Autorité des marchés financiers (Québec)

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Autorité des marchés financiers c. Philippe

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DES MARCHÉS FINANCIERS

 

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

MONTRÉAL

 

 

 

DOSSIER N° :

2020-022

 

 

 

DÉCISION N° :

2020-022-001

 

 

 

DATE :

18 décembre 2020

 

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EN PRÉSENCE DE :

Me NICOLE MARTINEAU

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AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

 

Partie demanderesse

 

c.

MARC PHILIPPE, domicilié et résidant au [...], Montréal (Québec),

[...]

 

Partie intimée

 

 

 

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DÉCISION

 

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APERÇU

[1]  Le Tribunal administratif des marchés financiers (« le Tribunal ») est saisi d’une demande de l’Autorité des marchés financiers (« l’Autorité »), datée du 18 septembre 2020, visant à obtenir à l’encontre de l’intimé Marc Philippe une interdiction d’agir à titre de dirigeant responsable d’un cabinet et l’imposition d’une pénalité administrative pour des manquements à la Loi sur la distribution de produits et services financiers[1] (« LDPSF »).

[2]  L’Autorité est l’organisme responsable de l’application de la LDPSF. Elle exerce les fonctions et les pouvoirs qui y sont prévus, et ce, conformément à l’article 7 de la Loi sur l’encadrement du secteur financier[2] (« LESF »).

[3]  L’intimé Marc Philippe a détenu un certificat en vertu de la LDPSF lui permettant d’agir à titre de représentant en assurance de personnes du 14 janvier 2015 au 30 septembre 2017[3].

[4]  Il a été rattaché auprès de Distribution Financière Sun Life (Canada) inc. du 27 août 2015 au 30 août 2016 et auprès du Cabinet Financier Marc Philippe inc. du 27 juillet 2016 au 30 septembre 2017.

[5]  Il était le dirigeant responsable du Cabinet Financier Marc Philippe inc., et ce, du 27 juillet 2016 au 30 septembre 2017.

[6]  Le 1er octobre 2017, l’intimé Marc Philippe n’a pas procédé au renouvellement de son certificat.

[7]  Le 14 novembre 2017, il a demandé la remise en vigueur de son certificat.

[8]  Le 10 mai 2018, l’Autorité a refusé la remise en vigueur de son certificat[4].

[9]  L’Autorité allègue que des manquements à la LDPSF et au Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière[5] (« Code de déontologie de la CSF ») ont été commis par l’intimé Marc Philippe.

[10]        Lors d’une audience tenue le 17 décembre 2020, les parties ont demandé au Tribunal d’entériner l’accord qu’elles ont conclu.

[11]        Dans cet accord, l’intimé Marc Philippe admet plusieurs faits allégués dans la demande de l’Autorité et il admet des manquements à la LDPSF et au Code de déontologie de la CSF.

[12]        L’accord conclu entre les parties contient des suggestions communes relativement à l’imposition d’une pénalité administrative de 5 500 $ et à une interdiction d’agir à titre de dirigeant responsable d’un cabinet pour une période de cinq (5) ans.

[13]        Une copie de l’accord conclu est jointe à la présente décision.

ANALYSE

Question en litige

[14]        Dans le cadre de son analyse, le Tribunal doit répondre à la question en litige suivante :

         L’accord soumis au Tribunal est-il raisonnable, conforme à la loi et conclu dans l’intérêt public?

[15]        Le Tribunal considère que l’accord est raisonnable, conforme à la loi et qu’il est dans l’intérêt public de l’entériner.

[16]        Par conséquent, le Tribunal accepte d’entériner cet accord et de mettre en œuvre les suggestions communes des parties qu’il contient.

Cadre d’intervention du Tribunal

[17]        Le Tribunal a le pouvoir d’entériner un accord, s’il est conforme à la loi[6].

[18]        Le Tribunal rappelle qu’il n’est jamais tenu d’accepter les conclusions d’un accord ni les suggestions communes qui lui sont proposées.

[19]        À cet égard, le Tribunal rappelle qu’il ne peut écarter une suggestion commune que si elle est déraisonnable, inadéquate, contraire à l’intérêt public ou de nature à déconsidérer l’administration de la justice.

[20]        Les ordonnances du Tribunal sont de nature réglementaire[7] et en ce sens, elles ne sont ni réparatrices ni punitives malgré qu’elles puissent être dissuasives. Ces ordonnances sont de nature protectrice et préventive.

