Autorité des marchés financiers (Québec)

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Autorité des marchés financiers c. St-Pierre

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DES MARCHÉS FINANCIERS

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

MONTRÉAL

 

DOSSIER N° :

2025-013

 

DÉCISION N° :

2025-013-001

 

DATE :

20 août 2025

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

 

AVEC L’ASSISTANCE DES ASSESSEURES :

CHRISTINE DUBÉ

 

STÉPHANIE POTVIN

JOCELYNE CHARLAND

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AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

Partie demanderesse

c.

CATHERINE ST-PIERRE, domiciliée et résidant au [...], Saint-Jean-sur-Richelieu (Québec) [...]

Partie intimée ayant conclu un accord

et

ÉRIC PROVOST, domicilié et résidant au [...], Saint-Hubert (Québec) [...]

Partie intimée

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DÉCISION

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APERÇU

[1]  La présente affaire fait suite au dépôt, le 7 avril 2025, par l’Autorité des marchés financiers (« Autorité ») d’un acte introductif d’instance contre les intimés Catherine St-Pierre et Éric Provost dans lequel il est notamment allégué que les intimés auraient participé à la fabrication de faux baux dans le cadre de demandes de financement, contrevenant ainsi à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers[1] (« LDPSF ») et aux articles 16.2, 16.13, 16.14 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants[2].

[2]           Suivant le dépôt de cet acte introductif d’instance, l’Autorité et l’intimée Catherine St-Pierre ont conclu un accord visant le règlement du dossier à l’égard de cette intimée (« Accord »)[3].

[3]  L’Autorité s’adresse au Tribunal afin qu’il entérine l’Accord intervenu entre les parties et prononce les ordonnances suggérées par celles-ci. Les parties demandent au Tribunal d’imposer à Catherine St-Pierre une pénalité administrative de 8 000,00 $ et une suspension de son certificat dans la discipline de courtage hypothécaire pour une durée de deux (2) ans à partir de la date de la décision à être rendue par le Tribunal (« Mesures administratives »).

[4]  Lors d’une audience tenue le 18 août 2025, la procureure de l’Autorité a présenté au Tribunal les modalités de l’Accord et Catherine St-Pierre était présente, accompagnée de son avocat, et elle a confirmé au Tribunal consentir à l’Accord.

[5]  Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que l’Accord est « conforme à la loi » et qu’il est dans l’intérêt public qu’il l’entérine et qu’il mette en œuvre les Mesures administratives.

ANALYSE

[6]  En vertu de la Loi sur l’encadrement du secteur financier[4] (« LESF »), le Tribunal peut « entériner un accord, s’il est conforme à la loi »[5]. Le Tribunal exerce cette discrétion qui lui est conférée en fonction de l’intérêt public[6].

[7]  Le Tribunal doit donc répondre à la question suivante : L’Accord est-il conforme à la loi permettant ainsi au Tribunal de l’entériner en fonction de l’intérêt public et de mettre en œuvre les Mesures administratives ?

[8]  Le cadre juridique applicable dans le contexte d’une demande pour entériner un accord a été énoncé à plusieurs reprises par le Tribunal, notamment dans la décision Moreau[7]. À cet égard, le Tribunal rappelle que « chaque cas doit être évalué et analysé à la lumière des faits et circonstances de chaque affaire »[8].

[9]  Essentiellement, un accord est « conforme à la loi » s’il permet d’établir la compétence du Tribunal notamment par la démonstration d’un manquement ou d’un acte contraire à l’intérêt public qui relève d’une loi sur laquelle il peut statuer[9]. Ensuite, la mesure administrative proposée par les parties, dans les limites des pouvoirs du Tribunal, doit permettre d’atteindre les objectifs poursuivis par la législation applicable[10].

[10]        Le Tribunal joue donc un rôle actif dans l’analyse qu’il effectue pour déterminer si un accord est « conforme à la loi ». Bien qu’il favorise le règlement d’une affaire par la conclusion d’un accord entre les parties, il n’est jamais tenu d’entériner un accord si, par exemple, celui-ci excède sa compétence ou ses pouvoirs, s’il est contraire à l’intérêt public ou qu’il est de nature à déconsidérer l’administration de la justice[11]. En d’autres mots, en raison de ses fonctions et pouvoirs, le Tribunal ne peut pas simplement se contenter d’estampiller un accord. Il doit veiller au maintien de l’intérêt public[12].

