       Par l’intimé

 

[21]    De son côté, l’avocat de la défense, Me Keable, plaide que le tribunal doit faire preuve de prudence avant de rejeter de façon préliminaire un rapport d’expert ;

      St-Adolphe-d’Howard (Mun. de) c. Chalets St-Adolphe inc., 2007 QCCA 1421 (CanLII), par. 12 à 14 ;

      Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), [2015] 2 RCS 3, 2015 CSC 16 (CanLII), par. 106 ;

[22]    D’autre part, il reconnaît que l’article 241 C.p.c. permet de rejeter un rapport d’expert pour cause d’irrégularité, d’erreur grave ou de partialité ;

[23]    Par contre, s’agissant d’une mesure radicale, il insiste sur le fait que le tribunal doit faire preuve de prudence avant de conclure au rejet du rapport :

      Bernatchez c. Blanchet-Allard, 2016 QCCS 3199 (CanLII), par. 15 ;

      Barreau du Québec (syndic ad hoc) c. Brouillette, 2016 QCCDBQ 91 (CanLII), par. 46 à 48 ;

[24]    Mais il y a plus, compte tenu des accusations auxquelles fait face l’intimé, il considère que son client a l’obligation de démontrer qu’il a agi avec professionnalisme et dans le respect des règles de l’art :

      Dupéré-Vanier c. Camirand-Duff, 2001 QCTP 8 (CanLII), par. 20 ;

[25]    Quant à la prétendue partialité de l’expert, il plaide pour le maintien du rapport, surtout si l’on considère qu’il faut plus qu’une simple apparence de partialité pour conclure à l’inadmissibilité du rapport :

      Fruits de mer Lagoon inc. c. Réfrigération, plomberie et chauffage Longueuil inc. (Zéro-C), 2016 QCCS 3001 (CanLII), par. 21 à 27 ;

      Bélanger c. GPR Investissement inc., 2016 QCCS 2569 (CanLII), par. 22 à 24 ;

[26]     Subsidiairement, il plaide que l’article 241 C.p.c. offre d’autres alternatives que le rejet pur et simple du rapport, telles que la correction du rapport ou le retrait de certaines parties de celui-ci ;

[27]    Il conclut en insistant sur le droit à une défense pleine et entière de son client ;

 


III.        Analyse et décision

 

A)        Règles de preuve

 

[28]    Le droit disciplinaire est un droit sui generis[3] qui est original et qui tire ses règles de l’ensemble du droit[4] ;

[29]    Il n’est ni du droit civil, ni du droit criminel, mais plutôt une branche du droit administratif qui puise, sous certains rapports, au premier, et pour d’autres, au second[5] ;

[30]    Par exemple, en matière de plaidoyer de culpabilité[6], ou en matière de sanction[7], ou pour des questions touchant la divulgation de la preuve[8] ou la protection des informateurs[9], ou en matière de classification des infractions[10], il s’inspire du droit criminel ;

[31]    Par contre, depuis le début de l’existence du droit disciplinaire, les règles de procédures s’apparentent à celles du Code de procédure civile[11] ;

[32]    Cela étant établi, les deux parties, avec raison, se sont référées aux articles 238 à 241 du Nouveau code de procédure civile et à la jurisprudence en semblable matière ;

[33]    À cet égard, il y a lieu de reproduire ces dispositions du Nouveau code de procédure civile, lesquelles édictent :

238. Le rapport de tout expert doit être bref mais suffisamment détaillé et motivé pour que le tribunal soit lui-même en mesure d’apprécier les faits qu’il expose et le raisonnement qui en justifie les conclusions; il y est fait mention de la méthode d’analyse retenue.

Si l’expert recueille des témoignages en cours d’expertise, ils sont joints au rapport et ils font partie de la preuve.

Les conclusions de l’expert ne lient pas le tribunal non plus que les parties, à moins que celles-ci ne déclarent les accepter.

 

239. L’expert, s’il est commun aux parties ou commis par le tribunal, remet le rapport de ses opérations et de ses conclusions aux parties et en dépose un exemplaire au greffe avant l’expiration du délai qui lui est imparti.

