Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No:

2016-03-02(E)

2016-03-03(E)

 

DATE :

22 novembre 2016

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

Mme Valérie Mastrocola, expert en sinistre

Membre

M. Claude Gingras, expert en sinistre

Membre

 

 

Me KARINE LIZOTTE, ès qualités de syndic adjoint de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

LUCIE PLOURDE

et

ANNA-MARIA BILINSKI

Parties intimées

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

 

 

[1]       Le 4 octobre 2016, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition des plaintes numéros 2016-03-02(E) et 2016-03-03(E) ;

 

[2]       Le syndic adjoint était alors représenté par Me Sébastien Tisserand et, de leur côté, les intimées étaient représentées par Me Jean-Marie Fontaine ;

 

 

I.          Les plaintes

 

[3]       L’intimée Lucie Plourde fait l’objet d’une plainte comportant un chef d’accusation, soit :

 

1.   A exercé de façon négligente ses activités de supervision de l’expert en sinistre en assurance de dommages des particuliers junior Anna-Maria Bilinski dans le cadre du règlement de la réclamation présentée par l’assurée D.F. à la suite du dégât d’eau survenu le 26 mai 2012 dans sa résidence, notamment :

 

a)   Entre les ou vers les 29 mai et 11 juillet 2012, en ne s’assurant pas qu’une enquête complète était réalisée par Anna-Maria Bilinski sur la nature du sinistre et sur les dommages à la résidence et aux biens mobiliers et effets personnels de l’assurée;

 

b)   Entre les ou vers les 29 mai et 29 juin 2012, en ne s’assurant pas que des travaux d’urgence pour assécher la résidence et éviter l’aggravation des dommages par l’apparition de moisissures sur les plafonds, murs et planchers de la résidence et sur les biens de l’assurée étaient réalisés dans les plus brefs délais;

 

c)   Entre les ou vers les 29 mai et 29 juin 2012, en ne s’assurant pas qu’Anna-Maria Bilinski avait mis en place des mécanismes pour prévenir l’apparition de moisissures, comme l’installation de ventilateurs industriels et la vérification périodique du taux d’humidité dans les murs et les plafonds de la résidence de l’assurée;

 

d)   Entre les ou vers les 14 juin et 11 juillet 2012, en ne s’assurant pas qu’Anna-Maria Bilinski avait supervisé l’avancement du nettoyage et de l’entreposage sécuritaire par Nettoyeur Rose 98 inc. ( « Solution Rose ») des vêtements de l’assurée;

 

e)   Entre les ou vers les 29 mai et 29 juin 2012, en ne faisant aucune suivi auprès de l’assurée sur l’exécution des travaux de restauration et de nettoyage du mobilier pour éviter l’aggravation des dommages et l’apparition de moisissures sur ces biens;

 

Le tout en contravention dans chacun des cas avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, ainsi qu’avec les articles 2, 10, 27, 58(1) et 58(3) du Code de déontologie des experts en sinistre;

 

 

[4]       De son côté, l’intimée Anna-Maria Bilinski fait l’objet d’une plainte comportant trois (3) chefs d’accusation, soit :

 

1.   A exercé ses activités de façon négligente et a fait défaut de fournir à l’assurée D.F. les explications nécessaires à la bonne compréhension du règlement de la réclamation présentée à la suite du dégât d’eau survenu le 26 mai 2012 dans sa résidence, notamment :

 

a)   Entre les ou vers les 29 mai et 13 juin 2012, en n’expliquant pas de manière compréhensible l’importance d’effectuer sans délai les travaux d’urgence pour assécher les plafonds, les murs et les planchers qui ont été affectés par le dégât d’eau;

 

b)   Entre les ou vers les 29 mai et 11 juillet 2012, en n’expliquant pas de manière compréhensible l’importance de sortir sans délai les biens meubles et effets personnels de l’assurée qui ont été endommagés par le dégât d’eau pour permettre leur nettoyage ou restauration et éviter la formation de moisissures;