[11]        En l’espèce, en vertu de l’Accord, Catherine St-Pierre admet avoir commis les manquements décrits à l’acte introductif d’instance et contenus dans l’Accord[13].

[12]        Catherine St-Pierre admet avoir confectionné et transmis des baux fictifs, à la demande de son supérieur.

[13]        Ainsi, Catherine St-Pierre admet avoir manqué d’intégrité et avoir agi frauduleusement, contrairement à ses obligations déontologiques[14].

[14]        Selon ce qui précède, l’Accord permet d’établir que Catherine St-Pierre a commis des manquements à la LDPSF ainsi qu’au Règlement sur l’exercice des activités des représentants

[15]        Il convient maintenant d’analyser les Mesures administratives suggérées par les parties. Le Tribunal prend notamment en considération le fait que Catherine St-Pierre admet les manquements qui lui sont reprochés[15]. L’Accord découle de négociations entreprises entre les parties par leurs avocats respectifs. Catherine St-Pierre en comprend la portée et s’en déclare satisfaite[16].

[16]        Les parties soutiennent que les Mesures administratives reflètent les facteurs aggravants et atténuants habituellement pris en considération par le Tribunal[17]. Ces mesures tiennent notamment compte de la gravité des manquements commis par l’intimée, leur impact sur la réputation de la profession du courtage hypothécaire et sur la confiance du public et celle des institutions financières envers cette profession. Elles prennent aussi en considération la récurrence des manquements. D’autre part, les Mesures administratives tiennent également compte de la bonne collaboration de Catherine St-Pierre pour conclure un accord avec l’Autorité, de son degré de repentir et du fait qu’elle ne travaille plus dans le domaine du courtage hypothécaire, le risque de récidive étant donc faible.

[17]        L’Autorité réfère finalement le Tribunal à certaines décisions rendues par celui-ci[18] et elle affirme que les Mesures administratives suggérées respectent les précédents en la matière.

[18]        Le Tribunal rappelle que la LDPSF et ses règlements visent principalement à assurer la protection du public[19]. De plus, pour maintenir la confiance du public envers l’industrie du courtage hypothécaire, il s’avère essentiel que ses participants respectent les devoirs et obligations qui découlent de la législation applicable[20].

[19]        Dans l’atteinte de ces objectifs, le Tribunal peut exercer certains pouvoirs, dont ceux nécessaires à la mise en œuvre des Mesures administratives proposées par les parties[21]. Comme mentionné précédemment, le pouvoir d’intervention du Tribunal s’exerce en fonction de l’intérêt public et cette intervention est de nature protectrice et préventive[22]. Le Tribunal peut aussi tenir compte de la dissuasion générale et spécifique dans l’exercice de ce pouvoir[23].

[20]        Selon le Tribunal, les Mesures administratives suggérées par les parties sont raisonnables, car elles permettent d’atteindre les objectifs de la législation applicable, soit la protection du public et le maintien de la confiance du public dans l’industrie du courtage hypothécaire.

[21]        En effet, les circonstances de la présente affaire justifient notamment :

         L’imposition d’une pénalité administrative de 8 000 $ et

         Une suspension de son certificat dans la discipline de courtage hypothécaire pour une durée de deux (2) ans.

[22]        Les Mesures administratives reflètent les facteurs aggravants et atténuants habituellement pris en considération par le Tribunal[24]. Ces mesures sont aussi dissuasives, car elles ont pour effet de prévenir que les intimés commettent à nouveau les manquements précités et elles visent à décourager ou à empêcher toute personne susceptible de se retrouver dans une situation similaire[25].

[23]        À noter que le Tribunal considère que la fabrication de faux documents est un manquement grave qui affecte la confiance du public et ternit l’image des courtiers hypothécaires.

[24]        Le Tribunal conclut donc que l’Accord est conforme à la loi permettant ainsi de l’entériner dans l’intérêt public et de mettre en œuvre les Mesures administratives qui y sont consignées.

