Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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Contenu de la décision

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No:

2015-12-06(C)

 

DATE :

1er novembre 2016

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. Brian Brochet, C. d’Ass., courtier en assurance de dommages

Membre

Mme Chantal Yelle, courtier en assurance de

dommages

Membre

 

 

Me SYLVIE POIRIER, ès qualités de syndic ad hoc de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

MARYSE FONTAINE

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

 

 

ORDONNANCE DE NON DIVULGATION, DE NON PUBLICATION ET DE NON DIFFUSION DE TOUS RENSEIGNEMENTS OU INFORMATIONS PERMETTANT D’IDENTIFIER LES ASSURÉS, LE TOUT SUIVANT L’ARTICLE 142

DU CODE DES PROFESSIONS

 

 

[1]       Le 20 septembre 2016, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2015-12-06(C) ;

 

[2]       Le syndic ad hoc se représentait seul et, de son côté, l’intimée était absente et non représentée ;

 

 


I.          La plainte

 

[3]       L’intimée fait l’objet d’une plainte comportant 13 chefs d’accusation, soit :

 

A.G.

1.         À Saint-Jérôme, au cours de l’année 2012, elle a exercé ses activités de façon négligente en transmettant à l’assureur des renseignements non vérifiés, faux, trompeurs ou susceptibles d’induire en erreur quant au risque, sur un questionnaire visant à mettre à jour les informations relatives à la police habitation 269-2569 de l’assuré A.G., le tout en contravention avec l’article 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 9, 15 et 29 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.4 );

A.F.

2.         À Saint-Jérôme, au cours de l’année 2012, elle a exercé ses activités de façon négligente en transmettant à l’assureur des renseignements non vérifiés, faux, trompeurs ou susceptibles d’induire en erreur quant au risque, sur un questionnaire visant à mettre à jour les informations relatives à la police habitation 263-1561 de l’assuré A.F., le tout en contravention avec l’article 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 9, 15 et 29 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.4 );

C.C.

3.         À Saint-Jérôme, au cours de l’année 2012, elle a exercé ses activités de façon négligente en transmettant à l’assureur des renseignements non vérifiés, faux, trompeurs ou susceptibles d’induire en erreur quant au risque, sur un questionnaire visant à mettre à jour les informations relatives à la police habitation R41-0431 de l’assuré C.C., le tout en contravention avec l’article 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 9, 15 et 29 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.4 );

R.G. et N.D.

4.         À Saint-Jérôme, au cours de l’année 2012, elle a exercé ses activités de façon négligente en transmettant à l’assureur des renseignements non vérifiés, faux, trompeurs ou susceptibles d’induire en erreur quant au risque, sur un questionnaire visant à mettre à jour les informations relatives à la police habitation R46-4531 des assurés R.G. et N.D., le tout en contravention avec l’article 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 9, 15, 29 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.4 );

J.B.

5.         À Saint-Jérôme, au cours de l’année 2013, elle a exercé ses activités de façon négligente en transmettant à l’assureur des renseignements non vérifiés, faux, trompeurs ou susceptibles d’induire en erreur quant au risque, sur un questionnaire visant à mettre à jour les informations relatives à la police habitation R45-6287 de l’assuré J.B., le tout en contravention avec l’article 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 9, 15 et 29 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.4 );

G.B.

6.         À Saint-Jérôme, au cours de l’année 2013, elle a exercé ses activités de façon négligente en transmettant à l’assureur des renseignements non vérifiés, faux, trompeurs ou susceptibles d’induire en erreur quant au risque, sur un questionnaire visant à mettre à jour les informations relatives à la police habitation 269-1553 de l’assuré G.B., le tout en contravention avec l’article 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 9, 15 et 29 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.4 );

R.T.

