Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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Contenu de la décision

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DES DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No:

2015-12-02(C)

 

DATE :

14 septembre 2016

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. Brian Brochet, courtier en assurance de dommages

Membre

M. Philippe Jones, courtier en assurance de dommages

Membre

 

 

Me KARINE LIZOTTE, ès qualités de syndic adjoint de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

SYLVAIN LAPERRIÈRE, courtier en assurance de dommages des particuliers (4B)

Partie intimée

 

 

DÉCISION CORRIGÉE SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

 

 

ATTENDU QUE la partie intimée a porté à l’attention du Comité qu’une erreur d’écriture s’était glissée dans la décision sur culpabilité et sanction du 29 juin 2016 ;

ATTENDU QUE la partie plaignante consent à cette demande de rectification ;

 

EN CONSÉQUENCE et conformément à l’article 161.1 du Code des professions, le Comité corrige cette erreur matérielle et rectifie le texte de la décision du 29 juin 2016 comme suit :

 

      En remplaçant le délai de 18 mois indiqué aux paragraphes 39, 45 et 57 ainsi que dans les conclusions de la décision, par un délai de 36 mois

 

[1]       Le 31 mai 2016, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2015-12-02(C);

 

[2]       Le syndic adjoint était alors représenté par Me Olivier Charbonneau et, de son côté, l’intimé se représentait seul;

 


I.          La plainte

 

[3]       L’intimé fait l’objet d’une plainte modifiée dans laquelle on lui reproche les infractions suivantes :

 

1.         Du mois de mars 2012 au mois de juillet 2012, dans les dossiers de 180 clients, a fait défaut d’aviser ses clients, avant la conclusion d’un contrat d’assurance automobile, des frais d’émission de police qui n’étaient pas inclus dans le montant de la prime d’assurance, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, les articles 22 et 37(6o) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages et les articles 4.2 et 4.4 du Règlement sur les renseignements à fournir au consommateur;

 

2.         Du mois de mars 2012 au mois de juillet 2012, personnellement et à titre de gestionnaire responsable du cabinet Assurance Accomodex inc., a fait défaut ou a permis de faire défaut de facturer une rémunération ou des émoluments justes et raisonnables à 180 clients ayant souscrits à une police d’assurance automobile par son entremise, le tout en contravention avec les articles 2 et 21 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages et les articles 85 et 86 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers;

3.         Du mois de mars 2012 au mois de juillet 2012, à l’occasion de la conclusion d’un contrat d’assurance automobile F.P.Q. no 5, dans les dossiers des clients S.B., F.P., C.C., B.M., F.D.S., S.T.S., L.J.L., R.D., et J.P., a fait défaut d’agir avec professionnalisme et en conseiller consciencieux en amenant ces clients à signer :

         une clause prévue à même la proposition d’assurance confirmant qu’ils avaient été informés de l’existence de l’avenant F.A.Q. 43, alors que cette protection n’avait jamais été discutée;

         une clause prévue à même la proposition d’assurance stipulant qu’en cas de financement de la prime, le client cède au créancier tout remboursement ou trop-perçu de prime lors d’une fin de contrat, le cas échéant, et que le créancier pouvait demander la résiliation de la police à titre de mandataire, sans en expliquer le sens et les effets;

le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et l’article 37(6o) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

4.         […]

5.         […]

6.         Du mois de décembre 2011 au mois de mars 2013, a tenu compte de l’intervention de tiers dans la mise en place d’un programme d’assurance favorisant les intérêts d’Autonum Presto Location inc, et non des clients, le tout en contravention avec les articles 19 et 37(3o) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

7.         Du mois de décembre 2011 au mois de mars 2013, a fait défaut de respecter la confidentialité des renseignements obtenus de ses clients et d’exercer ses activités dans un endroit où la confidentialité est assurée :

         en exerçant ses activités dans des locaux partagés avec un tiers; et

         en demandant à un tiers d’obtenir des clients la signature de documents contenant des renseignements personnels et confidentiels;

le tout en contravention avec les articles 16 et 30 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 23, 24, 37(1o) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

 

8.         […]

9.         Du mois de mai 2012 au mois de juillet 2012, personnellement et à titre de gestionnaire responsable du cabinet Assurance Accomodex inc., a exercé ses activités de manière négligente en ne conservant pas aux dossiers clients tous les enregistrements des conversations téléphoniques pour une période de cinq (5) ans, le tout en contravention des articles 2, 9 et 37(1o) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, de l’article 15 du Règlement sur la tenue et la conservation des livres et registres, des articles 16 et 85 à 88 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, et des articles 12 et 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome;

10.       […]

L’intimé s’étant ainsi rendu passible des sanctions prévues à la Loi pour les infractions ci-haut mentionnées.