Devoirs et obligations imposés par la LDPSF

[21]        La LDPSF est une loi dont l’objectif principal est la protection du public[8].

[22]        La LDPSF impose une série d’obligations, de devoirs et de responsabilités aux représentants, dirigeants et cabinets.

[23]        Le respect des devoirs et obligations imposés par la LDPSF est essentiel afin de protéger le public et maintenir sa confiance envers l’industrie de l’assurance.

[24]        L’exercice des activités de représentant dans un secteur protégé et hautement réglementé est un privilège qui implique que les personnes qui s’y engagent acceptent de se soumettre à des règles strictes encadrant leurs activités[9].

[25]        Un représentant est tenu d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients. Il doit également agir avec compétence et professionnalisme[10].

[26]        Le représentant en assurance est tenu d’exercer ses activités avec intégrité[11].

[27]        Il doit agir envers son client avec probité et en conseiller consciencieux[12]. Il doit aussi agir de manière diligente[13].

[28]        De plus, un représentant ne doit pas exercer ses activités de façon malhonnête ou négligente[14].

[29]        En tout temps, le représentant doit sauvegarder son indépendance et il doit éviter toute situation où il serait en conflit d’intérêts[15]. Il doit toujours subordonner son intérêt personnel à celui de son client[16].

Application du droit aux faits

[30]        Lors de l’audience, la procureure de l’Autorité a résumé les faits en lien avec les manquements commis. Elle a aussi présenté les termes de l’accord intervenu.

[31]        L’intimé Marc Philippe, qui se représente seul, confirme qu’il accepte les termes de l’accord et qu’il admet les manquements qui y sont décrits et qui ont été résumés lors de l’audience.

[32]        L’intimé Marc Philippe consent au dépôt de toutes les pièces alléguées au soutien de la demande et il en admet le contenu.

[33]        Selon les faits admis par l’intimé Marc Philippe, le Tribunal constate qu’il y a eu des manquements à la LDPSF et au Code de déontologie de la CSF.

[34]        L’intimé Marc Philippe reconnaît les manquements à la LDPSF et au Code de déontologie de la CSF que le Tribunal résume ainsi :

i)             Avoir transféré la propriété de polices d’assurance-vie de ses clients à une société dont l’unique actionnaire et dirigeante avait une relation amoureuse avec lui, et ce, contrairement aux ordres d’exécution ou aux opérations demandées par ses clients et sans que le preneur ait l’intérêt assurable requis;

 

ii)            Avoir transmis des informations fausses ou trompeuses à ses clients en leur laissant croire que leurs polices d’assurance-vie avaient bel et bien été annulées.

[35]        En transmettant des informations fausses ou trompeuses à ses clients et en transférant la propriété des polices d’assurance-vie, contrairement aux ordres d’exécution ou aux opérations demandées par ceux-ci, à une société qui n’avait pas l’intérêt assurable requis[17], le Tribunal constate que l’intimé Marc Philippe a manqué à ses obligations d’honnêteté, de loyauté et de professionnalisme, prévues à l’article 16 de la LDPSF.

[36]        L’intimé Marc Philippe a également fait défaut de respecter ses obligations d’intégrité, de probité et de diligence prévues aux articles 11, 12 et 24 du Code de déontologie de la CSF.

[37]        De plus, il s’est placé dans une situation de conflit d’intérêts en transférant la propriété des polices d’assurance-vie de ses clients à une société dont l’unique actionnaire et dirigeante était une personne avec laquelle il avait une relation amoureuse, contrairement à ses obligations déontologiques prévues aux articles 18 et 19 du Code de déontologie de la CSF.

[38]        Le Tribunal constate que les manquements commis et admis par l’intimé Marc Philippe sont graves et contraires à l’intérêt public. Ces manquements sont au cœur des obligations du représentant en assurance et ils affectent la confiance du public envers l’intégrité des professionnels qui agissent dans ce secteur.

[39]        Le Tribunal doit s’assurer que la pénalité administrative suggérée par les parties satisfait adéquatement les critères de dissuasion spécifique et générale et est raisonnable.

[40]        Le Tribunal a établi plusieurs facteurs qui doivent le guider dans l’établissement du montant d’une pénalité administrative. Ces facteurs doivent être évalués, au cas par cas, selon les circonstances de chaque affaire[18].

[41]        La procureure de l’Autorité insiste sur la gravité des manquements commis par l’intimé Marc Philippe.

[42]        Elle mentionne que l’intimé Marc Philippe n’a pas d’antécédents en matière de manquements à la LDPSF.