L’expert d’une partie remet son rapport à celle-ci, laquelle doit, si elle entend s’en prévaloir, le communiquer aux autres parties et le verser au dossier du tribunal dans les délais prescrits pour la communication de la preuve.

 

240. Après le dépôt du rapport et avant l’instruction, l’expert commis par le tribunal ou l’expert commun doit, à la demande du tribunal ou des parties, fournir des précisions sur certains aspects du rapport et rencontrer les parties afin de discuter de ses opinions en vue de l’instruction.

Si des rapports d’expertise sont contradictoires, les parties peuvent réunir leurs experts afin de concilier leurs opinions, de déterminer les points qui les opposent et, le cas échéant, de faire un rapport additionnel sur ces points. Le tribunal peut, à tout moment de l’instance, même d’office, ordonner une telle réunion et le dépôt d’un rapport additionnel dans le délai qu’il fixe.

 

241. Une partie peut, avant l’instruction, demander le rejet du rapport pour cause d’irrégularité, d’erreur grave ou de partialité, auquel cas cette demande est notifiée aux autres parties dans les 10 jours de la connaissance du motif de rejet du rapport.

Le tribunal, s’il considère la demande bien fondée, ordonne la correction du rapport ou encore son retrait, auquel cas il peut permettre une autre expertise. Il peut également, dans la mesure qu’il indique, réduire le montant des honoraires dus à l’expert ou ordonner le remboursement de ce qui lui a été payé. (Nos soulignements)

 

[34]    C’est en tenant compte de ces principes que le Comité de discipline décidera de la recevabilité ou du rejet du rapport d’expert (R-1) déposé par l’intimé ;

 

B)       Droit à une défense pleine et entière

 

[35]    L’article 144 du Code des professions[12], lequel s’applique aux auditions disciplinaires tenues par la CHAD[13], impose au Comité de discipline l’obligation de protéger le droit à une défense pleine et entière de l’intimé[14] ;

[36]    D’autre part, le processus suivi par un comité de discipline doit demeurer équitable et donner la chance à la personne objet d’une plainte de se défendre pleinement[15] ;

[37]     Plus récemment, la Cour d’appel, dans l’affaire O.I.Q. c. Gilbert[16], écrivait :

« La justice disciplinaire a certes pour but de protéger le public mais elle doit également « traiter équitablement ceux dont le gagne-pain est placé entre ses mains » [17]

 

[38]    Considérant ces principes fondamentaux, il convient d’examiner les faits reprochés à l’intimé et ce, afin de déterminer la pertinence du rapport d’expert ;

 

C)       Le libellé des chefs d’accusation

 

[39]     Les quatre (4) chefs d’accusation de la plante réfère au défaut de l’intimé « d’exercer ses activités avec professionnalisme », le tout contrairement à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers[18] ;

[40]    Évidemment, il ne s’agit pas du seul fait reproché à l’intimé, ni de la seule disposition législative alléguée au soutien des divers chefs d’accusation ;

[41]    Ainsi, chacun des chefs d’accusation, en plus de référer au manque de professionnalisme de l’intimé, identifie et précise un comportement répréhensible et cite, à son appui, plusieurs dispositions du Code de déontologie des experts en sinistre[19] ;

[42]    À cet égard, il suffira pour la partie plaignante d’établir de manière prépondérante[20] l’un des éléments essentiel et déterminant du chef d’accusation pour que l’intimé soit trouvé coupable de cette partie prouvée de l’infraction[21] ;

[43]    Il demeure néanmoins que dans l’état actuel de la plainte, puisque chaque chef d’accusation reproche de façon générale à l’intimé « son manque de professionnalisme » au sens de l’article 16 LDPSF, celui-ci devra se défendre contre cette prétention du syndic adjoint ;

[44]    Dans le même ordre d’idées, à moins d’un amendement à la plainte, la poursuite s’impose comme fardeau de preuve l’obligation de démontrer la norme professionnelle qu’aurait dû suivre l’intimé[22] ;

[45]    À cet égard, le Comité fait siens les enseignements de la Cour d’appel dans l’arrêt Courchesne c. Castiglia[23] :

[28]           Je reconnais qu'il sera parfois nécessaire d'établir la norme que le professionnel est tenu de respecter sous peine de se le faire reprocher.   Ce sera le cas, notamment, lorsque l'on fera reproche au professionnel d'avoir posé un geste qui va à l'encontre d'un principe scientifique généralement reconnu ou d'avoir eu une conduite contraire à une norme professionnelle généralement reconnue.

