Autorité des marchés financiers (Québec)

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Autorité des marchés financiers c. Corporation RÉEE Global inc.

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DES MARCHÉS FINANCIERS

 

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

MONTRÉAL

 

 

 

DOSSIER N° :

2020-006

 

 

 

DÉCISION N° :

2020-006-001

 

 

 

DATE :

Le 4 février 2021

 

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EN PRÉSENCE DE :

Me JEAN-PIERRE CRISTEL

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AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

 

Partie demanderesse

 

c.

 

CORPORATION RÉEE GLOBAL INC.

 

et

 

MARGARET SINGH

 

et

 

FADI SAHYOUN

 

Parties intimées

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

DÉCISION

 

______________________________________________________________________

 

 

 

APERÇU

[1]  L’Autorité des marchés financiers (« l’Autorité ») est l’organisme responsable de l’application de la Loi sur la distribution de produits et services financiers[1] (« LDPSF »). L’Autorité exerce les fonctions et pouvoirs qui sont prévus à l’article 7 de la Loi sur l’encadrement du secteur financier[2] (« LESF »), et ce, de la manière prévue à l’article 8 de cette loi.

[2]  Le cabinet intimé Corporation RÉEE Global inc. est une personne morale constituée en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions[3]. L’établissement principal de ce cabinet est situé en Ontario. Ce cabinet a également un établissement au Québec[4].

[3]  L’intimée Corporation RÉEE Global inc. détient une inscription auprès de l’Autorité dans la discipline de l’assurance de personnes[5], le tout en vertu de la LDPSF. Durant la période des faits reprochés, cette intimée détenait également une inscription à titre de courtier en plan de bourses d’études.

[4]  Durant la période des faits reprochés, l’intimée Margaret Singh est la dirigeante responsable du cabinet intimé Corporation RÉEE Global inc.[6]. L’intimée Margaret Singh ne détient pas de droit d’exercice en assurance de personnes. Elle a toutefois détenu un droit d’exercice, en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières (« LVM »)[7], l’autorisant à agir à titre de Chef de la conformité (Plans de bourses d’études)[8].

[5]  L’intimé Fadi Sahyoun détient un certificat émis par l’Autorité en vertu de la LDPSF qui lui permet d’agir à titre de représentant dans les disciplines de l’assurance de personnes et de l’assurance de dommages[9]. Durant la période des faits reprochés, il était rattaché au cabinet intimé Corporation RÉEE Global inc.[10].

[6]  L’Autorité reproche aux intimés de nombreux manquements à la LDPSF et à ses règlements d’application durant la période du 1er janvier 2017 au 30 septembre 2018[11]. L’Autorité reproche également au cabinet intimé Corporation RÉEE Global inc. et à sa dirigeante responsable, l’intimée Margaret Singh, d’avoir contrevenu à un engagement écrit qu’ils ont souscrit auprès de l’Autorité le 17 août 2016[12].

[7]  L’Autorité allègue, en particulier, que le cabinet intimé Corporation RÉEE Global inc. et sa dirigeante responsable ont contrevenu aux articles 84 à 86 de la LDPSF en faisant défaut de s’acquitter adéquatement de leur devoir de supervision, notamment en omettant de vérifier adéquatement les activités professionnelles accomplies par les représentants inscrits œuvrant au sein de ce cabinet et d’avoir contrevenu à l’article 88 de la LDPSF en faisant défaut de tenir les dossiers des clients du cabinet conformément à cette loi et à sa réglementation. 

[8]  L’Autorité allègue aussi que le cabinet intimé Corporation RÉEE Global inc. et sa dirigeante responsable ont fait défaut de respecter (i) l’article 17 (9) du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome[13] (« Règlement sur le cabinet ») en ne s’assurant pas que les préavis de remplacement des polices d’assurance des clients de ce cabinet soient complétés conformément à la LDPSF et à sa réglementation, (ii) l’article 17 (10) du Règlement sur le cabinet et l’article 16 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants[14] en ne suivant pas les règles prescrites en matière de renseignements sur les produits offerts aux clients, (iii) l’article  17 (8) du Règlement sur le cabinet et l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants en omettant de compléter des analyses des besoins financiers de clients ou en ne les complétant pas de façon adéquate, et en proposant un produit d’investissement qui ne semblait pas correspondre au profil de risque d’un client tout en ne documentant pas adéquatement le choix de ce produit.

