Autorité des marchés financiers (Québec)

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Contenu de la décision

Autorité des marchés financiers c. Unissa Assurances inc.

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DES MARCHÉS FINANCIERS

 

 

 

CANADA

 

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

MONTRÉAL

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE : QUÉBEC

 

 

 

DOSSIER N° :

2017-005

 

 

 

DÉCISION N° :

2017-005-001

 

 

 

DATE :

Le 23 juillet 2019

 

______________________________________________________________________

 

 

 

EN PRÉSENCE DE :

Me LISE GIRARD

Me ANTONIETTA MELCHIORRE

______________________________________________________________________

 

 

 

 

 

AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

 

Partie demanderesse

 

c.

 

UNISSA ASSURANCES INC.

et

MARTIN GIROUX

et

STEVE CARSON

 

Parties intimées

 

et

MARTIN LEBLANC

et

CORPORATION INOVALIFE INC.

 

Parties mises en cause

 

 

 

 

 

 

 

 

DÉCISION

 

 

 

[1]           Dans la présente affaire, le Tribunal doit déterminer si des manquements ont été commis en raison de l’utilisation d’un cabinet d’assurance principalement constitué pour répondre notamment aux besoins lucres d’une compagnie non réglementée.

[2]           Ainsi, le Tribunal doit décider s’il entérine les accords intervenus avec deux des intimés qui étaient les administrateurs et dirigeants du cabinet d’assurance de dommages Unissa. Se faisant, le Tribunal établira les principes de base gouvernant les parties lors du dépôt d’un accord.

[3]           Par la suite, il devra évaluer la preuve soumise dont les admissions des intimés afin de déterminer si l’intimée Unissa a commis des manquements à ses obligations règlementaires à titre de cabinet et suivant ses activités avec la mise en cause iNovaLife.

APERÇU

[4]           Un consommateur notamment à la recherche d’une assurance de dommages automobile ou habitation pouvait compléter gratuitement des demandes de soumissions via la plateforme web d’iNovaLife. Ce site Internet faisait la promotion d’économies grâce aux « comparateurs Inovalife » auprès des consommateurs.

[5]           Les demandes de soumissions d’assurance étaient dirigées vers un cabinet en assurance de dommages, soit l’intimée Unissa, une société incorporée en 2014 et dont les actionnaires, administrateurs et dirigeants sont identiques à ceux d’iNovaLife[1].

[6]           L’intimée Unissa communiquait avec les consommateurs afin d’obtenir les renseignements pertinents à l’envoi d’une proposition d’assurance.

[7]           iNovaLife agissait à titre de compagnie de marketing relationnel. Elle offrait un régime de rémunération à deux niveaux basés sur des « points Nova », l’un offert aux consommateurs et l’autre plus avantageux offert aux « promoteurs affiliés » à iNovaLife selon la force de référence de son équipe.

[8]           La structure d’iNovaLife ressemblait à une structure de réseau de vente multiniveaux. À chaque fois qu’un « promoteur affilié » recrutait un nouveau client ou un nouveau promoteur, il recevait des points Nova[2].

[9]           L’Autorité reproche à l’intimée Unissa et à ses dirigeants, les intimés Martin Giroux et Steve Carson, de ne pas avoir respecté les obligations qui leur incombaient en vertu de la Loi sur la distribution des produits et services financiers[3] « LDPSF », notamment d’avoir toléré une confusion dans les activités d’Unissa et d’iNovaLife, d’avoir commis des manquements liés aux fonctions de dirigeant responsable, de la conformité, de la tenue de dossiers clients et de lui avoir fait des fausses déclarations.

[10]        En date du 9 novembre 2018, l’Autorité a fait parvenir au Tribunal deux ententes intervenues avec les intimés Martin Giroux et Steve Carson.

[11]        Le 12 novembre 2018, l’Autorité a transmis au Tribunal une demande amendée. D’ailleurs, notons que les ententes réfèrent à la demande initiale et non celle suivant les amendements.

[12]        Par ailleurs, concernant l’intimée Unissa, bien que dûment avisée de la date d’audition et que ses dirigeants étaient présents ou représentés en début d’audience, aucun procureur ne s’est présenté ou aucune représentation n’a été faite pour elle. L’audience a donc procédé par défaut à son égard.

[13]        En conséquence, le Tribunal devra trancher les questions en litige suivantes :

1.    Est-ce que les ententes soumises sont raisonnables, conformes à la loi et dans l’intérêt public?

2.    Concernant l’intimée Unissa, a-t-elle commis les manquements reprochés?

a.    Pour répondre à cette question, le Tribunal devra déterminer s’il peut utiliser les admissions des dirigeants.

3.    S’il y a lieu, quelles sont les sanctions administratives que le Tribunal doit imposer à l’intimée Unissa?

CONTEXTE

[14]        Les parties impliquées au présent dossier sont les suivantes.

iNovaLife

[15]        Corporation iNovaLife inc. est une personne morale constituée le 21 janvier 2014 et dont les activités déclarées au REQ sont « Fournisseurs de services internet et sites portail de recherche »[4].

[16]        Les actionnaires d’iNovaLife sont les mêmes que ceux du cabinet Unissa.

[17]        L’intimé Martin Giroux agit comme président, secrétaire et trésorier d’iNovaLife, alors que l’intimé Steve Carson agit comme principal dirigeant et directeur du développement.

[18]        iNovaLife n’est pas inscrite à quelque titre que ce soit auprès de l’Autorité[5].

[19]        iNovaLife est en faillite depuis le 24 octobre 2016[6].

[20]        iNovaLife n’est pas directement visée par la demande de l’Autorité dans le présent dossier.

Unissa

[21]        L’intimée Unissa est une personne morale constituée le 29 décembre 2014 et qui a comme activité économique celle d’« Agences d’assurances »[7].

[22]        L’intimé Martin Giroux, au moment des faits en litige, agissait comme président, secrétaire et trésorier de l’intimée Unissa, alors que l’intimé Steve Carson agit comme principal dirigeant et directeur du développement.

[23]        Du 23 juin 2015 au 7 mai 2017, l’intimée Unissa détenait une inscription auprès de l’Autorité lui permettant d’agir à titre de cabinet d’assurance de dommages[8].

[24]        Plusieurs dirigeants responsables se sont succédé.

[25]        De juin 2015 à novembre 2015, Carl Higgins a été le premier dirigeant responsable.

[26]        Par la suite, Jean- François Nadeau aurait pris la relève jusqu’au 26 janvier 2016. Par ailleurs, le rôle de ce dernier n’était pas officiel n’ayant jamais été déclaré, ni approuvé par l’Autorité.

[27]        À partir du mois de janvier 2016 jusqu’en juillet 2016, l’intimé Martin Giroux occupait le poste de dirigeant responsable sans l’avoir déclaré à l’Autorité ni obtenu son approbation.

[28]        Finalement, à partir du mois de juillet 2016, une résolution du conseil d’administration de l’intimée Unissa a été signée, aux termes de laquelle il était convenu que Yannick Jetté agirait comme dirigeant responsable.

Martin Giroux

[29]        L’intimé Martin Giroux, par l’entremise de la société CDT Développement inc. dont il est l’actionnaire majoritaire, est le premier actionnaire de l’intimée Unissa.

[30]        Il est également le cofondateur d’iNovaLife pour laquelle il agissait à titre de président, secrétaire et trésorier.

[31]        Au moment des faits en litige, il agissait également à titre de président, secrétaire et trésorier de l’intimée Unissa.

[32]        L’intimé Martin Giroux n’est pas certifié à quelque titre que ce soit auprès de l’Autorité.

[33]        De l’aveu même de l’intimé Martin Giroux à l’audience, il n’avait aucune connaissance du domaine de l’assurance. Il était donc incapable d’assumer l’encadrement des activités du cabinet. Cette affirmation a été confirmée par plusieurs témoins, notamment des employés de l’intimée Unissa.

Steve Carson

[34]        L’intimé Steve Carson est, par l’entremise de la société Placements Perroquet ltée dont il est actionnaire majoritaire, le troisième actionnaire de l’intimée Unissa.

[35]        Il n’est pas certifié à quelque titre que ce soit auprès de l’Autorité.

[36]        Il agit à titre de principal dirigeant, directeur du développement du cabinet de l’intimée Unissa et d’iNovaLife.

[37]        Bref, les intimés Martin Giroux et Steve Carson ainsi que le mis en cause Martin Leblanc, détiennent, à travers des compagnies, l’ensemble des actions[9] à parts égales d’iNovaLife qu’ils ont fondée[10].

Analyse

[38]        Dans le cadre de son analyse, le Tribunal doit répondre aux trois questions suivantes :

 

 

Question 1 : Est-ce que les ententes soumises sont raisonnables, conformes à la loi et dans l’intérêt public?

Résumé des ententes

[39]        Pour une meilleure compréhension, il y a lieu de résumer les termes de ces deux ententes.

[40]        Les ententes énoncent les admissions faites par les intimés Martin Giroux et Steve Carson en lien avec des faits allégués à la demande initiale en faisant référence à certains paragraphes[11], et ce, avant que cette procédure ne soit amendée.

[41]        Également, ces intimés consentent au dépôt de toutes les pièces alléguées au soutien de la demande originale sans autre formalité. 