[29]           Je reconnais également que le fardeau d'établir la norme est celui du plaignant et qu'il n'appartient pas au comité de discipline de combler une carence dans la preuve en mettant à profit les connaissances personnelles de ses membres, et particulièrement de ceux qui sont les pairs du professionnel visé par la plainte. (Nos soulignements)

 

[46]    D’autre part, on peut s’interroger sur la nécessité et surtout sur l’opportunité d’un énoncé aussi général que le « défaut d’exercer ses activités avec professionnalisme » lorsque le comportement reproché fait déjà l’objet d’une norme précise prévue au Code de déontologie des experts en sinistre ;

[47]    À titre d’exemple, la faute reprochée à l’intimé par les chefs 1 et 2 est clairement visée par l’article 58(5) du Code de déontologie sans qu’il soit nécessaire de recourir à une preuve par expert puisqu’il s’agit d’une norme objective, claire et non équivoque[24] ;

[48]    De la même façon, le comportement reproché aux chefs 3 et 4 est spécifiquement prévu par l’article 15 du Code de déontologie ;

[49]    Cela dit, il n’appartient pas au Comité de dicter au syndic adjoint la manière de mener sa poursuite[25] ;

[50]    Par contre, tel que le rappelait le Tribunal des professions dans l’affaire Nadon c. Avocats[26] :

[72]           Il est d'abord utile de souligner que le libellé de la plainte est de la responsabilité du syndic. Celui-ci est lié par cette rédaction, tout comme le Comité et le Tribunal. (Nos soulignements)

 

[51]    En conséquence, à moins d’un amendement à la plainte, l’intimé est en droit de déposer et de présenter un rapport d’expert visant à démontrer qu’il a « exercé ses activités avec professionnalisme », contrairement aux allégués des chefs 1 à 4 de la plainte ;

[52]    Le rapport d’expert (R-1) est donc non seulement pertinent mais également nécessaire pour que l’intimé puisse faire valoir son droit à une défense pleine et entière ;

[53]    Par contre, le rapport d’expert (R-1) est-il pour autant recevable ?

[54]    De l’avis du Comité, une réponse négative s’impose vu la forme et la teneur du rapport, pour les motifs ci-après élaborés

 

D)       Forme et teneur du rapport

 

[55]    À la lecture du rapport (R-1), le Comité n’a d’autre choix que de conclure que ce dernier « rend jugement » [27] au lieu et place du Comité et même se prononce sur la crédibilité d’un témoin[28] ;

[56]    Il suffit, pour s’en convaincre, de se référer à certains extraits du rapport dont les suivants :

      « À mes yeux, il n’a aucune crédibilité » (page 2, par. 3)

      « indices importants de problèmes de crédibilité » (page 2, par. 3)

      « Toutes les déclarations qui sont contenues dans ces enregistrements ou encore celle (sic) écrite (sic) par M. (XXX) l’ont été de façon libre et volontaire  » (page 2, par. 4)

      « ses déclarations n’étaient pas fausses, trompeuses, susceptibles d’induire en erreur ou malhonnête » (page 3, par. 3)

      « Il n’y a aucune preuve de l’intention malhonnête de M. Ouellet » (page 3, par. 6

[57]    Il convient aussi de signaler d’autres parties du rapport (R-1) où l’expert « rend jugement » au lieu et place du Comité de discipline, soit :

      « L’identification de M. Ouellet est conforme à ce que prescrit la loi » (page 5, par. 6)

      « La carte d’affaires ne pouvait raisonnablement constituer une information fausse et trompeuse » (page 5, par. 7)

      « Les questions posées sur la consommation d’alcool et de drogue sont pertinentes… » (page 8, par. 1)

