Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No:

2016-01-02(E)

 

DATE :

22 novembre 2016

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

Mme Paule Émond, expert en sinistre

Membre

Mme Élaine Savard, expert en sinistre

Membre

 

 

Me KARINE LIZOTTE, ès qualités de syndic adjoint de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

CLAUDE BERNARD, expert en sinistre (5A)

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

 

 

[1]       Les 14 et 15 septembre 2016, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2016-01-02(E) ;

 

[2]       Le syndic adjoint était alors représenté par Me Claude G. Leduc et Me Yannick Vigneault et, de son côté, l’intimé se représentait seul ;

 

 

I.          La plainte

 

[3]       L’intimé fait l’objet d’une plainte comportant quatre (4) chefs d’accusation, soit :

 

1.   Le ou vers le mois de mars 2011, a exigé dans le « Mandat d’expertise en règlement de sinistres » qu’il a fait signer à sa cliente, G. L., des intérêts à un taux déraisonnable de 18% plus le taux préférentiel des banques, soit un taux supérieur à celui de 6% fixé conformément à l’article 28 de la Loi sur le ministère du Revenu (L.R.Q., c. M-31), devenue la Loi sur l'administration fiscale (LRQ c. A-6.002), le tout en contravention avec les articles 42 et 58 du Code de déontologie des experts en sinistre;

2.   Le ou vers le mois de mars 2011, avant, pendant et après la signature par sa cliente, G. L., du « Mandat d’expertise en règlement de sinistres », n’a pas agi avec professionnalisme notamment en agissant de façon empressée, et en ne donnant pas à sa cliente toutes les explications nécessaires à la compréhension dudit mandat et des services qu’il devait rendre, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 1, 2, 20, 21, 27, 40 et 58(13) du Code de déontologie des experts en sinistre;

3.   Entre les ou vers les mois de mai 2011 et février 2012, a fait défaut d’agir avec professionnalisme et/ou n’a pas eu une conduite empreinte d’objectivité, de modération et de dignité en retardant le règlement de la réclamation de son ancienne cliente, G. L., le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 1, 15 et 58 du Code de déontologie des experts en sinistre;

4.   Entre les ou vers les mois de mars et mai 2011, concernant la cliente G. L., a agi avec négligence en n’ayant pas une tenue de dossier que l’on est en droit de s’attendre de la part d’un expert en règlement de sinistres, en n’indiquant pas dans sa feuille de travail suffisamment de détails quant au travail qu’il a effectué notamment au sujet des listes de contenu et de l’administration du dossier, le tout en contravention avec les articles 16 et 139 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers, les articles 10 et 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistre et les articles 12 et 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome (RLRQ c D-9.2, r 2);

 

[4]       D’entrée de jeu, le procureur du syndic adjoint a demandé le retrait du chef 2 au motif qu’il lui serait impossible de se décharger de son fardeau de preuve vu le refus de la cliente (G.L.) de participer aux auditions disciplinaires ;

[5]       L’intimé ne s’étant pas objecté à cette demande de retrait et même ayant consenti à celle-ci , l’autorisation de retirer le chef 2 fut accordée séance tenante ;

 

 

II.         Les faits

 

[6]       Le 24 février 2011, la résidence de Mme G.L. est la proie d’un incendie ;

[7]       La cause du sinistre est un feu de cheminée, laquelle était mal entretenue et dont l’installation n’était pas conforme à la réglementation ;

[8]       Un expert en sinistre, M. Pierre Savard, est alors mandaté par l’assureur pour s’occuper du dossier ;

[9]       Après environ un mois, la cliente (G.L.) étant insatisfaite de l’avancement de son dossier et des paiements recommandés par M. Savard, décide de retenir les services d’un expert en sinistre afin de la représenter ;

[10]    C’est alors qu’entre en jeu l’intimé, Claude Bernard, lequel obtient un mandat de Mme G.L., le 21 mars 2011 ;

[11]    Diverses discussions interviennent entre les parties concernant l’évaluation du coût de reconstruction du bâtiment sans que la question du contenu ne soit abordée puisque l’expert Savard préfère régler, en premier lieu, l’indemnité pour le bâtiment avant de discuter de la réclamation pour le contenu ;