7.         À Saint-Jérôme, au cours de l’année 2013, elle a exercé ses activités de façon négligente en transmettant à l’assureur des renseignements non vérifiés, faux, trompeurs ou susceptibles d’induire en erreur quant au risque, sur un questionnaire visant à mettre à jour les informations relatives à la police habitation R51-0364 de l’assuré R.T., le tout en contravention avec l’article 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 9, 15 et 29 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.4 );

9185 Québec-... inc.

8.         À Saint-Jérôme, le ou avant le 19 juin 2013, a fait défaut de bien identifier les besoins du proposant 9185-…. Québec inc., lors de la souscription de la police no. 693-6838, et de s’assurer que les protections demandées correspondent à ses besoins, le tout en contravention avec les articles 16 et 28 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 9, 37(1) et du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.4);

9.         À Saint-Jérôme, le ou vers le 19 juin 2013, a fait défaut de transmettre à l’assureur toutes les informations nécessaires à l’appréciation du risque lors de la souscription de la police no. 693-6838 par 9185-…. Québec inc., le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 9, 29, 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.4);

10.       À Saint-Jérôme, le ou vers le 19 juillet 2013, elle a signé au nom du cabinet qui l’employait un formulaire attestant de la couverture d’assurance d’un véhicule (Porsche C4 Cabrio 2008) en vertu de la police no. 693-6838, pour la période du 19 juin 2013 au 19 juin 2014, alors que ce véhicule n’était pas assuré en vertu de cette police, le tout en contravention avec les articles 16 et 28 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 9, 15, 37(1) et 37(7) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.4);

11.       À Saint-Jérôme, le ou vers le 29 août 2013, elle a signé au nom du cabinet qui l’employait un formulaire attestant de la couverture d’assurance d’un véhicule (Dodge Ram 2012) en vertu de la police no. 693-6838, pour la période du 19 juin 2013 au 19 juin 2014, alors que ce véhicule n’était pas assuré en vertu de cette police, le tout en contravention avec les articles 16 et 28 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 9, 15, 37(1) et 37(7) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.4);

12.       À Saint-Jérôme, le ou vers le 29 août 2013, elle a signé au nom du cabinet qui l’employait un formulaire attestant de la couverture d’assurance d’un véhicule (Mercedes 2008) en vertu de la police no. 693-6838, pour la période du 19 juin 2013 au 19 juin 2014, alors que ce véhicule n’était pas assuré en vertu de cette police, le tout en contravention avec les articles 16 et 28 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 9, 15, 37(1) et 37(7) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.4);

13.       À Saint-Jérôme, le ou vers le 29 août 2013, elle a signé au nom du cabinet qui l’employait un formulaire attestant de la couverture d’assurance d’un véhicule (Lamborghini 2004) en vertu de la police no. 693-6838, pour la période du 19 juin 2013 au 19 juin 2014, alors que ce véhicule n’était pas assuré en vertu de cette police, le tout en contravention avec les articles 16 et 28 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 9, 15, 37(1) et 37(7) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ c. D-9.2, r.4);

    

[4]       Vu l’absence de l’intimée, la partie plaignante fut autorisée à procéder par défaut suivant le deuxième alinéa de l’article 144 du Code des professions[1] et plus particulièrement pour les motifs suivants ;

      Le 22 décembre 2015, une plainte était déposée contre l’intimée ;

      Le 2 février 2016, cette plainte était signifiée à l’intimée ;

      Le 6 mai 2016, une conférence de gestion était tenue et il fut alors convenu de fixer l’audition de la présente plainte pour les 22 et 23 août 2016 ;

      Le 16 août 2016, un avis d’audition fut signifié à l’intimée ;

      Quelques jours avant le 22 août 2016, les journées d’audition furent annulées par le Comité de discipline en raison du décès de l’un de ses membres ;

      Le 7 septembre 2016, une conférence de gestion était tenue et l’intimée n’ayant pas comparu, il fut alors décidé de fixer l’audition pour les 20 septembre 2016 et 20 octobre 2016 ;

      Le 12 septembre 2016, un huissier a tenté de signifier à l’intimée un avis d’audition mais sans succès, toutefois, il a pris soin d’informer le frère de l’intimée de la date d’audition ;

      Le 16 septembre 2016, l’intimée communique avec la secrétaire du Comité de discipline et lui confirme avoir connaissance de l’avis d’audition ;

      Le 19 septembre 2016, l’intimée contacte de nouveau la secrétaire du Comité de discipline pour lui mentionner, cette fois-ci, qu’elle sera absente le 20 septembre 2016 puisqu’elle compte se rendre à l’hôpital ;

      Le 20 septembre 2016, l’intimée ne se présente pas à l’audition ;

[5]       L’intimée n’ayant pas formulé de véritable demande de remise, ni présenté aucun certificat médical pouvant justifier son absence, le Comité a autorisé le syndic ad hoc à procéder en son absence ;

