Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No:

2015-12-05(E)

 

DATE :

1er novembre 2016

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. Yvan Roy, FPAA, CRM, expert en sinistre

Membre

M. Mario Joannette, FPAA, expert en sinistre

Membre

 

 

Me SYLVIE POIRIER, ès qualités de syndic ad hoc de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

STÉPHANE GUAY

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

 

 

[1]       Le 27 septembre 2016, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2015-12-05(E) ;

 

[2]       La syndic ad hoc se représentait seule et, de son côté, l’intimé était absent et non représenté ;

 

 

I.          La plainte

 

[3]       L’intimé fait l’objet d’une plainte comportant sept (7) chefs d’accusation, soit :

 

1.   Au cours de la période du 17 avril au 22 août 2013, l’intimé a agi comme expert en sinistres dans le dossier de sinistre no. 1130980 en assurance de dommages des entreprises, une catégorie de discipline pour laquelle il n’était pas autorisé à agir, le tout en contravention avec l’article 13 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers et les articles 2 et 26 du Code de déontologie des experts en sinistre, (RLRQ c. 9.2, r. 4) et l’article 10 du Règlement relatif à la délivrance et au renouvellement du certificat de représentant, (RLRQ c. 9.2, r. 7);

2.   Au cours de la période du 7 octobre 2013 au 21 janvier 2014, l’intimé a agi comme expert en sinistres dans le dossier de sinistre no. 1004890 en assurance de dommages des entreprises, une catégorie de discipline pour laquelle il n’était pas autorisé à agir, le tout en contravention avec l’article 13 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers et les articles 2 et 26 du Code de déontologie des experts en sinistre, (RLRQ c. 9.2, r. 4) et l’article 10 du Règlement relatif à la délivrance et au renouvellement du certificat de représentant, (RLRQ c. 9.2, r. 7);

3.   Au cours de la période du 5 au 14 novembre 2013, l’intimé a agi comme expert en sinistres dans le dossier de sinistre no. 1139890 en assurance de dommages des entreprises, une catégorie de discipline pour laquelle il n’était pas autorisé à agir, le tout en contravention avec l’article 13 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers et les articles 2 et 26 du Code de déontologie des experts en sinistre, (RLRQ c. 9.2, r. 4) et l’article 10 du Règlement relatif à la délivrance et au renouvellement du certificat de représentant, (RLRQ c. 9.2, r. 7);

4.   Au cours de la période du 8 novembre au 2 décembre 2013, l’intimé a agi comme expert en sinistres dans le dossier de sinistre no. 1010310 en assurance de dommages des entreprises, une catégorie de discipline pour laquelle il n’était pas autorisé à agir, le tout en contravention avec l’article 13 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers et les articles 2 et 26 du Code de déontologie des experts en sinistre, (RLRQ c. 9.2, r. 4) et l’article 10 du Règlement relatif à la délivrance et au renouvellement du certificat de représentant, (RLRQ c. 9.2, r. 7);

5.   Au cours de la période du 15 au 28 novembre 2013, l’intimé a agi comme expert en sinistres dans le dossier de sinistre no. 1140430 en assurance de dommages des entreprises, une catégorie de discipline pour laquelle il n’était pas autorisé à agir, le tout en contravention avec l’article 13 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers et les articles 2 et 26 du Code de déontologie des experts en sinistre, (RLRQ c. 9.2, r. 4) et l’article 10 du Règlement relatif à la délivrance et au renouvellement du certificat de représentant, (RLRQ c. 9.2, r. 7);

6.   Au cours de la période du 15 octobre au 3 décembre 2013, l’intimé a agi comme expert en sinistres dans le dossier de sinistre no. 1005010 en assurance de dommages des entreprises, une catégorie de discipline pour laquelle il n’était pas autorisé à agir, le tout en contravention avec l’article 13 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers et les articles 2 et 26 du Code de déontologie des experts en sinistre, (RLRQ c. 9.2, r. 4) et l’article 10 du Règlement relatif à la délivrance et au renouvellement du certificat de représentant, (RLRQ c. 9.2, r. 7);

7.   Du 22 janvier au 4 mars 2014, l’intimé, sans supervision directe et immédiate de son responsable de stage, a posé seul des actes professionnels qui n’étaient pas autorisés au cours de sa période probatoire de stagiaire en expertise de sinistres en assurance des entreprises, en contravention avec les articles 2 et 26 du Code de déontologie des experts en sinistre, (RLRQ c. 9.2, r. 4) et 32(4) du Règlement relatif à la délivrance et au renouvellement du certificat de représentant, (RLRQ c. D-9.2, r.7).