[42]        Dans son entente, l’intimé Martin Giroux reconnaît « qu’à titre d’administrateur d’Unissa, il était responsable de la mise en place des pratiques du cabinet (…) » et « à ce titre est responsable des manquements commis par le cabinet, son dirigeant responsable et ses représentants ».

[43]        Quant à l’intimé Steve Carson, bien qu’il reconnaisse qu’il est le principal dirigeant et le directeur du développement d’Unissa, il ajoute qu’il est un dirigeant non membre du conseil d’administration.

[44]        Mentionnons que les manquements pour lesquels les intimés Martin Giroux et Steve Carson reconnaissent être responsables ne sont pas clairement établis dans leur entente. Le Tribunal a dû poser plusieurs questions et s’assurer que les intimés comprenaient bien l’étendue des manquements admis.

[45]        Finalement, les ententes indiquent le montant de la pénalité administrative que les intimés consentent à verser, soit :

[46]        Pour l’intimé Martin Giroux, il consent à ce qu’une pénalité administrative de 10 000 $ lui soit imposée pour avoir fait défaut de respecter ses obligations à titre d’administrateur d’Unissa, notamment en ne s’assurant pas que le cabinet agisse avec soin et compétence dans le cadre de ses relations avec ses clients et en ayant toléré que les représentants du cabinet ne remplissent pas l’ensemble des obligations qui leur incombent.

[47]        Pour l’intimé Steve Carson, il consent à payer une pénalité administrative de 5 000 $ pour avoir fait défaut de respecter ses obligations à titre de dirigeant non membre du Conseil d’administration d’Unissa et de Principal dirigeant, Directeur du développement, notamment en ne s’assurant pas que le cabinet agisse avec soin et compétence dans le cadre de ses relations avec ses clients.

[48]        De plus, en vertu de ces ententes, les intimés Martin Giroux et Steve Carson s’engagent respectivement à ne pas formuler de demandes auprès de l’Autorité aux fins d’être inscrits à titre de dirigeants responsables d’un cabinet d’assurance, et ce, pour une période de trois (3) ans.

[49]        Or, malgré ces engagements, ceci n’établit pas clairement qu’ils ne peuvent s’inscrire auprès de l’Autorité.

[50]        Par ailleurs, suivant le questionnement du Tribunal, les intimés Martin Giroux et Steve Carson ont consenti à ce que le Tribunal rende une ordonnance d’interdiction d’agir à titre de dirigeant responsable d’un cabinet d’assurance, et ce, pour une période de trois ans.

[51]        De plus, mentionnons que l’entente de l’intimé Martin Giroux indique que ce dernier a déposé une cession de biens le 13 juillet 2018 en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[12] « LFI ».

Entente vs Accord

[52]        Suivant l’adoption du nouvel article 97 de la Loi sur l’encadrement du secteur financier[13] « LESF » précisant le pouvoir du Tribunal d’ « entériner un accord, s’il est conforme à la loi », il y a lieu d’en analyser son application.

[53]        Cet article réfère au terme « accord » au lieu d’ « entente ».

[54]        L’étude du projet de loi 141, soit la Loi visant principalement à améliorer l’encadrement du secteur financier, la protection des dépôts d’argent et le régime de fonctionnement des institutions financières[14] ne précise pas l’intention du législateur sur l’utilisation du terme « accord », n’ayant pas fait l’objet d’un débat lors de l’étude, article par article, par la Commission des finances publiques.

[55]        Selon le Dictionnaire de droit québécois et canadien[15], le terme « accord » est défini comme étant une « entente entre deux ou plusieurs personnes » alors que le terme « entente » est défini comme un « accord, convention entre deux ou plusieurs personnes ».

[56]        Toujours selon ce même dictionnaire, tant le terme « accord » que le terme « entente » se traduisent en anglais par le mot « agreement ». D’ailleurs, il est intéressant de noter que la version anglaise de l’article 97 de la LESF utilise le terme « agreement ».

[57]        Également, nous avons noté que ce pouvoir « d’entériner un accord s’il est conforme à la loi » se retrouve à l’article 9 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[16] qui stipule :

« 9. Le Tribunal a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence.

En outre des pouvoirs que lui attribue la loi, le Tribunal peut:

[…]

6° entériner un accord, s’il est conforme à la loi; 

[…] »

[58]        Le Tribunal est d’avis que le législateur a utilisé le mot « accord » à l’article 97 de la LESF dans un désir d’uniformiser les termes utilisés dans les lois s’appliquant aux tribunaux administratifs.

[59]        Puisque le législateur a choisi le terme « accord », le Tribunal privilégiera l’utilisation de ce terme.

Analyse des accords

[60]        Tout d’abord, le Tribunal rappelle que chaque cas doit être évalué et analysé à la lumière des faits et circonstances de chaque affaire.

[61]        Le Tribunal n’est jamais tenu d’accepter les accords ni les suggestions communes.

[62]        De plus, il rappelle que l’article 93 de la LESF établit de manière explicite que le Tribunal doit exercer sa discrétion en fonction de l’intérêt public :

« 93. Le Tribunal a pour fonction de statuer sur les affaires formées en vertu de la présente loi, de la Loi sur les entreprises de services monétaires (chapitre E‑12.000001) et des lois énumérées à l’annexe I. Sauf disposition contraire de la loi, il exerce sa compétence à l’exclusion de tout autre tribunal ou organisme juridictionnel.

Le Tribunal exerce la discrétion qui lui est conférée en fonction de l’intérêt public.

[…] »

[63]        La notion d’« intérêt public » réfère notamment à la protection des investisseurs, à l’efficacité des marchés financiers ainsi qu’à la préservation de la confiance du public en ces derniers.

[64]        L’accord doit refléter clairement, de manière transparente et compréhensible, les admissions sur lesquelles les parties se sont entendues.

[65]        En effet, le Tribunal a constaté à quelques occasions certaines discordances dans la façon dont les accords sont rédigés, soit dans les termes utilisés, mais surtout dans le contenu qui peut, comme en l’espèce, être imprécis et incertain quant à l’étendue des admissions et des manquements reconnus par les intimés.

[66]        Alors que certains accords font référence précisément aux faits ayant causé les manquements, d’autres se contentent « d’admettre » tous les faits en référant simplement à la demande.

[67]        La clarté et la compréhension des accords sont intimement liées au devoir du Tribunal de rendre des décisions motivées et claires afin de s’assurer du respect des règles de justice naturelle et d’équité procédurale.

[68]        Le lecteur doit être en mesure de bien comprendre le raisonnement[17] ainsi que le fondement de la décision[18].

[69]        D’ailleurs, l’article 115.15.3 de la LESF[19] précise que le Tribunal doit motiver ses décisions tout en la communiquant en termes clairs et concis :

« 115.15.3. Toute décision du Tribunal doit être communiquée en termes clairs et concis.

Toute décision qui termine une affaire doit être écrite, motivée, signée et transmise aux parties intéressées.

Le Tribunal peut, aux conditions qu’il détermine, demander à une partie de notifier la décision rendue suivant une audience ex parte. Dans ce cas et dès réception des preuves de notification, le Tribunal n’est pas tenu de transmettre la décision aux parties intéressées. »

[Nos soulignements]

[70]        Cette obligation est également prévue à la Loi sur la justice administrative[20] à son article 13, auquel le Tribunal est assujetti :

« 13. Toute décision rendue par l’organisme doit être communiquée en termes clairs et concis aux parties et aux autres personnes indiquées dans la loi.

La décision terminant une affaire doit être écrite et motivée, même si elle a été portée oralement à la connaissance des parties. »

[71]        Pour ce faire, lors du dépôt d’un accord, le Tribunal doit obtenir toute l’information nécessaire afin de l’éclairer dans sa prise de décision. Selon les admissions effectuées, il sera en mesure de déterminer si des manquements ont été commis, si oui, lesquels et l’étendue de ceux-ci. La communication de l’information permettra également au Tribunal d’établir si la pénalité convenue est raisonnable dans les circonstances et dans l’intérêt public.

[72]        Or, le Tribunal note que les accords soumis par les parties n’établissent pas la nature des manquements admis par les intimés. Ils font plutôt référence aux allégués de la demande de l’Autorité.

[73]        Le Tribunal tient à exprimer son inconfort face à une telle pratique et souhaite donc expliciter les critères qui devront à l’avenir guider la rédaction d’un accord.

[74]        De plus, lorsqu’une partie se représente seule, comme en l’espèce pour l’intimé Martin Giroux, le Tribunal doit s’assurer que cette partie comprend l’étendue de ce qu’elle admet.

[75]        Elle doit clairement reconnaitre les faits qui engendrent les manquements pour lesquels une sanction administrative lui sera imposée.

[76]        L’équité procédurale et l’application des principes de justice naturelle sont parmi les fondements du droit administratif. Les principes de justice naturelle visent à protéger les personnes dont les droits sont affectés. Le Tribunal doit donc s’assurer que l’équité procédurale soit respectée lorsqu’il rend une décision.

[77]        Dans le cas présent, lors de la présentation des accords au Tribunal, ce dernier a dû demander à deux reprises aux parties concernées de clarifier les faits et les manquements, car les ententes faisaient référence à la demande de manière assez générale sans préciser clairement ceux-ci.