 

c)   Le ou vers le 8 juin 2012, en n’informant pas l’assurée de la manière dont elle entendait disposer des biens meubles endommagés par le dégât d’eau et en n’obtenant pas son consentement avant de donner mandat à Les entreprises David, Gauthier, Leclair inc. (« DGL ») de les restaurer;

 

d)   Entre les ou vers les 29 mai et 11 juillet 2012, en n’expliquant pas à l’assurée ce qui arriverait à ses effets personnels et vêtements enlevés par Nettoyeur Rose 98 inc. (« Solution Rose »);

 

e)   Entre les ou vers les 29 mai et 11 juillet 2012, en omettant de répondre aux communications écrites et/ou téléphoniques de l’assurée, au sujet du risque d’apparition de moisissures à la suite du dégât d’eau dans la résidence de l’assurée;

Le tout en contravention dans chacun des cas avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers ainsi qu’avec les article 10, 14, 21 et 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistre;

 

2.   A exercé ses activités de façon négligente et a fait preuve d’un manque de contrôle de la réclamation présentée par l’assurée D.F. à la suite du dégât d’eau dans sa résidence, notamment :

 

a)   Entre les ou vers les 29 mai et 11 juillet 2012, en n’enquêtant pas de manière approfondie sur la nature du sinistre et sur les dommages à la résidence et aux biens mobiliers et effets personnels de l’assurée;

 

b)   Entre les ou vers les 29 mai et 13 juin 2012, en ne faisant aucun suivi auprès de l’assurée sur l’exécution des travaux d’urgence pour assécher la résidence et éviter l’aggravation des dommages par l’apparition de moisissures sur les plafonds, murs et planchers de la résidence et sur les biens de l’assurée;

 

c)   Entre les ou vers le 29 mai et 13 juin 2012, en ne mettant pas en place des mécanismes pour prévenir l’apparition de moisissures, comme l’installation de ventilateurs industriels, la vérification périodique du taux d’humidité dans les murs et les plafonds de la résidence de l’assurée;

d)   Entre les ou vers les 14 juin et 11 juillet 2012, en omettant de superviser la réalisation des travaux d’urgence par Les entreprises David, Gauthier, Leclair inc. « DGL » dans la résidence de l’assurée, en ne retournant pas sur les lieux et/ou en n’envoyant pas l’évaluateur de l’assureur pour vérifier la suffisance des travaux et en ne faisant pas les suivis nécessaires à cet égard auprès de l’assurée;

e)   Entre les ou vers les 13 juin et 11 juillet 2012, en omettant de superviser l’avancement du nettoyage et de l’entreposage sécuritaire par Nettoyeur Rose 98 inc. (« Solution Rose ») des vêtements de l’assurée et en ne faisant pas les suivis nécessaires à cet égard auprès de l’assurée;

f)    Entre les ou vers les 29 mai et 13 juin 2012, en ne faisant aucun suivi auprès de l’assurée sur l’exécution des travaux de restauration et de nettoyage des meubles pour éviter l’aggravation des dommages et l’apparition de moisissures sur ces biens;

 

Le tout en contravention dans chacun des cas avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers ainsi qu’avec les article 10, 27, 45 et 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistre;

 

3.   Entre les ou vers les 29 mai et le 11 juillet 2012, a exercé ses activités de façon négligente en faisant défaut de compléter le dossier de la réclamation de l’assurée D.F. présentée à la suite du dégât d’eau de sa résidence, en ne notant pas et en ne résumant pas, à de multiples reprises, la teneur de ses interventions, conversations téléphoniques et rencontres avec les divers intervenants du dossier, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers ainsi qu’avec les articles 10 et 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistre;

 

[5]       D’entrée de jeu, les intimées ont enregistré un plaidoyer de culpabilité à l’encontre des chefs d’accusation qui leur sont reprochés ;


[6]       En conséquence, les intimées furent déclarées coupables, séance tenante, desdites infractions et les parties ont alors procédé à l’audition sur sanction ;

 

II.         Preuve sur sanction

 

A)        Par le syndic adjoint

 

[7]       Me Tisserand, pour et au nom de la partie plaignante, a déposé de consentement les pièces P-1 à P-9 ;

