Autorité des marchés financiers (Québec)

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Autorité des marchés financiers c. Ghani Shaikh

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DES MARCHÉS FINANCIERS

 

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

MONTRÉAL

 

 

 

DOSSIER N° :

2025-002

 

 

 

DÉCISION N° :

2025-002-001

 

 

 

DATE :

5 février 2025

 

______________________________________________________________________

 

 

 

 DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

CHANTAL DENOMMÉE

______________________________________________________________________

 

 

 

AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

 

Partie demanderesse

 

c.

 

SAALIM GHANI SHAIKH

Inscription no. 3069471

Certificat no. 208034

Partie intimée

 

______________________________________________________________________

 

 

 

DÉCISION

 

______________________________________________________________________

 

 

 

APERÇU

[1]  L’Autorité des marchés financiers (« l’Autorité ») a produit un Acte introductif de l’Autorité des marchés financiers demandant au Tribunal administratif des marchés financiers d’entériner un Accord. Il s’agit d’un Accord conclu entre l’Autorité et l’intimé Saalim Ghani Shaikh.

[2]  Durant l’audience du 29 janvier 2025, il a été démontré que malgré l’intitulé de la procédure, il s’agit d’une demande conjointe des parties adressée au Tribunal administratif des marchés financiers (« Tribunal ») visant à faire entériner le Settlement Agreement (« l’Accord ») conclu entre elles et mettre en œuvre leurs recommandations communes. Cet Accord est annexé à cette décision.

[3]  La procureure de Saalim Ghani Shaikh l’a fait témoigner et les procureurs de l’Autorité ont présenté au Tribunal les modalités de l’Accord.

[4]  La Loi sur l’encadrement du secteur financier prévoit que le Tribunal peut entériner un accord s’il est « conforme à la loi »[1].

[5]  Un accord est « conforme à la loi » s’il permet au Tribunal d’établir l’existence d’un manquement aux lois qui relèvent de sa compétence ou d’un acte contraire à l’intérêt public[2] selon les dispositions législatives applicables, et que les mesures administratives suggérées par les parties permettent d’atteindre les objectifs de protection du public et de dissuasion[3].

[6]  Le Tribunal doit déterminer si l’Accord conclu entre l’Autorité et Saalim Ghani Shaikh est conforme à la loi et conclu dans l’intérêt public, lui permettant ainsi de l’entériner et d’ordonner aux parties de s’y conformer.

[7]  Rappelons que le Tribunal joue un rôle actif dans l’analyse qu’il doit effectuer pour entériner ou non un accord. Il n’est jamais tenu d’accepter les conclusions d’un accord ni les recommandations communes qui lui sont proposées. De plus, il ne peut être contraint d’entériner un accord contraire à l’intérêt public ou de nature à déconsidérer l’administration de la justice.

Parties et Demande conjointe de l’Autorité et Saalim Ghani Shaikh

[8]  Saalim Ghani Shaikh est titulaire d’un certificat qui lui permet d’agir dans la discipline de l’assurance de personnes depuis le 18 septembre 2023 et d’une inscription qui lui permet d’agir comme représentant d’un courtier pour un courtier en épargne collective et d’un courtier en placement depuis 2014.

[9]  Toutefois, durant la période comprise entre le 4 novembre 2019 et le 6 décembre 2021, soit la période des manquements qui lui sont reprochés par l’Autorité, il n’était titulaire d’aucun certificat ni d’aucune inscription auprès de l’Autorité à quelque titre que ce soit.

[10]        Cet Accord contient les recommandations communes visant à imposer à Saalim Ghani Shaikh une pénalité administrative au montant de 4 500 $ en plus de mesures administratives, et ce, conformément aux articles 115 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers[4] et 273.1 de la Loi sur les valeurs mobilières[5]. Il contient également des engagements des parties.