[78]        Suivant le refus des parties de clarifier les accords, le Tribunal a dû poser plusieurs questions à ces dernières pour préciser l’étendue et la nature des manquements reprochés.

[79]        D’ailleurs, alors que le Tribunal s’est adressé à l’intimé Martin Giroux pour lui demander ce qu’il reconnaissait comme manquements, ce dernier a indiqué ne pas le savoir. Il a mentionné seulement souhaiter « s’en débarrasser », qu’il ferait faillite et qu’il voulait mettre ça derrière lui sans perdre plus de temps dans cette aventure.

[80]        Le Tribunal a alors refusé le dépôt de cet accord.

[81]        Le Tribunal a enjoint à l’intimé Martin Giroux de procéder à l’audience de son dossier alors qu’une semaine d’audience était prévue à cet effet.

[82]        Après une suspension d’audience, les procureurs de l’Autorité ainsi que l’intimé Martin Giroux ont fourni de l’information additionnelle et des précisions quant aux faits soutenant les manquements reprochés.

[83]        Après s’être assuré que l’intimé Martin Giroux reconnaissait réellement ces faits et les manquements qu’il a commis, de l’importance de ceux-ci tout en lui rappelant ses responsabilités, le Tribunal a pris cet accord en délibéré.

Principes gouvernant l’acceptation des accords par le Tribunal

[84]        Étant donné les difficultés rencontrées dans le présent dossier, le Tribunal profite de l’occasion afin d’établir les principes de base devant gouverner les parties lors du dépôt d’un accord devant lui, ceci pour assurer le respect des principes de justice naturelle et d’équité procédurale.

[85]        D’ailleurs, le Tribunal favorise la conclusion d’accord lorsque cela s’avère possible entre les parties. Force est de constater que la nouvelle réalité sociale privilégie de passer de la culture du litige à la culture du règlement.

[86]        En droit civil, en 2014, suivant la réforme du Code de procédure civile, le législateur a édicté plusieurs moyens afin d’inciter les parties aux modes alternatifs de résolutions de conflits.

[87]        En droit criminel et pénal, tant la Cour suprême du Canada que la Cour d’appel du Québec ont répété à plusieurs reprises que la négociation d’un plaidoyer est essentielle au bon fonctionnement du système de justice[21].

[88]        Le Tribunal réfère aux propos dans l’affaire Auclair c. R.[22] où la Cour d’appel du Québec rappelle :

« [2] […] Notons que la négociation d’un plaidoyer de culpabilité assorti d’une suggestion commune sur la peine est une pratique reconnue par les tribunaux, qui permet d’assurer l’intérêt de la justice lorsqu’elle est issue de discussions rigoureuses et sérieuses, menées de façon honorable et franche dans le respect de l’obligation de communication de la preuve incombant à la poursuite. »

[Nos soulignements]

[89]        Ainsi pour que le Tribunal puisse déterminer si l’accord intervenu entre les parties est conforme à la loi[23], raisonnable et conclu dans l’intérêt public, les éléments suivants doivent notamment transparaître de l’accord :

[90]        L’accord doit être clair :

[91]        Pour entériner un accord, le Tribunal doit s’assurer qu’il est conforme à la loi, raisonnable dans son ensemble et conclu dans l’intérêt public. Pour se faire, l’accord doit contenir tous les éléments et informations nécessaires pour permettre au Tribunal de faire cette analyse.

[92]        Ainsi, il est fondamental que les termes et conditions contenus dans l’accord soient limpides et clairs.

[93]        L’accord doit être intelligible en soi sans nécessiter que le lecteur doive se référer à un autre texte pour sa compréhension.

[94]        Il ne suffit pas de faire une admission générale des faits mentionnés dans la demande.

[95]        Ainsi, sans reprendre toutes les allégations contenues dans la demande, il est impératif de préciser clairement les faits pertinents admis qui sont à la base des manquements pour lesquels une sanction est requise.

[96]        Nous devrions être en mesure de retrouver dans l’accord un exposé exhaustif et fidèle des faits pertinents qui sont admis par l’intimé.

[97]        L’accord doit comprendre la reconnaissance de faits de nature à produire des conséquences juridiques contre la partie visée[24].

[98]        Ceci découle de l’importance que l’intimé visé puisse comprendre l’étendue de ce qu’il admet considérant les conséquences qu’il en découlera.

[99]        En l’espèce, puisque la nature des manquements recherchés n’était pas clairement définie dans les accords, le Tribunal a été obligé de faire plusieurs interventions, plus particulièrement à l’égard de l’intimé Martin Giroux qui se représentait seul.

[100]     Les admissions contenues aux accords sont  particulièrement  générales et non circonscrites. Elles ne permettent pas d’en comprendre l’étendue pour que le Tribunal puisse déterminer si en fonction des manquements commis les sanctions administratives sont raisonnables.

[101]     De plus, en l’espèce, une simple lecture des allégués admis dans la demande ne permettent pas d’identifier clairement les manquements. Ces derniers étant difficilement discernables dans les faits selon les sections prévues et en lien avec les dispositions législatives applicables.

[102]     Également, un lecteur ne pouvait à la lecture des accords connaître clairement ce qui était recherché.

[103]     D’ailleurs, lorsque le Tribunal a demandé à l’intimé Martin Giroux quels manquements il admettait avoir commis, il a candidement répondu que « non » en ajoutant que de toute manière il faisait faillite et qu’il souhaitait se débarrasser de ces procédures. C’est sur la base de cette affirmation que le Tribunal a mentionné ne pouvoir entendre les représentations sur l’accord dans ces circonstances.

[104]     Ce n’est qu’après deux ajournements, suivant un long échange avec le Tribunal, que l’intimé Martin Giroux a défini clairement ce à quoi il reconnaissait sa responsabilité, avec le support de l’Autorité quant aux précisions, pour que le Tribunal accepte de poursuivre les représentations en lien avec la demande d’entériner ces accords.

[105]     D’ailleurs, même si l’intimé Steve Carson était représenté par avocat, son accord était construit de la même manière ce qui a nécessité également des précisions.

[106]     Sans ces échanges, le Tribunal n’aurait pu être en mesure de se prononcer sur ces accords.

[107]     L’accord doit être signé par la partie elle-même s’il s’agit d’une personne physique ou de son représentant dûment autorisé dans le cas d’une personne morale :

[108]     Bien qu’en principe un procureur ait le mandat de signer une entente au nom de son client, à moins de circonstances exceptionnelles, le Tribunal ne favorise pas cette pratique, et ce, principalement pour les deux raisons qui suivent. D’abord, afin de s’assurer que l’intimé comprend bien tous les termes de l’accord, puis afin d’assurer l’effet exécutoire de la décision à être rendue, lorsque ce dernier s’engage notamment à faire ou ne pas faire certains actes.

[109]     En l’espèce les parties intimées Martin Giroux et Steve Carson avaient signé leur accord.

[110]     L’accord doit se situer à l’intérieur de la juridiction du Tribunal :

[111]     Les accords doivent s’inscrire dans le cadre des pouvoirs du Tribunal. D’où l’importance d’établir clairement les manquements reprochés pour les pénalités ou autres sanctions recherchées.

[112]     Dans le présent dossier, le Tribunal ne pouvait définir pleinement sa juridiction sans connaître précisément l’étendue des admissions, car les manquements à la base de la demande des pénalités n’étaient pas clairement définis.

[113]     Les termes de l’accord doivent être fondés sur des faits véridiques :

[114]     Le Tribunal ne peut permettre qu’une partie puisse admettre des faits qui sont faux ou inexacts pour éviter la tenue d’une audience.

[115]     Ainsi lorsque l’intimé Martin Giroux a affirmé ne pas savoir ce sur quoi il reconnaissait sa responsabilité, le Tribunal n’aurait pu se fier aux admissions de l’accord.

[116]     Autres éléments :

[117]     Malgré qu’il ne soit pas obligatoire de le mentionner, un accord est conditionnel à son acceptation par le Tribunal. Les parties doivent savoir que le Tribunal n’est pas lié par les suggestions communes. Il est de bonnes pratiques de prévoir une disposition prévoyant que l’accord est conditionnel à l’approbation par le Tribunal.

[118]     Ceci ne constitue pas une énumération exhaustive de ce que doit contenir un accord. Les parties sont libres d’y insérer tout élément pertinent et clause permettant de définir leur entente. Par ailleurs, ces éléments de base ci-haut énumérés sont essentiels afin de permettre au Tribunal de rendre une décision intelligible[25], claire et motivée.

Application des faits relativement aux accords

[119]     Suivant les questions du Tribunal et considérant que les intimés Martin Giroux et Steve Carson ont admis les faits qui supportent l’ensemble des manquements soulevés par l’Autorité dans sa demande, le Tribunal confirme que ceux-ci ont contrevenu à de nombreuses obligations légales en vertu de la LDPSF et ses règlements.