[8]       Par la même occasion, les pièces I-1 à I-11 furent également déposées de consentement ;

[9]       L’ensemble de cette preuve a permis d’établir la trame factuelle ayant entraîné la commission des infractions reprochées aux intimées ;

[10]    Brièvement résumé, il s’agit, à l’origine, d’un simple dégât d’eau qui, par la négligence et le manque de suivi des intimées, s’est transformé en véritable cauchemar pour l’assurée et sa sœur ;

[11]    Pour mieux saisir l’ampleur des troubles et inconvénients subis par l’assurée (D.F.), il convient de reproduire le « Résumé des faits » préparé par le procureur du syndic adjoint :

« Le samedi 26 mai 2012, l’assurée est victime d’un dégât d’eau suite à une fuite de sa toilette. L’assurée procède au nettoyage durant la soirée et le lendemain elle communique avec sa compagnie d’assurance le lundi matin.

Mme Bilinski est l’expert en sinistre à qui le dossier de réclamation sera attitré. Elle se présente sur les lieux avec l’évaluateur Charland le 30 mai 2012.

Mme Bilinski ne met pas en place des mesures d’urgence pour assécher les lieux (ouverture des murs, plafond, etc.) et pour éviter l’apparition de moisissure (absence de ventilateur industriel). Seule une équipe pour ramasser les vêtements mouillés et une équipe pour évaluer les meubles endommagés par l’eau seront dépêchées sur les lieux.

Le rapport de l’évaluateur Charland doit prendre 3 semaines à être rédigé et dans l’intervalle, alors que l’assurée s’inquiète que sa résidence demeure humide, Mme Bilinski rassure l’assurée en affirmant que les murs sont en plâtre et donc qu’ils ne moisiront pas, car l’eau ne s’est pas accumulée dans les murs et les plafonds/planchers.

Pourtant, dès le 11 juin 2012, la moisissure commence à apparaître sur les meubles de l’assurée et sur les tuiles de plafond du sous-sol. Une équipe de nettoyage ne sera dépêchée sur place que le 14 juin 2012 après l’insistance de l’assurée à ce que quelqu’un soit envoyé par sa compagnie d’assurance.

Les travaux d’assèchement seront sommaires et ne permettront pas d’empêcher la propagation des spores des moisissures à l’ensemble de la résidence de l’assurée. L’installation de ventilateur industriel alors que les murs et les plafonds n’ont pas été ouverts aura l’effet inverse.

Le dossier prendra 20 mois à être réglé, après une décontamination majeure de l’ensemble de la résidence qui a forcé l’assurée à vivre 11 mois dans un hôtel après avoir dû respirer à l’aide d’un masque pendant plusieurs semaines des spores de moisissures et avoir subi un épuisement psychologique suite à ces événements. »

 

[12]    À ces faits particulièrement troublants, dont un délai de 20 mois avant que l’assurée (D.F.) puisse retrouver la quiétude de sa résidence, il faut, par ailleurs, ajouter et préciser que les réparations ont coûté 280 000 $ alors que si le dossier avait été traité avec diligence et compétence, la facture totale n’aurait pas dépassé 30 000 $ ;

[13]    Cela dit, les intimées ont témoigné pour leur défense ;

 

B)       Par les intimées

 

[14]    Les intimées ont témoigné pour exprimer, en premier lieu, des regrets pour tous les troubles et inconvénients causés à l’assurée (D.F.) ;

[15]    De plus, l’intimée Bilinski a expliqué qu’à l’époque des faits reprochés, soit en 2012, elle n’avait que six (6) mois d’expérience chez Wawanesa ;

[16]    D’ailleurs, à vrai dire, elle n’avait aucune compétence en matière de dégâts d’eau puisqu’avant, elle faisait surtout de l’expertise en matière d’accidents automobiles ;

[17]    De plus, ses notes étaient très parcellaires puisqu’elle passait ses journées sur la route et n’avait pas à sa disposition d’ordinateur portable ;

[18]    Elle inscrivait donc ses notes le soir ou le lendemain à son retour au bureau ;