 

II.         La preuve au soutien des accusations

 

[6]       Comme seul et unique témoin, le Comité a entendu M. Martin Levac, anciennement propriétaire du cabinet Jetté, Levac ;

[7]       À l’époque des faits reprochés, il était le supérieur de l’intimée, Mme Fontaine, laquelle était son employée ;

[8]       Son témoignage a permis de mettre en preuve les pièces documentaires P-1 à P‑95 ;

[9]       Brièvement résumé, son témoignage démontre qu’en raison de plusieurs erreurs commises par l’intimée, M. Levac a congédié l’intimée ;

[10]    Suite à son congédiement, celui-ci a procédé à une plus ample vérification des dossiers de l’intimée et a constaté que cette dernière avait, à plusieurs reprises, transmis de faux renseignements à l’assureur (chefs 1 à 7) ;

[11]    Cette vérification lui a également permis de constater que l’intimée avait fait défaut de bien identifier les besoins de son client (chef 8) et qu’elle n’avait pas transmis à l’assureur tous les renseignements nécessaires à l’appréciation du risque (chef 9) ;

[12]    À cela s’ajoute le fait que l’intimée, suivant M. Levac, aurait signé, à plusieurs occasions, des formulaires attestant une couverture d’assurance pour divers véhicules alors que ceux-ci n’étaient pas véritablement assurés (chefs 10 à 13) ;

[13]    C’est à la lumière de ce témoignage et des pièces documentaires (P-1 à P-95) que devra être examiné et décidé du bien-fondé de la plainte déposée contre l’intimée ;

 

III.        Analyse et décision

 

A)        Remarques préliminaires

 

[14]    La preuve déposée contre l’intimée est principalement constituée de notes consignées au dossier, soit par l’intimée, soit par son supérieur, M. Levac, soit par des collègues de travail ;

[15]    Cela dit, le Comité tient à souligner que les notes consignées au dossier du cabinet ou des assureurs font preuve de leur contenu, à moins de preuve contraire ;

[16]    C’est ainsi que la Cour d’appel, dans l’affaire Gerling Globale compagnie d'assurances générales c. Service d'hypothèques Canada-vie[2] concluait comme suit :

En conclusion, il paraît clair qu'une déclaration extrajudiciaire d'un employé portant sur les actes qu'il a accomplis dans l'exécution de ses fonctions et qu'il a consignés par écrit au cours de ses activités au sein de l'entreprise qui l'emploie sera généralement admise en preuve si elle satisfait aux deux critères justifiant les exceptions à la règle du ouï-dire, soit la nécessité et la fiabilité.  De plus, le critère de la fiabilité sera d'autant plus facilement satisfait que, dans un tel contexte, le déclarant est généralement présumé être désintéressé. [3]

 

         (…)

 

En l'espèce, il me paraît clair que les notes manuscrites du courtier Pierre Verville ont été rédigées dans l'exécution de ses fonctions à la firme de courtage Dale-Parizeau et qu'elles satisfont aux critères de nécessité et de fiabilité justifiant, dans un tel contexte, leur admissibilité en preuve.  D'une part, le formulaire intitulé «AVIS DE SINISTRE» sur lequel ces notes sont inscrites est un document d'entreprise déjà imprimé pour recevoir, dans les cases pertinentes, des renseignements précis, et sur lequel le courtier doit seulement inscrire les renseignements obtenus ou divulgués (m.a., vol. 1, P‑8, p. 192).  D'autre part, lorsque le courtier Verville a inscrit, dans la case «circonstances» de cet AVIS DE SINISTRE, la mention «Vandalisme -Bâtiment était vacant», pendant ou immédiatement après sa conversation avec Chantal Dargis, préposée de Gerling,il agissait non seulement dans le cadre de ses fonctions, mais il était manifestement désintéressé.  On ne peut, en effet, lui reprocher d'avoir eu, à ce moment-là, un intérêt à inscrire cette mention dans le but de favoriser l'assurée.