[120]     Tel que mentionné précédemment, les intimés étaient les dirigeants notamment du cabinet Unissa :

1)            L’intimé Martin Giroux était par l’entremise de la société CDT Développement inc. le premier actionnaire, président, secrétaire et trésorier de l’intimée Unissa ainsi que le cofondateur d’iNovaLife pour laquelle il agissait à titre de président, secrétaire et trésorier;

2)            L’intimé Steve Carson était par l’entremise de la société Placements Perroquet ltée, actionnaire de l’intimée Unissa ainsi que principal dirigeant, directeur du développement du cabinet de l’intimée Unissa et d’iNovaLife.

[121]     D’ailleurs, l’intimé Steve Carson a tenu à spécifier dans l’entente et lors de l’audition qu’il ne faisait pas partie du conseil d’administration. Étant donné ses responsabilités et son rôle dans ces sociétés, le Tribunal ne considère pas que ceci change en soi sa responsabilité dans la présente affaire ou constitue un facteur atténuant.

[122]     Nous pouvons résumer ainsi les manquements constatés :

1)            Les dirigeants du cabinet Unissa ont fait défaut de respecter les obligations en vertu de la LDPSF, dont celles :

                                          i.    Relativement aux devoirs et responsabilités des dirigeants responsables d’Unissa;

1.    D’avoir omis d’informer l’Autorité en temps utile qu’un dirigeant responsable n’agissait plus à ce titre;

2.    D’avoir permis qu’une autre personne agisse de manière non officielle comme dirigeant responsable sans l’avoir déclaré à l’Autorité, et ce, à deux reprises;

3.    D’avoir permis que le rôle de dirigeant responsable ne soit en fait qu’un rôle de complaisance, n’ayant pas accès à toute l’information requise pour remplir adéquatement ses fonctions et ne pouvant participer aux décisions de gestion;

4.    D’avoir permis que des individus agissent à titre de « dirigeant responsable », sans que l’Autorité n’en soit informée[26];

5.    D’avoir permis que les opérations quotidiennes soient menées notamment par l’intimé Martin Giroux alors que ce dernier n’a pas démontré ses compétences[27] pour agir à ce titre et avouant même n’avoir aucune connaissance en matière d’assurance de dommages;

6.    D’avoir permis qu’un dirigeant responsable transmette de l’information fausse et trompeuse à l’Autorité en mentionnant sous de faux prétextes le congédiement d’un représentant.

                                        ii.    Relativement aux informations fausses et trompeuses transmises à l’Autorité

1.    Fausses déclarations liées à la fonction de dirigeant responsable, soit alors qu’un dirigeant responsable ait quitté ses fonctions, une demande de maintien d’inscription a été transmise à l’Autorité alors que cette personne était toujours identifiée comme étant le dirigeant responsable.

2.    Fausses déclarations à l’Autorité concernant les motifs de congédiement d’un représentant, soit d’avoir mis un terme à son emploi en raison d’une baisse d’achalandage alors que dans les faits, les représentants n’étaient pas en mesure de répondre aux besoins, accumulaient des retards dans la finalisation des dossiers clients et que les effectifs du cabinet étant nettement insuffisants. Le réel motif du congédiement était plutôt que le cabinet ne pouvait plus acquitter le salaire de ses employés et représentants;

3.    Fausses informations transmises aux consommateurs alors qu’ils se sont vus transmettre des preuves de couvertures d’assurances avec de faux numéros de police ou des numéros inexacts;

4.    Informations fausses ou trompeuses transmises à la représentante du Groupement des assureurs automobiles « GAA ».

                                       iii.    Relativement à la tenue des dossiers clients[28], soit des lacunes importantes, tel que :

1.    Dossiers clients non constitués, malgré une demande de soumission;

2.    Dossiers clients ne contenant aucune note permettant aux représentants de faire un suivi adéquat des demandes d’assurances et pas d’outils pour pallier cette lacune, telle que l’enregistrement des appels;

3.    Suivis inadéquats auprès des clients, pas de retour d’appels, pas de transmission de preuve d’assurance ou autres documents requis. Ainsi une trentaine de personnes se croyant assurées n’avait aucune couverture d’assurance. Par exemple, un consommateur non assuré a eu un accident de la route causant la perte totale de sa voiture;

4.    D’avoir caché des dossiers lors d’une vérification d’une représentante du GAA, pour ne pas qu’elle découvre la non-conformité en lien avec le Fichier central des sinistres automobiles[29].

                                       iv.    Relativement à d’autres problèmes de conformité :

1.    Défaut d’aviser en temps opportun l’Autorité pour le congédiement de deux représentants, n’effectuant que quelques mois plus tard, pour l’un d’eux, le retrait de ce représentant;

2.    Défaut par les dirigeants et les représentants d’Unissa d’agir avec honnêteté et loyauté dans leurs relations avec les clients[30];

3.    Défaut des représentants d’agir avec compétence et professionnalisme dans le cadre de leurs relations avec les clients[31];

4.    Défaut des dirigeants de veiller à la discipline de leurs représentants et s’assurer que ces derniers agissent conformément à la loi et à ses règlements[32].

[123]     Les intimés Martin Giroux et Steve Carson ayant participé à la conception et à la mise sur pied des structures corporatives d’iNovaLife et de l’intimée Unissa, ont priorisé leurs intérêts dans le but de maximiser dans un court laps de temps les profits sans égard aux exigences législatives.

[124]     La principale raison pour laquelle l’intimé Martin Giroux a incorporé et a obtenu l’inscription en tant que cabinet en assurance de dommages de l’intimée Unissa était pour que celle-ci réponde aux besoins d’iNovaLife d’offrir des soumissions d’assurance dommages.

[125]     À cet égard, le Tribunal rappelle que l’intimé Martin Giroux ne détenait aucune inscription ou certification à quelque titre que ce soit auprès de l’Autorité. Il a admis en audience n’avoir aucune connaissance dans le domaine de l’assurance.

[126]     Malgré son manque de qualification et de compétence, c’est l’intimé Martin Giroux qui dans les faits administrait les activités de l’intimée Unissa.

[127]     C’est lui qui était présent sur les lieux de façon quotidienne, non pas pour s’assurer que des représentants d’Unissa respectaient les obligations envers les clients, mais plutôt afin de mettre de la pression sur eux pour qu’ils répondent rapidement à des demandes de soumission pour que les activités d’iNovaLife fonctionnent bien.

[128]     L’intimé Steve Carson quant à lui participait moins activement aux activités n’étant pas présent dans les bureaux d’Unissa et d’iNovaLife à Québec alors qu’il était à Montréal.

[129]     Les intimés Martin Giroux et Steve Carson reconnaissent qu’à titre de dirigeants de l’intimée Unissa, ils devaient s’assurer du respect des règles par le cabinet.

[130]     Le Tribunal rappelle aussi que la structure corporative conçue par les intimés Martin Giroux et Steve Carson ressemble à un réseau multiniveaux constitués par recrutement de clients et de promoteurs. Les intimés étaient beaucoup plus intéressés par ce volet des activités commerciales que de répondre aux réels besoins des consommateurs en matière d’assurance.

[131]     Le Tribunal tient également compte que l’intimé Martin Giroux a sciemment empêché ses dirigeants responsables d’exercer leurs fonctions.

[132]     L’intimé Martin Giroux a lui-même fait de fausses déclarations à l’Autorité et a sciemment demandé à des employés de cacher des documents lors d’une visite d’une représentante du GAA.

[133]     Selon les allégués admis, l’implication de l’intimé Martin Giroux a été plus importante et constante étant quotidiennement au cœur des activités d’iNovaLife et d’Unissa, ce qui lui justifie une sanction plus élevée qu’à celle de l’intimé Steve Carson.

[134]     Le Tribunal, dans son analyse, tient également compte du témoignage de l’intimé Martin Giroux lors de l’audition lorsqu’il a qualifié l’accord avec l’Autorité comme étant un raccourci pour mettre fin à cette histoire. L’intimé Martin Giroux semblait au début réticent à confirmer les admissions contenues dans l’entente, rappelant au Tribunal qu’il n’avait jamais été un employé d’Unissa, ni son dirigeant responsable pour se disculper en quelque sorte des manquements commis.

[135]     Comme mentionné à l’accord, les intimés Martin Giroux et Steve Carson sont responsables des manquements commis par le cabinet, ses dirigeants responsables et ses représentants.

[136]     Dans son évaluation, le Tribunal tient aussi compte du fait que certains clients ont été privés d’assurance alors qu’ils se croyaient assurés ce qui est excessivement grave.

L’accord de l’intimé Martin Giroux

[137]     Selon l’accord, l’intimé Martin Giroux reconnait avoir fait défaut de respecter ses obligations à titre d’administrateur d’Unissa, notamment en ne s’assurant pas que le cabinet agisse avec soin et compétence dans le cadre de ses relations avec ses clients et ayant toléré que les représentants du cabinet ne remplissent pas l’ensemble des obligations qui leur incombent.

[138]     Bien que la majorité des décisions auxquelles a référé l’Autorité afin de justifier la pénalité administrative de 10 000 $ aient imposé des pénalités administratives de l’ordre de 5 000 $, le Tribunal considère, dans les circonstances, qu’étant donnée la gravité des manquements commis ainsi que le nombre de ceux-ci que cela mérite une pénalité supérieure.

