Autorité des marchés financiers (Québec)

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Autorité des marchés financiers c. Mouloudi

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DES MARCHÉS FINANCIERS

 

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

MONTRÉAL

 

 

 

DOSSIER N° :

2019-003

 

 

 

DÉCISION N° :

2019-003-007

 

 

 

DATE :

14 juin 2022

 

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EN PRÉSENCE DE :

Me JEAN-PIERRE CRISTEL

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AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

 

Partie demanderesse

 

c.

 

YOUSSEF MOULOUDI, domicilié et résidant au [...], Brossard (Québec) [...]

 

Partie intimée

 

et

BANQUE TD, personne morale légalement constituée, ayant une succursale sise au 3720, boulevard des Sources, Dollard-des-Ormeaux (Québec), H9B 1Z9

et

BANQUE TD, personne morale légalement constituée, ayant une succursale sise au 2220, boulevard Lapinière, suite 100, Brossard (Québec), J4W 1M2

 

Parties mises en cause

 

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DÉCISION

 

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APERÇU

[1]  L’Autorité des marchés financiers (« Autorité ») est l’organisme responsable de l’application de la Loi sur la distribution de produits et services financiers[1]. L’Autorité exerce les fonctions et les pouvoirs qui y sont prévus, et ce, conformément à l’article 7 de la Loi sur l’encadrement du secteur financier[2].

[2]  L’intimé Youssef Mouloudi est un résident du Québec. Il a déjà détenu un certificat en vertu de la Loi sur la distribution de produits et services financiers lui permettant d’agir à titre de représentant en assurance de dommages.

[3]  L’Autorité lui reproche d’avoir commis en 2018 de nombreux manquements (i) à l’article 469.2 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers en ayant contrevenu aux ordres d’exécution de ses clients, (ii) à l’article 469.1 de cette loi en ayant communiqué à des clients des informations fausses concernant leur couverture d’assurance, et (iii) à l’article 37(8) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages[3] en s’étant approprié à des fins personnelles de l’argent qui lui avait été confié par des clients dans l’exercice de son mandat.

[4]  Lors de l’audience qui s’est tenue le 13 juin 2022, les avocates de l’Autorité et l’intimé Youssef Mouloudi ont informé le Tribunal qu’ils ont conclu un accord visant à mettre fin à la présente affaire. Cet accord contient des recommandations communes des parties, notamment à l’égard de l’intimé Youssef Mouloudi.

[5]  Ainsi, l’accord recommande au Tribunal d’imposer à l’intimé Youssef Mouloudi une pénalité administrative, de nature dissuasive, au montant de 15 000 $ et de lui interdire d'agir, directement ou indirectement, comme administrateur, dirigeant ou dirigeant responsable d’un cabinet pour une période de cinq (5) ans. De plus, cet accord demande au Tribunal de lever l’ordonnance générale de blocage actuellement en vigueur à l’encontre de l’intimé Youssef Mouloudi de même que les ordonnances spécifiques de blocage concernant les comptes bancaires qu’il détient auprès de deux succursales de la Banque TD, lesquelles sont des mises en cause dans le cadre de la présente affaire.

[6]  À cet égard, le Tribunal rappelle qu’il a initialement prononcé, le 26 février 2019, ces ordonnances de blocage - de nature conservatoire - à la demande de l’Autorité, et ce, dans le cadre d’une enquête entreprise par celle-ci, notamment à l’égard de l’intimé Youssef Mouloudi.

[7]  La question en litige est donc la suivante : Le Tribunal doit-il, dans l’intérêt public, entériner l’accord conclu entre l’Autorité et l’intimé Youssef Mouloudi et ainsi mettre en œuvre les recommandations communes qu’il contient à son égard et à l’égard des mises en cause?

[8]  Dans la présente affaire, le Tribunal a répondu « oui » à cette question en litige, et ce, pour les motifs ci-après exposés.

ANALYSE

Question en litige : Le Tribunal doit-il, dans l’intérêt public, entériner l’accord conclu entre l’Autorité et l’intimé Youssef Mouloudi et ainsi mettre en œuvre les recommandations communes qu’il contient à son égard et à l’égard des mises en cause?

[9]  Après avoir pris connaissance de l’accord conclu entre l’Autorité et l’intimé Youssef Mouloudi le 13 juin 2022, le Tribunal décide qu’il est dans l’intérêt public de l’entériner et de mettre en œuvre les recommandations communes qu’il contient à l’égard de cet intimé et des mises en cause. Une copie de cet accord est jointe à la présente décision.

[10]        Le Tribunal rappelle qu’il n’est jamais tenu d’accepter les conclusions d’un accord intervenu entre les parties ni les suggestions communes qui lui sont proposées. De plus, chaque dossier doit être évalué à la lumière de ses particularités.