 

 

[4]       Dès le début de l’audition, l’intimé a enregistré un plaidoyer de culpabilité;

[5]       Il fut donc reconnu coupable, séance tenante, des chefs 1, 2, 3, 6, 7 et 9 de la plainte modifiée;

[6]       Le procureur de la partie plaignante a alors informé le Comité que les parties avaient l’intention de présenter une recommandation commune quant aux sanctions devant être imposées à l’intimé;

[7]       Cela dit, les parties ont procédé à présenter leur preuve sur sanction;

 

 

II.         La preuve sur sanction

 

A)        Par le syndic-adjoint

 

[8]       Dans un premier temps, Me Charbonneau a déposé de consentement les pièces P-1 à P-10, ainsi que les pièces P-12 et P-14 à P-32(r);

[9]       D’autre part, des recommandations communes furent déposées sous la cote P‑33;

[10]    L’ensemble de cette preuve a permis d’établir les faits ci-après relatés;

[11]    À l’époque des faits reprochés, l’intimé agissait pour le compte du cabinet d’assurance Accomodex inc.;

[12]    La compagnie Autonum Presto Location inc. est l’actionnaire majoritaire d’Accomodex inc. (P-2);

[13]    L’intimé était alors le dirigeant responsable du cabinet Accomodex inc. (P-28);

[14]    Les services du cabinet Accomodex étaient offerts exclusivement aux clients procédant à la location à long terme d’un véhicule automobile par l’entremise d’Autonum Presto Location inc. (P-28);

[15]    D’ailleurs, les bureaux des deux entreprises sont situés dans les mêmes locaux (P-2 et P-3);

[16]    La clientèle d’Autonum Presto est constituée presqu’en totalité de personnes ayant des difficultés financières (2e ou 3e chance au crédit, faillite, etc.) et elle dispense ses services auprès de plus de 150 concessionnaires automobiles (P-6 et P-17);

[17]    En pratique, Autonum Presto agit comme prêteur d’argent et il finance la location à long terme et les primes d’assurance (P-6);

[18]    Les voitures étaient assurées par le biais d’une seule police d’assurance émise au nom d’Autonum Presto (P-15) qui couvrait une flotte de plus de 2 000 véhicules automobiles (p. 4 de P-14 et P-18);

[19]    Au début, le programme d’assurance était établi par les souscripteurs du Lloyd’s par le biais d’une « police flotte maîtresse » au nom d’Autonum Presto (P-15) et les certificats émis au nom des clients (locataires d’Autonum Presto) portaient tous ce numéro de police unique (P-21);

[20]    Il n’y avait donc qu’un seul renouvellement et aucun suivi n’était effectué auprès du client, tout se faisant à l’insu de ce dernier;

[21]    Ce programme d’assurance était offert par le biais de « L’Union Canadienne » et suite au retrait de celle-ci, le Groupe Viau a repris le flambeau (P-9, P-10 et P-15);

[22]    La méthode employée pour tous les clients était la même;

[23]    Lorsque le client se présentait chez un concessionnaire affilié à Autonum Presto, le directeur commercial entrait les données du client (P-22) dans le système informatique et si ce dernier était jugé admissible au financement, alors son dossier était transféré à Autonum Presto;

[24]    C’est dans ce contexte que l’intimé exerçait ses fonctions;

[25]    D’ailleurs, l’intimé, tout en étant rattaché au cabinet Accomodex, exerçait ses fonctions dans les mêmes locaux que Autonum Presto;

[26]    Sur réception par voie électronique des informations recueillies par le concessionnaire automobile, l’intimé entrait en contact avec le client;

[27]    Il lui offrait alors qu’un seul produit d’assurance automobile FPQ no. 1 provenant exclusivement d’un seul assureur;

[28]    L’entrevue avec le client durait à peine 10 minutes, l’intimé utilisait une approche uniforme pour tous les clients;