[139]     Par ailleurs, dans les affaires Autorité des marchés financiers c. R. Beauchamp et Laplante Courtiers d’assurances inc.[33] et dans Autorité des marchés financiers c. Assurances M. Legrange inc.[34], le Tribunal a imposé à chacun des dirigeants responsables une pénalité administrative de 7 500 $ pour avoir transmis à l’Autorité de l’information fausse et trompeuse.

[140]     En vertu de la LDPSF, le Tribunal n’a pas eu fréquemment à rendre des pénalités administratives de 10 000 $ ou plus à l’égard d’un dirigeant responsable.

[141]     En l’espèce, considérant l’accord et la reconnaissance des faits, même si la pénalité administrative convenue est plus élevée que la jurisprudence établie, le Tribunal la considère clémente considérant la gravité des manquements, mais ne peut la considérer déraisonnable.

[142]     Le Tribunal convient d’imposer une pénalité administrative de 10 000 $ à l’intimé Martin Giroux.

[143]     De plus, suivant l’acceptation par l’intimé Martin Giroux en audience, le Tribunal lui ajoute une interdiction d’agir à titre de dirigeant responsable d’un cabinet d’assurance pendant une durée de trois (3) ans.

[144]     En conséquence, le Tribunal convient d’entériner l’accord avec l’intimé Martin Giroux considérant qu’elle est raisonnable, conforme à la loi et dans l’intérêt public.

L’accord de l’intimé Steve Carson

[145]     Selon l’accord, l’intimé Steve Carson reconnait l’ensemble des manquements, ayant agi à titre de dirigeant et directeur du développement.

[146]     En ce qui concerne la pénalité administrative de 5 000 $ convenue avec l’intimé Steve Carson, le Tribunal accepte ce montant essentiellement en raison du fait qu’il n’a pas été impliqué au même titre que l’intimé Martin Giroux, lequel était présent de façon quotidienne dans les activités du cabinet Unissa, et a été présent pour une durée plus courte que ce dernier.

[147]     Encore une fois, malgré qu’il la considère clémente en l’espèce surtout en raison de l’importance des manquements, la pénalité administrative suggérée n’est pas déraisonnable.

[148]     De plus, suivant l’acceptation par l’intimé Steve Carson en audience, le Tribunal lui ajoute une interdiction d’agir à titre de dirigeant responsable d’un cabinet d’assurance pendant une durée de trois ans.

[149]     En conséquence, le Tribunal convient d’entériner l’accord avec l’intimé Steve Carson considérant qu’il est raisonnable, conforme à la loi et dans l’intérêt public.

Question 2 :  Concernant l’intimée Unissa, a-t-elle commis les manquements reprochés?

a.    Pour répondre à cette question, le Tribunal devra déterminer s’il peut utiliser les admissions des dirigeants.

Admissions

[150]     Tout d’abord, tel que mentionné précédemment, bien que l’intimée Unissa ait été dûment avisée de la tenue de l’audience, aucun procureur ne s’est présenté pour celle-ci. Par conséquent, l’Autorité a demandé la permission de procéder par défaut, ce à quoi le Tribunal a consenti.

[151]     De plus, en début d’audience, les intimés Martin Giroux et Steve Carson, dirigeants de l’intimée Unissa, étaient présents ou représentés, mais n’ont pas voulu faire des représentations pour cette dernière.

[152]     D’ailleurs, dès que leur accord fut déposé, tant l’intimé Martin Giroux que le procureur de Steve Carson ont souhaité quitter l’audience. Le Tribunal, ayant pris en délibéré leurs accords sous réserve de la preuve qui lui serait présentée concernant l’intimée Unissa, les a avertis qu’il serait peut-être souhaitable qu’ils assistent à l’audience faisant partie du même dossier.

[153]     Le Tribunal doit dans un premier temps déterminer si les admissions effectuées par les administrateurs et dirigeants de l’intimée Unissa engagent la responsabilité de celle‑ci.

[154]      Les intimés Martin Giroux et Steve Carson apparaissent toujours dans les registres d’Unissa comme étant les administrateurs et dirigeants d’Unissa.

[155]     Mentionnons d’emblée que l’accord avec l’intimé Martin Giroux indique que ce dernier a fait faillite en date du 13 juillet 2018. En vertu de l’article 327 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »), un failli est inhabile à être administrateur.

[156]     Bien que l’intimé Martin Giroux soit, à partir de sa faillite, inhabile à être administrateur, rien ne l’empêche d’admettre des faits qui ont eu lieu alors qu’il était administrateur.

[157]     En conséquence, le Tribunal considère que les admissions faites par les intimés Martin Giroux et Steve Carson dans le cadre du présent dossier sont opposables à l’intimée Unissa.

Manquements

[158]     Malgré que l’Autorité a décidé de faire entendre plusieurs témoins, la majorité des témoignages viennent confirmer les admissions déjà effectuées par les intimés Martin Giroux et Steve Carson sans vraiment rien ajouter de substantiel.

[159]     En vertu de la LDPSF, le cabinet doit veiller à la discipline de ses représentants et s’assurer que ceux-ci ainsi que ses dirigeants et employés agissent conformément à la présente loi et à ses règlements[35].

[160]     En l’espèce, l’intimée Unissa à titre de cabinet est donc responsable des manquements causés par ses dirigeants, tel que résumés au paragraphe 122 de la présente décision.

[161]     En plus, l’intimée Unissa a fait défaut à titre de cabinet d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients n’ayant pas agi avec soin et compétence[36].

[162]     En effet, il s’agit de manquements importants compromettant la protection du public.

[163]     Ces manquements sont nombreux et se sont déroulés pratiquement sur toute la durée de son inscription de juin 2015 jusqu’à la fin de son droit d’exercice en mai 2017[37]. Les témoins ont d’ailleurs affirmé au Tribunal que la tenue de dossier ne s’est jamais régularisée.

[164]     D’ailleurs, selon la preuve, l’intimée Unissa a été créée pour répondre aux besoins d’iNovaLife.

[165]     iNovaLife a développé une plateforme web qui permettait aux consommateurs de transmettre gratuitement des soumissions notamment en assurance de dommages. C’est ainsi que le cabinet Unissa a été créé afin de répondre aux soumissions d’assurance et de vendre des polices d’assurance dans le but de répondre aux besoins d’iNovaLife.

[166]     iNovaLife offrait un régime de rémunération à deux niveaux, soient l’un offert aux utilisateurs de la plateforme web et l’autre offert aux promoteurs affilés à celle-ci. Ce dernier régime, aussi appelé marketing relationnel, permettait aux promoteurs de recevoir une rémunération basée sur la force de référencement de leur équipe. Ainsi, afin de respecter les promesses de rémunération, une somme de 15 $ par référencement était versée par l’intimée Unissa à iNovaLife.

[167]     Les représentants de l’intimée Unissa recevaient un nombre important de soumissions, dont environ 20 à 30 % du volume représentait des soumissions fictives.

[168]     Les représentants de l’intimée Unissa devaient également, en plus de leurs tâches liées à leurs activités de représentants, attribuer les « points Nova », accordés aux promoteurs affiliés à iNovaLife lorsque les soumissions étaient légitimes. Ces points représentaient la rémunération des promoteurs.

[169]     De surcroit, jusqu’en janvier 2016, des promoteurs d’iNovaLife se présentaient fréquemment dans les locaux de l’intimée Unissa, afin d’effectuer un suivi de leurs points auprès des représentants d’Unissa.

[170]     À l’exception du volet référencement des clients potentiels, les activités d’iNovaLife devaient être complètement distinctes et indépendantes de celles d’Unissa[38].

[171]     Cependant, la preuve a révélé que la réalité était toute autre et que les activités de l’intimée Unissa étaient liées à celles d’iNovaLife.

[172]     Suite à plusieurs plaintes de la part des promoteurs d’iNovaLife et des membres de l’industrie de l’assurance qui se questionnaient sur la pratique illégale d’assurance par iNovaLife, l’Autorité avait effectué une enquête en 2014.

[173]     Dans le cadre de cette enquête, l’Autorité avait rencontré notamment l’intimé Martin Giroux et le mis en cause Martin Leblanc, les dirigeants et administrateurs de l’intimée Unissa.

[174]     Afin de pallier certaines lacunes opérationnelles et à certains autres éléments problématiques, l’intimée Unissa a été créée et s’est inscrite à titre de cabinet en assurance de dommages en décembre 2014.

[175]     À ce moment, le dirigeant responsable était Carl Higgins.

[176]     En vertu d’une convention d’affiliation, l’intimée Unissa a confié au Groupe Jetté, un cabinet en assurance inscrit auprès de l’Autorité, la gestion complète de « son entreprise » afin de lui permettre de consacrer son temps et ses efforts à la vente de polices d’assurance.

[177]     La preuve révèle qu’iNovaLife et l’intimée Unissa occupaient dans les faits les mêmes locaux physiques et partageaient les mêmes employés de soutien et du service informatique ainsi que la même réceptionniste, malgré une tentative en janvier 2016 de faire paraitre qu’elles étaient dissociées.

[178]     La preuve a démontré que le but premier de l’intimée Unissa était de répondre aux besoins d’iNovaLife.

[179]     En effet, 90 % des clients d’Unissa provenaient d’iNovaLife suivant une demande de soumission d’assurance effectuée sur sa plateforme web.

