Autorité des marchés financiers (Québec)

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Autorité des marchés financiers c. Baillargeon Bouchard

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DES MARCHÉS FINANCIERS

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

MONTRÉAL

 

DOSSIER N° :

2020-002

 

DÉCISION N° :

2020-002-002

 

DATE :

21 décembre 2021

EN PRÉSENCE DE :

Me ANTONIETTA MELCHIORRE

AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

Partie demanderesse

c.

FRANÇOIS BAILLARGEON BOUCHARD

et

9347-6760 QUÉBEC INC.

Parties intimées

et

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

et

FÉDÉRATION DES CAISSES DESJARDINS DU QUÉBEC

Parties intervenantes

DÉCISION SUR LA DEMANDE DES INTIMÉS EN LEVÉE DES ORDONNANCES PROVISOIRES

APERÇU

[1]           Les intimés François Baillargeon Bouchard et 9347-6760 Québec inc., faisant affaire sous la raison sociale « Groupe financier Bouchard » (le « Groupe financier Bouchard ») demandent au Tribunal administratif des marchés financiers (le « Tribunal ») de lever certaines ordonnances provisoires que ce dernier a prononcées le 28 janvier 2021 à leur égard[1].

[2]          Plus particulièrement, ils demandent la levée des ordonnances provisoires relatives à la suspension immédiate des certificats d’exercice de François Baillargeon Bouchard, à l’interdiction d’opérations sur valeurs pour le compte d’autrui toujours à l’égard de François Baillargeon Bouchard et à la nomination d’un nouveau dirigeant responsable pour le Groupe financier Bouchard.

[3]          Selon François Baillargeon Bouchard et Groupe financier Bouchard, il n’est plus nécessaire de maintenir les ordonnances prononcées par le Tribunal. La protection du public n’exige plus la suspension des droits d’exercice de François Baillargeon Bouchard en tant que représentant en assurances de personnes et en épargne collective ni les autres mesures imposées par le Tribunal.

[4]          L’Autorité des marchés financiers (l’« Autorité ») ne conteste pas la demande de François Baillargeon Bouchard ni de Groupe financier Bouchard[2].

[5]          Le Tribunal devra déterminer s’il est nécessaire de maintenir les ordonnances prononcées par lui dans le but d’assurer la protection du public.

[6]          Le Tribunal accepte de lever les ordonnances demandées par François Baillargeon Bouchard et Groupe financier Bouchard. La situation qui prévalait au moment où le Tribunal a prononcé les ordonnances a changé.

[7]          L’enquête de l’Autorité qui portait sur les faits et circonstances qui ont justifié le prononcé des ordonnances est terminée. L’Autorité n’a institué aucune autre procédure à l’égard de François Baillargeon Bouchard ou de Groupe financier Bouchard.

[8]          Les ordonnances prononcées par le Tribunal pouvaient être révisées notamment suivant une décision finale du Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (« CSF »). Or celui-ci a rendu une décision qui est considérée finale. François Baillargeon Bouchard a purgé la peine imposée par le Comité de discipline de la CSF.

[9]          De plus, les procédures pénales instituées par l’Autorité contre François Baillargeon Bouchard dans lesquelles l’Autorité lui reproche d’avoir tenté d’entraver les fonctions d’un représentant de l’Autorité dans le cours d’une enquête sont terminées. François Baillargeon Bouchard a accepté de payer l’amende imposée par la Cour du Québec.

[10]       La protection du public ne nécessite plus le maintien des ordonnances dont François Baillargeon Bouchard et Groupe financier Bouchard souhaitent la levée. 

ANALYSE

[11]       La décision du Tribunal dans laquelle il a prononcé plusieurs ordonnances provisoires à l’égard de François Baillargeon Bouchard et Groupe financier Bouchard a été rendue dans le cadre d’une enquête de l’Autorité qui visait à faire la lumière sur l’acquisition et l’utilisation de listes de prospection contenant des renseignements confidentiels sur des clients de la Fédération des Caisses Desjardins du Québec (« Desjardins ») entre février 2017 et septembre 2019.