 

ANALYSE

L’Accord conclu entre l’Autorité et Saalim Ghani Shaikh, est-il conforme à la loi, permettant au Tribunal de l’entériner en fonction de l’intérêt public et de mettre en œuvre les recommandations communes qu’il contient?

[11]        Pour les motifs ci-après exposés, le Tribunal répond oui à cette question et considère, suite au témoignage de Saalim Ghani Shaikh et aux arguments présentés, que l’Accord conclu entre l’Autorité et Saalim Ghani Shaikh est conforme à la loi et qu’il est dans l’intérêt public de l’entériner et d’ordonner la mise en œuvre des recommandations communes qu’il contient.

Manquements à la LVM et à la LDPSF et sa règlementation qui relèvent de la compétence du Tribunal

[12]        Le Tribunal rappelle que la LVM et la LDPSF ainsi que leurs règlements sont d’ordre public.  Leur objectif principal est la protection du public et du public investisseur[6]. Ils s’appliquent à toutes personnes qui y sont assujetties ainsi qu’à toute personne qui, par son acte ou omission, a aidé quelqu’un à contrevenir à une disposition de ces lois ou règlements.

[13]        Dans cette affaire, une enquête de l’Autorité permet de constater que des manquements aux dispositions de la LVM et de la LDPSF ainsi qu’à certains de ses règlements[7] ont été commis par Saalim Ghani Shaikh. 

[14]        L’Autorité reproche à Saalim Ghani Shaikh d’avoir, par ses agissements, aidé Omer Arif Naek (« Naek »), un représentant en placement inscrit auprès de l’Autorité, lequel se serait approprié des sommes qui appartenaient ses clients.

[15]        Elle lui reproche également d’avoir fait défaut de collaborer avec les enquêteurs de l’Autorité, en ne vérifiant pas l’exactitude de faits avant de les leur communiquer, ce qui les aurait induits en erreur.

[16]        Dans l’Accord et lors de son témoignage durant l’audience, Saalim Ghani Shaikh reconnaît avoir commis les manquements qui lui sont reprochés par l’Autorité, lesquels sont spécifiquement décrits dans l’Accord.

Témoignage de Saalim Ghani Shaikh

[17]        Lors de son témoignage, Saalim Ghani Shaikh déclare que Naek était un ami très proche de lui-même et de sa famille. Il le considérait même comme un membre de sa famille.

[18]        Son témoignage et les faits admis sont à l’effet qu’à la demande de Naek, il dépose dans le compte bancaire de Naek et dans ses propres comptes bancaires, des chèques et une traite bancaire, émis à son nom, qui lui sont remis par Naek. Il ajoute que Naek lui mentionne que ces chèques et cette traite bancaire sont tirés du compte bancaire d’amis qui lui font des dons.

[19]        Par la suite, il fait transiter les sommes ainsi déposées dans ses comptes bancaires pour qu’elles se retrouvent en possession de Naek et d’un tiers pour son bénéfice.  Ces sommes totaliseraient près de 90 000$.

[20]        Lors de son témoignage, il précise que la raison pour laquelle Naek lui demande de déposer des chèques dans ses comptes bancaires est, qu’il ne voulait devoir répondre aux questions de son employeur la Banque TD concernant les transactions dans son compte bancaire. Les comptes bancaires de Naek font l’objet d’une supervision de la Banque TD vu qu’il est inscrit auprès de l’Autorité pour exercer ses fonctions.

[21]        Il ajoute qu’il ignorait que les émetteurs des chèques n’étaient pas des amis de Naek, mais plutôt ses clients et que les chèques et la traite bancaire auraient été obtenus de manière frauduleuse, suite à l’enquête de l’Autorité.

[22]        Les faits admis par Saalim Ghani Shaikh établissent clairement qu’il a contrevenu à la LVM et la LDPSF ainsi qu’à certains de ses règlements, pour avoir utilisé ses comptes bancaires afin d’y faire transiter les sommes remises par Naek, ce qui aurait permis à celui-ci de s’approprier frauduleusement de sommes qui appartiennent à ses clients et pour avoir fait défaut de collaborer avec les enquêteurs de l’Autorité, en omettant de vérifier l’exactitude de faits avant de leur communiquer[8], ce qui les aurait induits en erreur.