      « Lorsque M. Ouellet informe C.B. que des mensonges peuvent mener l’assureur à nier couverture, il remplit son devoir » (page 10, dernier paragraphe)

[58]    À la lumière de ces extraits du rapport (R-1), le Comité a l’obligation de conclure que l’expert prend fait et cause pour l’intimé et qu’il usurpe les fonctions du Comité de discipline ;

 

E)        Conclusion

 

[59]    Suivant la Cour suprême[29] et la Cour d’appel[30], un tribunal doit faire preuve de prudence avant de conclure au rejet pur et simple d’un rapport d’expert ;

[60]    D’ailleurs, l’article 241 C.p.c. autorise une solution moins drastique que le rejet du rapport en permettant que le tribunal « ordonne la correction du rapport » ;

[61]    Dans les circonstances, le Comité ordonnera que le rapport soit corrigé afin d’y retirer tous les passages :

      Qui portent sur la crédibilité de l’un ou plusieurs témoins ;

      Qui se prononcent sur la culpabilité de l’intimé au lieu et place du Comité de discipline ;

[62]    De plus, le rapport d’expert devra être corrigé afin :

      D’établir clairement la norme professionnelle applicable ;

      D’identifier les sources scientifiques ou techniques à son appui ;

      D’analyser le comportement de l’intimé à la lumière de cette norme professionnelle ;

      De conclure que les faits et gestes de l’intimé s’inscrivaient ou non dans les standards professionnels reconnus ou, à tout le moins, ne s’en écartaient pas au point de constituer une faute déontologique[31] ;

[63]    Cela dit, le dépôt d’un rapport corrigé ne sera nécessaire que dans la mesure où la poursuite maintient, dans tous et chacun des chefs d’accusation, que l’intimé « a fait défaut d’exercer ses activités avec professionnalisme » en contravention de l’article 16 LDPSF ;

[64]    Dans ce cas, la poursuite devra également déposer un rapport d’expert afin d’établir la norme professionnelle reconnue et les manquements de l’intimé à la lumière de cette norme[32], à défaut de quoi, cette accusation pourra être rejetée[33];

[65]    Bref, à moins d’un amendement à la plainte, les deux parties devront produire un rapport d’expert concernant la norme professionnelle applicable ;

[66]    Quant aux autres reproches allégués à la plainte, ceux-ci ne nécessitent pas une preuve par expert puisque la norme est établie par les dispositions du Code de déontologie des experts en sinistre, lesquelles constituent des normes objectives, claires et non équivoques[34] ;

[67]    Pour paraphraser la Cour d’appel, « ce type de règlement se suffit à lui-même… et le non-respect de l’une de ses dispositions impératives constitue une faute déontologique[35] ;

 

IV.       Les frais

 

[68]    Au stade actuel des procédures, le Comité considère qu’il n’a pas compétence pour octroyer des frais à l’une ou l’autre des parties[36] ;

[69]    En effet, dans le cadre d’une décision interlocutoire, le Comité de discipline doit conclure que les frais sont à suivre[37] ;

[70]    Par conséquent, la demande de rejet sera accueillie partiellement mais le tout, frais à suivre.

 

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

ACCUEILLE partiellement la demande en rejet du rapport d’expert (R-1);

ORDONNE le retrait des paragraphes du rapport (R-1) identifiés aux paragraphes 56 et 57 de la présente décision ;

En l’absence d’un amendement à la plainte, PERMET à l’intimé de corriger et de compléter le rapport d’expert (R-1), tel qu’indiqué aux paragraphes 61 et 62 de la présente décision ;

ORDONNE la tenue d’une conférence de gestion, par voie téléphonique, afin de prévoir la suite du déroulement de l’instruction de la plainte, de préciser avec les parties leurs engagements et de fixer le calendrier des échéanciers à respecter ;

PRONONCE une ordonnance de non divulgation, de non publication et de non diffusion de tout renseignement ou information permettant d’identifier l’assuré et/ou sa mère, le tout suivant l’article 142 du Code des professions ;

LE TOUT, frais à suivre.