[180]     Afin d’accroître les revenus d’iNovaLife, ses administrateurs, les mêmes que ceux de l’intimée Unissa, priorisaient auprès des employés les activités qui consistaient à répondre aux demandes de soumission provenant d’iNovaLife afin d’effectuer une proposition d’assurance.

[181]     Tous les employés de l’intimée Unissa qui ont témoigné à l’audition ont confirmé l’existence d’un très mauvais climat de travail, ainsi que la pression constante et maladive exercée par les dirigeants.

[182]     D’ailleurs, tous ont témoigné que le volume de travail était à ce point élevé qu’il était impossible d’accomplir adéquatement leurs tâches avec compétence et diligence, ainsi que de rattraper le retard accumulé. Retard qu’ils n’ont jamais été en mesure de rattraper.

[183]     L’intimé Martin Giroux exerçait de la pression intensément jusqu’à menacer les représentants de couper leurs salaires. Il a également transmis des messages textes à certains indiquant « Do or Die » dans le but de les inciter à vendre davantage des polices d’assurance.

[184]     Les représentants de l’intimée Unissa devaient non seulement effectuer des propositions d’assurance à ceux qui avaient requis une soumission, mais également attribuer et comptabiliser les « points Nova » accordés aux promoteurs affiliés à iNovaLife suite aux référencements.

[185]     Cette pression et cette charge de travail empêchaient les représentants de s’assurer de répondre adéquatement aux clients et de tenir les dossiers en conformité des exigences de la loi. En effet, de nombreux dossiers clients étaient incomplets, non documentés et sans qu’aucun suivi adéquat ne soit effectué.

[186]     Dans une trentaine de cas, ces manquements ont occasionné l’absence de couverture d’assurance automobile ou habitation, et ce, pour des périodes allant jusqu’à quatre mois.

[187]     Cette situation a également créé de l’insatisfaction auprès des clients qui se sont plaints à maintes reprises de la piètre qualité des services offerts par les représentants de l’intimée Unissa.

[188]     Plus spécifiquement, la preuve a révélé que l’impossibilité ou l’incapacité d’effectuer un suivi adéquat des dossiers a eu pour effet de priver trois clients de couverture d’assurance dans quatre cas différents.

[189]     Dans un premier cas, un client de l’intimée Unissa est demeuré sans assurance habitation pendant une période d’environ trois mois. Ce client a pu être réassuré par son assureur précédent moyennant une augmentation substantielle de la prime d’assurance. Cette prime d’assurance a été acquittée par l’intimée Unissa pour la première année dans le but de réparer le préjudice occasionné[39].

[190]     Dans un deuxième cas, un client s’est retrouvé sans couverture d’assurance lors d’un accident de voiture survenu le 20 janvier 2016, suite auquel sa voiture a été déclarée perte totale.

[191]     Le 11 janvier 2016, ce client avait préalablement fait une demande de soumission via la plateforme iNovaLife et avait effectué le paiement d’une portion de la prime d’assurance requise. Cependant, le représentant de l’intimée Unissa a commis une erreur en ayant omis de transmettre la soumission d’assurance à l’assureur.

[192]     Ce n’est que le 11 avril 2016 que l’assureur a accepté de couvrir le risque du client, et ce de manière rétroactive au 11 janvier 2016. La compagnie d’assurance a également accepté d’indemniser le client[40].

[193]     Dans un troisième cas, une entreprise spécialisée dans la gestion d’entretien d’édifices commerciaux est demeurée sans assurance pour une période approximative de 45 jours.

[194]     Le 5 janvier 2016, une proposition d’assurance visant l’obtention de la soumission d’assurance a été initiée par un représentant de l’intimée Unissa. La date effective de l’assurance demandée était le 7 janvier 2016.

[195]     Il s’est avéré qu’aucun suivi n’a été effectué. Ce n’est que le 7 avril 2016 que la proposition a été complétée et acceptée par l’assureur suite au suivi effectué par une représentante de l’intimée Unissa qui a repris le dossier. Heureusement, la compagnie d’assurance a accepté d’assurer rétroactivement le client, évitant ainsi un préjudice important à ce client[41].

[196]     Dans un quatrième cas, concernant le même client, des problématiques similaires ont été constatées relativement à sa police d’assurance automobile commerciale.

[197]     Ainsi, le client est demeuré sans couverture pendant environ un mois et demi en raison du défaut du même représentant d’effectuer un suivi adéquat de son dossier afin de s’assurer de l’émission de la police d’assurance.

[198]     Encore une fois, la compagnie d’assurance a accepté de couvrir le client de manière rétroactive.

[199]     La preuve a également révélé que malgré le manque de connaissances et de compétence de l’intimé Martin Giroux en matière d’assurance, c’est lui et le mis en cause Martin Leblanc, jusqu’à son départ, qui dirigeaient le cabinet Unissa, et ce, nonobstant le fait que Carl Higgins avait été nommé le « dirigeant responsable » du cabinet auprès de l’Autorité.

[200]     Dans les faits, le dirigeant responsable inscrit, Carl Higgins, n’a pas pu exercer son rôle et il a admis ne pas avoir les compétences pour y arriver. On ne lui attribuait qu’un rôle de complaisance.

[201]     Carl Higgins a témoigné qu’il n’avait aucun accès aux livres comptables ni aux états financiers de l’intimée Unissa. De plus, il ne participait aucunement à la gestion du cabinet.

[202]     Toujours dans le but de répondre aux besoins d’iNovalife et maximiser les profits, l’intimée Unissa et ses dirigeants étaient très peu préoccupés par leur devoir de respecter leurs obligations envers l’Autorité.

[203]      Certaines déclarations n’ont pas été faites conformément à la loi. Par exemple, en faisant défaut d’aviser du congédiement de certains représentants en temps utile.

[204]     Tel que mentionné précédemment en faisant la nomenclature des manquements, l’intimée Unissa et ses dirigeants ont également fait de fausses déclarations à l’Autorité que ce soit dans la désignation du dirigeant responsable et des remplacements effectués ou relativement aux motifs de fin d’emploi d’un représentant d’Unissa.

[205]     En ce qui concerne l’obligation pour un cabinet de transmettre à l’Autorité des informations requises par la loi et en temps opportun, le Tribunal réfère au Règlement relatif à l’inscription d’un cabinet, d’un représentant autonome et d’une société autonome[42] :

« 2. Cette personne morale doit, de plus, transmettre à l’Autorité ou permettre que le gouvernement, un de ses organismes, un ordre professionnel ou toute autre personne au Québec puisse transmettre à l’Autorité en son nom les documents et renseignements suivants :

5. les disciplines pour lesquelles la personne morale entend s’inscrire auprès de l’Autorité ainsi que les nom et adresse résidentielle des représentants, par discipline ou catégorie de discipline par l’entremise desquelles elle entend exercer ses activités, en identifiant ceux qui seront à son emploi et ceux qui agiront pour son compte sans être à son emploi;

7. le nom du dirigeant responsable du principal établissement de la personne morale au Québec, de la personne désignée à titre de correspondant auprès de l’Autorité et, le cas échéant, des personnes désignées pour assister la personne désigne à titre de correspondant auprès de l’Autorité;

9. Si, pendant la durée d’une inscription, survient un changement de circonstances affectant la véracité des renseignements et documents fournis, le titulaire de l’inscription doit en aviser l’Autorité par écrit dans un délai de 30 jours suivant un tel changement. »

[Nos soulignements]

[206]     Dans Autorité des marchés financiers c. 9190-4995 Québec inc.[43], le Tribunal a déterminé que l’obligation de transmettre des informations requises en temps opportun à l’Autorité fait partie du devoir du cabinet et de ses dirigeants d’agir avec soin et compétence.

[207]     La preuve a également révélé que l’intimé Martin Giroux avait demandé à des employés de délibérément cacher certains documents qui constataient des retards accumulés dans des dossiers lors d’une visite d’une représentante du GAA visant à s’assurer de la conformité des consultations du Fichier central des sinistres automobiles.

[208]     En ce qui concerne la tenue de dossiers clients, le Tribunal rappelle qu’en vertu de l’article 88 de la LDPSF :

« 88. Un cabinet tient au Québec les dossiers de ses clients conformément aux règlements. »

Il y conserve et rend accessible à l’Autorité, par les moyens que celle-ci indique, tous les documents et tous les renseignements provenant de ses représentants. »

[209]     Par ailleurs, en vertu du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome[44] :

« 12. Le cabinet, le représentant autonome ou la société autonome tient des dossiers clients pour chacun de ses clients.

21. Les dossiers clients qu’un cabinet, un représentant autonome ou une société autonome inscrit dans la discipline de l’assurance de dommages doit tenir sur chacun de ses clients dans l’exercice de ses activités doivent contenir les mentions suivantes :

1.   son nom;

2.   le montant, l’objet et la nature de la couverture d’assurance;

3.   le numéro de police et les dates de l’émission du contrat et de la signature de la proposition, le cas échéant;

4.   le mode de paiement et la date de paiement du contrat d’assurance;

5.   la liste d’évaluation des biens de l’assuré transmise par celui‑ci, le cas échéant.

