Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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Contenu de la décision

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No:

2016-02-05(C)

 

DATE :

1er décembre 2016

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. Benoît St-Germain, C.d’A.Ass., PAA, CRM, courtier

en assurance de dommages

Membre

Mme Isabelle Guay, courtier en assurance de dommages

Membre

 

 

Me SYLVIE POIRIER, ès qualités de syndic ad hoc de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

GLENN HIGGINS, inactif et sans mode d’exercice

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

 

 

ORDONNANCE DE NON DIVULGATION, DE NON PUBLICATION ET DE NON DIFFUSION DU NOM DE L’ASSURÉE ET DE TOUS RENSEIGNEMENTS OU INFORMATIONS PERMETTANT DE L’IDENTIFIER, LE TOUT CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS

 

 

[1]       Le 1er novembre 2016, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2016-02-05(C) ;

 

[2]       La syndic ad hoc se représentait seule et, de son côté, l’intimé était représenté par Me Maud Rivard ;

 

 

I.          La plainte

 

[3]       L’intimé fait l’objet d’une plainte qui, à l’origine, comportait six (6) chefs d’accusation, soit :

 

1.   À Québec, le ou vers le 14 juillet 2006 et par la suite, l’intimé a exercé ses activités professionnelles de façon négligente en ne consignant pas promptement à son dossier la teneur de ses échanges avec la cliente G.T. et les informations reçues de celle-ci aux fins de la souscription d’une assurance pour son immeuble (gite saisonnier), le tout en contravention avec les articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (chapitre D-9.2), 9, 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r. 5);

 

2.   À Québec, au cours de la période du 14 juillet au 6 août 2006, l’intimé a exercé ses activités professionnelles de façon négligente en faisant défaut d’obtenir toute l’information et les précisions nécessaires à l’évaluation du risque par l’assureur, quant aux motifs du refus par l’assureur antérieur de l’immeuble (gite saisonnier) de la cliente G.T. de renouveler sa police d’assurance no. R2407792601-014 émise depuis plusieurs années, le tout en contravention avec les articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (chapitre D-9.2), 9, 29 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r. 5);

 

3.   À Québec, le ou vers le 14 juillet 2006 et par la suite, l’intimé a exercé ses activités de façon négligente en faisant défaut d’expliquer, d’informer ou de conseiller adéquatement sa cliente G.T. quant à l’incidence de son historique de sinistres sur les protections disponibles, le tout en contravention avec les articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (chapitre D-9.2), 9, 37(1), 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r. 5);

 

4.   À Québec, le ou vers le 31 juillet 2006, l’intimé a exercé ses activités de façon négligente en transmettant à l’assureur des informations inexactes, incomplètes et susceptibles de l’induire en erreur quant au risque, lors de la souscription de la police no. 344-7282C pour la cliente G.T., le tout en contravention avec les articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (chapitre D-9.2), et les articles 9, 29, 37 (1) et (7) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r. 5);

 

5.   À Québec, le ou vers le 18 juillet 2007, l’intimé a exercé ses activités de façon négligente lors de la souscription de la police no. 433-5083 pour la cliente G.T., en soumettant au nouvel assureur, la même proposition que celle qu’il avait soumise l’année précédente à un autre assureur avec des informations inexactes, incomplètes et susceptibles d’induire en erreur quant au risque, sans procéder à une vérification et mise à jour de ces informations,  le tout en contravention avec les articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (chapitre D-9.2), et les articles 9, 29, 37 (1) et (7) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r. 5);

 

6.   À Québec, au cours de la période du 26 juin au 6 août 2008, lors du renouvellement de la police no. 433-5083, l’intimé a exercé ses activités de façon négligente en ne procédant pas à la vérification et mise à jour des informations pertinentes quant au risque et pour s’assurer que la garantie offerte réponde aux besoins de sa cliente G.T., le tout en contravention avec les articles 16 et 39 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (chapitre D-9.2), et les articles 9, 37 (1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r. 5).