[9]  Enfin, l’Autorité allègue que l’intimé Fadi Sahyoun a commis des manquements à l’article 35 du Code de déontologie de la chambre de la sécurité financière[15] et à l’article 4 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants en faisant défaut, à titre de superviseur, de superviser adéquatement et de manière diligente les activités de deux représentants sous sa responsabilité.

[10]        Lors de l’audience, tenue les 27 et 28 janvier 2021, les parties ont informé le Tribunal qu’elles ont conclu des accords[16] contenant des recommandations communes à l’égard des intimés. Ces recommandations communes demandent notamment au Tribunal d’imposer des pénalités administratives à l’encontre des intimés, soit 30 000 $ à l’encontre de l’intimé cabinet Corporation RÉEE Global inc., 2 500 $ à l’encontre de sa dirigeante responsable, l’intimée Margaret Singh, et 2 500 $ à l’encontre de l’intimé Fadi Sahyoun.

[11]        Ces recommandations communes prévoient aussi d’assortir le certificat d’exercice de l’intimé Fadi Sahyoun d’une condition spécifique l’empêchant d’agir comme superviseur pour une période de 2 ans et de lui interdire d’agir comme dirigeant responsable de cabinets pour une période de 2 ans. Par ailleurs, ces recommandations communes prévoient d’imposer au cabinet intimé Corporation RÉEE Global inc. l’obligation de maintenir des procédures de contrôle et de surveillance, approuvées par l’Autorité, visant à assurer le respect intégral de la LDPSF et de ses règlements. Enfin, ces recommandations communes imposent un changement de dirigeant responsable au cabinet intimé Corporation RÉEE Global inc. et font état de l’engagement pris par l’intimée Margaret Singh auprès de l’Autorité de ne pas postuler afin d’occuper un poste de dirigeante responsable de tout cabinet, et ce, pour une période de 2 ans.  

[12]        La question en litige est donc la suivante : Le Tribunal doit-il, dans l’intérêt public, entériner les accords susmentionnés et ainsi mettre en œuvre les recommandations communes des parties qu’ils contiennent ?

[13]        Dans la présente affaire, le Tribunal a répondu « oui » à cette question en litige, et ce, pour les motifs ci-après exposés.

ANALYSE

Question en litige : Le Tribunal doit-il, dans l’intérêt public, entériner les accords conclus entre les parties et ainsi mettre en œuvre les recommandations communes des parties qu’ils contiennent ?

[14]        Après avoir pris connaissance des accords conclus entre les parties, le 27 janvier 2021 - soit (i) un accord conclu entre l’Autorité et le cabinet intimé Corporation RÉEE Global inc. et sa dirigeante responsable, l’intimée Margaret Singh, et (ii) un accord conclu entre l’Autorité et l’intimé Fadi Sahyoun - le Tribunal en arrive à la décision qu’il est dans l’intérêt public de les entériner et de mettre en œuvre les recommandations communes des parties qu’ils contiennent. Une copie de chacun de ces accords est jointe à la présente décision.

[15]        Le Tribunal rappelle qu’il n’est jamais tenu d’accepter les conclusions d’un accord entre les parties ni les suggestions communes qui lui sont proposées. De plus, chaque dossier doit être évalué à la lumière de ses particularités.

[16]        Le Tribunal doit également déterminer si les pénalités administratives demandées à l’encontre des intimés sont raisonnables afin d’assurer la protection du public[17] et, à cet égard, il a considéré plusieurs critères[18].

[17]        Dans la présente affaire, les intimés ont consenti au dépôt de toutes les pièces[19] présentées au soutien de la demande de l’Autorité et en ont admis le contenu. Ils ont aussi admis tous les faits et manquements qui les concernent, et ce, tels que décrits dans les accords susmentionnés.

[18]        Le Tribunal constate que les manquements admis par les intimés sont graves, nombreux et qu’ils furent commis durant une période relativement courte, soit du 1er janvier 2017 au 30 septembre 2018[20].   

[19]        Facteur aggravant, le Tribunal constate que le cabinet intimé Corporation RÉEE Global inc. et sa dirigeante responsable, l’intimée Margaret Singh, ont contrevenu à un engagement écrit qu’ils ont souscrit auprès de l’Autorité le 17 août 2016[21].

[20]        À cet égard, le Tribunal souligne que ces intimés s’étaient alors formellement engagés par écrit auprès du régulateur à corriger, au plus tard le 31 décembre 2016, toutes les irrégularités décrites dans le rapport d’inspection de l’Autorité daté du 8 juin 2016, lequel couvrait la période d’activité du cabinet intimé allant du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015[22].