Tout autre renseignement ou document découlant des produits vendus ou des services rendus recueillis auprès du client doit également y être inscrit ou déposé. »

[210]     En ce qui concerne la cueillette d’informations auprès d’un client et la tenue de dossiers client, le Tribunal réfère à la décision dans Autorité des marchés financiers c. Groupe d’assurances Royale York inc.[45] :

« [50] La cueillette d’informations auprès d’un client, par un représentant en assurance inscrit, est une étape essentielle pour déterminer les besoins en assurance de ce client et être en mesure d’apprécier leur évolution dans le temps. Par ailleurs, pour être en mesure de faire un suivi adéquat de ses relations avec ce client, un représentant en assurance inscrit doit obligatoirement consigner ses échanges avec ce client dans son dossier client.

[51] La tenue des dossiers clients, conformément à la loi et au règlement, est aussi indispensable pour permettre au régulateur de faire son travail de supervision, lequel vise essentiellement à assurer que les cabinets d’assurance et leurs représentants inscrits fournissent au public et à l’ensemble de la place financière un produit financier fondamental, soit des polices d’assurance offrant une couverture appropriée contre la matérialisation d’une gamme de risques bien définis. »

[Nos soulignements]

[211]     En conséquence, suivant les admissions et les différents témoignages recueillis, le Tribunal conclut que l’intimée Unissa, à titre de cabinet, a commis tous les manquements ci-haut décrits et résumés aux paragraphes 160 et 161 de la présente décision.

Question 3 : S’il y a lieu, quelles sont les sanctions administratives que le Tribunal doit imposer à l’intimée Unissa?

[212]     En ce qui concerne la sanction recherchée, l’Autorité soumet que les manquements effectués émanent principalement de la structure corporative et commerciale conçue par les administrateurs et dirigeants de l’intimée Unissa.

[213]     Cette structure avait pour principal but de générer le maximum de profits et non pas de répondre aux besoins d’assurance de la clientèle.

[214]     D’après l’Autorité, « Les manquements constatés sont de nature à avoir occasionné un risque pour le public, certains clients s’étant même retrouvés sans assurance »[46].

[215]     D’après l’Autorité, cette situation est déplorable, d’autant plus que les dirigeants d’iNovaLife et de l’intimée Unissa avaient représenté à l’Autorité qu’il existerait une indépendance entre les opérations de ces deux sociétés.

[216]     Ceci justifierait amplement à imposer une pénalité administrative de 100 000 $ tel que demandé.

[217]     En appui de sa demande, l’Autorité a déposé quelques décisions[47] majoritairement rendues par le Tribunal.

[218]     Force est de constater qu’aucune pénalité administrative de 100 000 $ n’a été octroyée par le Tribunal dans le passé.

[219]     Dans ces décisions, le Tribunal a imposé à l’encontre de cabinets des sanctions variant entre 25 000 $ et 55 000 $.

[220]     Rappelons que le Tribunal a déjà défini toute une série de critères[48] à considérer lors de l’imposition d’une sanction. Bien qu’ils ne soient pas exhaustifs, ces critères sont toujours de mise :

o  La gravité des gestes posés par le contrevenant;
o  La conduite antérieure du contrevenant;
o  La vulnérabilité des clients sollicités;
o  Les pertes subies par les clients;
o  Les profits réalisés par le contrevenant;
o  L’expérience du contrevenant;
o  La position et le statut du contrevenant lors de la perpétration des faits reprochés;
o  Le caractère intentionnel des gestes posés;
o  Les dommages causés à l’intégrité des marchés par la conduite du contrevenant;
o  Le fait que la sanction puisse, selon la gravité du geste posé, constituer un facteur dissuasif pour le contrevenant, mais également à l’égard de ceux qui seraient tentés de l’imiter;
o  Le degré de repentir du contrevenant;
o  Les facteurs atténuants; et
o  Les sanctions imposées dans les circonstances semblables.

La gravité des gestes posés

[221]     Les manquements commis par l’intimée Unissa et ses dirigeants sont très graves. Ces manquements sont principalement reliés aux pratiques de gestion du cabinet ayant une incidence directe sur la protection du consommateur et du public en général.

[222]     Il s’agit de nombreux manquements qui se sont répétés pendant plusieurs mois.

[223]      Ces manquements incluent d’avoir délibérément et à quelques reprises omis d’envoyer de l’information à l’Autorité et d’avoir délibérément transmis des informations fausses et trompeuses. Ceci fait partie des manquements ayant une gravité objective des plus répréhensibles, puisque leur impact est de se soustraire de la surveillance du régulateur qui doit protéger le public. Ceci ne saurait être toléré dans aucune circonstance.

[224]     Le Tribunal a déjà à maintes reprises souligné son indignation face à la transmission d’informations fausses et trompeuses à l’Autorité, notamment dans l’affaire Autorité des marchés financiers c. F.D. De Leeuw & Associés inc. [49] :

« [45] (…) les informations fausses ou trompeuses transmises à l’Autorité nuisent grandement au rôle de surveillance de cette dernière qui doit veiller à la conformité des personnes inscrites. La transmission de telles informations à l’Autorité représente un obstacle à l’efficacité des marchés et constitue une conduite contraire à l’intérêt public. »

[225]     De plus, la mauvaise tenue des dossiers et l’omission d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients a eu des conséquences très graves auprès des consommateurs. Heureusement les situations soulevées au Tribunal ont été résolues par la collaboration des assureurs, malgré certains enjeux pour les clients.

[226]     La mauvaise gestion, le manque de personnel, la pression continue de répondre davantage aux préoccupations mercantiles d’iNovaLife  plutôt que de répondre aux obligations règlementaires afin de protéger le public est d’une grande gravité objective.

La vulnérabilité des clients sollicités

[227]     Encore une fois, les importantes lacunes dans la tenue des dossiers et le manque de suivi auprès des clients ont occasionné l’absence de couverture pour certains clients, tous vulnérables devant une telle situation, n’ayant aucun ou peu de contrôle sur les gestes posés par les représentants.

Les pertes subies par les clients

[228]     Même si les trois clients qui sont demeurés sans couverture d’assurance ont soit été indemnisés pour leur perte ou ont été assurés rétroactivement, il est indéniable qu’ils ont tous subi des « pertes », ne serait-ce que la perte de temps et inconvénients. Le Tribunal espère qu’il n’y a pas de cas latents et qu’une vigie a été faite auprès des autres clients de l’intimée Unissa.

Le caractère intentionnel des gestes posés

[229]     La preuve a démontré que l’intimée Unissa et ses dirigeants ont délibérément agit de manière contraire aux obligations règlementaires les plus élémentaires.

[230]     Notamment, en cachant volontairement des documents constatant une tenue de dossiers déficiente et des retards accumulés lors d’une visite d’une représentante du GAA visant à s’assurer de la conformité des consultations du Fichier central des sinistres automobiles. Sans ce geste intentionnel, il se peut que les omissions de l’intimée Unissa et de ses dirigeants et représentants aient été découvertes plus tôt.

[231]     Il va sans dire que le fait de délibérément cacher des documents aux régulateurs est aussi grave que celui de transmettre de l’information fausse et trompeuse, ce qui ne saurait être toléré en aucune circonstance.

Autres éléments à considérer

[232]     En l’espèce étant donné la nature des manquements, leur nombre et leur gravité, le Tribunal doit s’assurer de lancer un message clair que ce genre de comportement ne peut d’aucune façon être toléré.

[233]     La sanction imposée doit constituer un facteur dissuasif envers les intimés, mais également à l’égard de ceux qui seraient tentés de les imiter.

[234]     L’intimée Unissa a été incorporée afin de satisfaire aux besoins d’iNovaLife, dont la structure ressemblait à une structure de réseau de ventes multiniveaux constituée par le recrutement de clients et de promoteurs. Le but premier de l’intimée Unissa n’était pas d’opérer un cabinet d’assurance de façon légitime et conforme, mais plutôt de répondre aux besoins d’iNovaLife qui lui a recommandé 90 % de ses clients.

[235]     La mise sur pied d’un cabinet d’assurance dans le but de satisfaire aux besoins d’une autre compagnie qui n’est pas inscrite auprès de l’Autorité sans égard aux consommateurs et au respect des règles établies ne saurait être tolérée.

[236]     Le Tribunal estime qu’une pénalité suffisamment élevée doit être imposée à l’intimée Unissa afin de la décourager de reproduire ce genre de structure et des comportements semblables.

Les facteurs atténuants

[237]     Bien que ce facteur soit minime, le Tribunal note que l’intimée Unissa a mis fin à ses opérations[50]. L’Autorité n’a pas eu à intervenir afin de faire cesser ses opérations.

[238]     Finalement, le Tribunal tient compte également du paiement de la prime d’assurance par l’intimée Unissa pour le client qui a pu être réassuré par son assureur précédent.

Détermination de la sanction administrative

[239]     Afin de déterminer le montant de la pénalité administrative à l’égard de l’intimée Unissa, le Tribunal a fait une revue de la jurisprudence en semblable matière.

[240]     Dans la décision Autorité des marchés financiers c. Assurances Crédit Virage inc.[51], le Tribunal a entériné un accord en vertu duquel le cabinet d’assurance s’était engagé à payer une pénalité administrative au montant de 52 000 $. Dans cette affaire, il était question notamment de déficiences dans la tenue des dossiers.