[12]       Le Tribunal a prononcé les ordonnances provisoires en vertu de l’article 97 al. 2, par. 3o de la Loi sur l’encadrement du secteur financier[3] (la « LESF ») qui lui donne le pouvoir de rendre toute ordonnance, y compris une ordonnance provisoire lorsque la protection du public l’exige.

[13]       De plus, tant l’article 115 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers[4] (la «  LDPSF ») que l’article 152 de la Loi sur les valeurs mobilières[5] (la « LVM ») prévoient spécifiquement le pouvoir du Tribunal de suspendre un certificat d’exercice ou des droits d’inscription lorsque la protection du public l’exige ou lorsque l’intérêt public le justifie.

[14]       Finalement, en ce qui concerne l’interdiction d’opérations sur valeurs, le pouvoir du Tribunal de prononcer ces ordonnances se retrouve notamment à l’article 265 de la LVM.

[15]       Tel que précisé dans la décision du Tribunal prononçant les ordonnances provisoires, la notion fondamentale qui justifie les ordonnances qu’il rend est la protection du public qui est au cœur de l’exercice de sa compétence[6].

[16]       Dans sa décision, le Tribunal a conclu qu’en raison des circonstances entourant l’achat et l’utilisation des listes contenant des renseignements personnels sur des clients de Desjardins, la protection du public exigeait une suspension immédiate du droit de François Baillargeon Bouchard d’exercer ses activités en assurance de personnes et en épargne collective. Par ailleurs, le Tribunal a également tenu compte des circonstances entourant les informations données aux enquêteurs de l’Autorité afin d’ordonner la suspension immédiate de François Baillargeon Bouchard.

[17]       D’après le Tribunal sur la base d’une preuve prima facie des faits, François Baillargeon Bouchard n’apparaissait plus posséder les qualités essentielles requises pour exercer ses fonctions de représentant dans le secteur financier. De plus, sa probité apparaissait affectée, justifiant, dans l’intérêt public, le prononcé des ordonnances demandées par l’Autorité tant à son égard qu’à l’égard de Groupe financier Bouchard[7], et ce, afin que la lumière soit faite par l’Autorité sur les allégations qui pesaient contre eux.

[18]       La décision du Tribunal du 28 janvier 2021 prévoit que les ordonnances provisoires demeurent en vigueur jusqu’à ce qu’elles soient modifiées ou révoquées par le Tribunal à la suite d’une demande d’une partie, si l’intérêt public le justifie, notamment suivant une décision finale du Comité de discipline de la CSF sur la plainte disciplinaire instituée contre François Baillargeon Bouchard.

[19]       Le pouvoir du Tribunal de modifier, révoquer ou lever les ordonnances provisoires prononcées découle de ses pouvoirs généraux prévus notamment à l’article 97 al. 1 et 2 paragraphes (3o) et (7o) de la LESF qui lui permet de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence et de rendre toute décision qu’il juge appropriée. Le Tribunal rappelle qu’il exerce sa discrétion en fonction de l’intérêt public[8].

[20]       Afin de déterminer s’il y a lieu ou non de modifier, révoquer ou lever les ordonnances provisoires prononcées par le Tribunal, la question fondamentale demeure la même, c’est-à-dire la protection du public exige-t-elle le maintien des ordonnances.

[21]       Dans la Demande de levée des ordonnances provisoires datée du 7 décembre 2021, François Baillargeon Bouchard et Groupe financier Bouchard allèguent que la situation qui a donné lieu à la décision du Tribunal a changé de façon positive.

[22]       La Demande de levée des ordonnances provisoires est appuyée d’une déclaration assermentée de François Baillargeon Bouchard. Ce dernier confirme que (1) tant lui que Groupe financier Bouchard ont cessé d’utiliser les listes de prospection depuis déjà septembre 2019, (2) ils n’ont pas tenté de recruter de nouveaux clients à partir de ces listes, (3) ni lui ni Groupe financier Bouchard n’ont poursuivi leurs démarches de vente de produits d’assurance ou en épargne collective auprès de personnes contactées à partir des listes de prospection et (4) ils ont souscrit des engagements de ne pas utiliser les listes il y a un certain temps[9].

[23]       Finalement, en ce qui concerne l’ordonnance du Tribunal les obligeant à remettre à l’Autorité l’original et toute copie que ce soit et sous quelques formes que ce soit des listes de prospection en leur possession, ils confirment avoir remis les listes à l’Autorité. Par ailleurs, ils ne demandent aucune levée de l’ordonnance portant sur la remise des listes de prospection.