[4]       D’entrée de jeu, la partie plaignante a demandé l’autorisation de retirer le chef 6 au motif qu’elle estimait ne pas être en mesure de rencontrer son fardeau de preuve ;

[5]       Le Comité a donc, séance tenante, autorisé le retrait du chef 6 ;

[6]       D’autre part, le Comité a autorisé la syndic ad hoc à procéder par défaut suivant le deuxième alinéa de l’article 144 du Code des professions[1], vu le défaut de l’intimé de se présenter à l’audition malgré la signification de la plainte et d’un avis d’audition en bonne et due forme ;

II.         Preuve de la syndic ad hoc

 

[7]       Sous son serment d’office, Me Poirier a déposé, sans opposition, vu l’absence de l’intimé, les pièces documentaires P-1 à P-46 ainsi que la pièce P-36(A) ;

[8]       Suivant cette preuve documentaire, il appert que l’intimé aurait exercé comme expert en sinistre en assurance de dommages des entreprises alors qu’il n’était certifié que pour l’assurance de dommages des particuliers ;

[9]       C’est ainsi qu’il a traité et négocié plusieurs dossiers de sinistres (P-38 à P-42) sans avoir la certification nécessaire pour la catégorie reliée aux entreprises (chefs 1 à 5) ;

[10]    À la décharge de l’intimé, celui-ci croyait qu’il était inscrit comme stagiaire et que la supervision effectuée par son prétendu maître de stage était suffisante (P-12 et P-23) ;

[11]    Or, son « maître de stage », M. Guy Campeau, n’avait pas complété la documentation nécessaire auprès de l’A.M.F. et la supervision qu’il effectuait consistait en une simple supervision à distance et par voie téléphonique, laquelle n’était pas non plus légale ;

[12]    D’ailleurs, M. Campeau a lui-même été reconnu coupable[2] d’avoir manqué à ses obligations déontologiques en permettant à M. Guay d’agir comme stagiaire sans avoir obtenu un certificat probatoire de l’A.M.F. [3] et pour avoir été négligent dans sa supervision de M. Guay[4] ;

[13]    Finalement, les formulaires pour l’obtention d’un certificat probatoire (P-16) furent acheminés à l’A.M.F. en décembre 2013 et l’intimé fut donc autorisé à agir comme stagiaire (P-2, p. 10) ;

[14]    Par contre, durant son stage, celui-ci a agi sans supervision directe et immédiate de son responsable de stage, M. Campeau, en complétant seul plusieurs dossiers (P-42 à P-46), d’où le chef 7 ;

 

III.        Analyse et décision

 

A)        Règles de preuve

 

[15]    Dans un premier temps, le Comité tient à souligner qu’en raison des pouvoirs d’enquête conférés à la syndic et à ses adjoints, la preuve recueillie par ceux-ci, tel qu’en l’espèce, est admissible en preuve sans qu’il soit nécessaire d’assigner et de faire entendre tous et chacun des intervenants au dossier ;

[16]    Le dépôt de cette preuve constitue une preuve prima facie que les infractions ont été commises et constitue une exception à la règle interdisant le ouï-dire ;

[17]    Ainsi, à défaut d’être contredite, cette preuve est suffisante pour entraîner la condamnation de l’intimé ;

[18]    À cet égard, le Comité s’appuie, par analogie, sur l’affaire CSST c. Couvreur Toitures Mont-Rose Québec Ltée[5] :

[11]   Dans le dossier sous étude, l’avocat de l’appelante soutient que l’information et/ou les déclarations des employés de l’appelante soumises à M. Trudel, inspecteur à la CSST, sont des déclarations soumises à la règle des confessions et ne pouvaient être admises en preuve par le premier juge à moins que la poursuite n’ait établi à sa satisfaction que la déclaration ou l’information a été faite librement et de façon volontaire.

[12]   Sur cette question, le Tribunal est d’avis, dans un premier temps, que la preuve qui a été administrée devant le premier juge référait à des renseignements nominatifs transmis par certains employés de l’appelante et ne revêtait pas le caractère d’une déclaration par laquelle les représentants de l’appelante auraient pu reconnaître la responsabilité de leur mandant. Dans les circonstances, le Tribunal est d’avis que les dispositions habituelles concernant la règle des confessions n’ont pas d’application en l’espèce.