[29]    Un seul produit d’assurance comportant les mêmes garanties était offert à l’ensemble de la clientèle, sans égard au profil de l’assuré ou à ses besoins;

[30]    Le seul critère de variation était l’âge du conducteur (P-19 et P-28);

[31]    L’intimé informait alors le client du coût global de la prime annuelle, laquelle était financée par Autonum Presto et payable à chaque vendredi;

[32]    Par contre, Accomodex chargeait des frais de courtage (P-25 à P-27) à la majorité de ses clients mais ceux-ci n’étaient pas expliqués, ni dénoncés aux clients;

[33]    En pratique, le client faisait un seul versement hebdomadaire pour acquitter son contrat de financement, lequel incluait la prime d’assurance et les frais de courtage;

[34]    C’est en raison des faits ci-haut décrits que l’intimé a fait l’objet de la présente plainte disciplinaire;

 

B)       Par l’intimé

[35]    De son côté, l’intimé a déclaré au Comité qu’il n’a jamais pensé agir de façon illégale;

[36]    À l’époque des faits reprochés, ses employeurs lui avaient exposé que ledit programme d’assurance était approuvé par des juristes et des experts en assurance;

[37]    Il se sentait alors en confiance et a toujours agi de bonne foi;

[38]    Il regrette ses gestes et désire se reprendre en main afin d’éviter la répétition de tels actes;

[39]    Enfin, il se dit d’accord avec les sanctions suggérées mais demande un délai de paiement de 36 mois vu sa situation financière et familiale;

 

III.        Recommandations communes

 

[40]    Les parties, d’un commun accord, suggèrent d’imposer à l’intimé les sanctions suivantes :

 

          Chef no. 1 :      une amende de 7 000 $ et une radiation temporaire de 30 jours

          Chef no. 2 :      une amende de 7 000 $ et une radiation temporaire de 30 jours

          Chef no. 3 :      une amende de 2 500 $

          Chef no. 6 :      une amende de 2 500 $

          Chef no. 7 :      une amende de 3 000 $

          Chef no. 9 :      une amende de 2 500 $

Pour un total de 24 500 $, réduit à la somme de 10 000 $ en application du principe de la globalité de la sanction, essentiellement en considération de la situation financière particulière de l’intimé;

Plus les déboursés;

Les radiations temporaires devant être purgées de manière concurrente pour une durée de 30 jours.

 

[41]    Les parties recommandent d’imposer à l’intimé l’obligation de suivre le cours « C‑130 : le courtier et l’agent d’assurance »;

[42]    De l’avis de Me Charbonneau, la suggestion commune des parties tient compte de la gravité objective des infractions lesquelles sont au cœur même de l’exercice de la profession;

[43]    De plus, diverses décisions sont soumises à l’appui des recommandations communes, soit :

      Chambre de l’assurance de dommages c. Minkoff, 2013 CanLII 66172 (QC CHAD);

      Chambre de l’assurance de dommages c. Fetherston, 2010 CanLII 50826 (QC CHAD);

      Chambre de l’assurance de dommages c. Tardif, 2010 CanLII 66016 (QC  CHAD);

 

[44]    De son côté, l’intimé insiste pour qu’un délai de paiement suffisamment long puisse lui être accordé pour acquitter le montant des amendes et des déboursés;

[45]    À l’invitation du Comité, le syndic adjoint consent à un délai de paiement de 36 mois;

 

IV.       Analyse et décision

 

A)        Le plaidoyer de culpabilité

 

[46]    Suivant la jurisprudence[1], un plaidoyer de culpabilité équivaut à une reconnaissance que les faits reprochés constituent une faute déontologique;

[47]    D’ailleurs, dans l’affaire Castiglia c. Frégeau[2], la Cour du Québec écrivait :

 [28]        Le Syndic a raison de soutenir que Frégeau, ayant plaidé coupable à l’audition sur culpabilité, il ne peut remettre en question ce plaidoyer qui constitue une admission des principaux faits allégués dans la plainte. À cet égard, le Syndic réfère le Tribunal à l’arrêt de principe de la Cour d’appel de Lefebvre c. La Reine, où la Cour d’appel conclut qu’un plaidoyer de culpabilité consiste à admettre l’ensemble des éléments de l’infraction et que sa peine doit être évaluée à partir de ce fondement.