[21]        Or, il appert de la preuve que les manquements commis durant cette période sont essentiellement les mêmes que ceux commis durant la période du 1er janvier 2017 au 30 septembre 2018.

[22]        Les faits admis font d’abord état de manquements importants, durant la période des faits reprochés, aux articles 84 à 86 de la LDPSF de la part du cabinet intimé Corporation RÉEE Global inc. et de sa dirigeante responsable, Margaret Singh, en raison d’une absence flagrante de supervision adéquate des activités professionnelles accomplies par les représentants inscrits œuvrant au sein de ce cabinet, et de manquements à l’article 88 de la LDPSF en faisant défaut de tenir les dossiers des clients du cabinet conformément à cette loi et à sa réglementation. 

[23]        Les faits admis font aussi état de manquements abondants aux articles 17 (8), 17 (9) et 17 (10) du Règlement sur le cabinet, le tout découlant essentiellement de l’absence d’une supervision adéquate de représentants qui ont commis à répétition des manquements reliés notamment à l’absence d’analyse adéquate des besoins financiers des clients, au défaut de respecter la procédure de remplacement des polices d’assurance des clients, au défaut de conserver dans les dossiers des clients toute la documentation requise par la réglementation et en proposant, au moins à une reprise, un investissement ne correspondant pas au profil de risque du client.     

[24]        Enfin, il appert des faits admis que l’intimé Fadi Sahyoun a commis de grossiers manquements à l’article 35 du Code de déontologie de la chambre de la sécurité financière et de l’article 4 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants  en faisant défaut, à titre de superviseur, de superviser adéquatement et de manière diligente les activités de deux représentants alors sous sa responsabilité.

[25]        De l’avis du Tribunal, la résultante de cette cascade de manquements à la LDPSF et à sa réglementation est une situation mettant en danger l’intérêt public, les intérêts particuliers des clients du cabinet intimé Corporation RÉEE Global inc. et la réputation même de tout un secteur névralgique de la Place financière, soit celui des services d’assurance.

[26]        Une telle situation - causée par l’irresponsabilité, l’incompétence et la négligence des intimés dans la cadre de la présente affaire - est inacceptable et elle ne sera pas, dans l’intérêt public, tolérée. Le dispositif de la présente décision fait, à cet égard, passer un message clair à tous les intervenants de la Place financière.

[27]        Fort heureusement, les procureures des parties ont informé le Tribunal que les intimés ont fait preuve de repentir et ont offert à l’Autorité une bonne collaboration afin de trouver - dans l’intérêt public - un règlement au présent dossier.

[28]        Fort heureusement aussi, la procureure de l’Autorité a informé le Tribunal que le cabinet intimé Corporation RÉEE Global inc. a maintenant en place un ensemble de procédures de contrôle et de surveillance - approuvées par le régulateur - dont l’objectif est de s’assurer que ce cabinet et ses représentants respectent la LDPSF et ses règlements, en particulier pour ce qui a trait à la supervision des représentants, la tenue des dossiers et la convenance des transactions proposées aux clients.

[29]        Le Tribunal accepte d’entériner les accords intervenus entre les parties au présent dossier, en particulier, parce qu’ils indiquent (i) que le cabinet intimé Corporation RÉEE Global inc. procédera au remplacement de son actuelle dirigeante responsable, l’intimée Margaret Singh, par un nouveau dirigeant ayant reçu l’approbation de l’Autorité, (ii) que ce cabinet doit maintenir en place l’ensemble des procédures de contrôle et de surveillance susmentionnées visant à s’assurer que ses représentants respectent, en tout temps, l’intégralité de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et de ses règlements d’application, (iii) une interdiction pour l’intimé Fadi Sahyoun d’agir comme dirigeant responsable d’un cabinet pour une période de 2 ans de même que l’imposition d’une condition stricte à son  certificat d’inscription de ne pas agir à titre de superviseur pour une période de 2 ans et, (iv) un engagement explicite, auprès de l’Autorité, de l’intimée Margaret Singh de ne pas postuler afin d’occuper un poste de dirigeante responsable pour une période de 2 ans, le tout afin de protéger l’intérêt public.

[30]        Par conséquent, après avoir dûment considéré la preuve, l’argumentation, les accords et les recommandations que lui ont présentées les parties, le Tribunal est prêt, dans l’intérêt public, à entériner ces accords et à mettre en œuvre les recommandations qui lui ont été conjointement suggérées.