 

 

[4]       Dès l’ouverture de l’audition, la syndic ad hoc a informé le Comité qu’elle entendait déposer une plainte amendée se lisant comme suit :

 

1.   À Québec, le ou vers le 14 juillet 2006 et par la suite, l’intimé a exercé ses activités professionnelles de façon négligente en ne consignant pas promptement à son dossier la teneur de ses échanges avec la cliente G.T. et les informations reçues de celle-ci aux fins de la souscription d’une assurance pour son immeuble (gite saisonnier), le tout en contravention avec l’article 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome (RLRQ, D-9.2, r.2);

2.   (…); 

3.   (…);

4.   (…);

5.   À Québec, le ou vers le 18 juillet 2007, l’intimé a exercé ses activités de façon négligente lors de la souscription de la police no. 433-5083 pour la cliente G.T., en soumettant au nouvel assureur, la même proposition que celle qu’il avait soumise l’année précédente à un autre assureur (…), sans procéder à la vérification et mise à jour des informations pertinentes quant au risque, le tout en contravention avec les articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (chapitre D-9.2), et les articles 9, 29, 37 (1) et (7) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r. 5);

6.   À Québec, au cours de la période du 26 juin au 6 août 2008, lors du renouvellement de la police no. 433-5083, l’intimé a exercé ses activités de façon négligente en ne procédant pas à la vérification et mise à jour des informations pertinentes quant au risque (…), le tout en contravention avec les articles 16 et 39 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (chapitre D-9.2), et les articles 9, 37 (1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r. 5).

 

[5]       Vu le consentement de la partie intimée, le Comité a autorisé, séance tenante, le dépôt de ladite plainte amendée ;

[6]       Cela dit, l’intimé, par la voix de son procureur, enregistra un plaidoyer de culpabilité à l’encontre des chefs d’accusation 1, 5 et 6 de la plainte amendée ;

[7]       Les parties procédèrent alors à la preuve sur sanction et aux représentations sur sanction ;

 

II.         Les faits

 

[8]       La preuve déposée de consentement (P-1 à P-21) et les explications fournies par la syndic ad hoc, de même que l’exposé des faits préparé par celle-ci, ont permis d’établir la trame factuelle ci-après relatée ;

[9]       L’assurée, Mme G.T., aujourd’hui âgée de 81 ans, exploitait un gite saisonnier style « bed and breakfast » à l’Ile-aux-Coudres dans la région de Charlevoix. Elle était aussi propriétaire d’un petit chalet qu’elle louait et d’une remise (ancien garage), situés sur des lots différents de celui du gite ;

[10]    Mme G.T. assurait son gite avec Promutuel Charlevoix-Montmorency (maintenant Promutuel du Littoral) de 1996 à 2006 sous le programme de « gite » qui prévoyait une protection au coût de 996,26$ par année ;

[11]    Le 15 août 2005, un incendie est survenu dans la remise située sur le terrain adjacent à celui du gite. Une indemnité de 10 000$ fut alors versée ;


[12]    Cet immeuble était situé sur un cadastre différent (no. 667) de celui de l’immeuble couvert par la police d’assurance-gite de Promutuel no. (668) ;

[13]    Quelques mois plus tard, le 31 décembre 2005, un autre incendie survient alors dans le chalet.  Cet immeuble était aussi situé sur un cadastre différent (no. 666) de celui du gite couvert par la police d’assurance-gite de Promutuel (no. 668) ;

[14]    Le printemps suivant, le 31 mars 2006, un troisième incendie se déclare, cette fois-ci sur la galerie extérieure du deuxième étage de sa résidence « gite saisonnier ».  Les dommages s’élèvent à environ 65 000 $ et Mme G.T. est indemnisée par Promutuel ;

[15]    Ces incendies sont considérés comme criminels mais aucun reproche de participation ou de complicité n’a été soulevé contre Mme G.T.  L’ex-locataire du chalet est fortement soupçonné mais aucune accusation n’est finalement portée contre lui ;

[16]    Le 6 juillet 2006, Promutuel du Littoral fait parvenir à Mme G.T. un avis de non-renouvellement de la police d’assurance de son gite saisonnier.  L’avis ne donne pas de précisions quant au motif de non-renouvellement ;

[17]    L’échéance du contrat d’assurance est alors le 6 août 2006 ;