[11]        Le Tribunal doit également déterminer si les pénalités administratives et autres mesures demandées à l’encontre d’un intimé sont raisonnables afin d’assurer la protection du public[4] et, à cet égard, il a considéré plusieurs critères[5].

[12]        Dans la présente affaire, l’intimé Youssef Mouloudi a admis les faits et les manquements contenus dans l’accord susmentionné. Il a aussi consenti au dépôt de toutes les pièces[6] mentionnées au soutien de la demande et en a admis le contenu.

[13]        Le Tribunal constate que les manquements commis par l’intimé Youssef Mouloudi en 2018 sont graves.

[14]        Celui-ci a d’abord commis des manquements à l’article 469.2 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers en contrevenant explicitement à des ordres d’exécution provenant de cinq de ses clients.

[15]        Il a aussi commis des manquements à l’article 469.1 de cette loi en communiquant à plusieurs clients des informations fausses concernant leur couverture d’assurance et à l’article 37(8) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages[7] en s’appropriant - pour à fins personnelles - de l’argent qui lui avait été confié par des clients dans l’exercice de son mandat.

[16]        À cet égard, le Tribunal souligne que l’intimé Youssef Mouloudi a indiqué à trois de ses clients que les primes qu’ils avaient à payer pour leurs polices d’assurance étaient beaucoup plus élevées que ce qui était réellement le cas et il s’est, rien de moins, qu’approprié la différence - entre les sommes que lui ont remises ces clients pour payer leurs primes et les sommes réellement dues aux assureurs - à des fins personnelles.

[17]        Qui plus est, dans un autre cas, il a transmis une confirmation à un client qu’une police d’assurance lui serait émise alors qu’il a encaissé dans son compte bancaire personnel la somme que ce client lui avait donnée pour payer l’assureur, le tout laissant ce client sans assurance contre des risques dont la matérialisation aurait pu entraîner des coûts très importants pour ce client.   

[18]        Le Tribunal constate que tous les clients qui ont été victimes de ces manquements sont des personnes vulnérables.

[19]        Selon la preuve présentée, l’intimé Youssef Mouloudi s’est illégalement approprié, à des fins personnelles et à la suite de ces manquements à la Loi sur la distribution de produits et services financiers, une somme totale de plus de 2 000 $.

[20]        Le Tribunal est d’avis que le comportement démontré par l’intimé Youssef Mouloudi dans le cadre de ces manquements est inacceptable et qu’il ne saurait être toléré.

[21]        À cet égard, le Tribunal rappelle qu’il est essentiel de maintenir la confiance du public envers l’ensemble du cadre réglementaire qui entoure les services financiers offerts dans le domaine stratégique de l’assurance.  

[22]        Le Tribunal souligne que le régime d’inscription mis en place par la Loi sur la distribution de produits et services financiers et ses règlements d’application constitue un élément essentiel mis en place par le législateur, le gouvernement et le régulateur dans le but de protéger le public dans le secteur des assurances. Ce régime vise, en particulier, à assurer le public que les représentants en assurance agissent - en tout temps - avec compétence, professionnalisme, honnêteté et loyauté dans leurs relations avec leurs clients[8].

[23]        L’accord conclu entre l’Autorité et l’intimé Youssef Mouloudi contient une suggestion commune des parties visant à imposer à cet intimé une pénalité administrative au montant de 15 000 $, conformément à l’article 115 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, ainsi qu’une interdiction d'agir, directement ou indirectement, comme administrateur, dirigeant ou dirigeant responsable d’un cabinet pour une période de cinq (5) ans, et ce, conformément à l’article 115.1 de cette loi.

[24]        Par ailleurs, comme cet accord a pour but de mettre fin à la présente affaire, les parties demandent au Tribunal, conformément à l’article 115.7 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, de lever l’ordonnance générale de blocage actuellement en vigueur à l’encontre de l’intimé Youssef Mouloudi de même que les ordonnances spécifiques de blocage concernant les comptes bancaires qu’il détient auprès des deux succursales de la Banque TD qui sont des mises en cause dans le présent dossier.

[25]        À cet égard, le Tribunal rappelle qu’il a initialement prononcé, le 26 février 2019, en vertu de l’article 115.3  de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, ces ordonnances de blocage - de nature conservatoire - à la demande de l’Autorité, et ce, dans le cadre d’une enquête alors entreprise par celle-ci, notamment à l’égard de l’intimé Youssef Mouloudi.