[29]        Ce même principe a été reconnu par le Tribunal des professions dans Pivin c. Inhalothérapeutes, où le Tribunal confirme qu’un plaidoyer en droit disciplinaire, est la reconnaissance par le professionnel des faits qui lui sont reprochés et du fait qu’ils constituent une faute déontologique(Nos soulignements)

 

[48]    Dans l’arrêt Duquette c. Gauthier[3], la Cour d’appel va même plus loin en déclarant que :

[20]           Le Tribunal est conscient que la décision sur une demande de retrait de plaidoyer procède du pouvoir discrétionnaire du Comité et qu'il s'agit d'une question de droit. Le plaidoyer de culpabilité emporte en soi un aveu que l'accusé a commis le crime imputé, de même qu'un consentement à ce qu'une déclaration de culpabilité soit inscrite sans autre forme de procès. (Nos soulignements)

[49]     D’autre part, dans l’affaire Boudreau c. Avocats[4], le Tribunal des professions a reconnu qu’il s’agissait d’un facteur atténuant dont le Comité devait tenir compte :

[25]        Cela dit, d'autres reproches formulés méritent plus d'attention. Selon l'appelant, le Conseil a ignoré les conséquences atténuantes pouvant découler du plaidoyer de culpabilité, surtout lorsqu'il est enregistré, comme ici, à la première occasion. En reconnaissant sa culpabilité, l'appelant admet avoir commis des actes répréhensibles qui constituent une faute déontologique. Ce faisant, l'appelant a permis d'éviter l'instruction de la plainte disciplinaire, imposant notamment à son ex‑cliente les embûches d'un témoignage. L'appelant a raison de reprocher au Conseil d'avoir occulté ce facteur atténuant. (Nos soulignements)

 

 

B)       La recommandation commune

 

[50]    Le Tribunal des professions, à maintes reprises, rappellera l’importance de respecter les recommandations communes formulées par les parties, lesquelles sont essentielles au bon fonctionnement du système de justice disciplinaire[5];

[51]    D’ailleurs, encore récemment, le Tribunal des professions rappelait ce principe dans l’affaire Ungureanu[6]:

 

[18]   De plus, la jurisprudence a établi des règles claires pour le décideur qui entend écarter une suggestion commune. Ces règles ont été importées en droit professionnel québécois et il est maintenant établi que lorsque le Conseil souhaite écarter une suggestion commune, il doit :

-     aviser les parties qu'il n'a pas l'intention de retenir la suggestion commune;

-   expliquer sommairement l'objet de sa préoccupation;

-   donner l'occasion aux parties de réagir.

[19]   En cas de non-respect de ces règles, le processus décisionnel est vicié.

[20]  Dans ces circonstances, le rôle du Tribunal est d'évaluer si la suggestion commune était déraisonnable, inadéquate ou contraire à l'intérêt public ou de nature à déconsidérer l'administration de la justice. Voici d'ailleurs comment s'exprimait très récemment une autre formation du Tribunal des professions dans l'affaire Gauthier :

[18] Pour les uns, la suggestion commune des parties (radiation de neuf mois) peut paraître trop clémente. À l'opposé, pour d'autres, la décision du Conseil (radiation de trois ans) peut sembler trop sévère. Devant pareil dilemme, le rôle du Tribunal n'est pas d'arbitrer en se substituant à quiconque pour imposer la sanction qui lui paraît indiquée. En pareilles circonstances, l'intervention de l'instance d'appel doit respecter les paramètres clairement établis par les tribunaux supérieurs.

[19] Dans une affaire récente, Dumont c. R., la Cour d'appel écrit ce qui suit :

[13] Nos tribunaux reconnaissent à la suggestion commune issue d'une négociation rigoureuse entre le ministère public et l'accusé une « force persuasive certaine », qui vise à assurer à l'accusé que la recommandation commune obtenue en échange de son plaidoyer de culpabilité sera respectée par le juge chargé de déterminer la peine, pourvu qu'elle soit raisonnable. Certes, il ne s'agit pas d'une règle formelle, mais plutôt d'une politique judiciaire nécessaire en vue d'encourager la négociation des plaidoyers de culpabilité, qui joue un rôle essentiel au sein de l'institution pénale.

[…]

[15] Il est bien établi qu'en présence d'une suggestion commune issue d'un plaidoyer de culpabilité, « l'exercice en appel ne consiste pas à se demander si la peine imposée par le juge de première instance est raisonnable, mais de déterminer si la suggestion commune est déraisonnable, inadéquate, contraire à l'intérêt public ou de nature à déconsidérer l'administration de la justice ».