[24]        Depuis la décision du Tribunal prononçant les ordonnances provisoires, le Tribunal constate qu’effectivement la situation a changé. Depuis cette décision, Francois Baillargeon Bouchard a reconnu sa culpabilité à huit chefs d’infraction contenus dans une plainte disciplinaire instituée par le syndic de la CSF, dont un chef était en lien direct avec son utilisation des renseignements personnels contenus aux listes sans le consentement des personnes. Le Comité de discipline de la CSF a accepté le 4 juin 2021[10] les recommandations communes formulées par les parties et a imposé la sanction globale suivante :

         6 mois de radiation;

         30 000 $ d’amende;

         La publication d’un avis et remboursement des déboursés;

         Une suggestion de suivre les formations suivantes :

o   Cas vécus et déontologie en assurance de personnes;

o   L’analyse des besoins financiers;

o   L’analyse des besoins financiers d’assurance‑vie.

[25]       Le 7 juin 2021, les parties ont renoncé à leur droit d’appel, ce qui a eu pour effet de rendre exécutoire la radiation temporaire de 6 mois imposée par le Comité de discipline de la CSF.

[26]       En ce qui concerne le constat d’infraction signifié par l’Autorité contre François Baillargeon Bouchard, depuis la décision du Tribunal, François Baillargeon Bouchard a reconnu avoir tenté d'entraver les fonctions d'un représentant de l'Autorité dans le cours d'une enquête.

[27]       Le 18 novembre 2021, après des négociations avec l'Autorité, François Baillargeon Bouchard enregistre un plaidoyer de culpabilité. Une proposition commune est ensuite soumise pour approbation à la Cour du Québec[11]. La Cour du Québec déclare François Baillargeon Bouchard coupable et accepte la suggestion commune des parties en ce qui concerne la sanction et lui impose une amende de 10 000 $.

[28]       Les ordonnances rendues par le Tribunal étaient de nature provisoire afin de protéger l’intérêt public pendant l’enquête de l’Autorité. Pour déterminer si le Tribunal doit lever les ordonnances prononcées, il tient compte du fait que l’enquête de l’Autorité en lien avec les faits de cette affaire est terminée. L’Autorité n’a institué aucune autre procédure contre François Baillargeon Bouchard ni Groupe financier Bouchard.

[29]       Les ordonnances prononcées par le Tribunal devaient demeurer en vigueur au moins jusqu’à ce que le Comité de discipline de la CSF rende une décision finale. Le Tribunal retient le fait que les procédures disciplinaires entreprises auprès du Comité de discipline de la CSF sont terminées. Le Comité de discipline de la CSF a rendu une décision qui est maintenant finale, François Baillargeon Bouchard a purgé la sanction imposée par le Comité de discipline de la CSF de radiation temporaire de 6 mois.

[30]       Afin de déterminer s’il y a lieu de lever les ordonnances, le Tribunal tient également compte du fait que, les procédures pénales instituées par l’Autorité devant la Cour du Québec sont terminées. Ces procédures ont mené à l’imposition d’une amende de 10 000 $. Aucune suspension d’inscription n’a été demandée par l’Autorité en lien avec cette procédure.

[31]       Les plaidoyers de culpabilité enregistrés par François Baillargeon Bouchard constituent une preuve de sa bonne collaboration et de son désir de régler cette situation. Par ailleurs, le fait que les parties aient réussi à s’entendre sur des recommandations communes quant à la sanction à être imposée tant par le Comité de discipline de la CSF que par la Cour du Québec constitue également une preuve de bonne collaboration entre les parties.

[32]       Le Tribunal tient également compte du contenu de l’entente intervenue dans le cadre des procédures pénales[12] qui prévoit la possibilité pour François Baillargeon Bouchard de faire une demande de remise en vigueur de ses certificats d’exercice auprès de l’Autorité.

[33]       Finalement, afin de déterminer s’il y a lieu de lever les ordonnances, le Tribunal tient compte des affirmations de François Baillargeon Bouchard et de Groupe financier Bouchard contenues dans la Demande de levée des ordonnances provisoires qui confirment notamment qu’ils ont cessé d’utiliser les listes de prospection en question de façon définitive[13].