 

L'arrêt rendu par la Cour suprême dans Ares c. Venner, 1970 CanLII 5 (CSC), [1970] R.C.S. 608, que le juge Pigeon semble reconnaître applicable au Québec (arrêt Royal Victoria Hospital précité, pp. 503-504), montre bien d'ailleurs que la fiabilité d'une déclaration est plus facilement reconnue lorsqu'il s'agit d'un écrit rédigé dans le cours des activités d'une entreprise.  Dans cette affaire, le litige tournait autour de l'admissibilité en preuve de notes rédigées par des infirmières, contenues dans des dossiers médicaux.  Parlant au nom de la Cour, le juge Hall conclut (p. 626):

 

Les dossiers d'hôpitaux, y compris les notes des infirmières, rédigés au jour le jour par quelqu'un qui a une connaissance personnelle des faits et dont le travail consiste à faire les écritures ou rédiger les dossiersdoivent être reçus en preuve, comme preuve prima facie des faits qu'ils relatent [...]

 

Notre Cour a eu l'occasion d'appliquer ce principe dans Paquet c. Navada Ltée, C.A. Montréal, no 500-09-000410-787, 1er octobre 1980, jj. Turgeon, Dubé et Nolan, J.E. 80‑866, alors qu'elle a reconnu que la preuve des heures travaillées par des ouvriers pouvait valablement se faire par le dépôt des rapports de travail signés à la fois par les ouvriers et les contremaîtres.  Parlant au nom de la Cour, le juge Dubé conclut que l'intimée n'avait pas à assigner tous les ouvriers pour que chacun vienne déclarer le nombre exact d'heures travaillées (p. 5):

 

Une telle preuve me paraît amplement suffisante et il n'était pas nécessaire pour l'intimée de fournir d'autres preuves sauf au cas où l'appelante aurait produit une preuve mettant sérieusement en doute les montants réclamés.[4] (Nos soulignement)

[17]    Dans les circonstances, le Comité conclut que les pièces documentaires produites par la partie plaignante[5] font preuve des faits qu’elles relatent, puisque leur fiabilité n’a pas été remise en doute vu l’absence de l’intimée ;

[18]    De plus, il y a lieu de souligner qu’en matière disciplinaire, la règle interdisant le ouï-dire comporte plusieurs assouplissements, tel que le rappelait la Cour du Québec dans l’affaire Alipoor c. Pinet[6] :

[102]      Dans l'arrêt Syndicat des travailleurs de l’information du Journal de Montréal c. Le Journal de Montréal, une division du Groupe Québécor inc., la Cour d'appel se prononce sur l'admissibilité de la preuve par ouï-dire devant un tribunal administratif en ces termes :

54.   La jurisprudence et les auteurs semblent également être d'avis que la même règle s'applique au ouï-dire: il ne sera sanctionné, par contrôle judiciaire, que dans la mesure où son admissibilité contrevient aux exigences de la règle de justice naturelle. Dans une décision maintes fois citées (Restaurants et Motels Inter-Cité Inc. c. Vassart, [1981] C.S. 1052, à la p. 1054) l'honorable Maurice Lagacé, analysant la doctrine et la jurisprudence pertinentes, s'exprime de la façon suivante:

C’est donc dire que si la procédure suivie par le commissaire intimé doit être appréciée en des principes voulant que les Tribunaux administratifs, tout en étant liés par les principes de justice naturelle, ne sont par ailleurs pas liés par les règles de procédure, de preuve, en cours devant les Tribunaux judiciaires, ceci explique d'ailleurs pourquoi la preuve par ouï-dire a été considérée admissible devant les Tribunaux administratifs lorsque les principes de justice naturelle n'avaient pas été violés.

S.A. De Smith, "Judicial review of Administrative Action" :

A tribunal may be entitled to base its decision on hearsay, written depositions or medical reports. In these circumstances a person aggrieved will normally be unable to insist on oral testimony of the original source of the information, provided that he has had a genuine opportunity to controvert that information.

[...]

En bref, s'il fallait résumer, il peut arriver en certains cas que l'admission d'une preuve par ouï-dire puisse créer un déni de justice, mais tout dépend des circonstances. Il a été décidé à plusieurs reprises que la procédure des Tribunaux administratifs diffère de celle des Tribunaux de droit commun en ce qu'ils peuvent fort bien s'accommoder d'une preuve de ouï-dire en autant qu'on ne prend pas par surprise la partie à laquelle on oppose une telle preuve et qu'au surplus on donne à cette dernière toute la latitude nécessaire pour se faire entendre et contredire si elle le désire une telle preuve. (pp. 1055-56)

[103]      Dans la cause Montréal (Ville de) c.. Beaudry, la Cour supérieure traite de l'admissibilité de la preuve par ouï-dire devant un tribunal administratif en ces termes :

58.   Or, dans cette appréciation globale de la preuve, l'arbitre est souverain, tout en se trouvant au centre même de sa compétence15. En matière de preuve par ouï-dire, la jurisprudence reconnaît de surcroît qu'il n'est pas soumis aux mêmes exigences qu'un tribunal de droit commun. Il est maître de sa procédure. Il peut même parfois accepter une telle preuve dans la mesure où il respecte les principes de justice naturelle16.

