Autorité des marchés financiers (Québec)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Autorité des marchés financiers c. Mica Capital inc.

2025 QCTMF 6

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DES MARCHÉS FINANCIERS

 

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

MONTRÉAL

 

 

 

DOSSIER N° :

2024-025

 

 

 

DÉCISION N° :

2024-025-001

 

 

 

DATE :

31 janvier 2025

 

______________________________________________________________________

 

 

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

JEAN-NICOLAS BOUTIN-WILKINS

______________________________________________________________________

 

 

 

AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

 

Partie demanderesse

 

c.

 

MICA CAPITAL INC.

 

et

 

MICA SERVICES FINANCIERS INC.

 

Parties intimées

 

______________________________________________________________________

 

 

 

DÉCISION

(demande d’entériner un accord)

 

______________________________________________________________________

 

 

 

APERÇU

[1]  Le Tribunal est saisi d’une demande présentée par les parties afin d’entériner un accord qui vise le règlement de la présente affaire (« Accord »)[1]. Il doit déterminer si l’Accord est « conforme à la loi »[2] permettant de l’entériner dans l’intérêt public[3] et de mettre en œuvre les mesures administratives suggérées par les parties.

[2]  Cette affaire découle d’un acte introductif (« Acte introductif ») déposé par l’Autorité des marchés financiers (« Autorité ») à l’encontre de MICA Capital inc. et MICA Services financiers inc. (collectivement les « Intimées »). Les Intimées sont toutes deux inscrites auprès de l’Autorité, et ce, dans différentes disciplines.

[3]           L’Acte introductif fait état de manquements à la Loi sur la distribution de produits et services financiers[4] (« LDPSF ») et à la Loi sur les valeurs mobilières[5] (« LVM »). Essentiellement, les Intimées auraient conclu des ententes de règlement avec des clients insatisfaits des services offerts par un de leurs représentants. Dans ces ententes, les clients doivent notamment déclarer ne pas avoir déposé de plainte auprès de l’Autorité et renoncer à le faire pour l’avenir. Les clients doivent aussi renoncer à introduire tout recours contre les sociétés ou les représentants concernés (« Clause de renonciation »).

[4]           Dans l’Accord, les Intimées admettent que l’utilisation de la Clause de renonciation constitue une conduite en contravention avec la LDPSF et la LVM. Les Intimées s’engagent à ne plus inclure une clause de cette nature dans leurs ententes de règlement et consentent à payer chacune une pénalité administrative de 13 000 $ (« Mesures administratives »)[6].

[5]           Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que l’Accord est « conforme à la loi » et qu’il est dans l’intérêt public de l’entériner pour mettre en œuvre les Mesures administratives.

ANALYSE

[6]  Le cadre juridique applicable pour entériner un accord a été énoncé à plusieurs reprises par le Tribunal[7].

[7]  Essentiellement, un accord est « conforme à la loi » s’il permet d’établir la compétence du Tribunal notamment par la démonstration d’un manquement ou d’un acte contraire à l’intérêt public qui relève d’une loi sur laquelle il peut statuer[8]. Ensuite, la mesure administrative suggérée par les parties, dans les limites des pouvoirs du Tribunal, doit permettre d’atteindre les objectifs poursuivis par la législation applicable[9].

[8]  Par ailleurs, bien que le Tribunal favorise la conclusion d’un accord pour régler une affaire, il n’est pas tenu de l’entériner si, par exemple, celui-ci excède sa compétence ou ses pouvoirs, s’il est contraire à l’intérêt public ou qu’il est de nature à déconsidérer l’administration de la justice[10].

[9]  Pour ces raisons, le Tribunal doit procéder à une analyse active d’un accord qui lui est soumis, laquelle est tributaire des faits et circonstances de chaque affaire[11].

[10]        Qu’en est-il en l’espèce?

[11]        Tout d’abord, les Intimées reconnaissent dans l’Accord certains faits, dont ceux mentionnés ci-dessous.