[23]        Le Tribunal est d’avis que cet Accord satisfait la première condition et qu’il est conforme à la loi.

Caractère raisonnable des mesures proposées

[24]        Le Tribunal constate que les manquements commis par Saalim Ghani Shaikh sont graves.

[25]        Le Tribunal doit s’assurer que les pénalités et les mesures administratives demandées sont raisonnables, dans l’intérêt public et comportent un effet de dissuasion spécifique et générale. Le Tribunal a établi plusieurs critères qui doivent le guider dans l’établissement du montant d’une pénalité administrative et de mesures administratives. Ces critères doivent être évalués, au cas par cas, selon les circonstances de chaque affaire[9].

[26]        À la lumière de cette analyse, le Tribunal exerce sa discrétion d’entériner ou non un accord en fonction de l’intérêt public[10]. Dans son analyse, le Tribunal considère les critères contenus dans la décision Demers[11] pour évaluer les ordonnances qu’il rend en réponse à une contravention à la loi.

[27]        Afin d’entériner l’Accord, le Tribunal considère certains facteurs aggravants et atténuants.

[28]        À titre de facteur aggravant, le Tribunal considère que Saalim Ghani Shaikh est une personne inscrite auprès de l’Autorité depuis 2014 en épargne collective et en placement.  Par conséquent, il œuvre dans le domaine financier depuis plusieurs années et de l’avis du Tribunal il possède de par sa formation des connaissances qui auraient dû lui permettre de se questionner sur les explications fournies par Naek pour lui demander son aide pour déposer des chèques dans ses propres comptes, afin d’éviter que son employeur la Banque TD ne le questionne sur les activités de son compte.

[29]        Le Tribunal est d’avis que l’expérience et les connaissances acquises par Saalim Ghani Shaikh lors de l’exercice de ses fonctions auraient dû lui permettre de prendre très au sérieux le contenu des réponses qu’il devait fournir aux enquêteurs de l’Autorité en s’assurant de faire préalablement les vérifications nécessaires, afin d’éviter de les induire en erreur.

[30]        Le Tribunal considère également certains facteurs atténuants mentionnés durant l’audience à l’effet que Saalim Ghani Shaikh a collaboré avec l’Autorité afin de trouver avec celle-ci, sur une base consensuelle, un règlement de cette affaire avant l’institution de procédures juridiques.

[31]        Le Tribunal considère aussi que, tel que mentionné par les procureurs des parties durant l’audience et par le témoignage de Saalim Ghani Shaikj, en lien avec les manquements admis, Saalim Ghani Shaikh n’a soutiré ou reçu aucun avantage ou bénéfice financier en conséquence de ses agissements.

[32]        Enfin, le Tribunal note durant le témoignage de Saalim Ghani Shaiki un degré de repentir élevé.

Conclusion

[33]        Après avoir pris connaissance de l’Accord conclu entre l’Autorité et Saalim Ghani Shaikh et considéré la preuve et les arguments qui lui ont été présentés lors de l’audience du 29 janvier 2025, le Tribunal est d’avis que l’Accord est conforme à la loi et qu’il est dans l’intérêt public de l’entériner.

[34]        Le Tribunal considère que la pénalité administrative d’un montant de 4 500 $ est raisonnable, qu’elle satisfait aux critères de dissuasion spécifique et générale et qu’elle est représentative de l’importance qu’accorde le Tribunal aux manquements commis.

[35]        De plus, considérant les manquements commis par Saalim Ghani Shaikh, le Tribunal considère raisonnable et dans l’intérêt public de suspendre les droits qui lui sont conférés par son inscription et son certificat en assurance de personnes, pour une période de trente (30) jours, afin de les assortir d’une condition de compléter et réussir une formation à convenir avec l’Autorité.