[18]    Mme G.T. étant à la recherche d’un nouvel assureur, son agente, Mme Suzette Harvey Pedneault, lui aurait alors suggéré de communiquer avec Hallé Couture & Associés Ltée, le cabinet où exerçait l’intimé, qui offrait peut-être des produits d’assurance pour ce type d’activités (gite saisonnier) ;

[19]    Le ou vers le 14 juillet 2006, Mme G.T. a communiqué avec l’intimé en vue d’obtenir une protection d’assurance pour son gite saisonnier ;

[20]    Mme G.T. l’a informé que, suite à l’incendie survenu à son gite le 31 mars 2006, Promutuel avait refusé de renouveler sa police d’assurance.  Elle lui a indiqué qu’elle désirait obtenir les mêmes protections que celles qu’elle avait avec Promutuel et l’a invitée à communiquer avec Mme Harvey Pedneault à ce sujet ; 

[21]    Mme G.T. a fait suivre à l’intimé une copie de sa police d’assurance Promutuel ;

[22]    L’intimé a rempli le formulaire de proposition avec Mme G.T. par téléphone ;

[23]    Sur la proposition, seul l’incendie du 31 mars 2006 au gite est indiqué.  La cause indiquée de l’incendie est une défectuosité d’une lumière située à l’extérieur de l’immeuble (l’enquête a par la suite démontré que l’incendie avait été causé par un accélérant lancé sur le balcon arrière de la propriété) ;

[24]    Sur la proposition, il n’y a pas de mention des deux sinistres survenus antérieurement, au chalet le 15 août 2005 et à la remise, le 31 décembre 2005 ;

[25]    Vu la souscription par téléphone, Mme G.T. n’a pas vu, ni signé la proposition remplie par l’intimé, avant qu’elle soit transmise à l’assureur ;

[26]    Les entretiens téléphoniques entre le courtier et les clients n’étaient pas enregistrés à ce cabinet à cette époque ;

[27]    Outre l’information se trouvant au formulaire de proposition qu’il a rempli pour la police 2006-2007, l’intimé n’a pris aucune note à son dossier de la teneur de ses entretiens avec Mme G.T., des renseignements qu’elle lui aurait fournis, des questions qu’il lui aurait posées et des réponses qu’elle lui aurait données, ni des vérifications qu’il aurait faites ou précisions obtenues, le cas échéant ; 

[28]    Pour l’année 2006-2007, à la suite d’un processus de soumission, l’intimé a placé une police d’assurance entreprise pour le gite de Mme G.T. chez Intact-Wellington, qui assure les risques hors normes, par l’entremise du cabinet Hallé Couture & Associés Ltée pour une prime annuelle de 5 314,84$ ;

[29]    Le 12 juin 2007, Mme G.T. transmet une lettre à l’intimé lui indiquant avoir fait installer un système de sécurité soit un système de caméras avec détecteur de mouvement et détecteur de fumée reliés au Service d’incendie ; 

[30]    Au renouvellement de la police pour 2007-2008, suite à l’installation de ce système, l’intimé a fait un nouveau processus de soumission en se servant d’une copie de la même proposition que celle qu’il avait utilisée en 2006-2007, sur laquelle il avait simplement rayé l’information relative au sinistre de mars 2006 et ajouté l’information relative au nouveau système de sécurité de l’immeuble ;

[31]    Outre l’information indiquée sur la proposition, il n’a pas vérifié auprès de la cliente et mis à jour les renseignements relatifs au risque ;

[32]    Mme G.T. n’a jamais signé la proposition d’assurance transmise à AXA ;

[33]    L’intimé a replacé le risque chez AXA Assurance (marché standard).  La prime pour la nouvelle police AXA pour la période de 2007-2008 s’élevait à 2 934,28 $ ;

[34]    Aucune note n’a été inscrite à son dossier quant à quelques communications que ce soit avec l’assurée pour l’informer de sa démarche de demande de soumissions et du changement d’assureur ou pour lui expliquer le type de contrat et l’écart de prime ;

[35]    Une copie de la nouvelle police d’AXA est transmise à Mme G.T. le 22 août 2007 avec une lettre expliquant la règle de proportionnalité qu’elle devait signer et retourner, ce qui fut fait en date du 4 septembre 2007 ;