[34]        Pour tous ces motifs, la suspension provisoire de François Baillargeon Bouchard prononcée par le Tribunal n’est donc plus requise. Les ordonnances provisoires ne sont plus nécessaires afin de protéger l’intérêt public. Le Tribunal accepte de lever les ordonnances provisoires demandées par François Baillargeon Bouchard et Groupe financier Bouchard.

POUR CES MOTIFS, le Tribunal administratif des marchés financiers, en vertu des articles 93, 94 et 97 al. 2 (3o et 7o) de la Loi sur l’encadrement du secteur financier, 115 et 115.9 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et 152 et 265 de la Loi sur les valeurs mobilières :

LÈVE à compter de la présente décision les ordonnances provisoires suivantes prononcées par le Tribunal dans sa décision du 28 janvier 2021 dans le présent dossier[14] à savoir :

« SUSPEND immédiatement les certificats d’exercice portant les numéros 192620 et 3292951 de M. François Baillargeon Bouchard;

ENJOINT à M. François Baillargeon Bouchard de se conformer aux dispositions de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et de cesser d’agir comme représentant au sens de cette loi et de se présenter comme tel;

INTERDIT à M. François Baillargeon Bouchard toute activité en vue d’effectuer directement ou indirectement une opération sur valeurs au sens de la Loi sur les valeurs mobilières, à l’exception de toute opération sur valeurs effectuée pour son propre compte, par l’entremise d’un courtier dûment inscrit auprès de l’Autorité des marchés financiers;

ORDONNE au cabinet 9347-6760 Québec inc. faisant affaires sous le nom « Groupe financier Bouchard » de procéder à la nomination d’un nouveau dirigeant responsable en remplacement de M. Baillargeon Bouchard, lequel devra avoir été préalablement approuvé par l’Autorité des marchés financiers, et ce, dans les quarante-cinq (45) jours de la notification de la présente décision;


 

ORDONNE à 9347-6760 Québec inc., faisant affaire sous le nom « Groupe financier Bouchard », d’informer l’Autorité des marchés financiers, dans les quinze (15) jours de la notification de la présente décision, des démarches qu’elle entend entreprendre pour procéder au changement du dirigeant responsable; »[15]

 

 

 

 

 

__________________________________

Me Antonietta Melchiorre,
juge administratif

 

 

 

 

 

 

 

Me Sylvie Boucher

(Contentieux de l’Autorité des marchés financiers)

Pour l’Autorité des marchés financiers

 

Me Charles Levasseur

(Levasseur et associés, avocats)

Pour François Baillargeon Bouchard et 9347-6760 Québec inc.

 

Me Julie Piché

Pour la Chambre de la sécurité financière

 

Me Karine Chênevert

(Borden Ladner Gervais)

Pour la Fédération des Caisses Desjardins du Québec

 

Date d’audience :

17 décembre 2021

 



[1]    Autorité des marchés financiers c. Baillargeon Bouchard, 2021 QCTMF 3.

[2]    Les Intervenantes, la Chambre de la sécurité financière et la Fédération des Caisses Desjardins du Québec ne contestent pas non plus la demande des intimés.

[3]    RLRQ, c. E-6.1.

[4]    RLRQ, c. D-9.2.

[5]    RLRQ, c. V-1.1.

[6]    Autorité des marchés financiers c. Baillargeon Bouchard, préc., note 1, par. 80.

[7]    Id., par. 10 et 170.

[8]    Art. 93 al. 2, LESF.

[9]    Paragraphes 30 à 33 de la Demande de levée des ordonnances provisoires datée du 7 décembre 2021.

[10] Chambre de la sécurité financière c. Baillargeon Bouchard, 2021 QCCDCSF 33.

[11] Pièce R-3 : Proposition commune de la poursuivante et du défendeur soumise pour approbation à la Cour datée du 18 novembre 2021.

[12] Ibid.

[13] Paragraphe 29 de la Demande de levée des ordonnances provisoires datée du 7 décembre 2021.

[14] Autorité des marchés financiers c. Baillargeon Bouchard, préc., note 1.

[15] Ibid.

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