[12]    La cliente (G.L.) estimant que les choses traînent en longueur, convoque, le 22 mai 2011, les parties à une réunion afin de trouver un terrain d’entente ;

[13]    Cette réunion se tiendra finalement le 31 mai 2011 ;

[14]    Par contre, avant même la tenue de cette réunion, la cliente (G.L.) décide de révoquer le mandat de l’intimé Bernard, se disant mécontente des services alors rendus ;

[15]    Le mandat de l’intimé est donc révoqué le 22 mai 2011 ;

[16]    L’intimé décide alors, afin de protéger le paiement de ses honoraires, de faire signifier à l’assureur, le 31 mai 2011, une « cession et transport de créances » à laquelle est jointe une copie de sa facture (23 665,62$) et de son mandat ;

[17]    Évidemment, cela aura pour effet de mettre le feu aux poudres et la situation ne fera que s’envenimer encore plus ;

[18]    Il s’ensuit alors une série de mises en demeure et de procédures judiciaires sur lesquelles nous reviendrons lorsqu’il sera question du chef 3 ;

[19]    Finalement, ce n’est qu’en janvier 2013 que ce dossier sera entièrement réglé, incluant les honoraires de l’intimé Claude Bernard ;

 

III.        Motifs et dispositif

 

A)        Chef no. 1

 

[20]    Le chef 1 reproche à l’intimé d’avoir exigé dans le mandat qu’il a fait signer à sa cliente (G.L.) des intérêts à un taux déraisonnable, soit 18%, plus le taux préférentiel des banques ;

[21]    À cet égard, il convient de citer l’article 42 du Code de déontologie des experts en sinistre[1], lequel édicte :

42. À moins d’une entente avec le mandant, l’expert en sinistre ne peut recevoir des intérêts sur un compte en souffrance. Dans le cas d’une telle entente, les intérêts ainsi exigés doivent être d’un taux raisonnable, lequel ne peut être supérieur au taux fixé conformément à l’article 28 de la Loi sur l’administration fiscale (chapitre A-6.002).

 

[22]    Le mandat utilisé par l’intimé est rédigé sur une seule page imprimée recto verso[2] et comprend notamment :

      Une cession et transport de créances ;

      Une procuration irrévocable ;

      Un taux d’intérêt équivalent au taux préférentiel des banques plus 18% ;

      Une somme de 25% des honoraires dus pour couvrir les frais judiciaires et extra judiciaires pour le recouvrement de sa créance ;

      Un mandat irrévocable ;

[23]    Mais il y a plus, la première page du mandat comprend une « déclaration » de l’assuré suivant laquelle il déclare :

« Avoir lu et pris connaissance des présentes incluant les clauses mentionnées à l’endos, lesquelles font partie intégrante du présent mandat et en comprendre toute la portée et la signification » (Nos soulignements)

[24]    Or, la clause portant sur le taux d’intérêt exigible est inscrite à l’endos du mandat[3] dans un énorme et unique paragraphe comprenant à lui seul 34 lignes composées d’un salmigondis de concepts juridiques entremêlés de diverses références au Code civil du Québec ;

[25]    Même pour un juriste aguerri, il n’est pas facile de lire et de « comprendre toute la portée et la signification » du document et, surtout, des obligations légales qui en découlent ;

[26]    On peut facilement imaginer qu’un assuré qui vient de subir un sinistre est encore moins en position, en raison de son état de vulnérabilité, de « comprendre toute la portée et la signification » du mandat ;

[27]    La confusion résultant de ce méli-mélo de concepts juridiques est évidente lorsque l’on tente de lire et de comprendre le texte de ce seul et unique paragraphe composé comme suit :

Reçu de : G.L.