[26]        Dans l’appréciation des recommandations contenues dans l’accord susmentionné, le Tribunal a notamment pris en considération les facteurs atténuants suivants. L’intimé Youssef Mouloudi n’a pas d’antécédent de manquements à la Loi sur la distribution de produits et services financiers et il a collaboré avec le régulateur afin d’en arriver à un accord négocié mettant fin au présent litige et contenant des recommandations visant à protéger adéquatement l’intérêt public.

[27]        Après avoir pris connaissance de l’accord et considéré les représentations effectuées par les avocates de l’Autorité et par l’intimé Youssef Mouloudi, lors de l’audience susmentionnée, le Tribunal est d’avis que cet accord est « conforme à la loi » en ce qu’il permet d’établir clairement l’existence de manquements à la Loi sur la distribution de produits et services financiers de la part de l’intimé.

[28]        Par ailleurs, après avoir tenu compte du nombre et de la gravité des manquements commis par celui-ci, le Tribunal considère raisonnable la recommandation commune de lui imposer - à titre de mesures dissuasives, préventives et protectrices - la pénalité administrative et l’ordonnance d’interdiction susmentionnées, lesquelles permettent d’assurer la protection du public en rencontrant les objectifs de dissuasion spécifique et générale.

[29]        Par conséquent, après avoir dûment considéré les termes de l’accord conclu entre l’Autorité et l’intimé Youssef Mouloudi dans le cadre de la présente affaire ainsi que l’argumentation présentée par les parties, le Tribunal est prêt dans l’intérêt public à entériner cet accord et à mettre en œuvre les recommandations communes qu’il contient.    

POUR CES MOTIFS, le Tribunal administratif des marchés financiers, dans l’intérêt public et en vertu des articles 93 et 97 al. 2 (6° et 7°) de la Loi sur l’encadrement du secteur financier[9] ainsi que des articles 115, 115.1, 115.3 et 115.7 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers[10] :

ENTÉRINE l’accord intervenu entre l’Autorité des marchés financiers et l’intimé Youssef Mouloudi le 13 juin 2022, le rend exécutoire et ordonne aux parties de s’y conformer;

IMPOSE une pénalité administrative de quinze mille dollars (15 000 $) à l’intimé Youssef Mouloudi, payable selon les modalités prévues à l’accord intervenu;

INTERDIT à l’intimé Youssef Mouloudi d’agir, directement ou indirectement, comme administrateur, dirigeant ou dirigeant responsable d’un cabinet, et ce, pour une période de cinq (5) ans;

LÈVE l’ordonnance de blocage générale prononcée le 26 février 2019[11], et ce, uniquement pour l’intimé Youssef Mouloudi;

LÈVE les ordonnances de blocage spécifiques prononcées le 26 février 2019[12] visant les sommes ou les biens suivants :

         Tout compte bancaire ouvert au nom de l’intimé Youssef Mouloudi détenu auprès de la Banque TD, à la succursale sise au 3720, boulevard des Sources, Dollard-des-Ormeaux (Québec), H9B 1Z9, dont notamment les comptes bancaires portant les numéros [...] et [...], ou tout coffret de sûreté au nom de l’intimé Youssef Mouloudi;

         Tout compte bancaire ouvert au nom de l’intimé Youssef Mouloudi détenu auprès de la Banque TD, à la succursale sise au 2220, boulevard Lapinière, suite 100, Brossard (Québec), J4W 1M2, dont notamment les comptes bancaires portant les numéros [...] et [...], ou tout coffret de sûreté au nom de l’intimé Youssef Mouloudi;

ORDONNE à l’Autorité des marchés financiers de notifier la présente décision aux parties.

 

 

 

 

 

__________________________________

Me Jean-Pierre Cristel

Juge administratif

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Catherine Boilard et Me Amélie Roy

(Contentieux de l’Autorité des marchés financiers)

Pour l’Autorité des marchés financiers

 

Youssef Mouloudi, comparaissant personnellement

 

 

 

Date d’audience :

13 juin 2022

 



[1]     RLRQ, c. D-9.2.

[2]     RLRQ, c. E-6.1.

[3]     RLRQ, c. D-9-2, r. 5.

[4]     Notamment Mizrahi c. Autorité des marchés financiers, 2009 QCCQ 10542.

[5]     Notamment Autorité des marchés financiers c. Demers, 2006 QCBDRVM 17.

[6]     D-1 à D-17, D-20 à D-25, D-29 à D-36, D-41 à D-43, D-46 à D-48, D-62 à D-69, D-74 à D-79, D-86 et D-87.

[7]     RLRQ, c. D-9-2, r. 5.

[8]     Article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

[9]     RLRQ, c. E-6.1.

[10]    RLRQ, c. D-9.2.

[11]    Autorité des marchés financiers c. Évolution Québec inc., 2019 QCTMF 9.

[12]    Id.

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