[16] Il nous faut donc tout d'abord évaluer si la suggestion commune est raisonnable.

[20]   La véritable question en litige consiste donc à déterminer si la suggestion commune était « déraisonnable, inadéquate, contraire à l'intérêt public ou de nature à déconsidérer l'administration de la justice », suivant les termes utilisés par la Cour d'appel dans l'affaire Boivin c. R.

(Références omises)

[21]  Les ententes entre les parties constituent en effet un rouage utile et parfois nécessaire à une saine administration de la justice. Lors de toute négociation, chaque partie fait des concessions dans le but d'en arriver à un règlement qui convienne aux deux. Elles se justifient par la réalisation d'un objectif final. Lorsque deux parties formulent une suggestion commune, elles doivent avoir une expectative raisonnable que cette dernière sera respectée. Pour cette raison, une suggestion commune formulée par deux avocats d'expérience devrait être respectée à moins qu'elle ne soit déraisonnable, inadéquate ou contraire à l'intérêt public ou de nature à déconsidérer l'administration de la justice. (Nos soulignements)

 

[52]    Le Comité considère que les sanctions suggérées tiennent compte, d’une part, de la gravité objective des infractions et, d’autre part, du plaidoyer de culpabilité de l’intimé et de son absence d’antécédents disciplinaires;

[53]    Par ailleurs, la recommandation commune s’inscrit dans la fourchette de sanctions habituellement imposées pour ce type d’infraction, respectant ainsi le principe de la parité des sanctions[7] même si cela n’est pas déterminant;

[54]    En effet, chaque cas constitue un cas d’espèce[8] et la sanction doit toujours être individualisée et, surtout, elle doit être proportionnelle à la gravité de la faute et au degré de responsabilité de l’intimé[9];

[55]    Dans le présent dossier, malgré la gravité objective des infractions, l’intimé doit bénéficier de plusieurs circonstances atténuantes, soit :

      Son plaidoyer de culpabilité formulé dès la première occasion;

      Son absence d’antécédents disciplinaires;

      Sa bonne collaboration à l’enquête du syndic et au processus disciplinaire;

      Son absence d’intention malveillante;

[56]    À cet égard, le Comité considère que les sanctions suggérées par les parties reflètent bien les circonstances aggravantes et atténuantes propres au dossier de l’intimé et qu’elles constituent une sanction juste et raisonnable et surtout appropriée au cas particulier de l’intimé;

[57]    Pour ces motifs, la recommandation commune des parties sera entérinée par le Comité, toutefois, un délai de 36 mois sera accordé à l’intimé pour acquitter le montant des amendes et des déboursés, vu sa situation financière et familiale;

 

C)       Publication d’un avis de radiation

[58]    Lors du délibéré du présent dossier, le Comité a constaté que, d’une part, le syndic adjoint n’avait pas demandé la publication d’un avis de radiation et que, d’autre part, l’intimé n’avait pas requis une dispense de publication;

[59]    Bref, cet aspect de la sanction a été totalement escamoté par les deux parties;

[60]    Suivant la jurisprudence[10], l’objectif poursuivi par la publication d’un avis d’une décision imposant une radiation temporaire est d’informer le public qui a recours aux services d’un professionnel en particulier ainsi que tous les autres membres de la même profession que le type de reproches formulés dans une affaire donnée est considéré comme une infraction grave et qu’un tel manquement aux obligations déontologiques ne peut être toléré et qu’il ne le sera pas[11];

[61]    La règle étant qu’il doit y avoir publication, sauf exception[12];

[62]    Ce n’est qu’en présence de circonstances très exceptionnelles qu’une dispense de publication sera accordée par le Comité de discipline[13];

[63]    Il y a lieu de souligner que la décision de publier un avis de radiation n’est qu’une modalité de la sanction et non pas une sanction supplémentaire;

[64]    Ainsi, même si les parties ont oublié d’en débattre l’opportunité lors de l’audition sur sanction, le Comité ne commet pas d’accroc aux règles de l’équité procédurale et n’excède pas sa compétence en décidant d’ordonner la publication d’un avis de radiation sans que les parties n’aient eu l’occasion de se faire entendre sur cette question;

[65]    Dans l’affaire Chénier c. Tribunal des professions[14], la Cour supérieure a conclu comme suit :

20   Toutefois, par la loi de 1983 (1983 L.Q. c-54), le législateur a conféré au Comité de discipline la discrétion de fixer des conditions et modalités des sanctions qu'il impose.