 : 21 mars      2011

   CONVENTION                                                                                                                                                            (endos)

L'essence du présent mandat est de déterminer les Pertes et Dommages résultant du sinistre ci-devant mentionné et de produire à l'assureur une Réclamation de dommages afin de remplir ses Obligations, en vertu du contrat d'assurance et des articles 2471 et 2473 du Code civil du Québec, et ce, dans les meilleurs délais possibles, en considérant le temps et les démarches nécessaires pour l'obtention de toute les preuves justificatives et requises par l’assureur pour réclamer et prouver le Quantum de ces Pertes. Suite à la production de la Réclamation de dommages, l'expert pourra négocier et régler à l’amiable, avec l'expert en sinistre de l'assureur, en prenant en considération son Interprétation des limitations et/ou des avantages du contrat d'assurance et des différentes Lois applicables, dont celles qui protègent le consommateur, afin de déterminer l'indemnité d'assurance payable à l’Assuré. Pour faire, l’Assuré devra collaborer en tout temps avec l'Expert, lui fournir toutes les informations importantes et pertinentes sur les biens sinistrés et un inventaire desdits biens assurés afin que celui-ci puisse en faire, quantitativement et qualitivement, l'expertise des dommages. L'Assuré convient que si l'assureur refuse de négocier ou de régler la perte à l'amiable, de manière implicite ou explicite, l'Expert produira officiellement la Réclamation et/ou la Demande d'indemnité en assurance de biens tel que requis par les articles 2471 et 2473 du Code civil du Québec. L'Indemnité ayant été dûment établie et définie, elle deviendra payable par l'Assureur dans les soixante (60) jours de la production de ces preuves. Dès l'expiration de ce délai de soixante (60) jours des procédures judiciaires pourront être entreprises, par un avocat choisi par l’Assuré, puisque le quantum aura été déterminé par l’Expert. Le mandat de l’Expert étant ainsi terminé, ses honoraires deviendront alors dus et exigibles. Cependant, l’Expert pourra, à son gré, convenir d’attendre le paiement de ses honoraires si ceux-ci sont garantis par l’avocat de l'assuré et portent intérêt au même taux légal que la poursuite, L'assuré convient que cet avocat devra être spécialisé en assurance et/ou accepter de travailler en étroite collaboration avec l’Expert qui connaît intégralement le dossier. À défaut de consentement écrit de l’Expert ou autre convention écrite entre les parties, les honoraires de l’Expert seront immédiatement exigibles et payables. L'Assuré convient que les rapports et les expertises de l'Expert demeureront sa propriété tant et aussi longtemps qu’il ne sera pas payé en entier pour ceux-ci et qu'ils ne pourront en aucun cas être utilisés pour d’autres fins que celles du présent mandat. L’Assuré convient que si l'Expert n'a pas été payé en totalité, il n'aura aucune obligation de remettre à l'Assuré, ou tout représentant, le dossier de réclamation préparé, comprenant toutes les expertises et tous autres documents pertinents établis et représentant la Demande Officielle d'indemnité en Assurance de Biens. L'Assuré convient que les honoraires de l'Expert, qu'ils soient payables à taux horaire ou à pourcentage, ne comprennent pas tous frais, internes et externes, du dossier, frais des évaluations et estimés nécessaires et frais des Inventaires de biens. L'Assuré convient et accepte que s’il choisit de payer des honoraires calculés à pourcentage, étant une méthode pour calculer les honoraires payables du dossier, ce calcul se fera en appliquant le pourcentage de la convention d'honoraires ci-après mentionné sur le montant des Pertes et Dommages établis par l’Expert, sans tenir compte de toutes déductions faites à l’indemnité par l’assureur pour la franchise et/ou toute application de Règle proportionnelle et/ou toute déduction de taxes dites récupérables par l'assuré alors que les taxes font toujours partie intégrante des montants déterminés de pertes et dommages. L’Assuré reconnait que s’il a choisi de payer des honoraires à pourcentage, c’est que l’Expert a consenti à le financer pour le plein montant de ses honoraires. Si l’assuré néglige de payer les honoraires dus à l’Expert et que celui-ci soit placé dans l’obligation d'engager un avocat pour intenter des procédures judiciaires pour le recouvrement de sa créance, l’Assuré s'engage à payer les honoraires et les frais du dossier, des Intérêts depuis la date du présent mandat au taux préférentiel des banques plus dix-huit pourcent, plus une somme représentant vingt-cinq pourcent du montant des honoraires dus à titre d'indemnité et de dommages et Intérêts liquidés pour compenser tous les frais judiciaires et extra judiciaire et les préjudices encourus par l’Expert pour la perception de sa créance. Si l’Assuré est une compagnie ou une personne morale, le signataire représentant l’Assuré convient par les présentes qu’il cautionne ladite compagnie ou personne morale et qu'il s’engage personnellement à payer les honoraires de l'Expert, conjointement et solidairement et sans bénéfice de division ou de discussion cette compagnie ou personne morale. Le représentant de l’Assuré reconnaît de façon expresse qu'il retire un avantage direct des travaux de l'Expert et/ou du paiement de l'Indemnité, à titre d'actionnaire ou autrement. Le représentant de l’Assuré certifie avoir le pouvoir légal pour lier et engager ladite compagnie ou personne morale au présent mandat. Le présent mandat lie l’Assuré, ses héritiers et tous ses ayants droit. Pour le bon déroulement du dossier, ce jour, l’Assuré mandate irrévocablement et ordonne à ses héritiers et ayants droit, suite à une incapacité ou un décès, de continuer en son nom le dossier avec l'Expert et de lui payer la totalité de la somme qui lui est due, et ce, sans délai en vertu du présent mandat. S'ils sont plusieurs, les assurés se reconnaissent responsables du paiement des honoraires de l’Expert, conjointement et solidairement, sans bénéfice de division ou de discussion. CONVENTION D'HONORAIRES L'Assuré s'engage à payer à l’Expert, à titre d'honoraires, la somme qui sera établie à pourcentage ou à l’heure, selon le choix qu'il fait ci-après par l'apposition de ses initiales et/ou sa signature de la façon suivante :