[19]    Depuis cette époque, elle a changé ses méthodes de travail chez son nouvel employeur, Promutuel Assurances ;

[20]    C’est ainsi qu’elle prend ses notes directement sur son portable et, en cas d’un sinistre résultant d’un dégât d’eau, elle mesure immédiatement le niveau d’humidité et s’assure que les travaux d’urgence débutent sans délai ;

[21]    Dans le cas de l’intimée Lucie Plourde, celle-ci précise qu’elle effectue maintenant un suivi beaucoup plus serré des experts en sinistre sous sa charge ;

[22]    De plus, en cas de doute, elle demande à ses employés de mandater immédiatement une firme spécialisée ;

[23]    Enfin, elle effectue une supervision plus rapprochée de ses experts en sinistre, notamment en identifiant chacune des étapes nécessaires au règlement du sinistre et en vérifiant le suivi des échéanciers ;

 

III.        Recommandations communes

 

[24]    Me Tisserand, avec jurisprudence à l’appui, demande au Comité d’entériner la suggestion commune des parties quant aux sanctions devant être imposées aux intimées ;

[25]    Dans le cas de l’intimée Plourde, les parties recommandent conjointement l’imposition d’une amende de 5 000 $ et l’obligation de suivre deux (2) cours de perfectionnement ;

[26]    En ce qui concerne l’intimée Bilinski, les parties suggèrent une amende de 3 000 $ sur chacun des chefs pour un total de 9 000 $ ainsi que l’obligation de suivre deux (2) cours de perfectionnement ;

[27]    À l’appui des suggestions communes, Me Tisserand réfère le Comité de discipline aux précédents jurisprudentiels suivants :

      CHAD c. Paquet, 2013 CanLII 33399 (culpabilité) et 2013 CanLII 82451 (sanction) ;

      CHAD c. Soucy, 2012 CanLII 50495 (culpabilité) et 2013 CanLII 14894 (sanction) ;

      CHAD c. Goulet, 2012 CanLII 48662 (culpabilité) et 2012 CanLII 86181 (sanction) ;

      CHAD c. Gaudreau, 2007 CanLII 49230 (culpabilité) et 2007 CanLII 72590 (sanction) ;

[28]    Suivant cette jurisprudence, les sanctions suggérées par les parties s’inscrivent parfaitement dans la fourchette des sanctions imposées habituellement pour ce genre d’infraction ;

[29]    Enfin, Me Tisserand souligne divers facteurs aggravants et atténuants propres au cas particulier de chaque intimée ;

[30]    De son côté, Me Fontaine confirme le caractère commun des sanctions suggérées et réitère les regrets et les remords formulés par les intimées ;

IV.       Demande de non publication

 

[31]    De plus, Me Fontaine, tel qu’exprimé par les intimées lors de leur témoignage, demande au Comité de discipline d’émettre, suivant l’article 142 du Code des professions, une ordonnance de non publication du nom des intimées ;

[32]    Dans le cas de l’intimée Billinski, celle-ci plaide que la publication de son nom et de sa condamnation pourrait lui nuire dans le cadre de ses nouvelles fonctions chez Promutuel en plus de diminuer la confiance des clients envers son employeur ;

[33]    De son côté, l’intimée Plourde plaide que la publication de son nom et de la décision du Comité aura pour effet de lui causer préjudice lors de l’engagement de nouveaux experts en sinistre et lors de la supervision de ceux-ci ;

[34]    Me Fontaine admet qu’en l’absence d’une radiation, la loi (art. 156 C. prof.) ne prévoit pas la publication d’un avis légal dans les journaux ;

[35]    Cependant, il plaide que les décisions du Comité sont rapportées sur divers sites internet et plus particulièrement dans la « ChADPresse », organe officiel de diffusion de la ChAD ;

[36]    C’est ainsi qu’il demande qu’une ordonnance de non publication du nom de ses clientes puisse être prononcée par le Comité afin d’éviter les préjudices découlant de la diffusion des décisions du Comité de discipline ;

[37]    Quant au syndic adjoint, il s’en remet à la discrétion du Comité de discipline ;

 

V.        Analyse et décision

 