[104]      Dans l'affaire Avocats c. Corriveau, le Tribunal des professions écrit:

[14]      Les moyens de preuve prévus au Code civil du Québec (articles 2803 et suivants) sont compris dans les «moyens légaux» de l'article 143 du Code des professions:

«Or, comme le Tribunal l'a déjà écrit à plusieurs reprises, le droit disciplinaire est un droit autonome qui tient à la fois et du droit civil et du droit pénal. Les Comités de discipline ne sont certainement pas liés par les règles de preuve du droit civil ni les règles de preuve du droit pénal, et ils ont donc une certaine latitude: latitude beaucoup plus grande que celle des tribunaux réguliers quant aux moyens de preuve.

Que veut dire cependant « recourir à tous les moyens légaux »?

Le Tribunal croit qu'il n'est pas nécessaire à ce stade-ci de se prononcer sur l'interprétation de ces mots, mais ils sont suffisamment larges pour que les comités de discipline selon les cas particuliers puissent employer des moyens qui, tout en n'étant pas admis devant les tribunaux réguliers, ne seraient pas illégaux devant eux.» (Nos soulignements)

 

[19]    Pour ces motifs, le Comité conclut que la partie poursuivante s’est déchargée de son fardeau de preuve[7] ;

 

B)       Les chefs nos. 1 à 7

 

[20]    Les chefs 1 à 7 reprochent à l’intimée d’avoir, à plusieurs reprises et à diverses occasions, transmis des renseignements non vérifiés, faux, trompeurs ou susceptibles d’induire en erreur l’assureur quant au risque qu’il devait assurer ;

[21]    L’article 15 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages[8] édicte :

15.  Nul représentant ne peut faire, par quelque moyen que ce soit, des représentations fausses, trompeuses ou susceptibles d’induire en erreur.

 

[22]    La Cour d’appel s’est prononcée récemment sur une disposition semblable dans l’affaire Cuggia c. Champagne[9] ;

[23]    Il convient d’en citer certains extraits concernant le fardeau de preuve du poursuivant, soit :

[3]           L’appelant était, aux périodes pertinentes, un courtier spécialisé en assurance collective. Les 14 premiers chefs lui reprochent d’avoir transmis à cinq entreprises assurées des informations fausses, trompeuses ou inexactes relativement aux primes établies par l’assureur pour leur police d’assurance collective, leur laissant ainsi croire que les sommes exigées étaient plus élevées.

[7]           Puis, considérant l’ensemble de la preuve, le CDCSF conclut :

231.     Le comité est d’avis que les informations transmises quant aux primes étaient « fausses », « inexactes », et qu’elles étaient de plus « trompeuses » en ce qu’elles induisaient les clients en erreur.

232.     Si tant est qu’une preuve plus précise d’un état d’esprit blâmable devait être faite, le comité conclut que l’ensemble de la conduite de l’intimé en est teinté.

[9]           Conséquemment, bien que 13 des 15 chefs comportent l’énoncé « lui laissant croire que les sommes exigées étaient plus élevées », cela ne signifie pas que la plaignante doive prouver que chacun des clients concernés par ces chefs ignorait le stratagème de surfacturation de l’appelant ou qu’il n’y consentait pas. Pour le juge, les dispositions législatives ou réglementaires servant de fondement à la plainte disciplinaire sont constitutives de l’infraction déontologique et non le libellé du chef comme c’est généralement le cas en droit pénal. Il est donc d’avis qu’il n’est pas inapproprié de considérer que l’ignorance ou l’absence de consentement des assurés est un élément de l’infraction, qui, sans être essentiel, peut s’inférer du caractère inexact et trompeur des factures acheminées aux clients.