[36]    Au renouvellement de la police pour la période 2008-2009, l’intimé a utilisé à nouveau la copie de la proposition de 2006, simplement en y modifiant les dates ;

[37]    L’intimé n’a pas communiqué avec l’assurée pour vérifier et mettre à jour ses informations et renseignements pertinents quant au risque ;

[38]    La police AXA fut renouvelée pour la période 2008-2009, pour une prime de 3 073,80$ ; 

[39]    Aucune communication avec l’assurée n’a été consignée au dossier de l’intimé en relation avec ce renouvellement ;

[40]    Vers décembre 2008, le dossier de Mme G.T. fut confié à un autre courtier au sein du même cabinet qui s’est chargé des renouvellements pour les périodes de 2009-2010 et 2010-2011 ;

[41]    En décembre 2010, Mme G.T. a été victime, encore une fois, d’un incendie à son gite ;

[42]    Après enquête, AXA a nié couverture et déclaré la police nulle ab initio pour le motif que si elle avait été informée des sinistres antérieurs survenus en 2005 et de leur nature criminelle, au moment de la souscription initiale en 2007, elle aurait refusé ce risque ;

[43]    Le 5 octobre 2011, Mme G.T. a reçu une lettre l’avisant du non-renouvellement de la police AXA et le 18 novembre 2011, elle recevait un chèque d’AXA d’un montant de 11 852,66$ en remboursement des primes payées entre 2007 et 2011 ;

[44]    Mme G.T. a intenté une poursuite de 230 000 $ contre AXA Assurance, le cabinet Hallé Couture et Associés Ltée et l’intimé ;

[45]    Une défense a été produite par l’intimé et Hallé Couture et Associés Ltée dans le cadre de cette poursuite ;

[46]    Un règlement à l’amiable est survenu cette année dans ce dossier, sans admission de responsabilité ;

[47]    C’est à la lumière de ces faits que le Comité devra décider de la sanction appropriée au cas de l’intimé ;

 

III.        Recommandations communes

[48]    Les parties suggèrent de façon commune d’imposer à l’intimé les sanctions suivantes :

   Chef 1 :          une amende de 3 000 $

   Chef 5 :          une amende de 2 000 $

   Chef 6 :          une amende de 2 000 $

[49]    Me Poirier précise également que le montant total des amendes devrait être réduit à une somme globale de 5 000 $ suivant le principe de la globalité des sanctions ;

[50]    D’autre part, Me Poirier souligne que cette recommandation commune tient compte des facteurs aggravants suivants :

 

      La gravité objective des infractions ;

      Le fait que celles-ci sont au cœur de l’exercice de la profession ;

      L’expérience de l’intimé, lequel était dans le domaine de l’assurance depuis une dizaine d’années au moment de la commission des infractions ;

      La durée et la répétition des infractions ;

[51]    Elle insiste également sur les facteurs atténuants suivants :

      Le plaidoyer de culpabilité de l’intimé ;

      L’absence d’antécédents disciplinaires ;

      L’absence d’intention malhonnête ou de mauvaise foi ;

      Le fait qu’un seul assuré soit concerné par les infractions commises ;

      L’absence de bénéfice personnel pour l’intimé ;

      Le stress et les conséquences découlant de la poursuite civile ;

[52]    Enfin, Me Poirier dépose une série de jurisprudence démontrant que la recommandation commune des parties s’inscrit parfaitement dans la fourchette des sanctions habituellement imposées pour ce genre d’infraction ;

[53]    De son côté, Me Rivard confirme le caractère commun des sanctions suggérées par Me Poirier ainsi que l’exactitude de son exposé des faits ;

 

IV.       Analyse et décision

 

A)        Le plaidoyer de culpabilité

 

[54]    L’intimé, par l’enregistrement de son plaidoyer de culpabilité, s’est trouvé à reconnaître que les faits qui lui sont reprochés constituent une ou plusieurs fautes déontologiques suivant les divers chefs d’accusation allégués à la plainte[1] ;

[55]    Cela dit, il sera reconnu coupable des chefs 1, 5 et 6 de la plainte amendée ;

 

B)       La recommandation commune

 

[56]    Tel que le soulignait, à plusieurs reprises, le Tribunal des professions[2] :