[12]        MICA Capital inc. est inscrite à titre de courtier sur le marché dispensé, courtier en épargne collective ainsi qu’à titre de cabinet en assurances de personnes. MICA Services financiers inc. est inscrite à titre de cabinet en assurances de personnes, de même qu’en assurance collective de personnes.

[13]        Dans le cadre de ses activités, l’Autorité constate l’utilisation par les Intimées de la Clause de renonciation dans des ententes de règlement intervenues avec certains clients.

[14]        L’Autorité ouvre un dossier d’enquête au mois de décembre 2020. Ses démarches d’enquête lui permettent de constater qu’entre 2018 et 2020, dix (10) clients insatisfaits des services reçus par des représentants des Intimées concluent des ententes de règlement avec ces dernières. Ces ententes contiennent la Clause de renonciation.

[15]        Au cours de l’année 2021, l’Autorité avise les Intimées de sa position concernant l’utilisation de la Clause de renonciation. Les Intimées modifient alors sans délai les termes utilisés dans leurs ententes de règlement.

[16]        Au mois d’octobre 2024, l’Autorité dépose l’Acte introductif, ce qui mène les parties à conclure l’Accord.

[17]        De plus, les parties conviennent dans l’Accord que l’utilisation de la Clause de renonciation « s’apparente à une manière d’éluder ou de tenter d’éluder la responsabilité du cabinet et/ou des représentants ce qui contrevient à la LVM et à la LDPSF ». Les parties conviennent aussi que « les termes de ces conventions de règlement comportaient ou pouvaient paraître comporter une renonciation pour l’avenir à déposer quelque plainte ou recours que ce soit auprès de quelque autorité ou organisme »[12].

[18]        Plus précisément, les Intimées admettent que l’utilisation de la Clause de renonciation constitue une conduite en contravention avec les articles 16, 84, 85 et 86 LDPSF ainsi qu’avec l’article 160 LVM[13].

[19]        Il est à noter que lors de la présentation de l’Accord, l’Autorité met surtout l’emphase sur les devoirs de supervision et de loyauté prévus aux articles 16 et 85 LDPSF ainsi qu’à l’article 160 LVM. Il appert de ces articles qu’un cabinet doit veiller à la discipline de ses représentants et s’assurer qu’ils agissent en conformité avec la législation, et; un courtier ou un représentant doit agir de bonne foi et avec honnêteté, équité et loyauté avec ses clients.

[20]        Selon le Tribunal, l’Accord permet d’établir sa compétence par la démonstration de manquements qui relèvent de lois sur lesquelles il peut statuer. Il convient maintenant d’analyser les Mesures administratives suggérées par les parties.

[21]        À cet égard, il importe de rappeler que la LDPSF et la LVM ont pour objectif de protéger le public en encadrant ces secteurs d’activités et ses participants. Pour maintenir la confiance du public envers ces secteurs, il s’avère essentiel que ses participants respectent les devoirs et obligations qui découlent de ces lois[14].

[22]        Pour atteindre ces objectifs, le Tribunal peut exercer ses fonctions et pouvoirs prévus par la législation, dont ceux nécessaires à la mise en œuvre des Mesures administratives proposées par les parties[15]. Ces pouvoirs d’intervention, qui s’exercent en fonction de l’intérêt public, sont de nature protectrice et préventive[16].

[23]        En l’espèce, le Tribunal constate que les Intimées consentent aux Mesures administratives, qu’elles en comprennent la portée et s’en déclarent satisfaites[17]. Ces mesures découlent de négociations entreprises entre les avocats des parties.

[24]        De plus, les Mesures administratives reflètent les facteurs aggravants et atténuants habituellement analysés par le Tribunal[18]. Par exemple : la gravité et la récurrence des manquements, de même que la collaboration des Intimées, l’absence de mauvaise foi de leur part, d’appropriation de biens ou de fonds ou encore d’un préjudice financier pour les clients concernés. Enfin, les Intimées font preuve de proactivité en modifiant leurs ententes de règlement, et ce, dès que l’Autorité les avise de sa position quant à la Clause de renonciation[19].