A)        Le plaidoyer de culpabilité

 

[38]    Rappelons qu’en matière disciplinaire, l’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité constitue une reconnaissance du caractère malhonnête des gestes posés et de l’intention coupable nécessaire à la commission d’une telle infraction[1] ;

 

[39]    Suivant la jurisprudence[2], un plaidoyer de culpabilité équivaut à une reconnaissance que les faits reprochés constituent une faute déontologique ;

 

[40]    D’ailleurs, dans l’affaire Castiglia c. Frégeau[3], la Cour du Québec écrivait :

[28]    Le Syndic a raison de soutenir que Frégeau, ayant plaidé coupable à l’audition sur culpabilité, il ne peut remettre en question ce plaidoyer qui constitue une admission des principaux faits allégués dans la plainte. À cet égard, le Syndic réfère le Tribunal à l’arrêt de principe de la Cour d’appel de Lefebvre c. La Reine, où la Cour d’appel conclut qu’un plaidoyer de culpabilité consiste à admettre l’ensemble des éléments de l’infraction et que sa peine doit être évaluée à partir de ce fondement.

[29]   Ce même principe a été reconnu par le Tribunal des professions dans Pivin c. Inhalothérapeutes, où le Tribunal confirme qu’un plaidoyer en droit disciplinaire, est la reconnaissance par le professionnel des faits qui lui sont reprochés et du fait qu’ils constituent une faute déontologique. (Nos soulignements)

 

[41]    Dans l’arrêt Duquette c. Gauthier[4], la Cour d’appel va même plus loin en déclarant que :

 

[20]   Le Tribunal est conscient que la décision sur une demande de retrait de plaidoyer procède du pouvoir discrétionnaire du Comité et qu'il s'agit d'une question de droit. Le plaidoyer de culpabilité emporte en soi un aveu que l'accusé a commis le crime imputé, de même qu'un consentement à ce qu'une déclaration de culpabilité soit inscrite sans autre forme de procès. (Nos soulignements)

 

[42]    Enfin, dans l’affaire Boudreau c. Avocats[5], le Tribunal des professions a reconnu qu’il s’agissait d’un facteur atténuant dont le Comité devait tenir compte :

 

[25]        Cela dit, d'autres reproches formulés méritent plus d'attention. Selon l'appelant, le Conseil a ignoré les conséquences atténuantes pouvant découler du plaidoyer de culpabilité, surtout lorsqu'il est enregistré, comme ici, à la première occasion. En reconnaissant sa culpabilité, l'appelant admet avoir commis des actes répréhensibles qui constituent une faute déontologique. Ce faisant, l'appelant a permis d'éviter l'instruction de la plainte disciplinaire, imposant notamment à son ex‑cliente les embûches d'un témoignage. L'appelant a raison de reprocher au Conseil d'avoir occulté ce facteur atténuant. (Nos soulignements)

 

[43]    Cela dit, le Comité considère qu’il s’agit effectivement d’un facteur atténuant qui doit jouer en faveur des intimées ;

 


B)       La recommandation commune

 

[44]    Compte tenu de la jurisprudence en matière de recommandations communes[6],  celles-ci doivent être considérées avec sérieux ;

[45]    Encore récemment, le Tribunal des professions rappelait l’importance et l’utilité de celles-ci dans l’affaire Ungureanu[7]:

[21]   Les ententes entre les parties constituent en effet un rouage utile et parfois nécessaire à une saine administration de la justice. Lors de toute négociation, chaque partie fait des concessions dans le but d'en arriver à un règlement qui convienne aux deux. Elles se justifient par la réalisation d'un objectif final. Lorsque deux parties formulent une suggestion commune, elles doivent avoir une expectative raisonnable que cette dernière sera respectée. Pour cette raison, une suggestion commune formulée par deux avocats d'expérience devrait être respectée à moins qu'elle ne soit déraisonnable, inadéquate ou contraire à l'intérêt public ou de nature à déconsidérer l'administration de la justice. (Nos soulignements)

 

[46]    C’est en gardant à l’esprit ces principes que le Comité examinera le caractère approprié des sanctions suggérées ;