 

[28]    À la décharge de l’intimé, son mandat ne fut pas signé alors que l’assurée était dans un état de panique mais plutôt un mois après l’incendie et ce, après trois (3) rencontres avec l’intimé ;

[29]    Cela dit, il demeure néanmoins que le mandat de l’intimé, tel que rédigé, est incompréhensible pour le commun des mortels ;

[30]    Revenant à l’infraction reprochée au chef 1, soit d’avoir exigé un taux d’intérêt supérieur à celui prévu par l’article 42 du Code de déontologie, l’intimé plaide pour sa défense :

1)        Qu’il n’a pas réclamé, ni perçu, le taux d’intérêt de 18 % prévu au mandat ;

2)        Qu’il ne connaissait pas l’article 42 du Code de déontologie malgré qu’il ait suivi durant sa carrière plusieurs formations en déontologie ;

3)        Que ce n’est pas lui qui a exigé un taux d’intérêt de 18% mais plutôt sa compagnie puisque son mandat est en faveur du « Groupe CBA inc. » ;

[31]    Le premier moyen de défense soulevé par l’intimé est irrecevable puisque le chef 1 ne lui reproche pas d’avoir réclamé, ni d’avoir perçu un taux d’intérêt exorbitant mais plutôt « d’avoir exigé dans son mandat qu’il a fait signer à sa cliente des intérêts à un taux déraisonnable » ;

[32]    Or, la preuve documentaire, soit le mandat signé par la cliente[4] démontre clairement que l’intimé exige dans son mandat un taux d’intérêt de 18% plus le taux préférentiel des banques, lequel est supérieur à celui prévu par l’article 42 du Code de déontologie ;

[33]    De plus, il fut mis en preuve que l’intimé a effectivement réclamé des intérêts et qu’il a finalement reçu une somme d’argent comprenant les intérêts réclamés ;

[34]    Par conséquent, cette explication fournie par l’intimé est contraire à la preuve documentaire[5] ;

[35]    Quant à la prétention de l’intimé suivant laquelle il n’avait pas connaissance de l’article 42 du Code de déontologie, il suffit de rappeler que « nul n’est censé ignorer la loi » ;

[36]    De plus, les dispositions de la loi et du Code de déontologie sont d’ordre public[6] et ne peuvent être écartées par une disposition contractuelle[7] ;

[37]    Enfin, suivant l’article 2 du Code de déontologie, l’un des premiers devoirs d’un expert en sinistre est de s’assurer que lui-même, ses mandataires et ses employés respectent la loi et ses règlements ;