[13]   Subsidiairement, le Tribunal est également d’avis, en matière d’infraction réglementaire, que l’on ne saurait astreindre un organisme réglementaire et quasi judiciaire comme la CSST aux règles des confessions habituelles, à moins d’abus et de circonstances exceptionnelles.

[] 

[17]   Ainsi, il est essentiel selon le Tribunal d’examiner les objectifs poursuivis par la Loi sur la santé et la sécurité du travail pour apprécier le caractère raisonnable des conclusions du premier juge.

[18]   En effet, la Loi a comme objectif d’éliminer à la source les dangers potentiels pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs.

[19]   La Loi prévoit également certaines obligations pour assurer le respect de l’objectif de la Loi.

[20]   Pour s’assurer de l’application de la Loi, le législateur a octroyé à l’inspecteur désigné, un large pouvoir d’enquête qui se distingue des pouvoirs d’enquête des agents de la paix ou des forces policières en ce que l’objectif premier de l’enquêteur de la CSST est de s’assurer du respect de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, en permettant à ce dernier d’émettre des ordonnances sur-le-champ pour protéger la vie et la sécurité des ouvriers.

[21]   Son rôle administratif est dominant, et ce n’est que de façon accessoire que l’inspecteur de la CSST émettra un constat d’infraction alors que son premier devoir sera rempli, soit l’application de la Loi. En conséquence, le Tribunal est d’avis que l’inspecteur de la CSST n’est pas une personne en autorité au sens de la Loi et l’information ou déclaration qui lui est communiquée par les employés sur les lieux est admissible en preuve.

[22]    À cet égard, le Tribunal retient des enseignements de la Cour suprême dans les arrêts Hodgson et R. c. Jarvis.

[23]   En conclusion, le Tribunal est d’avis que toutes les informations colligées par M. Trudel, inspecteur à la CSST, de même que l’information nominative qu’il a recueillie lors de ses entretiens avec les six employés sur les lieux sont des faits ou des déclarations admissibles en preuve et que le premier juge s’est bien dirigé en faits et en droit pour conclure à la culpabilité de l’appelante en raison de cette preuve circonstancielle, mais dont la fiabilité n’a pas été mise en doute. (Nos soulignements)

 

[19]    Cela dit, le Comité tient à souligner que les notes consignées au dossier du cabinet ou des assureurs font preuve de leur contenu à moins d’une preuve contraire[6];

[20]    De plus, il y a lieu de souligner qu’en matière disciplinaire, la règle interdisant le ouï-dire comporte plusieurs assouplissements, tel que le rappelait la Cour du Québec dans l’affaire Alipoor c. Pinet[7] :

[102]      Dans l'arrêt Syndicat des travailleurs de l’information du Journal de Montréal c. Le Journal de Montréal, une division du Groupe Québécor inc., la Cour d'appel se prononce sur l'admissibilité de la preuve par ouï-dire devant un tribunal administratif en ces termes :

54.   La jurisprudence et les auteurs semblent également être d'avis que la même règle s'applique au ouï-dire: il ne sera sanctionné, par contrôle judiciaire, que dans la mesure où son admissibilité contrevient aux exigences de la règle de justice naturelle. Dans une décision maintes fois citées (Restaurants et Motels Inter-Cité Inc. c. Vassart, [1981] C.S. 1052, à la p. 1054) l'honorable Maurice Lagacé, analysant la doctrine et la jurisprudence pertinentes, s'exprime de la façon suivante:

C’est donc dire que si la procédure suivie par le commissaire intimé doit être appréciée en des principes voulant que les Tribunaux administratifs, tout en étant liés par les principes de justice naturelle, ne sont par ailleurs pas liés par les règles de procédure, de preuve, en cours devant les Tribunaux judiciaires, ceci explique d'ailleurs pourquoi la preuve par ouï-dire a été considérée admissible devant les Tribunaux administratifs lorsque les principes de justice naturelle n'avaient pas été violés.

S.A. De Smith, "Judicial review of Administrative Action" :

A tribunal may be entitled to base its decision on hearsay, written depositions or medical reports. In these circumstances a person aggrieved will normally be unable to insist on oral testimony of the original source of the information, provided that he has had a genuine opportunity to controvert that information.

[...]