 

C)       Les sanctions

 

[47]    Le Comité considère que les sanctions suggérées par les parties sont justes et raisonnables et surtout appropriées au cas particulier des intimées ;

[48]    En effet, elles tiennent compte de la gravité objective des infractions et du préjudice subi par l’assurée (D.F.) ainsi que des circonstances atténuantes telles que l’absence d’antécédents disciplinaires des intimées et leur plaidoyer de culpabilité ;

[49]    De plus, elles comportent un volet éducatif par l’imposition de deux (2) cours de formation continue assurant ainsi, pour l’avenir, la protection du public ;

[50]    En conséquence, elles seront donc entérinées par le Comité de discipline sous la réserve suivante ;

[51]    Suivant l’article 156 C. prof., une amende ou une sanction doit être imposée sur chacun des chefs ;

[52]    C’est ainsi qu’une amende « globale » de 5 000 $ pour le chef 1 (Plourde) ou de 3 000 $ pour les chefs 1 ou 2 (Bilinski) ne respecte pas les exigences du Code des professions[8] ;

[53]    En conséquence, les autres paragraphes des chefs 1 et 2 seront sanctionnés par l’imposition d’une réprimande afin, d’une part, de respecter la lettre du Code des professions et, d’autre part, l’entente monétaire intervenue entre les parties ;

 

D)       L’ordonnance de non publication

 

[54]    En principe, les audiences du Comité de discipline sont publiques sauf ordonnance contraire[9] ;

[55]      De plus, il y a lieu de signaler les prescriptions de l’article 108.7 du Code des professions[10], lequel édicte :

108.7 Ont également un caractère public, les renseignements contenus dans les documents suivants d’un ordre :

1°  la résolution de radier un membre du tableau de l’ordre ou de limiter ou suspendre son droit d’exercer des activités professionnelles, à l’exception des renseignements de nature médicale ou concernant un tiers qu’elle contient;

2°  la résolution prise en vertu du pouvoir conféré à l’ordre à l’article 159 ou à la suite d’une recommandation faite en vertu de l’article 158.1 ou 160;

3°  la résolution désignant un cessionnaire ou un gardien provisoire prise en vertu de l’article 91 ainsi que la description de son mandat;

4°  le rôle d’audience d’un conseil de discipline;

5°  le dossier d’un conseil de discipline, à compter de la tenue de l’audience et sous réserve de toute ordonnance de non-divulgation, de non-accessibilité, de non-publication ou de non-diffusion de renseignements ou de documents rendus par le conseil de discipline ou par le Tribunal des professions en vertu de l’article 142 ou 173.

A aussi un caractère public, le nom d’un membre visé par une plainte et son objet, à compter de sa signification par le secrétaire du conseil de discipline. (Nos soulignements)

 

[56]    Enfin, il existe une présomption en faveur du caractère public des procédures judiciaires et le rejet de toute forme de censure à l’égard de leur diffusion, tel que le soulignait le Tribunal des professions dans l’affaire Paquette c. Notaires[11] :

[41]            Le Tribunal y rappelle que ce pouvoir discrétionnaire prévu à l'article 142 du Code doit s'exercer en accord avec les principes dégagés en la matière par les arrêts de la Cour suprême du Canada dans Dagenais c. Société Radio‑Canada[14], Société Radio‑Canada c. Nouveau‑Brunswick (Procureur général) et R. c. Mentuck.

[42]            Ces arrêts postulent une présomption en faveur du caractère public des procédures judiciaires et le rejet de toute censure à l'égard de leur diffusion à moins que le juge ne dispose d'une preuve convaincante pour ordonner une interdiction.

[43]            Le principe souffre d'exceptions lorsqu'il est démontré que les bénéfices de l'ordonnance d'interdiction sont plus importants que ses effets préjudiciables au regard de l'intérêt public et des intérêts privés en cause.

[44]            Ainsi, le Comité rejette la demande de huis clos au motif que les faits n'établissent pas à sa satisfaction ni ne justifient qu'il y a lieu de la rendre. C'est affaire d'appréciation à l'égard de laquelle une instance de révision n'intervient pas à moins d'une erreur déterminante. Au stade d'une demande de permission d'appeler, cette erreur déterminante doit être apparente.