21   Conséquemment, le Comité de discipline possédait à ce moment, le pouvoir d'assortir sa décision de conditions et modalités relativement à la sanction.

22   En 1988, le législateur a explicité ce qu'il entendait par les termes “conditions et modalités” en ajoutant après le mot “impose” ce qui suit:

NOTAMMENT LA PUBLICATION D'UN AVIS DE LA DÉCISION DANS UN JOURNAL CIRCULANT DANS LE LIEU OÙ LE PROFESSIONNEL EXERCE PRINCIPALEMENT SA PROFESSION.

23   Conséquemment, la publication d'un avis de la décision disciplinaire dans un journal constitue pour le législateur une modalité de la sanction.

24  Comme précédemment signalé, l'objectif poursuivi par le Code des professions est la protection du public et la publicité des sanctions disciplinaires constitue un mécanisme visant à assurer la protection du public comme le prévoit l'article 23 du Code des professions. (Nos soulignements)

 

[66]    Mais il y a plus, dans une affaire[15] dans laquelle un membre de la magistrature se plaignait de la révocation de sa charge en prétendant que le Conseil de la magistrature ne lui avait pas donné l’occasion d’être entendu sur cette question, la cour suprême concluait comme suit :

77     En vertu du par. 6.11(3), l’intimée avait le « droit de faire des représentations au Conseil [. . .] en personne ou par un avocat, par écrit ou verbalement, concernant le rapport [du comité] avant que le Conseil de la magistrature n’entreprenne une action » (je souligne).  Elle prétend essentiellement qu’en recommandant une sanction moins sévère que la révocation, le comité l’a indirectement privée de la possibilité de présenter des arguments contre la révocation et que si elle avait su qu’une recommandation de révocation était envisagée, elle aurait plaidé en conséquence devant le Conseil.

78     Aucun de ces arguments ne me convainc.  La doctrine de l’attente raisonnable ne crée pas de droits fondamentaux et n’entrave pas le pouvoir discrétionnaire du décideur légal.  Elle fait plutôt partie des règles de l'équité procédurale et trouve application dans les cas où une partie affectée par une décision administrative peut établir qu’elle s’attend légitimement à ce qu’une certaine procédure soit suivie : Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), 1991 CanLII 74 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 525, p. 557; Baker, précité, par. 26.  Elle peut donner lieu au droit de faire des observations, au droit d’être consulté et peut-être, si les circonstances l’exigent, à des droits procéduraux plus étendus.  Mais autrement elle n’entrave pas le pouvoir discrétionnaire du décideur légal de façon à entraîner un résultat particulier : voir D. Shapiro, Legitimate Expectation and its Application to Canadian Immigration Law (1992), 8 J. L. & Pol’y 282, p. 297.

79     En l’espèce, je ne peux pas convenir que le Conseil a porté atteinte au droit de la juge Moreau‑Bérubé d’être entendue en ne l’informant pas expressément qu’il pourrait lui imposer une sanction que lui permet clairement la Loi.  La doctrine de l'attente légitime ne trouve pas application dans le cas où le requérant demande essentiellement le droit à une deuxième chance de se prévaloir des droits procéduraux qui ont toujours été disponibles et prévus par la loi.  Par ailleurs, le comité d’enquête n’avait pas le pouvoir de faire une recommandation au Conseil quant à la sanction appropriée.  La Loi l’indique d’une façon on ne peut plus claire, son par. 6.11(1) prévoyant que « le comité doit faire rapport au président de ses conclusions de fait et de ses conclusions concernant les allégations portées contre le juge dont la conduite est en cause concernant son inconduite, sa négligence de remplir ses devoirs ou son inaptitude à exécuter ses fonctions ».  Cela contraste avec le rôle décisionnel qu’a le Conseil une fois le rapport du comité terminé, comme le prescrit ainsi le par. 6.11(4) : « Le Conseil de la magistrature, en se fondant sur les conclusions du rapport [. . .] peut [. . .] rejeter la plainte, [. . .] adresse[r] une réprimande [. . .], ou [. . .] recommander [. . .] que le juge soit démis de ses fonctions ».  Peu importe que le comité ait fait une recommandation qu’il n’était pas autorisé à faire, le Conseil avait le pouvoir discrétionnaire clair et absolu de choisir parmi trois options.  Je ne crois pas qu’étant juge et ayant bénéficié de conseils juridiques tout au long du processus, l’intimée ait pu avoir mal compris les questions en jeu devant le Conseil de la magistrature. Elle n’a jamais affirmé avoir commis une telle erreur avant que celle‑ci soit soulevée par le juge Angers en révision judiciaire.

