Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

Chambre de l’assurance de dommages

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

2013-12-02(C)

 

DATE :

3 décembre 2014

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. Marc-Henri Germain, C.d’A.A., A.V.A., courtier en

assurance de dommages

Membre

Mme France Laflèche, C. d’A.A., courtier en assurance de

dommages

Membre

 

 

Me KARINE LIZOTTE, syndic adjoint

Partie plaignante

c.

MARC GIGNAC, courtier en assurance de dommages

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR SANCTION

 

 

[1]       Le 7 octobre 2014, le Comité de discipline se réunissait afin de procéder à l’audition sur sanction de la plainte no. 2013-12-02(C);

 

[2]       À cette occasion, la partie plaignante était représentée par Me Claude G. Leduc et l’intimé était présent mais non représenté;

 

[3]       Le 7 juillet 2014, l'intimé a été reconnu coupable[1] des infractions suivantes:

 

1.   Depuis le 2 août 2013, a entravé, directement ou indirectement, le travail du syndic adjoint de la Chambre de l’assurance de dommages dans le cadre de l’enquête menée dans le dossier de l’assurée R.L. concernant la police d’assurance automobile, numéro AP8368068, couvrant la période du 14 août 2010 au 14 août 2012, notamment :

 

a.   Avoir fait défaut de répondre dans les plus brefs délais aux correspondances du syndic adjoint;

 

b.   Le ou vers le 14 novembre 2013, avoir fait défaut de se présenter à une rencontre fixée à cette date par le syndic adjoint;

 

le tout en contravention avec l’article 342 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment aux articles 34, 34.1 et 35 dudit code;

[4]       Malgré sa condamnation du 7 juillet 2014, l'intimé n'a toujours pas répondu aux demandes du syndic adjoint;

 

[5]       Les parties ont alors procédé aux représentations sur sanction;

 

 

I.        Argumentation

 

          A)      Par le syndic adjoint

 

[6]       Me Leduc, au nom du syndic adjoint, suggère d'imposer les sanctions suivantes:

 

Chef no. 1a):     une radiation de un (1) à trois (3) mois assortie d'une ordonnance en vertu de l'article 156(d.1) du Code des professions afin d'obliger l'intimé à répondre aux demandes de la syndique adjointe;

 

Chef no. 1b):     une amende de 3 000 $;  

 

 

[7]       De plus, il suggère la publication d'un avis de radiation aux frais de l'intimé;

 

[8]       À l'appui de ses prétentions, Me Leduc fournit une série de précédents jurisprudentiels;

 

[9]       Enfin, il insiste sur la gravité objective des infractions lesquelles mettent en péril la protection du public;

 

[10]    Il souligne également la durée des infractions laquelle démontre chez l'intimé une absence de volonté de s'amender;

 

 

          B)     Par l'intimé

 

[11]    De son côté, l'intimé plaide que les intérêts de ses clients seront mis en péril si jamais il devait être radié pour une période de trois (3) mois;

 

[12]    Finalement, celui-ci, après mûre réflexion, s'engage à faire parvenir au syndic adjoint une réponse à ses demandes et plus particulièrement à sa lettre du 2 août 2013 (p. 73 et 74 de P-3);

 

[13]    Après discussion entre les parties, il fut convenu d'accorder à l'intimé un ultime délai, ainsi celui-ci devra produire au Bureau du syndic sa réponse au plus tard le 15 octobre 2014, à 17h00;

 

[14]    À défaut de respecter cet engagement, l'intimé s'exposera à des sanctions plus sévères;

[15]    Finalement, suite à l'audition sur sanction, l'intimé a produit sa réponse aux demandes du syndic adjoint dans le délai convenu;

 

 

II.       Analyse et décision

 

          A)      La gravité de l'infraction

 

[16]    Le Comité de discipline a déjà eu l'occasion de se pencher sur cette question dans l'affaire Boudreault[2] et plus particulièrement dans le cadre de sa décision sur sanction[3] comme suit:

[12]   L’infraction consistant à entraver le syndic dans le cadre des fonctions qui lui sont dévolues par la loi constitue une infraction dont la gravité objective ne fait plus aucun doute puisque le pouvoir d’enquête du syndic constitue la pierre d’assise du système professionnel[7];

[13]   D’ailleurs, la gravité objective de ce genre d’infraction a été reconnue à de nombreuses reprises par le Tribunal des professions[8];

[14]   Enfin, la Cour suprême, dans l’affaire Pharmascience c. Binet[9], rappelait l’obligation pour les professionnels et même pour les tiers de collaborer à l’enquête du syndic, sous peine de sanctions et ce, dans les termes suivants :