[45]            Le professionnel qui doit répondre, à tort ou à raison, à une plainte disciplinaire peut difficilement invoquer la protection de sa vie privée ou de sa réputation pour soutenir une ordonnance de huis clos en vertu précisément du principe du caractère public de l'audience disciplinaire. (Nos soulignements)

 

[57]    Mais il y a plus, dans un dossier du Barreau du Québec dans lequel l’avocate intimée demandait que son nom demeure confidentiel, le Conseil de discipline a conclu au rejet de cette demande ;

[58]    Il s’agit de l’affaire Reit c. Barreau du Québec[12] dont les motifs les plus pertinents sont les suivants :

[35]      Le Comité tient à souligner le passage suivant du volume de Me Sylvie Poirier :

« L’obligation de publication du rôle d’audience prescrite par l’article 120.2 du Code ne peut être affectée par une ordonnance de non-publication. Par conséquent, une telle ordonnance ne pourrait s’étendre pour empêcher que les noms des parties soient inscrits au rôle d’audience du comité de discipline. C’est ce qui fut confirmé par la Cour d’appel dans Southam Inc. c. Gauthier »

[36]      Le Tribunal des professions s’exprimait ainsi dans la décision Notaire - c - Laurin :

« À la lumière des amendements visant à rendre publiques les auditions devant les comités de discipline ainsi que les sanctions comportant une radiation temporaire, une limitation ou une suspension temporaire du droit d’exercer des activités professionnelles, le Tribunal est d’avis que c’est avec beaucoup de circonspection qu’il faut exercer le pouvoir de dispenser ou non le secrétaire du Comité de discipline de faire publier l’avis en question. »

[37]      Le législateur a voulu que le processus disciplinaire soit public. Le recours à un moyen de communication, comme « Internet », les Ordres professionnels ou  l’Office des professions, est une application de ce principe.

[38]      Depuis le mois d’avril 2005, toutes les décisions du Comité de discipline du Barreau du Québec sont publiées sur « Internet »; celles qui imposent une radiation ou une restriction du droit de pratique peuvent en plus faire l’objet   d’une publication dans un journal, conformément à l’article 156 du  Code des professions.

[39]      Le Comité irait à l’encontre des dispositions du Code des professions s’il émettait une ordonnance qui aurait pour effet de cacher au public le nom de l’avocate qui a fait l’objet d’une sanction disciplinaire même s’il s’agit de la sanction la moins sévère. (Nos soulignements)

 

[59]    De plus, le Comité estime que l’article 108.7 C. prof. a préséance sur l’article 142 C. prof.[13] ;

[60]    Pour l’ensemble de ces motifs, la demande de non publication formulée par les intimées sera rejetée.

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

Dans le cas de l’intimée Lucie Plourde :

REJETTE la demande d’ordonnance de non publication formulée par l’intimée ;

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimée ;

DÉCLARE l’intimée Lucie Plourde coupable des chefs 1a) à 1f) de la plainte 2016-03-02(E), plus particulièrement comme suit :

Chefs 1a), 1b), 1c),

1d), 1e) et 1f) :                pour avoir contrevenu, à chaque occasion, à l’article 2 du Code de déontologie des experts en sinistre (RLRQ, c. D-9.2, r.4)

 

IMPOSE à l’intimée Lucie Plourde les sanctions suivantes :

Chef 1a) :                       une amende de 5 000 $

Chefs 1b) à 1f) :            une réprimande sur chacun desdits chefs

 

RECOMMANDE au Conseil d’administration de la ChAD d’imposer à l’intimée Lucie Plourde l’obligation de suivre et de compléter avec succès, dans un délai de 12 mois de la présente décision, les cours suivants :

               Refoulements d’égouts, dégâts d’eau et moisissures ;

               Jurisprudence 2015

Le défaut de se conformer à cette obligation entraînera la suspension de son droit d’exercice par l’autorité compétente ;

DÉCLARE que lesdits cours ne donneront pas droit à des crédits de formation continue (UFC) ;