[25]        Selon le Tribunal, les circonstances de la présente affaire justifient d’imposer aux Intimées une pénalité administrative de 13 000 $ à chacune de celles-ci. Les circonstances justifient aussi de prendre acte de leurs engagements de cesser d’utiliser, dans une entente de règlement, toute clause exigeant d’un client qu’il déclare ne pas avoir déposé de plaintes auprès d’un quelconque organisme et renonce à le faire dans le futur[20].

[26]        Dans l’ensemble, les Mesures administratives s’avèrent raisonnables, car elles permettent d’atteindre les objectifs des législations applicables, soit la protection du public et le maintien de la confiance du public dans le système. Ces mesures sont finalement dissuasives, car elles ont pour effet de prévenir que les Intimées commettent à nouveau les manquements précités et, elles visent à décourager ou à empêcher toute personne susceptible de se retrouver dans une situation similaire[21].

[27]        Par conséquent, le Tribunal conclut que l’Accord est « conforme à la loi » et qu’il est dans l’intérêt public de l’entériner pour mettre en œuvre les Mesures administratives.

POUR CES MOTIFS, le Tribunal administratif des marchés financiers, en vertu des articles 93, 94 et 97 de la Loi sur l’encadrement du secteur financier, de l’article 115 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et de l’article 273.1 de la Loi sur les valeurs mobilières :

ENTÉRINE l’accord intervenu entre l’Autorité des marchés financiers, MICA Capital inc. et MICA Services financiers inc., PREND ACTE des engagements qu’il contient, le REND exécutoire et ORDONNE aux parties de s’y conformer;

IMPOSE à Mica Capital inc. une pénalité administrative de 13 000 $ payable selon les modalités prévues à l’accord;

IMPOSE à Mica Services financiers inc. une pénalité administrative de 13 000 $ payable selon les modalités prévues à l’accord.

 

 

 

 

__________________________________

Jean-Nicolas Boutin-Wilkins

Juge administratif

 

 

 

 

Madame Laurie Noël (Stagiaire) et Me Suzie Cloutier

(Contentieux de l’Autorité des marchés financiers)

Pour l’Autorité des marchés financiers

 

Me Yvan Morin

Pour Mica capital inc. et Mica services financiers inc.

 

 

 

 

Date d’audience :

24 janvier 2025

 








[1]     Une copie de l’Accord est jointe à la présente décision.

[2]     RLRQ, c. E-6.1 (« LESF »), art. 97 al. 2 (6o).

[3]     LESF, art. 93 al. 2.

[4]     RLRQ, c. D -9.2.

[5]     RLRQ, c. V-1.1.

[6]     Accord, par. 11 à 14.

[7]     Voir par exemple Autorité des marchés financiers c. Moreau, 2021 QCTMF 51.

[8]     LESF, art. 93 al. 1.

[9]     Autorité des marchés financiers c. Moreau, 2021 QCTMF 51, par. 36.

[10]    Autorité des marchés financiers c. Moreau, 2021 QCTMF 51, par. 28, 31, 32 et 36.

[11]    Autorité des marchés financiers c. Unissa Assurances inc., 2019 QCTMF 42, par. 60.

[12]    Accord, par. 3 et 4.

[13]    Accord, par. 2 et 5 à 7.

[14]    La Souveraine, Compagnie d’assurance générale c. Autorité des marchés financiers, [2013] 3 R.C.S. 756, par. 32 et 49; British Columbia Securities Commission c. Branch, [1995] 2 R.C.S. 3, par. 77.

[15]    LESF, art. 93, 94 et 97; LDPSF, art. 115; LVM, art. 273.1.

[16]    Comité pour le traitement égal des actionnaires minoritaires de la Société Asbestos Ltée c. Ontario (Commission des valeurs mobilières), [2001] 2 R.C.S. 132.

[17]    Accord, par. 11 à 14, 16.

[18]    Autorité des marchés financiers c. Demers, 2006 QCBDRVM 17.

[19]    Accord, par. 8 à 10.

[20]    Accord, par. 12 et 14.

[21]    Cartaway Resources Corp. (Re), [2004] 1 R.C.S. 672, par. 60; Autorité des marchés financiers c. Moreau, 2021 QCTMF 51, par. 72.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.