En bref, s'il fallait résumer, il peut arriver en certains cas que l'admission d'une preuve par ouï-dire puisse créer un déni de justice, mais tout dépend des circonstances. Il a été décidé à plusieurs reprises que la procédure des Tribunaux administratifs diffère de celle des Tribunaux de droit commun en ce qu'ils peuvent fort bien s'accommoder d'une preuve de ouï-dire en autant qu'on ne prend pas par surprise la partie à laquelle on oppose une telle preuve et qu'au surplus on donne à cette dernière toute la latitude nécessaire pour se faire entendre et contredire si elle le désire une telle preuve. (pp. 1055-56)

[103]      Dans la cause Montréal (Ville de) c.. Beaudry, la Cour supérieure traite de l'admissibilité de la preuve par ouï-dire devant un tribunal administratif en ces termes :

58.   Or, dans cette appréciation globale de la preuve, l'arbitre est souverain, tout en se trouvant au centre même de sa compétence15. En matière de preuve par ouï-dire, la jurisprudence reconnaît de surcroît qu'il n'est pas soumis aux mêmes exigences qu'un tribunal de droit commun. Il est maître de sa procédure. Il peut même parfois accepter une telle preuve dans la mesure où il respecte les principes de justice naturelle16.

[104]      Dans l'affaire Avocats c. Corriveau, le Tribunal des professions écrit :

[14]      Les moyens de preuve prévus au Code civil du Québec (articles 2803 et suivants) sont compris dans les «moyens légaux» de l'article 143 du Code des professions:

«Or, comme le Tribunal l'a déjà écrit à plusieurs reprises, le droit disciplinaire est un droit autonome qui tient à la fois et du droit civil et du droit pénal. Les Comités de discipline ne sont certainement pas liés par les règles de preuve du droit civil ni les règles de preuve du droit pénal, et ils ont donc une certaine latitude: latitude beaucoup plus grande que celle des tribunaux réguliers quant aux moyens de preuve.

Que veut dire cependant « recourir à tous les moyens légaux »?

Le Tribunal croit qu'il n'est pas nécessaire à ce stade-ci de se prononcer sur l'interprétation de ces mots, mais ils sont suffisamment larges pour que les comités de discipline selon les cas particuliers puissent employer des moyens qui, tout en n'étant pas admis devant les tribunaux réguliers, ne seraient pas illégaux devant eux.» (Nos soulignements)

[21]    Pour ces motifs, le Comité conclut que la partie poursuivante s’est déchargée de son fardeau de preuve[8];

 

B)       Conclusion

 

[22]    Vu la preuve administrée et plus particulièrement tel qu’il appert des extraits relatés aux paragraphes 7 à 14 de la présente décision, le Comité considère que la partie poursuivante s’est déchargée de son fardeau de preuve ;

[23]    En conséquence, l’intimé sera reconnu coupable des chefs 1 à 5 et 7 de la plainte ;

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

AUTORISE le retrait du chef 6 ;

DÉCLARE l’intimé coupable des chefs 1 à 5 et 7, plus particulièrement comme suit :

Chefs 1 à 5 :     pour avoir contrevenu, à chaque occasion, à l’article 10 du Règlement relatif à la délivrance et au renouvellement du certificat des représentants (RLRQ, c. D-9.2, r.7)

Chef 7 :              pour avoir contrevenu à l’article 32(4) du Règlement relatif à la délivrance et au renouvellement du certificat des représentants (RLRQ, c. D-9.2, r.7)

 

DEMANDE à la secrétaire du Comité de discipline de convoquer les parties pour l’audition sur sanction ;

 

LE TOUT, frais à suivre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

____________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

 

____________________________________

M. Yvan Roy, FPAA, CRM, expert en sinistre

Membre        

 

____________________________________

M. Mario Joannette, FPAA, expert en sinistre

Membre

 

Me Sylvie Poirier (personnellement)

Partie plaignante

 

M. Stéphane Guay (absent et non représenté)

Partie intimée

 

Date d’audience : 27 septembre 2016

 

 

 



[1]   RLRQ c. C-26;

[2]   CHAD c. Campeau, C.D. no. 2015-12-03(E); décision sur culpabilité et sanction du 19 septembre 2016;

[3]   Ibid., chefs 1 à 4;

[4]   Ibid., chef 5;

[5]   2007 QCCS 6983 (CanLII), confirmé par 2008 QCCA 1032 (CanLII);

[6]    CHAD c. Lévesque, 2013 CanLII 4787 (QC CDCHAD);

[7]    2011 QCCQ 15421;

[8]    Vaillancourt c. Avocats, 2012 QCTP 126 (CanLII);

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