CONDAMNE l’intimée Lucie Plourde au paiement de 50% des déboursés ;

ORDONNE que l’amende et les déboursés (50%) soient payés dans un seul et unique versement au plus tard le 31e jour suivant la signification de la présente décision ;

 

Dans le cas de l’intimée Anna-Maria Bilinski :

REJETTE la demande d’ordonnance de non publication formulée par l’intimée ;

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimée ;

DÉCLARE l’intimée Anna-Maria Bilinski coupable des chefs 1 à 3 de la plainte 2016-03-03(E), plus particulièrement comme suit :

Chefs 1a) à 1e) :        pour avoir contrevenu, à chaque occasion, à l’article 21 du Code de déontologie des experts en sinistre (RLRQ, c. D-9.2, r.4)

Chefs 2a à 2f) :          pour avoir contrevenu, à chaque occasion, à l’article 10 du Code de déontologie des experts en sinistre (RLRQ, c. D-9.2, r.4)

Chef 3 :                       pour avoir contrevenu à l’article 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistre (RLRQ, c. D-9.2, r.4)

 

IMPOSE à l’intimée Anna-Maria Bilinski les sanctions suivantes :

Chef 1a) :                       une amende de 3 000 $

Chefs 1b) à 1e) :           une réprimande sur chacun desdits chefs

Chef 2a) :                       une amende de 3 000 $

Chefs 2b) à 2f) :            une réprimande sur chacun desdits chefs

Chef 3 :                           une amende de 3 000 $

 

RECOMMANDE au Conseil d’administration de la ChAD d’imposer à l’intimée Anna-Maria Bilinski l’obligation de suivre et de compléter avec succès, dans un délai de 12 mois de la présente décision, les cours suivants :

               Refoulements d’égouts, dégâts d’eau et moisissures ;

               En avant plan : ma responsabilité d’expert ;

Le défaut de se conformer à cette obligation entraînera la suspension de son droit d’exercice par l’autorité compétente ;

DÉCLARE que lesdits cours ne donneront pas droit à des crédits de formation continue (UFC) ;

CONDAMNE l’intimée Anna-Maria Bilinski au paiement de 50% des déboursés ;

ORDONNE que l’amende et les déboursés (50%) soient payés dans un seul et unique versement au plus tard le 31e jour suivant la signification de la présente décision.

 

 

 

 

 

____________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

 

____________________________________

Mme Valérie Mastrocola, expert en sinistre

Membre        

 

____________________________________

M. Claude Gingras, expert en sinistre

Membre

 

Me Sébastien Tisserand

Procureur de la partie plaignante

 

Me Jean-Marie Fontaine

Procureur des parties intimées

 

Date d’audience :  4 octobre 2016

 

 

 



[1]        Tribunal – Avocats – 5, [1987] D.D.C.P. 251;

[2]        Pivin c. Inhalothérapeutes2002 QCTP 32 (CanLII);

     Lemire c. Médecins2004 QCTP 59 (CanLII);

     Mercier c. Médecins2014 QCTP 12 (CanLII);

[3]        2014 QCCQ 849 (CanLII);

[4]        2007 QCCA 863 (CanLII);

[5]        2013 QCTP 22 (CanLII);

[6]        Chan c. Médecins2014 QCTP 5 (CanLII);

     Gauthier c. Médecins, 2013 CanLII 82819 (QCTP);

[7]        Infirmières et Infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel de) c. Ungureanu, 2014 QCTP 20 (CanLII);

[8]    Pigeon c. Proprio Direct inc., 2003 CanLII 45825 (QCCA);

     Gilbert c. Castiglia, 2011 QCCA 2277 (CanLII);

[9]        Art. 142 C.prof.;

[10]      RLRQ, c. C-26;

[11]      2008 QCTP 225 (CanLII);

[12]      2007 QCCDBQ 6 (CanLII);

[13]      Voir, par analogie, les affaires Southam inc. C. Gauthier, 1996 CanLII 6290 (QCCA) et A.A. c. Gaudreau, 1996 CanLII 6584 (QCCA);

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