 

 

 

____________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

 

____________________________________

M. Gontran Junior Lamontagne, expert en sinistre

Membre        

 

____________________________________

Mme Valérie Mastrocola, B.A.A., PAA, expert en sinistre

Membre

 

Me Olivier Charbonneau

Procureur de la partie plaignante

 

Me Maxime-Arnaud Keable

Procureur de la partie intimée

 

Date d’audience : 22 novembre 2016

 



[1]   ACAIQ c. Proprio Direct inc., 2008 CSC 32 (CanLII), par. 19 et 21;

[2]   Williams-Stevenson c. Infirmières., 2002 QCTP 110 (CanLII);

[3]   Tremblay c. Dionne, 2006 QCCA 1441 (CanLII);

[4]   Tribunal-Audioprothésistes-1, 1990 CanLII 7881 (QCTP);

[5]   Archambault c. Barreau du Québec, 1996 CanLII 12213 (QCTP);

[6]   Duquette c. Gauthier, 2007 QCCA 863 (CanLII);

[7]   Tan c. Lebel, 2010 QCCA 667 (CanLII), par. 26;

[8]   Laliberté c. Delorme, 1994 CanLII 10788 (QCTP);

[9]   Latulippe c. Québec (T.P.), 1998 CanLII 12943 (QCCA);

[10]         Notaires c. Morin, 2007 QCTP 85 (CanLII), par. 33;

[11]         Lemieux c. Lippens, ès qualités, 1972 CanLII 943 (QCCQ), par. 12;

[12]         RLRQ, c. C-26;

[13]         Art. 376 LDPSF;

[14]         Brunet c. Comité de discipline du Barreau du Québec, 2003 CanLII 72227 (QCCA), par. 4;

[15]         Beauchemin c. Chambre de la sécurité financière, 2010 QCCA 1235 (CanLII), par. 19;

[16]         2016 QCCA 1323 (CanLII);

[17]         Ibid., par. 34;

[18] RLRQ, c. D-9.2;

[19] RLRQ, c. D-9.2, r.4;

[20]         Bisson c. Lapointe, 2016 QCCA 1078 (CanLII), par. 63 à 69;

[21]         Parizeau c. Barreau du Québec, 2001 QCTP 43 (CanLII), par. 98 à 101;

[22]         Dupéré-Vanier c. Camirand-Duff, 2001 QCTP 8 (CanLII);

[23]         2009 QCCA 2303;

[24]         Acupuncteurs c. Jondeau, 2006 QCTP 86 (CanLII), par. 41 à 43;

[25]         Tassé c. Chiropraticiens, 2001 QCTP 74 (CanLII);

[26]         2008 QCTP 12 (CanLII);

[27]         Claveau c. Couture, 2009 QCCS 1747 (CanLII), par. 41;

     Presse Ltée (La) c. Poulin, 2012 QCCA 2030 (CanLII), par. 14;

[28]         Robert c. Roberge, 2016 QCCS 4317 (CanLII), par. 12;

[29]         Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), [2015] 2 RCS 3, 2015 CSC 16 (CanLII), par. 106;

[30]         St-Adolphe-d’Howard (Mun. de) c. Chalets St-Adolphe inc., 2007 QCCA 1421 (CanLII), par. 12 et 13;

[31]         Malo c. Infirmières et infirmiers, 2003 QCT) 132 (CanLII), par. 24;

[32]         Courchesne c. Castiglia, 20096 QCCA 2303;

[33]         Gonshor c. Dentistes, 2001 QCTP 32 (CanLII), par. 48;

     Dupéré-Vanier c. Camirand-Duff, 2001 QCTP 8 (CanLII);

[34]         Picard c. Lizotte, 2016 QCCQ 6133 (CanLII);

     Acupuncteurs c. Jondeau, 2006 QCTP 86 (CanLII), par. 41 à 43;

[35]         Prud’homme c. Gilbert, 2012 QCCA 1544 (CanLII), par. 32;

[36] Lebel c. Trimarchi, 2011 QCCQ 14011 (CanLII);

[37] McCullok-Finney c. Houle, 2007 QCTP 18 (CanLII);

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