[38]    Quant au troisième moyen de défense, soulevé par l’intimé, suivant lequel il n’est pas responsable des actes commis par sa compagnie, celui-ci est également irrecevable ;

[39]    En effet, la jurisprudence, depuis longtemps, a établi qu’un professionnel est responsable des actes commis par son alter ego, qu’il s’agisse d’une personne physique ou d’une entité corporative :

      Chauvin c. Beaucage, 2008 QCCA 922, par. 65 à 76;

      Bond c. Pharmaciens, 1996 CanLII 12202;

      Pharmaciens c. Coutu, 1998 QCTP 1671 (CanLII);

      Villeneuve c. Champagne, 1992 CanLII 8382 (QCTP);

[40]    Cela dit, vu la preuve documentaire[8] claire, nette et précise, soit le mandat signé par la cliente prévoyant un taux d’intérêt illégal, l’intimé sera reconnu coupable du chef 1 pour avoir contrevenu à l’article 42 du Code de déontologie des experts en sinistre ;

[41]    En conséquence, un arrêt conditionnel des procédures sera prononcé à l’encontre des autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien du chef 1 ;

 

B)       Chef no. 3

 

[42]    Le chef 3 reproche à l’intimé d’avoir retardé le règlement à l’amiable de son ancienne cliente (G.L.) par sa conduite qui n’était pas empreinte d’objectivité et de modération ;

[43]    L’article 15 du Code de déontologie des experts en sinistre édicte :

15. La conduite de l’expert en sinistre doit être empreinte d’objectivité, de discrétion, de modération et de dignité.

 

[44]    Plusieurs pièces documentaires furent produites au soutien de ce chef d’accusation afin de démontrer que l’intimé avait fait preuve d’intransigeance et qu’il refusait constamment toute forme d’arrangement retardant ainsi, à chaque fois, le règlement de la réclamation de l’assurée (G.L.) ;

[45]    De son côté, l’intimé plaide qu’il tentait simplement d’obtenir paiement de ses honoraires et qu’il n’était pas de mauvaise foi ;

[46]    D’après lui, c’était l’assureur ainsi que son ex-cliente qui bloquaient le règlement de la réclamation par leur refus de payer sa facture d’honoraires ;

[47]    Selon l’intimé, les propositions de l’assureur et/ou de l’assurée étaient contraires aux termes mêmes de son mandat et, en ce sens, elles étaient totalement inacceptables ;

[48]    Cela dit, qu’en est-il au juste ?

[49]    Tel que mentionné au début de la présente décision, les hostilités ont commencé par l’envoi d’un coup de semonce par l’intimé, soit la signification à l’assureur, le 31 mai 2011, d’une « cession et transport de créances »[9] après la révocation de son mandat par Mme GL;

[50]    Évidemment, loin de régler la situation, cette procédure a plutôt eu pour effet de mettre de l’huile sur le feu et d’envenimer la relation entre les divers intervenants ;

[51]    À cet égard, il est bien de rappeler que le Code de déontologie prévoit que l’expert en sinistre a une obligation de collaboration (art. 52) et qu’il ne doit pas causer préjudice aux parties dans un sinistre, ni abuser de la bonne foi de ceux-ci (art. 20) ;

[52]    Par ailleurs, le dossier démontre que l’assurée n’était pas une cliente accommodante et qu’elle cherchait à tirer le maximum de profit de sa police d’assurance ;

[53]    À l’évidence, une telle attitude n’a pas aidé à faire avancer le règlement de son dossier ;

[54]    Par contre, l’intimé, en tant que professionnel, devait se placer au-dessus de la mêlée, vu son obligation d’agir avec objectivité et modération (art. 15 du Code de déontologie) ;

[55]    La preuve démontre qu’à chaque fois qu’une solution était proposée, afin de protéger sa créance par un dépôt en fidéicommis ou par la rétention de cette somme par l’assureur pour permettre le paiement du solde de l’indemnité, celle-ci était systématiquement refusée par l’intimé, lequel se retranchait derrière son mandat et sa cession de créances afin d’obtenir le plus rapidement possible le plein paiement de sa facture ;