[13]        Deuxièmement, lorsque la preuve autorise, comme en l’espèce, la conclusion qu’une information transmise est, à la connaissance de l’expéditeur, fausse, incorrecte et trompeuse, il n’est pas déraisonnable de déduire qu’elle était destinée à berner son destinataire et que, pour contrecarrer l’effet de cette inférence, l’expéditeur doive présenter une preuve contraire prépondérante.

(…)

[19]        Le juge de la Cour du Québec, se fondant sur les dispositions pertinentes de la Loi sur la distribution des produits financiers (articles 16, 274-274.1, 376 et 379) et du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (articles 11121316 et 35), a estimé que le CDCSF avait raisonnablement conclu que l’intimée s’était acquittée de son fardeau de preuve de façon satisfaisante, sans une preuve spécifique de l’ignorance des assurées ou d’un consentement de leur part à la surfacturation imposée. (Nos soulignements)

 

[24]    À la lumière de ces principes et considérant qu’aucune preuve n’est venue contredire les informations contenues aux pièces documentaires, l’intimée sera reconnue coupable des chefs 1 à 7 ;

[25]    En effet, il apparaît clairement des pièces P-1 à P-76, ainsi que du témoignage de M. Levac, que l’intimée a transmis, à chacune des périodes et des occasions mentionnées aux chefs 1 à 7, des renseignements faux, trompeurs ou susceptibles d’induire en erreur l’assureur ;

[26]    En conséquence, l’intimée sera reconnue coupable des chefs 1 à 7 pour avoir contrevenu à l’article 15 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages[10];

[27]    De plus, conformément à l’arrêt Kineapple[11], un arrêt conditionnel des procédures sera prononcé à l’encontre de toutes les autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien des chefs 1 à 7 ;

 

C)       Le chef no. 8

 

[28]    Le chef 8 reproche à l’intimée d’avoir fait défaut de bien identifier les besoins d’un proposant lors de la souscription de sa police d’assurance et de ne pas s’être assurée que lesdites protections demandées correspondent à ses besoins ;

[29]    L’article 28 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers[12] (ci-après, « LDPSF ») impose aux représentants l’obligation suivante :

28. Un représentant en assurance doit, avant la conclusion d’un contrat d’assurance, décrire le produit proposé au client en relation avec les besoins identifiés et lui préciser la nature de la garantie offerte.

Il doit, de plus, indiquer clairement au client les exclusions de garantie particulières compte tenu des besoins identifiés, s’il en est, et lui fournir les explications requises sur ces exclusions. (Nos soulignements)

 

[30]    Qu’en est-il en l’espèce ?

[31]    La preuve démontre, et plus particulièrement les pièces P-77 à P-80, que l’intimée avait reçu mandat d’assurer une voiture de luxe pour l’un de ses clients ;

[32]    Cette voiture, dont l’assuré n’était pas le propriétaire mais simplement locataire et que lui et sa femme utilisaient pour leurs propres besoins, fut ajoutée à la police d’assurance (formule des garagistes) de l’entreprise de son client spécialisé dans la vente de véhicules usagés ;

[33]    En pratique, cette voiture aurait dû faire l’objet d’une police d’assurance distincte puisqu’elle n’appartenait pas au client et qu’elle n’était pas destinée à la revente ;

[34]    D’ailleurs, cela a entraîné plusieurs problèmes pour le cabinet de l’intimée ;

[35]    C’est ainsi que suite à une révision des dossiers de l’intimée, son supérieur, M. Levac, a dû informer le client de cette problématique (P-94 et P-95) ;

[36]    Évidemment, devant cet imbroglio créé par l’intimée, le client était furieux et il a décidé de confier ses dossiers d’assurance à un autre cabinet (P-95) ;

[37]    Cela dit, le Comité est d’avis que la partie plaignante s’est déchargée de son fardeau de preuve ;

[38]    En conséquence, l’intimée sera reconnue coupable du chef 8 pour avoir contrevenu à l’article 28 LDPSF et un arrêt conditionnel des procédures sera prononcé à l’encontre des autres dispositions alléguées au soutien du chef 8 ;

 

D)       Le chef no. 9

 

[39]    Le chef 9 reproche à l’intimée d’avoir fait défaut de transmettre à l’assureur toutes les informations nécessaires à l’appréciation du risque lors de la souscription de la police d’assurance no. 693-6838 ;

[40]    Ce chef d’accusation est intimement lié au chef 8 et découle des mêmes faits ;

[41]    Ainsi, l’intimée, en plus de mal conseiller son client (chef 8), a également induit en erreur l’assureur en faisant défaut de lui transmettre toutes les informations nécessaires à l’appréciation du risque ;

[42]    L’article 29 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages[13] prescrit que :

29. Le représentant en assurance de dommages doit donner à l’assureur les renseignements qu’il est d’usage de lui fournir.