 27   Le syndic joue un rôle crucial dans le fonctionnement du système disciplinaire créé par le Code des professions.  Le syndic enquête sur la conduite d’un professionnel avant qu’une plainte formelle ne soit portée contre ce dernier devant le comité de discipline.  Le syndic ouvrira une enquête sur la base d’une information selon laquelle un professionnel a commis une infraction visée à l’art. 116.  Cette information pourra lui provenir de sources diverses.  Comme il a été souligné précédemment, elle pourra lui être fournie par le comité d’inspection professionnelle.  Un autre professionnel, une personne du public et le Bureau de l’ordre peuvent également demander au syndic de tenir une enquête.  Enfin, le syndic a le droit d’agir de sa propre initiative, par exemple lorsqu’il constate lui-même une situation susceptible de fonder une plainte disciplinaire; un syndic pourrait par exemple visionner une publicité faite par un professionnel en contravention avec les règles prescrites en cette matière (Khalil c. Corporation professionnelle des opticiens d’ordonnances, [1991] D.D.C.P. 316 (T.P.); Delisle c. Corporation professionnelle des arpenteurs-géomètres, [1991] D.D.C.P. 190 (T.P.), répertoriés dans S. Poirier, La discipline professionnelle au Québec : principes législatifs, jurisprudentiels, et aspects pratiques (1998), p. 81).  Comme il le fait pour l’enquête du comité d’inspection professionnelle, le législateur impose une obligation de collaborer à l’enquête du syndic à l’art. 122 C. prof. dont l’interprétation se situe au cœur du présent litige :

122.  Le syndic et les syndics adjoints peuvent, à la suite d’une information à l’effet qu’un professionnel a commis une infraction visée à l’article 116, faire une enquête à ce sujet et exiger qu’on leur fournisse tout renseignement et tout document relatif à cette enquête. . .

 

L’article 114 s’applique à toute enquête tenue en vertu du présent article.

À l’issue de son enquête, le syndic décide s’il y a lieu de porter une plainte devant le comité de discipline (art. 123).

 

31      Le sens commun et grammatical de l’art. 122, qui prévoit que « [l]e syndic et les syndics adjoints peuvent [. . .] exiger qu’on leur fournisse tout renseignement et tout document » favorise davantage la thèse suivant laquelle toute personne est soumise à l’obligation de coopération et non seulement un groupe défini et restreint d’individus tels les professionnels d’un ordre donné.  C’est d’ailleurs là le sens habituellement donné au terme « on », pronom indéfini :

on pron. indéf. (lat. homo, homme). [Toujours sujet.] 1. Désigne une personne, un groupe de personnes indéterminées; quelqu’un, des gens.

 

(Petit Larousse illustré (2004), p. 715; jugement de première instance, par. 82‑83)

 

34      Cette conclusion ne tient pas suffisamment compte de l’objectif de protection du public poursuivi par le Code des professions.  La réalisation de cet objectif implique nécessairement que les tiers soient visés ou touchés par certaines dispositions du Code des professions.  Par exemple, les art. 188.1 à 189 prohibent l’exercice illégal de la profession par des tiers non-membres.  L’article 188 prévoit quant à lui l’imposition d’amendes à toute personne commettant une infraction.  Comme son libellé l’indique, l’art. 2 vise à établir le caractère général du Code, son statut de loi cadre pour l’exercice des professions au Québec et la préséance des lois particulières à chaque ordre professionnel en cas d’incompatibilité.  Le contexte dans lequel fut adopté le Code, que j’ai rappelé précédemment, confirme ce constat.  L’article 2 ne prévoit pas que le Code ne s’applique qu’aux membres des ordres professionnels, mais vient plutôt confirmer que le Code s’applique à tous les membres de tout ordre professionnel, en établissant des règles de fonctionnement et des moyens d’action homogènes dans ce domaine.  Cette interprétation fut d’ailleurs acceptée par la Cour d’appel du Québec dans un arrêt récent : Ordre des comptables généraux licenciés du Québec c. Québec (Procureur général), 2004 CanLII 20542 (QC CA), [2004] R.J.Q. 1164, par. 18-19.  

 

38      L’importance de ce « double rôle » doit nécessairement guider l’interprétation de l’art. 122.  Le dépôt d’une plainte devant le comité de discipline peut constituer l’aboutissement de l’enquête du syndic.  Pour le professionnel en cause, ce seul dépôt entraîne parfois des conséquences graves pour sa réputation et pour l’exercice de ses activités professionnelles.  Pour agir avec efficacité, mais dans le souci et le respect des droits de tous les intéressés durant son enquête, le syndic doit être en mesure d’exiger les documents et renseignements pertinents de toute personne et non seulement d’un professionnel, comme le conclut la Cour d’appel.  L’obtention de renseignements en possession de tiers paraît souvent essentielle à la conduite efficace de l’enquête du syndic.  Bien que seul le professionnel accusé d’une infraction déontologique puisse éventuellement être cité devant le comité de discipline les situations susceptibles de provoquer des plaintes disciplinaires impliqueront fréquemment une tierce partie, d’une manière ou d’une autre.

 

 39      L’infraction pour laquelle certains pharmaciens font l’objet d’une enquête en l’espèce, i.e. « recevoir [. . . un] avantage, ristourne ou commission » (art. 3.05.06 du Code de déontologie), ne fait pas exception.  L’avantage est reçu d’une autre personne. Un processus d’enquête concernant la commission d’une infraction devrait donc logiquement prévoir l’assujettissement des tiers.  D’autres exemples illustrent cette nécessité.  Un syndic pourrait avoir besoin d’obtenir des renseignements d’une infirmière ou d’un préposé, témoins de certains événements, afin de déterminer si une plainte pour harcèlement sexuel doit être portée contre un médecin.  L’enquête d’un syndic pourrait exiger l’accès à des renseignements détenus par une banque ou un comptable sur l’utilisation dérogatoire d’un compte en fidéicommis par un avocat. 