[56]    De l’avis du Comité, une telle attitude dénote un manque d’objectivité et de modération et surtout elle porte atteinte à l’image de la profession en y donnant un aspect de lucre et de commercialité ;

[57]    Évidemment, l’intimé était en droit de réclamer le paiement de sa facture, mais il devait le faire avec objectivité et modération et ne pas s’opposer systématiquement à toutes les solutions proposées par l’assureur ou par sa cliente ;

[58]    À titre d’exemple, le 23 mai 2011, il envoie par courriel à sa cliente et à l’expert en sinistre, Pierre Savard, une longue lettre[10] par laquelle il conteste la révocation de son mandat et exige le paiement immédiat de ses honoraires et de tous les frais et intérêts ainsi que tous les préjudices causés par le défaut de paiement[11] ;

[59]    Le 31 mai 2011, il fait signifier par huissier[12] sa « cession et transport de créances » à l’assureur ;

[60]    Le 20 juin 2011, l’avocat de l’assurée fait parvenir à l’intimé une offre de règlement pour un montant de 10 000 $[13], laquelle est refusée puisque celle-ci est, à sa face même, insuffisante ;

[61]    Quelques jours plus tard, Me Berthelot propose à l’assureur de garder en réserve, dans son compte en fidéicommis, un montant de 24 000 $ pour garantir les honoraires de l’intimé[14] ;

[62]    L’intimé se déclare, dans un courriel[15] du 22 juin 2011, « en total désaccord » avec cette solution ;

[63]    Il déclare, à l’audience, avoir refusé cette proposition car il n’avait pas confiance en Me Berthelot et ajoute que seul un dépôt dans son propre compte lui paraissait acceptable;

[64]    Par contre, il accepte que certains montants soient versés à l’assurée à la condition qu’un chèque de 9 369,09 $ lui soit versé, lequel représente 10% des avances faites par l’assureur (92 000 $) et le paiement de la facture des frais de signification (169,09 $) de sa cession de créances[16] ;

[65]    Cette solution temporaire et partielle est acceptée par l’avocat de la cliente[17] ;

[66]    Par contre, le même jour, soit le 23 juin 2011, l’intimé informe l’expert en sinistre, Pierre Savard, qu’il entend retenir les services de Me Gaétan Legris[18] ;

[67]     Dès le lendemain, il envoie à son ex-cliente une nouvelle facture au montant de 2 182,49 $ représentant divers frais encourus dans l’exécution de son mandat[19] ;

[68]    Bizarrement, cette facture inclut un montant de 169,09 $ pour les frais de signification de sa « cession et transport de créances » pour lesquels il a déjà convenu avec l’assureur que ceux-ci feront partie du chèque de 9 369,09 $ qu’il s’apprête à recevoir[20]  et qui fut accepté le jour précédent par l’avocat de son ex-cliente[21] ;

[69]    Quelques jours plus tard, soit le 27 juin 2011, il fait parvenir un courriel[22] à son procureur, Me Legris, lui demandant de déposer une poursuite[23] pour un montant de 69 947,79 $ se détaillant comme suit :

    Honoraires :

23 665,62 $

    Frais de dossier :

2 182,49 $

    Honoraires pour recouvrement (25%)

5 916,40 $

    Réputation :

32 000,00 $

    Dommages punitifs :

5 000,00 $

Total

69 947,79 $

 

[70]    Malgré l’attitude vindicative de l’intimé, son procureur, Me Legris, réussi à négocier, le 16 août 2011, une entente avec l’avocat de l’assurée prévoyant qu’un montant de 14 296,53 $ serait déposé dans le compte en fidéicommis de Me Berthelot pour être versé à l’intimé au moment du règlement de son différend avec son ex-client[24] ;

[71]    Cette solution permettait à l’assureur de continuer le règlement de la réclamation de Mme GL;

[72]    Par contre, dès le lendemain, soit le 17 août 2011, l’intimé désavouait son procureur et refusait catégoriquement cet arrangement[25] ;

[73]    Par la suite, entre le 1er septembre 2011 et le 1er février 2012, l’intimé faisait parvenir à son ex-cliente une facture mensuelle indiquant, à chaque fois, l’accroissement des intérêts accumulés[26] ;