POUR CES MOTIFS, le Tribunal administratif des marchés financiers, en vertu des articles 93, 94 et 97 al. 2 (6o) de la Loi sur l’encadrement du secteur financier et des articles 115, 115.1 et 115.9 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers :

Corporation RÉEE Global inc. et Margaret Singh

 

ENTÉRINE l’accord intervenu entre l’Autorité des marchés financiers et les intimées Corporation RÉEE Global inc. et Margaret Singh ainsi que l’engagement qu’il contient, et ordonne à ces parties de s’y conformer;

 

IMPOSE au cabinet intimé Corporation RÉEE Global inc. une pénalité administrative totalisant une somme de trente mille dollars (30 000 $), payable selon les modalités prévues à l’accord susmentionné;

 

ORDONNE au cabinet intimé Corporation RÉEE Global inc. de procéder à la nomination d’un nouveau dirigeant responsable dans les quinze (15) jours suivant la présente décision, le tout selon les modalités prévues à l’accord susmentionné;

 

ORDONNE au cabinet intimé Corporation RÉEE Global inc. de maintenir des mesures de contrôle et de surveillance approuvées par l’Autorité des marchés financiers afin de s'assurer que ce cabinet, son dirigeant responsable, ses représentants et ses employés respectent la Loi sur la distribution de produits et services financiers et ses règlements;


IMPOSE à l’intimée Margaret Singh une pénalité administrative au montant de deux mille cinq cents dollars (2 500 $), payable selon les modalités prévues à l’accord susmentionné;

 

PREND ACTE de l’engagement pris par l’intimée Margaret Singh auprès de l’Autorité des marchés financiers de ne pas postuler afin d’occuper un poste de dirigeante responsable de tout cabinet, et ce, pour une période de deux (2) ans;

 

Fadi Sahyoun

 

ENTÉRINE l’accord intervenu entre l’Autorité des marchés financiers et l’intimé Fadi Sahyoun, et ordonne aux parties de s’y conformer;

 

IMPOSE à l’intimé Fadi Sahyoun une pénalité administrative au montant de deux mille cinq cents dollars (2 500 $), payable selon les modalités prévues à l’accord;

 

INTERDIT à l’intimé Fadi Sahyoun d’agir, directement ou indirectement, à titre de dirigeant responsable de l’intimé cabinet Corporation RÉEE Global inc. ou de tout autre cabinet, et ce, pour une période de deux (2) ans;

 

ASSORTIT le certificat portant le numéro 154038 au nom de Fadi Sahyoun de la condition suivante :

 

« Le représentant ne peut agir à titre de superviseur, et ce, pour une période de deux (2) ans. »

 

 

 

 

 

 

__________________________________

Me Jean-Pierre Cristel

Juge administratif

 

 

 

 

 

 

 

Me Catherine Boilard

 

(Contentieux de l’Autorité des marchés financiers)

 

Procureure de l’Autorité des marchés financiers

 

 

 

Me Marie-Noël Rochon

 

(LCM Avocats inc.)

 

Procureure des intimées Margaret Singh et Corporation RÉEE Global inc.

 

 

 

 

 

Dates d’audience :

27 et 28 janvier 2021

 




[1]     RLRQ, c. D-9.2.

[2]     RLRQ, c. E-6.1.

[3]     L.R.C. 1985, c. C-44.

[4]     Pièce D-1.

[5]     Pièce D-2.

[6]     Pièce D-2.

[7]     RLRQ, c. V-1.1.

[8]     Pièce D-4.

[9]     Pièce D-6.

[10]    Pièce D-3.

[11]    Pièce D-14 et demande introductive d’instance amendée de l’Autorité.

[12]    Pièce D-12.

[13]     RLRQ, c. D-9.2, r. 2.

[14]    RLRQ, c. D-9.2, r. 10.

[15]    RLRQ, c. D-9.2, r. 3.

[16]    Soit : (i) un accord conclu entre l’Autorité et le cabinet intimé Corporation RÉEE Global inc. et sa dirigeante responsable, l’intimée Margaret Singh, et (ii) un accord conclu entre l’Autorité et l’intimé Fadi Sahyoun.

[17]    Notamment Mizrahi c. Autorité des marchés financiers, 2009 QCCQ 10542.

[18]    Notamment Autorité des marchés financiers c. Demers, 2006 QCBDRVM 17; Autorité des marchés financiers c. Mieux planifier inc., 2020 QCTMF 26; Autorité des marchés financiers c. 9379-4899 Québec inc., 2020 QCTMF 43.

[19]    D-1 à D-26.

[20]    Pièce D-14 et demande introductive d’instance amendée de l’Autorité.

[21]    Pièce D-12.

[22]    Pièce D-11.

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