80     De même, la décision du Conseil de ne pas suspendre l’intimée dans l’attente de l’issue de l’enquête ne limite pas le pouvoir discrétionnaire que la Loi lui confère.  De toute évidence, l’issue de l’enquête est inconnue au départ, de sorte que la décision de suspendre ou non ne peut être interprétée comme une indication de l’issue de l’enquête.  De plus, je souligne que, même si l’intimée n’a pas été suspendue, elle a été mutée à un autre district pour la durée de l’enquête.

81     Le fait qu’on n’ait pas mentionné la possibilité d’une recommandation de révocation avant d'émettre cette recommandation n’est également pas pertinent.  Le Conseil n’a pas l’obligation de rappeler à l’intimée de lire attentivement le par. 6.11(4). Même si, dans le cadre de sa procédure, le Conseil aurait pu rappeler à la juge Moreau‑Bérubé qu’il n’était pas lié par les recommandations du comité d’enquête, il a décidé de ne pas le faire et il avait le pouvoir discrétionnaire de prendre cette décision.  Comme le juge L’Heureux‑Dubé l’a souligné dans Baker, précité, par. 27 :

 . . . l’analyse des procédures requises par l’obligation d’équité devrait également prendre en considération et respecter les choix de procédure que l’organisme fait lui‑même, particulièrement quand la loi laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures, ou quand l’organisme a une expertise dans le choix des procédures appropriées dans les circonstances : Brown et Evans, op. cit., aux pp. 7-66 à 7-70.  Bien que, de toute évidence, cela ne soit pas déterminant, il faut accorder une grande importance au choix de procédures par l’organisme lui‑même et à ses contraintes institutionnelles :  IWA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., 1990 CanLII 132 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 282, le juge Gonthier.

82     En tirant leurs conclusions, la Cour d’appel et le juge Angers se sont fondés en particulier sur Michaud, précité.  Je conviens avec le juge Drapeau que l’arrêt Michaud doit être distingué d’avec la présente affaire.  Dans Michaud, la sanction avait fait l’objet d’une recommandation conjointe et la personne touchée n’avait fait aucune observation.  Par contre, l’avocat de la juge Moreau‑Bérubé a soutenu devant le tribunal administratif qu’aucune réprimande ne devait être adressée, contrairement à la recommandation du comité d’enquête, ce qui démontre que l’intimée savait fort bien que le Conseil n’était pas lié par les recommandations de celui-ci et qu’il prendrait sa propre décision au sujet de la sanction appropriée face à l’inconduite.  La juge Moreau‑Bérubé a elle‑même incité le Conseil à ne pas tenir compte de la recommandation du comité d’enquête.

83     Je partage l’avis du juge Drapeau, selon lequel « il est incontestable qu’à chaque étape où elle avait ce droit, la juge Moreau‑Bérubé a été entendue pleinement » (par. 150).  Je suis consciente que la nature de ces procédures disciplinaires impose au Conseil une stricte obligation d’agir équitablement, mais je ne peux trouver aucune violation des règles de justice naturelle en l’espèce. (Nos soulignements)

 

[67]    Pour ces motifs et en se fondant sur les précédents jurisprudentiels ci-haut mentionnés, le Comité conclut qu’il peut, à sa discrétion, décider d’ordonner la publication d’un avis de radiation même si cette question n’a pas fait l’objet d’un débat spécifique lors de l’audition du 31 mai 2016;

[68]    En conséquence, puisque la protection du public est au cœur du processus disciplinaire[16], le Comité ordonnera la publication d’un avis de radiation, aux frais de l’intimé, précisément dans le but d’assurer la protection du public, tant présente que future.