« Lorsque deux parties formulent une suggestion commune, elles doivent avoir une expectative raisonnable que cette dernière sera respectée. Pour cette raison, une suggestion commune formulée par deux avocats d’expérience devrait être respectée. [3]

 

[57]    Dernièrement, la Cour suprême réitérait ce principe fondamental dans l’arrêt R. c. Anthony-Cook[4] comme suit :

[25]    Le fait, pour les avocats du ministère public et de la défense, de convenir d’une recommandation conjointe relative à la peine en échange d’un plaidoyer de culpabilité constitue une pratique acceptée et tout à fait souhaitable. Les ententes de cette nature sont monnaie courante, et elles sont essentielles au bon fonctionnement de notre système de justice pénale et de notre système de justice en général. Habituellement, de telles ententes n’ont rien d’exceptionnel, et les juges du procès les acceptent d’emblée. À l’occasion cependant, une recommandation conjointe peut sembler trop clémente, ou peut‑être trop sévère, et le juge du procès n’est pas tenu de l’accepter (Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, sous‑al. 606(1.1)b)(iii)). Dans de tels cas, les juges ont besoin d’un critère pour apprécier le caractère acceptable de la recommandation conjointe. La question se pose alors : quel critère appliquer? (Nos soulignements)

 

[58]    D’autre part, la Cour suprême soulignait que seul le critère de l’intérêt public doit guider un tribunal lorsqu’il analyse le bien-fondé d’une recommandation commune :

[29]    Le troisième critère, appelé communément le critère de l’« intérêt public », a été élaboré dans un rapport ontarien intitulé Report of the Attorney General’s Advisory Committee on Charge Screening, Disclosure, and Resolution Discussions (1993), (le « rapport du comité Martin »)[2]. Selon ce critère, le juge du procès [traduction] « ne devrait écarter une recommandation conjointe que si la peine proposée est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou si elle n’est pas par ailleurs dans l’intérêt public » (p. 327 (italiques omis)). Un certain nombre de cours d’appel provinciales ont aussi adopté ce critère (voir, par exemple, R. c. Dorsey, (1999), 1999 CanLII 3759 (ON CA), 123 O.A.C. 342, par. 11; R. c. Druken, 2006 NLCA 67 (CanLII), 261 Nfld. & P.E.IR 271, par. 29; R. c. Nome, 2002 BCCA 468 (CanLII), 172 B.C.A.C. 183, par. 13‑14). L’appelant appuie ce critère, en raison principalement du fait qu’il prévoit [traduction] « un seuil élevé et vise à inspirer, chez l’accusé qui a renoncé à son droit à un procès, la confiance que la recommandation conjointe qu’il a obtenue en retour d’un plaidoyer de culpabilité sera respectée par le juge chargé de la détermination de la peine » (R. c. Cerasuolo (2001), 2001 CanLII 24172 (ON CA), 151 C.C.C. (3d) 445 (C.A. Ont.), par. 8). (Nos soulignements)

(…)

[31]    Après avoir examiné les diverses possibilités, je crois que le critère de l’intérêt public, tel qu’il est développé dans les présents motifs, est celui qui s’impose. Il est plus rigoureux que les autres critères proposés et il reflète le mieux les nombreux avantages que les recommandations conjointes apportent au système de justice pénale ainsi que le besoin correspondant d’un degré de certitude élevé que ces recommandations seront acceptées. De plus, il diffère des critères de « justesse » employés par les juges du procès et les cours d’appel dans les audiences classiques en matière de détermination de la peine et, en ce sens, il aide les juges du procès à se concentrer sur les considérations particulières qui s’appliquent lors de l’appréciation du caractère acceptable d’une recommandation conjointe. Dans la mesure où l’arrêt Douglas prescrit le contraire, j’estime avec égards qu’il est mal fondé et qu’il ne devrait pas être suivi.