POUR CES MOTIFS, le Tribunal administratif des marchés financiers, dans l’intérêt public et en vertu des articles 93 et 97 al. 2 (6° et 7°) de la Loi sur l’encadrement du secteur financier et de l’article 115, de la Loi sur la distribution de produits et services financiers :

ENTÉRINE l’accord intervenu entre l’Autorité des marchés financiers et Catherine St-Pierre, le rend exécutoire et ordonne aux parties de s’y conformer ;

IMPOSE une pénalité administrative de huit mille dollars (8 000 $) à Catherine St-Pierre, payable selon les modalités prévues à l’accord ;

SUSPEND le certificat de Catherine St-Pierre dans la discipline de courtage hypothécaire pour une durée de deux (2) ans.

 

 

 

 

 

 

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Me Christine Dubé

Juge administrative

 

 

Mes Ève Demers et Laurie Noël

 

(Contentieux de l’Autorité des marchés financiers)

 

Pour l’Autorité des marchés financiers

 

 

 

Me Patrick J. Delisle

 

(Delisle Mathieu Avocats)

 

Pour l’intimée Catherine St-Pierre

 

 

 

Me Marc Sévigny-Morin

 

(Bernier Beaudry inc.)

 

(Pour l’intimé Éric Provost)

 

 

 

Date d’audience :

18 août 2025

 

 


 



[1]     RLRQ, c. D— 9.2.

[2]     RLRQ, c. D-9.2, r.10.

[3]     Une copie de l’accord est jointe à la présente décision.

[4]     RLRQ, c. E -6. 1.

[5]     LESF, art. 97 al. 2 (6 o).

[6]     LESF, art. 93 al. 2 ; Sharp c. Autorité des marchés financiers, 2023 CSC 29, par. 14.

[7]     Autorité des marchés financiers c. Moreau, 2021 QCTMF 51.

[8]     Autorité des marchés financiers c. Unissa Assurances inc., 2019 QCTMF 42, par. 60.

[9]     LESF, art. 93 al. 1.

[10]    Autorité des marchés financiers c. Moreau, 2021 QCTMF 51, par. 36.

[11]    Autorité des marchés financiers c. Moreau, 2021 QCTMF 51, par. 28, 31, 32 et 36.

[12]    LESF, art. 93 al. 2 ; La Souveraine, Compagnie d’assurance générale c. Autorité des marchés financiers, 2013 CSC 63 et Marston c. Autorité des marchés financiers, 2009 QCCA 2178.

[13]    Le Tribunal a également constaté que Catherine St-Pierre admet aussi les pièces mentionnées au soutien de l’acte introductif d’instance. Cependant, celles-ci n’ont pas été produites au dossier à ce stade. Nonobstant ce fait, la preuve offerte par les parties est suffisante pour permettre au Tribunal d’entériner l’accord. Voir à cet effet, la décision Autorité des marchés financiers c. Moreau, 2021 QCTMF 51, par 11 qui abonde dans le même sens.

[14]    Art. 16 de la LDPSF et art.16.2, 16.13 et 16.14 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants.

[15]    Accord, par. 2.

[16]    Accord, par. 15.

[17]    Autorité des marchés financiers c. Demers, 2006 QCBDRVM 17.

[18]    Autorité des marchés financiers c. Jamshaid, 2025 QCTMF 47 et Autorité des marchés financiers c. Laurent, 2022 QCTMF 66.

[19]    La Souveraine, Compagnie d’assurance générale c. Autorité des marchés financiers, 2013 CSC 63, par. 32 et Marston c. Autorité des marchés financiers, 2009 QCCA 2178, par. 52.

[20]    La Souveraine, Compagnie d’assurance générale c. Autorité des marchés financiers, 2013 CSC 63, par. 49.

[21]    LESF, art. 93 et 94 ; LDPSF, art. 115.

[22]    Comité pour le traitement égal des actionnaires minoritaires de la Société Asbestos Ltée c. Ontario (Commission des valeurs mobilières), 2001 CSC 37 et Sharp c. Autorité des marchés financiers, 2023 CSC 29, par. 84.

[23]    Cartaway Resources Corp. (Re), 2004 CSC 26.

[24]    Autorité des marchés financiers c. Demers, 2006 QCBDRVM 17.

[25]    Cartaway Resources Corp. (Re), 2004 CSC 26, par. 60 et Autorité des marchés financiers c. Moreau, 2021 QCTMF 51, par. 72.

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