[241]     Dans l’Autorité des marchés financiers c. Gexel Telecom[52], Autorité des marchés financiers c. Partners Indemnity[53] et Autorité des marchés financiers c. Rochefort, Perron, Billette[54], bien que les infractions commises soient différentes des nôtres, on y retrouve néanmoins l’aspect de la commission de manquements afin de satisfaire aux besoins d’une autre compagnie.

[242]     La cueillette d’informations relativement à l’assurance se faisait par l’entremise d’employés d’une compagnie tierce, soit le concessionnaire automobile.

[243]     Dans l’affaire Gexel Telecom, le Tribunal a entériné des ententes qui prévoyaient comme suggestion commune une pénalité administrative de 55 000 $, une ordonnance de remise des gains réalisés à la suite des manquements de l’ordre de 30 000 $ et au représentant et dirigeant responsable de Gexel Telecom, une pénalité de 5 500 $. Toujours dans cette affaire, le Tribunal a également accepté d’imposer une pénalité de 40 000 $ à Optima ainsi qu’une ordonnance de remise des gains réalisés par celle-ci de l’ordre de 1 184 $ et une pénalité de 4 000 $ au dirigeant responsable.

[244]     Dans l’affaire Partners Indemnity, le Tribunal a entériné une entente dans laquelle le cabinet a accepté de payer une pénalité administrative de 45 000 $ et 4 500 $ pour le dirigeant responsable.

[245]     Finalement, dans l’affaire Rochefort, Perron, Billette, le Tribunal a également entériné une entente en vertu de laquelle le cabinet a accepté de payer une pénalité administrative de 45 000 $.

[246]     Contrairement à ces dossiers, l’intimée Unissa n’a pas convenu d’entente.

[247]     Sans être une science exacte et applicable en toutes circonstances. Il semble y avoir une constance dans la jurisprudence devant le Tribunal à l’effet que la pénalité du dirigeant principalement impliqué dans les manquements équivaut à 10 % du montant imposé au cabinet. En l’espèce, l’intimé Martin Giroux a eu une pénalité de 10 000$.

[248]     Tel que mentionné précédemment, le Tribunal considère que les manquements commis dans le présent dossier sont excessivement graves et sérieux.

[249]     Les manquements sont nombreux et multiples.

[250]     L’intimée Unissa a fait fit de veiller aux respects par ses dirigeants, ses représentants et ses employés, des obligations règlementaires, et ce, à plusieurs égards.

[251]     En conséquence, le Tribunal impose à l’intimée Unissa une pénalité administrative de 100 000 $.

Demande de radiation

[252]     L’Autorité demande également la radiation de l’inscription de l’intimée Unissa à titre de cabinet en assurance de dommages.

[253]     L’intimée Unissa a procédé au retrait de discipline ainsi qu’au retrait de son inscription à titre de courtier en assurance de dommages[55].

[254]     D’ailleurs, l’attestation de droit de pratique de l’intimée Unissa indique qu’elle a été inscrite auprès de l’Autorité pour la période du 23 juin 2015 au 7 mai 2017.

[255]     De ce fait, le Tribunal ne voit pas la nécessité de « radier » l’inscription du cabinet de l’intimée Unissa puisque cette inscription auprès de l’Autorité n’est plus valide.

DISPOSITIF

POUR CES MOTIFS, le Tribunal administratif des marchés financiers, en vertu des articles 93, 94 et 97 de la Loi sur l’encadrement du secteur financier et des articles 115, 115.1 et 115.9 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers :

ACCUEILLE en partie la demande de l’Autorité des marchés financiers;
ENTÉRINE les deux accords, les rend exécutoires et ordonne aux parties de s’y conformer;

À l’égard de Martin Giroux

ENTÉRINE l’accord intervenu entre Martin Giroux et l’Autorité des marchés financiers;
IMPOSE à Martin Giroux une pénalité administrative de dix mille dollars (10 000 $);
INTERDIT à Martin Giroux d’agir à titre de dirigeant responsable d’un cabinet d’assurance pendant une durée de trois (3) ans;

À l’égard de Steve Carson

ENTÉRINE l’accord intervenu entre Steve Carson et l’Autorité des marchés financiers;
IMPOSE à Steve Carson une pénalité administrative de cinq mille dollars (5 000 $);
INTERDIT à Steve Carson d’agir à titre de dirigeant responsable d’un cabinet d’assurance pendant une durée de trois (3) ans;

À l’égard d’Unissa Assurances inc.

IMPOSE à Unissa Assurances inc. une pénalité administrative de cent mille dollars (100 000 $).
 

 

______________________________________

Me Lise Girard, juge administratif

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________

Me Antonietta Melchiorre, juge administratif

 

 

Me Aurélie Gauthier et Me Marie A. Pettigrew

 

(Contentieux de l’Autorité des marchés financiers)

 

Procureures de l’Autorité des marchés financiers

 

 

 

Me Christopher-William Dufour Gagné

 

(Morency Société d’Avocats, sencrl)

 

Procureur de Steve Carson

 

 

 

Martin Giroux, comparaissant personnellement

 

 

 

Dates d’audience :

14, 15 et 16 novembre 2018

 



[1]    Pièces D-1 et D-14.

[2]    Pièces D-18 et D-19.

[3]    RLRQ, c. D-9.2.

[4]    Pièce D-14.

[5]    Pièce D-16.

[6]    Pièces D-14 et D-15.

[7]    Pièce D-1.

[8]    Pièce D-2 tel qu’amendée.

[9]    Pièces D-6, D-8 et D-12.

[10]   Pièce D-14.

[11]   Concernant l’entente de l’intimé Martin Giroux, les paragraphes 4 à 17, 23, 29 à 74 et 83 à 145 de la demande originale.

     Concernant l’entente de l’intimé Steve Carson, les paragraphes 4 à 13, 15, 18 à 20, 23, 29 à 74 et 83 à 145 de la demande originale.

[12]   Loi sur la faillite et l’insolvabilité, LRC (1985), ch. B-3.

[13]   RLRQ, c. E-6.1.

[14]   L.Q. 2018, c. 23.

[15]   Hubert Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 5e ed., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015.

[16]   RLRQ, c. T-15.1.

[17]   Fraternité des policiers de Lévis inc. c. Lévis (Ville de), 2014 QCCA 1453.

[18]   Newfoundland & Labrador Nurses Union c. Terre-Neuve et Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, par. 16.

[19]   RLRQ, c. E-6.1.

[20]   RLRQ, c. J-3.

[21]   R. c. Wong, 2018 CSC 25, par. 61.

[22]   2016 QCCA 1361.

[23]   Au sens de l’article 97 al. 2 (6) de la LESF.

[24]   Article 2850 C.c.Q.

[25]   Société des services Ozanam inc. c. Québec (Commission municipale), 1994 CanLII 6507 (QC CS).

[26]   Articles 2 (7) et 9 du Règlement relatif à l’inscription d’un cabinet, d’un représentant autonome et d’une société autonome, RLRQ, c. D-9.2, r. 15.

[27]   Id., art. 2 (13).

[28]   Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome, RLRQ c D-9.2, r. 2, art. 21.

[29]   Article 469.1 de la LDPSF.

[30]   Articles 16 et 84 de la LDPSF et article 15 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, RLRQ, c. D-9.2, r. 5.

[31]   Article 16 de la LDPSF.

[32]   Article 86 de la LDPSF.

[33]   2015 QCBDR 129.

[34]   2018 QCTMF 20.

[35]   Articles 85 et 86 de la LDPSF.

[36]   Article 84 de la LDPSF.

[37]   Pièce D-2.

[38]   Pièces D-21 et D-22.

[39]   Témoignage d’une représentante anciennement rattachée à Unissa.

[40]   Pièces D-36, D-37, D-38, D-39, D-40, D-41 et D-42.

[41]   Pièces D-44, D-45, D-46, D-48, D-49 et D-50.

[42]   RLRQ, c. D-9.2, r.15.

[43]   2018 QCTMF 82.

[44]   RLRQ, c. D-9.2, r. 2.

[45]   2017 QCTMF 82.

[46]   Notes et autorités de la demanderesse, 14 novembre 2018.

[47]   Autorité des marchés financiers c. Gexel Telecom International inc., 2018 QCTMF 62, Autorité des marchés financiers c. Partners Indemnity Insurance Brokers Ltd., 2016 QCTMF 43, Autorité des marchés financiers c. Rochefort, Perron, Billette & Associés inc., 2015 QCBDR 18, Autorité des marchés financiers c. Assurances Crédit Virage inc., 2014 QCBDR 92, Autorité des marchés financiers c. MWM Assurances inc., 2013 QCBDR 140, Autorité des marchés financiers c. Groupe d’assurances Royale York inc., 2017 QCTMF 82.  

[48]   Autorité des marchés financiers c. Demers 2006 QCBDRVM 17, Autorité des marchés financiers c. Groupe Financier Lemieux 2013 QCBDR 103.

[49]   2012 QCBDR 135, par. 45.

[50]   Pièces D-2 et D-57.

[51]   2014 QCBDR 92.

[52]   2018 QCTMF 62.

[53]   2016 QCTMF 43.

[54]   2015 QCBDRV 18.

[55]   Pièces D-2 et D-57.

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