[32]    Selon le critère de l’intérêt public, un juge du procès ne devrait pas écarter une recommandation conjointe relative à la peine, à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit par ailleurs contraire à l’intérêt public. Mais que signifie ce seuil? Deux arrêts de la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador sont utiles à cet égard. (Nos soulignements)

 

[59]    Enfin, la Cour suprême insiste sur les bénéfices associés au plaidoyer de culpabilité suivi d’une recommandation commune :

[35]     Les plaidoyers de culpabilité consentis en échange de recommandations conjointes relatives à la peine constituent une [traduction] « partie appropriée et nécessaire de l’administration de la justice criminelle » (rapport du comité Martin, p. 290). Lorsque les ententes sur le plaidoyer sont « menées correctement, [elles] sont bénéfiques non seulement pour les accusés, mais aussi pour les victimes, les témoins, les avocats et l’administration de la justice en général » (rapport du comité Martin, p. 281 (italiques omis)).

[36]     Les personnes accusées tirent un avantage à plaider coupable en échange d’une recommandation conjointe relative à la peine (voir D. Layton et M. Proulx, Ethics and Criminal Law (2e éd. 2015), p. 436). L’avantage le plus évident est le fait que le ministère public accepte de recommander une peine que l’accusé est disposé à accepter. Cette recommandation est susceptible d’être plus clémente que ce à quoi l’accusé pourrait s’attendre à l’issue d’un procès ou d’une audience de détermination de la peine contestée. Les personnes accusées qui plaident coupables rapidement sont en mesure de minimiser le stress et les frais liés aux procès. De plus, pour ceux qui éprouvent des remords sincères, un plaidoyer de culpabilité offre une occasion de commencer à reconnaître leurs torts. Pour de nombreux accusés, il est crucial de favoriser au plus haut point la certitude quant au résultat — et une recommandation conjointe, même si elle n’est pas inviolable, offre à cet égard une assurance considérable. (Nos soulignements)

 

[60]    De plus, la Cour suprême rappelle l’importance de respecter la recommandation commune, vu qu’elle constitue le résultat d’une négociation entre deux procureurs d’expérience :

[44]    Enfin, je fais remarquer qu’un seuil élevé pour écarter des recommandations conjointes est non seulement nécessaire, mais également approprié, afin que l’on retire tous les avantages des recommandations conjointes. Les avocats du ministère public et de la défense sont bien placés pour en arriver à une recommandation conjointe qui reflète tant les intérêts du public que ceux de l’accusé (rapport du comité Martin, p. 287). En principe, ils connaîtront très bien la situation du contrevenant et les circonstances de l’infraction, ainsi que les forces et les faiblesses de leurs positions respectives. Le ministère public est chargé de représenter l’intérêt de la collectivité à faire en sorte que justice soit rendue (R. c. Power, 1994 CanLII 126 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 601, p. 616). On exige de l’avocat de la défense qu’il agisse dans l’intérêt supérieur de l’accusé, et il doit notamment s’assurer que le plaidoyer de celui‑ci soit donné de façon volontaire et éclairée (voir, par exemple, Law Society of British Columbia, Code of Professional Conduct for British Columbia(en ligne), règle 5.1‑8). Et les deux avocats sont tenus, sur le plan professionnel et éthique, de ne pas induire le tribunal en erreur (ibid., règle 2.1‑2(c)). Bref, ils sont entièrement capables d’arriver à des règlements équitables et conformes à l’intérêt public (rapport du comité Martin, p. 287). (Nos soulignements)

 

C)       Conclusion

 

[61]    Cela dit, la recommandation commune formulée par les parties sera entérinée puisqu’elle est juste et appropriée au cas de l’intimé et elle reflète adéquatement les circonstances particulières de l’affaire, tout en assurant la protection du public ;

[62]    D’autre part, la recommandation commune tient compte du temps écoulé depuis la commission des infractions, ce qui peut également, à certaines conditions, amener un allègement des sanctions[5] ;

[63]    Qui plus est, à l’époque des faits reprochés, l’amende minimale n’était que de 600 $[6] en 2006, plus tard, celle-ci fut portée, en 2007, à 1 000 $[7] et elle est, depuis le 4 décembre 2009[8] à 2 000 $ ;

[64]    Par contre, tel que le décidait la Cour d’appel dans l’arrêt Thibault c. Da Costa[9], le nouveau plafond des amendes peut être appliqué par le Comité de discipline à un événement antérieur compte tenu de l’effet rétrospectif des modifications législatives :