 

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé;

DÉCLARE l’intimé coupable des chefs 1, 2, 3, 6, 7 et 9 de la plainte modifiée et plus particulièrement comme suit:

Chef 1 :    pour avoir contrevenu à l’article 22 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r.5)

Chef 2 :    pour avoir contrevenu à l’article 21du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r.5)

Chef 3 :    pour avoir contrevenu à l’article 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D9.2, r.5)

Chef 6 :    pour avoir contrevenu à l’article 37(3) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D‑9.2, r.5)

Chef 7 :    pour avoir contrevenu à l’article 23 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D-9.2, r.5)

Chef 9 :    pour avoir contrevenu à l’article 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (RLRQ, c. D‑9.2, r.5)

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’encontre de toutes les autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien desdits chefs d’accusation;

IMPOSE à l’intimé les sanctions suivantes :

Chef 1 :    une amende de 7 000 $ et une période de radiation temporaire de 30 jours

Chef 2 :    une amende de 7 000 $ et une période de radiation temporaire de 30 jours

Chef 3 :    une amende de 2 500 $

Chef 6 :    une amende de 2 500 $

Chef 7 :    une amende de 3 000 $

Chef 9 :    une amende de 2 500 $

RÉDUIT le montant total des amendes (24 500 $) à une somme globale de 10 000 $;

DÉCLARE que les périodes de radiation temporaire imposées sur les chefs 1 et 2 seront purgées de façon concurrente pour un grand total de 30 jours;

RECOMMANDE au conseil d’administration de la CHAD d’imposer à l’intimé l’obligation de suivre et de réussir, dans un délai de 12 mois calculé à compter du 31e jour suivant la signification de la présente décision, le cours suivant :

C-130 : «Le courtier et l’agent d’assurance : compétences élémentaires»

ORDONNE à la secrétaire du Comité de discipline de faire publier dans un journal circulant dans le lieu où l’intimé a son domicile professionnel un avis de la présente décision;

CONDAMNE l’intimé au paiement de tous les déboursés, y compris les frais de publication de l’avis de radiation temporaire;

ACCORDE à l’intimé un délai de 36 mois pour acquitter le montant des amendes et déboursés, ladite somme sera payable en 36 versements mensuels et égaux débutant le 31e jour suivant la signification de la présente décision.

 

 

 

 

 

 

 

 

____________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

 

____________________________________

M. Brian Brochet, courtier en assurance de dommages

Membre        

 

____________________________________

M. Philippe Jones, courtier en assurance de dommages

Membre

 

Me Olivier Charbonneau

Procureur de la partie plaignante

 

M. Sylvain Laperrière (se représentant seul)

Partie intimée

 

Date d’audience : 31 mai 2016

 



[1]       Pivin c. Inhalothérapeutes, 2002 QCTP 32 (CanLII);

       Lemire c. Médecins, 2014 QCTP 12 (CanLII);

       Mercier c. Médecins, 2014 QCTP 12 (CanLII)

[2]       2014 QCCQ 849 (CanLII)

[3]       2007 QCCA 863 (CanLII)

[4]    2013 QCTP 22 (CanLII)

[5]    Gauthier c. Médecins, 2013 CanLII 82189 (T.P.);

     Chan c. Médecins, 2014 QCTP 5 (CanLII);

     Langlois c. Dentistes, 2012 QCTP 52 (CanLII);

[6]    Infirmières et Infirmiers auxiliaires c. Ungureanu, 2014 QCTP 20 (CanLII);

[7]    Brochu c. Médecins, 2002 QCTP 2 (CanLII);

[8]    Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QCCA);

[9]    Courchesne c. Castiglia, 2009 QCCA 2303, par. 83;

[10]   Rousseau c. Ingénieurs, 2005 QCTP 41 (CanLII);

[11]   COURNOYER, VANCHESTEIN, CORBEIL. Code des professions annoté, 2e édition, Éditions Yvon Blais inc. 2009, p. 482;

[12]   Lambert c. Agronomes, 2012 QCTP 39 (CanLII), par. 25;

[13]   Pellerin c. Avocats, 2009 QCTP 120 (CanLII);

[14]   1998 CanLII 9407 (QC CS);

[15]   Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 RCS 249, 2002 CSC 11 (CanLII);

[16]   Mailloux c. Deschênes, 2015 QCCA 1619 (CanLII);

     Thibault c. Da Costa, 2014 QCCA 2347 (CanLII);

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