 

52      La procédure qui sanctionne le refus d’un tiers de communiquer des documents au syndic met en jeu plusieurs dispositions du Code des professions, notamment ses art. 114, 122, 188 et 191.  L’article 114 établit l’interdiction générale de refuser de transmettre un document nécessaire à la poursuite d’une enquête disciplinaire.  Le dernier paragraphe de l’art. 122 précise que cette interdiction s’applique aux demandes du syndic L’article 188 prévoit que toute personne contrevenant à l’une des dispositions du Code des professions commet une infraction.  Par l’effet combiné des art. 122 et 188, un tiers qui refuse de transmettre les documents réclamés par le syndic commet donc une infraction passible d’une amende d’au moins 600 $ et d’au plus 6 000 $.  En cas de répétition de toute infraction pénale prévue au Code des professions et après que des poursuites pénales aient été intentées, l’art. 191 permet au procureur général ou, après autorisation de ce dernier, à un ordre professionnel d’obtenir une injonction interlocutoire, et par la suite finale, afin de faire cesser la commission de l’infraction.

 

59      Le rôle du syndic d’un ordre professionnel constitue clairement un devoir public.  La mission première du syndic est d’enquêter sur la conduite des professionnels afin de protéger les individus bénéficiant de leurs services.  La portée du Code des professions et le langage qui y est utilisé traduisent cet objectif qu’illustre le libellé de l’art. 23.  Comme nous l’avons vu, des considérations de politique judiciaire militent également en faveur de la reconnaissance du droit du syndic d’obtenir tous les renseignements nécessaires à la poursuite efficace de son enquête et à sa décision finale de porter ou non des plaintes disciplinaires.

 

[15]    À la lumière de cette décision-phare de la Cour suprême, la gravité objective particulièrement élevée de cette infraction ne fait plus l’ombre d’un doute et, en conséquence, le  Comité devra en tenir compte pour déterminer l’importance de la sanction qui sera imposée à l’intimé;

 

 

          B)     Circonstances aggravantes et atténuantes

 

[17]    Le Comité considère qu'il y a plusieurs facteurs aggravants qui militent en faveur de l'imposition d'une sévère sanction envers l'intimé dont notamment les suivantes:

     La durée des infractions;

     La mise en péril de la protection du public;

     Le refus systématique de l'intimé de répondre aux demandes du syndic adjoint;

[18]    Parmi les circonstances atténuantes, une seule sera retenue par le Comité, soit l'absence d'antécédents disciplinaires de l'intimé;

 

          C)     La sanction appropriée

[19]    Considérant que l'intimé a finalement répondu à la demande du syndic adjoint, le Comité considère que l'intimé est sur la bonne voie pour sa réhabilitation et, en conséquence, la sanction sera moindre que les trois (3) mois de radiation suggérés par la partie plaignante;

[20]    De plus, il ne sera pas nécessaire de procéder à l'émission d'une ordonnance suivant l'article 156(d.1) du Code des professions;

[21]    Par contre, considérant les circonstances du présent dossier et la personnalité de l'intimé qui a refusé, durant plus d'une année, de répondre aux demandes du syndic adjoint, celui-ci se verra imposer les sanctions suivantes:

          Chef no. 1a):   une radiation temporaire de 30 jours;

          Chef no. 1b):   une amende de 3 000 $;

[22]    À ces sanctions s'ajoutent tous les déboursés du dossier, y compris les frais de publication de l'avis de radiation.

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

 

IMPOSE à l’intimé les sanctions suivantes:

 

   Chef no. 1a): une radiation temporaire de 30 jours;

   Chef no. 1b): une amende de 3 000 $;

ORDONNE à la secrétaire du Comité de discipline de faire publier un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où l'intimé a son domicile professionnel, le tout conformément à l'article 156 du Code des professions;

CONDAMNE l'intimé au paiement de tous les déboursés, y compris les frais de publication de l'avis de radiation temporaire;

 

 

 

  

 

 

 

 

____________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président du Comité de discipline

 

____________________________________

M. Marc-Henri Germain, C.d’A.A., A.V.A., courtier en assurance de dommages

Membre du Comité de discipline

 

____________________________________

Mme France Laflèche, C.d’A.A., courtier en assurance de dommages

Membre du Comité de discipline

 

Me Claude G. Leduc

Procureur de la partie plaignante

 

M. Marc Gignac (présent et non représenté)

Partie intimée

 

Date de l’audience : 7 octobre 2014

 



[1]    CHAD c. Gignac, 2014 CanLII 41706 (QC CDCHAD);

[2]    CHAD c. Boudreault, 2008 CanLII 19077 (QC CDCHAD);

[3]    2 juillet 2008;

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