POUR CES MOTIFS, le Tribunal administratif des marchés financiers, dans l’intérêt public, en vertu des articles 93, 94 et 97 al. 2 (6° et 7°) de la Loi sur l’encadrement du secteur financier, des articles 152 et 273.1 de la Loi sur les valeurs mobilières et de l’article 115 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers :

ACCUEILLE la demande de l’Autorité des marchés financiers;

ENTÉRINE l’Accord conclu entre l’Autorité des marchés financiers et Saalim Ghani Shaikh, PREND ACTE des engagements qu’il contient, le rend exécutoire et ORDONNE aux parties de s’y conformer;

PREND ACTE des admissions de Saalim Ghani Shaikh, telles que stipulées dans l’Accord intitulé « Settlement Agreement »;

SUSPEND les droits conférés par l’inscription de Saalim Ghani Shaikh, portant le numéro 3069471 et le certificat portant le numéro 208034 en assurance de personnes de ce dernier, pour une période de 30 jours;

ASSORTIT les droits d’exercice de Saalim Ghani Shaikh portant les numéros 3069471 et 208034 de la condition suivante :

Le représentant doit, avant que tout certificat ou droit d’exercice à son égard soit remis en vigueur, compléter et réussir une formation à convenir avec l’Autorité, laquelle ne pourra être comptabilisée dans le calcul des unités de formation continue;

Le représentant doit, dans les 30 jours de la réussite de cette formation, transmettre à l’Autorité l’attestation de réussite de la formation.

IMPOSE à Saalim Ghani Shaikh une pénalité administrative au montant de 4 500 $;

AUTORISE l’Autorité des marchés financiers à percevoir le paiement de la pénalité administrative imposée.

 

 

 

 

__________________________________

Chantal Denommée

Juge administrative

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Mathieu Hamel et Me Catherine Boilard

 

(Contentieux de l’Autorité des marchés financiers)

 

Pour l’Autorité des marchés financiers

 

 

 

 

Me Aurélie Gauthier

 

(Langlois avocats, s.e.n.c.r.l..)

 

Pour Saalim Ghani Shaikh

 

 

 

 

 

 

 

Date d’audience :

29 janvier 2025

 

 










[1]     RLRQ, c. E-6.1, art. 97 al. 2 (6o) (« LESF »).

[2]     Comité pour le traitement égal des actionnaires minoritaires de la Société Asbestos ltée c. Ontario (Commission des valeurs mobilières), 2001 CSC 37, par. 39 [Asbestos] ; Re Canadian Tire Corp., (1987) Vol. XVIII, no. 14, BCVMQ, A1, 1987 LNONOSC 47, conf. par (1987), 59 O.R. (2 d) 79.

[3]     Autorité des marchés financiers c. Moreau, 2021 QCTMF 51.

[4]     RLRQ, c. D-9.2 (« LDPSF »).

[5]     RLRQ, c. V-1.1. (« LVM »).

[6]     Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557.

[7]     Art. 208 LVM, art. 491 LDPSF, art. 22 du Code de déontologie de la chambre de la sécurité financière, RLRQ, D-9.2, r. 3, art. 20 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières, RLRQ, c. D-9.2, 7.1.

[8]     Voir les paragraphes 14 et 15 de la décision.

[9]     Autorité des marchés financiers c. Demers, 2006 QCBDRVM 17.

[10]    Art. 93 de la LESF. L’expression « intérêt public » inclut la protection des investisseurs, l’efficacité des marchés financiers ainsi que la préservation de la confiance du public en la protection des investisseurs et l’efficacité des marchés : Comité pour le traitement égal des actionnaires minoritaires de la Société Asbestos Ltée c. Ontario (Commission des valeurs mobilières), 2001 CSC 37; Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557.

[11]    Autorité des marchés financiers c. Demers, 2006 QCBDRVM 17.

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