[74]    Par la même occasion, il changeait de procureur et mandatait, cette fois-ci, Me Sylvie Vanasse afin de le représenter dans le cadre des procédures judiciaires entamées par Me Legris ;

[75]    Finalement, ce n’est qu’en janvier 2013, soit 19 mois après l’envoi de sa « cession et transport de créances » que le dossier se réglait par la signature d’une entente[27] entre les parties et par le paiement d’une somme de 20 000 $ ;

[76]    À l’évidence même, l’intimé a largement contribué à retarder le règlement de la réclamation de son ex-cliente par son intransigeance et sa résistance à toute forme de compromis ;

[77]    Cela dit, l’ex-cliente de l’intimé n’était pas non plus un exemple de conciliation ou d’accommodement[28], par contre, l’intimé, en tant que professionnel, devait se placer au-dessus du débat et faire preuve d’objectivité et de modération ;

 

[78]    Pour tous ces motifs, l’intimé sera reconnu coupable du chef 3 pour avoir contrevenu à l’article 15 du Code de déontologie des experts en sinistre[29];

 

[79]    En conséquence, un arrêt conditionnel des procédures sera prononcé à l’encontre des autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien du chef 3 ;

 

 

C)       Chef no. 4

 

[80]    Le chef 4 reproche à l’intimé une tenue de dossier négligente puisque ses feuilles de temps n’indiquent pas suffisamment de détails quant au travail qu’il a effectué notamment au sujet des listes de contenu et de l’administration du dossier ;

[81]    En défense, l’intimé reconnaît que ses feuilles de temps[30] ne sont pas parfaites et que certains détails sont manquants ;

[82]    Par contre, il plaide que de façon générale, celles-ci sont suffisamment détaillées pour permettre à un autre expert en sinistre de suivre l’évolution du dossier et d’en assurer le suivi, le cas échéant ;

[83]    Il est vrai qu’un professionnel n’a pas à être l’incarnation même de la perfection[31], il demeure néanmoins que certaines règles de base doivent être respectées ;

[84]    Ainsi, dans le présent dossier, il y a environ 80 heures de travail pour lesquelles il n’y a pas ou peu de détails, ni de véritables explications quant au travail effectué ;

[85]    À titre d’exemple, il y a une inscription en date du 22 mai 2011 indiquant une entrée de temps de six (6) heures avec comme seule description Rédaction d’une lettre[32] ;

[86]    Il est fort possible que la rédaction de cette lettre ait exigé une révision complète du dossier et que chaque paragraphe soit le résultat d’une analyse exhaustive d’un ou plusieurs documents, par contre, il faut le préciser et le dossier n’en fait aucune mention ;

[87]    Il s’agit probablement de la longue lettre[33] que faisait parvenir l’intimé à son ex-cliente le 23 mai 2011 suite à la révocation de son mandat, toutefois, le dossier ne l’indique pas ;

[88]    De la même façon, le dossier comprend d’innombrables entrées de temps avec comme seule description, Administration du dossier sans aucune explication ou détail[34] ;

[89]    Un expert appelé à remplacer l’intimé, pourrait difficilement cerner la nature du travail complété en quelques heures et qualifié comme étant de l’administration du dossier;

[90]    En défense, l’intimé reconnaît qu’il aurait été souhaitable que certaines inscriptions puissent être plus détaillées mais il plaide que les courriels et les autres documents classés au dossier permettent de comprendre le travail effectué et les services rendus à la cliente ;

[91]    Tel que le décidait récemment le Comité de discipline dans l’affaire Bourassa[35], une telle défense est irrecevable ;

[92]    L’article 21 du Règlement impose au représentant une obligation impérative et non pas facultative, autrement dit, c’est non seulement « souhaitable », c’est obligatoire ;

[93]    Cela dit, vu l’absence de détails quant au travail qu’il a effectué notamment quant aux listes du contenu et à l’administration du dossier et, surtout, considérant le caractère impératif[36] de l’article 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome[37], l’intimé sera reconnu coupable du chef 4 ;

[94]    En conséquence, un arrêt conditionnel des procédures sera prononcé à l’encontre des autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien du chef 4 ;