 

[43]    La preuve, et plus particulièrement les pièces P-77 à P-80, démontrent que l’intimée a lamentablement failli à son obligation d’information vis-à-vis l’assureur ;

[44]    Par conséquent, celle-ci sera reconnue coupable du chef 9 pour avoir contrevenu à l’article 29 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages ;

[45]    Pour les mêmes motifs, un arrêt conditionnel des procédures sera prononcé à l’encontre des autres dispositions alléguées au chef 9 ;

 

E)        Les chefs nos. 10, 11, 12 et 13

 

[46]    Les chefs d’accusation 10 à 13 reprochent à l’intimée d’avoir signé au nom de son cabinet un formulaire attestant que divers véhicules dont certains très luxueux, tels qu’une Mercedes et une Lamborghini, étaient couverts par une police d’assurance (693-6838) alors que dans les faits, ils n’étaient pas assurés en vertu de cette police ;

[47]    Les pièces P-81 à P-84, jumelées au témoignage de M. Levac, démontrent clairement que l’intimée a commis les infractions reprochées aux chefs 10 à 13 ;

[48]    D’une part, elle a signé les formulaires (P-81 à P-84) attestant de la couverture d’assurance en vertu de la police no. 693-6838 et, d’autre part, lesdits véhicules n’étaient pas assurés (P-94 et P-95) ;

[49]    Ce faisant, l’intimée s’est trouvée à faire une fausse déclaration à chaque occasion mentionnée aux chefs 10 à 13 ;

[50]    Dans les circonstances, l’intimée sera reconnue coupable des chefs 10 à 13 pour avoir contrevenu à l’article 37(7) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages[14] ;

[51]    En conséquence, un arrêt conditionnel des procédures sera prononcé à l’encontre des autres dispositions alléguées au soutien des chefs 10 à 13.

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

DÉCLARE l’intimée coupable des chefs 1 à 13, plus particulièrement comme suit :

Chefs 1 à 7 :       pour avoir contrevenu, à chaque occasion, à l’article 15 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r.4) ;

Chef 8 :                pour avoir contrevenu à l’article 28 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) ;

Chef 9 :                pour avoir contrevenu à l’article 29 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r.4) ;

Chefs 10 à 13 :   pour avoir contrevenu, à chaque occasion, à l’article 37(7) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r.4) ;

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’encontre de toutes les autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien des chefs 1 à 13 ;

PRONONCE une ordonnance de non divulgation, de non publication et de non diffusion de tous renseignements ou informations permettant d’identifier les assurés, le tout suivant l’article 142 du Code des professions ;

DEMANDE à la secrétaire du Comité de discipline de convoquer les parties pour l’audition sur sanction ;

 

____________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

 

____________________________________

M. Brian Brochet, C. d’Ass., courtier en assurance de dommages

Membre        

 

____________________________________

Mme Chantal Yelle, courtier en assurance de dommages

Membre

 

LE TOUT, frais à suivre.


Me Sylvie Poirier (se représentant seule)

Partie plaignante

 

Mme Maryse Fontaine (absente et non représentée)

Partie intimée

 

Date d’audience : 20 septembre 2016

 

 



[1]   RLRQ, c. C-26;

[2]   1997 CanLII 10065 (QC CA);

[3]   Ibid., p. 22;

[4]   Op. cit., note 2;

[5]   P-1 à P-95;

[6]   2011 QCCQ 15421 (CanLII);

[7]   Vaillancourt c. Avocats, 2012 QCTP 126 (CanLII);

[8]   RLRQ, c. D-9.2, r.4)

[9]   2016 QCCA 1479 (CanLII);

[10]         Op., cit., note 8;

[11]         1974 CanLII 14 (CSC), [1975] 1 RCS 729;

[12]         RLRQ, c. D-9.2;

[13]         Op. cit., note 8;

[14]         Ibid.;

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