[18]    Il énonce le principe de la non-rétroactivité des lois et explique la distinction entre l’effet rétroactif, rétrospectif et prospectif de la loi[12]. Il observe que le Comité de discipline a donné un effet rétrospectif à la modification du 4 décembre 2009. Pour statuer sur la validité de cette démarche, il étudie l’arrêt rendu par la Cour suprême dans Brosseau c. Alberta Securities Commission ainsi que certains arrêts des cours d’appel des autres provinces canadiennes. Selon les enseignements de la Cour suprême dans l’affaire Brosseau précitée, le principe de la non-rétroactivité des lois ne s’applique pas aux lois qui imposent une peine liée à un événement antérieur lorsque la peine n’a pas pour but de punir, mais qu’elle vise à protéger le public. Dans ces cas, la loi a une portée « rétrospective », tout à fait valide dans le contexte où elle est destinée à protéger le public.

[33]    La Cour suprême retient que le principe de la non-rétroactivité des lois ne s’applique qu’aux lois qui ont un effet préjudiciable. Parmi celles-ci, il y a les lois qui imposent une peine dont l’objet est de punir. À l’inverse, lorsque l’objet de la loi est de protéger le public, le principe de la non-rétroactivité des lois ne s’applique pas : (Nos soulignements)

 

[65]    En conséquence et pour l’ensemble de ces motifs, la recommandation commune sera entérinée par le Comité de discipline ;

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

AUTORISE le dépôt d’une plainte amendée ;

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé à l’encontre de la plainte amendée ;


DÉCLARE l’intimé coupable des chefs 1, 5 et 6 de la plainte amendée et plus particulièrement comme suit :

 

Chef 1 :    pour avoir contrevenu à l’article 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome (RLRQ, c. D-9.2, r.2)

Chef 5 :    pour avoir contrevenu à l’article 37(7) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r.5)

Chef 6 :    pour avoir contrevenu à l’article 39 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c.  D-9.2)

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’encontre de toutes les autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien des chefs 1, 5 et 6 de la plainte amendée ;

IMPOSE à l’intimé les sanctions suivantes :

Chef 1 :    une amende de 3 000 $

Chef 5 :    une amende de 2 000 $

Chef 6 :    une amende de 2 000 $

RÉDUIT le montant total des amendes à une somme globale de 5 000 $;

CONDAMNE l’intimé au paiement de tous les déboursés;

 

 

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Me Patrick de Niverville, avocat

Président

 

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M. Benoît St-Germain, C.d’A.Ass., PAA, CRM,, courtier en assurance de dommages

Membre        

 

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Mme Isabelle Guay, courtier en assurance de dommages

Membre

 

 PRONONCE une ordonnance de non divulgation, de non diffusion et de non publication du nom de l’assurée et de tous renseignements ou informations permettant de l’identifier, le tout conformément à l’article 142 du Code des professions.


 

Me Sylvie Poirier (personnellement)

Partie plaignante

 

Me Maud Rivard

Procureure de la partie intimée

 

Date d’audience : 1er novembre 2016

 

 

 



[1]   Castiglia c. Frégeau, 2014 QCCQ 849 (CanLII);

[2]   Infirmières et infirmiers auxiliaires c. Ungureanu, 2014 QCTP 20 (CanLII);

     Chan c. Médecins, 2014 QCTP 5 (CanLII);

     Gauthier c. Médecins, 2013 QCTP 89 (CanLII);

[3]   Infirmières et infirmiers auxiliaires c. Ungureanu, op. cit., note 2, par. 21;

[4]   2016 CSC 43 (CanLII);

[5]   Lamarche c. Infirmières et infirmiers auxiliaires, 2013 QCTP 62 (CanLII);

[6]   Art. 376 L.D.P.S.F. et art. 156 C. prof., tels qu’ils se lisaient en 2006;

[7]   Loi modifiant le Code des professions et la Loi sur la pharmacie, L.Q. 2007, ch. 25, art. 1;

[8]   Loi modifiant diverses dispositions législatives afin de principalement resserrer l’encadrement du secteur financier, L.Q., 2009, ch. 58, art. 65;

[9]   2014 QCCA 2347 (CanLII);

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