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

AUTORISE le retrait du chef 2 ;

DÉCLARE l’intimé coupable des chefs 1, 3 et 4, plus particulièrement comme suit :

Chef 1 :    pour avoir contrevenu à l’article 42 du Code de déontologie des experts en sinistre (RLRQ, c. D-9.2, r.4)

Chef 3 :    pour avoir contrevenu à l’article 15 du Code de déontologie des experts en sinistre (RLRQ, c. D-9.2, r.4)

Chef 4 :    pour avoir contrevenu à l’article 21 du Règlement sur le Cabinet, le représentant autonome et la société autonome (RLRQ, c. D-9.2, r.2)

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’égard de toutes les autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien des chefs 1, 3 et 4 ;

DEMANDE à la secrétaire du Comité de discipline de convoquer les parties dans les meilleurs délais pour l’audition sur sanction ;

LE TOUT, frais à suivre.

 

 

 

 

____________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

 

____________________________________

Mme Paule Émond, expert en sinistre

Membre        

 

____________________________________

Mme Élaine Savard, expert en sinistre

Membre

 

Me Claude G. Leduc et Me Yannick Vigneault

Procureurs de la partie plaignante

 

M. Claude Bernard (personnellement)

Partie intimée

 

Dates d’audience : 14 et 15 septembre 2016

 



[1]   RLRQ, c. D-9.2, r.4;

[2]   Pièce P-2, p. 350-351;

[3]   P-2, p. 351;

[4]   Pièce P-2, p. 350 et 351;

[5]   - Facture du 25 mai 2011 au montant de 23 665,62$ (P-5, p. 470 à 472);

- Factures du 1er septembre 2011 au 1er février 2012 (P-3A, p. 10 à 15);

     - Chèque de 9 369,09$;

     - Transaction et quittance pour 20 000$ (I-1 et I-2);

[6]   Chauvin c. Beaucage, 2008 QCCA 922 (CanLII);

[7]   Tremblay c. Dionne, 2006 QCCA 1441 (CanLII);

[8]   Pièce P-2, p. 350-351;

[9]   P-5, p. 463 à 469;

[10]         P-5, p. 500 à 505;

[11]         P-5, p. 505;

[12]         P-5, p. 463 à 469;

[13]         P-3, p. 335;

[14]         P-3, p. 366;

[15]         P-3, p. 363 ou P-2, p. 357;

[16]         P-3, p. 364;

[17]         P-2, p. 354;

[18]         P-3, p. 369;

[19]         P-3(A), p. 6;

[20] P-3, p. 364;

[21]         P-2, p. 354;

[22]         P-3(A), p. 8;

[23]         P-3, p. 115 et ss.;

[24]         P-5, p. 349 et 350;

[25]         P-3, p. 30 (par. 183 de la déclaration de l’intimé);

     P-3, p. 405 (courriel de l’intimé);

     P-5, p. 8 (déclaration de Mme Corbeil);

[26]         P-3(A), p. 10 à 15;

[27] Pièce I-2;

[28]         Lettre du 18 mai 2011 (P-5, p. 513);

     Premier courriel du 22 mai 2011 (P-5, p. 511);

     Deuxième courriel du 22 mai 2011 (P-5, p. 506);

     Courriel du 23 mai 2011 (P-5, p. 499);

     Mise en demeure du 30 mai 2011 (P-2, p. 347);

     Mise en demeure du 20 juin 2011 (P-5, p. 357);

[29]         Op. cit., note 1;

[30]         P-3, p. 56 à 66;

[31]         CHAD c. Hébert, 2013 CanLII 10706, par. 43 à 47;

[32]         P-5, p. 63;

[33]         Pièce P-5, p. 502 et 503;

[34]         Pièce P-3, voir p. 57, 57(A), 58, 59, 59(A), 61, 61(A) et 63;

[35]         CHAD c. Bourassa, 2016 CanLII 60413 (QC CDCHAD);

[36]  Voir par. 32 de l’arrêt Prud’homme c. Gilbert, 2012 QCCA 1544 (CanLII);

[37]  RLRQ, c. D-9.2, r.2;

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