[43]        Elle souligne qu’il s’agit d’un acte isolé qui ne s’est produit qu’une seule fois.

[44]        Elle ajoute que l’intimé Marc Philippe avait peu d’expérience et que les clients n’ont subi aucune perte financière.

[45]        La procureure de l’Autorité mentionne que l’intimé Marc Philippe a offert une bonne collaboration dans ce dossier.

[46]        Dans son évaluation des manquements et des suggestions qui lui ont été faites d’un commun accord par les parties, le Tribunal tient compte, à titre de facteur atténuant, des admissions formulées par l’intimé Marc Philippe.

[47]        Le Tribunal tient également compte de la collaboration dont l’intimé Marc Philippe a fait preuve afin de trouver avec l’Autorité, sur une base consensuelle, un règlement au présent dossier.

[48]        Considérant la nature des manquements admis, le Tribunal considère qu’il est justifié d’interdire à l’intimé Marc Philippe d’agir à titre de dirigeant responsable d’un cabinet pour la période maximale prévue à l’article 115.1 de la LDPSF, soit de cinq (5) ans.

[49]        Le Tribunal rappelle que les responsabilités assumées par le dirigeant responsable d’un cabinet « requièrent un degré supérieur de professionnalisme et d’habileté puisque cette fonction est garante de la conformité au sein du cabinet et, par conséquent, de la protection du public »[19].

[50]        Après avoir considéré l’ensemble de la preuve et les arguments qui lui ont été présentés, le Tribunal convient d’entériner l’accord intervenu entre les parties.

[51]        Le Tribunal considère qu’il est dans l’intérêt public de mettre en œuvre les suggestions communes des parties.

[52]        Le Tribunal considère que le montant suggéré par les parties à titre de pénalité administrative satisfait adéquatement les critères de dissuasion spécifique et générale et est raisonnable.

DISPOSITIF

POUR CES MOTIFS, le Tribunal administratif des marchés financiers, en vertu des articles 93, 94 et 97 al. 2 (6o) de la Loi sur l’encadrement du secteur financier et des articles 115 et 115.1 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers :

ENTÉRINE l’accord intervenu le 10 décembre 2020, ainsi que ses engagements, entre l’Autorité des marchés financiers et l’intimé Marc Philippe, et ordonne aux parties de s’y conformer;

IMPOSE à Marc Philippe une pénalité administrative au montant de 5 500 $, payable à l’Autorité des marchés financiers selon les modalités de paiement prévues à l’accord susmentionné;

INTERDIT à Marc Philippe d'agir, directement ou indirectement, comme dirigeant responsable d’un cabinet, et ce, pour une période de cinq (5) ans;

 

 

 

 

__________________________________

Me Nicole Martineau

Juge administratif

 

 

 

 

 

 

Me Ève Demers

 

(Contentieux de l’Autorité des marchés financiers)

 

Procureure de l’Autorité des marchés financiers

 

 

 

Marc Philippe, comparaissant personnellement

 

 

 

 

 

Date d’audience :

17 décembre 2020

 




[1]     RLRQ, c. D-9.2.

[2]     RLRQ, c. E-6.1.

[3]     Pièce D-1.

[4]     Pièce D-2.

[5]     RLRQ, c. D-9.2, r. 3.

[6]     Art. 97 al. 2 (6o) LESF.

[7]     Cartaway Resources Corp. (Re), 2004 CSC 26 (CanLII), [2004] 1 R.C.S 672. 

[8]     Autorité des marchés financiers c. Assomption, compagnie mutuelle d’assurance-vie2007 QCCA 1062, par. 47; Marston c. Autorité des marchés financiers, 2009 QCCA 2178, par. 52.

[9]     La Souveraine, Compagnie d’assurance générale c. Autorité des marchés financiers, 2013 CSC 63, par. 49.

[10]    Art.16 LDPSF.

[11]    Art. 11 Code de déontologie de la CSF.

[12]    Id., art. 12.

[13]    Id., art. 24.

[14]    Id., art. 35.

[15]    Id., art. 18.

[16]    Id., art. 19.

[17]    Art. 2418 Code civil du Québec, CCQ-1991.

[18]    Autorité des marchés financiers c. Demers, 2006 QCBDRVM 17 et Autorité des marchés financiers c. Groupe financier Lemieux inc., 2013 QCBDR 103.

[19]    Autorité des marchés financiers c. 9190-4995 Québec inc., 2018 QCTMF 82, par. 59.

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